Perquisition chez l’avocat : précisions de la chambre criminelle sur l’appel de l’ordonnance du JLD.

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # perquisition # recours # ordonnance # profession d'avocat

Dans cet arrêt du 3 octobre 2023 (n° 23-80.251), la Cour de cassation donne des précisions sur la forme du recours contre une ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention (JLD) qui a autorisé la saisie de certains matériels en cabinet d’avocats ainsi que sur la portée de l’appel de l’ordonnance du JLD devant la Chambre criminelle suite à la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 sur la confiance dans l’institution judiciaire qui a réformé les perquisitions en cabinet d’avocats.

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Le cabinet d’avocats est un « asile sacré » « dans lequel aucun huissier ne pouvait instrumenter aux fins de signification » (expression du Bâtonnier Jean Lemaire, in Vincent Nioré Perquisitions chez l’avocat. Défense des secrets et inviolabilité de l’asile sacré Ed. Lamy Axe droit 2014).

A Paris, 22 avocats ont été perquisitionnés au cours des 6 premiers mois de l’année 2023.

Ni l’article 56-1 du Code de procédure pénale ni aucune autre disposition de procédure pénale ne prévoyant la forme du recours ouvert contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant en matière de contestation de saisie réalisée au cabinet d’un avocat ou à son domicile, un tel recours peut être effectué par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction tout autant que par déclaration d’appel au greffe du premier juge.

Il résulte de ce même texte que, saisi d’un tel recours, le président de la chambre de l’instruction statue à nouveau en fait et en droit sur la contestation.

Encourt en conséquence la censure l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction qui énonce que le recours ouvert devant lui ne vise qu’à faire obstacle au versement immédiat des pièces dont la saisie a été autorisée par le juge des libertés et de la détention et ne saurait se substituer à un appel.

C’est ce qu’affirme la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 2023 (n° 23-80.251) publié au bulletin de la Cour de cassation.

1) Forme du recours contre l’ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention.

Le recours contre l’ordonnance du JLD devant la Chambre de l’instruction, en matière de perquisition en cabinet d’avocats est un acquis important de la loi du 22 décembre 2021.

La question qui se posait est de savoir si l’appel de l’ordonnance du JLD doit se faire par déclaration au greffe de la juridiction qui a rendu la décision ou par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction.

1.1) Faits et procédure.

En l’espèce, lors d’une enquête préliminaire ouverte des chefs susvisés et mettant en cause M. [Z] [R], le juge des libertés et de la détention a, par ordonnance du 3 novembre 2022, autorisé une perquisition au domicile des parents de l’intéressé chez lesquels il réside lorsqu’il se trouve sur le territoire national, Mme [O] [C], sa mère, ayant la qualité d’avocate.

Au cours de la perquisition, effectuée le 8 novembre suivant par le substitut du procureur de la République, la représentante du bâtonnier de l’ordre des avocats a formé opposition à la saisie de divers matériels informatiques, qui ont été placés sous six scellés fermés.

Par ordonnance du 14 novembre 2022, le juge des libertés et de la détention a déclaré irrecevables les oppositions à la saisie d’autres matériels informatiques formées par la représentante du bâtonnier lors de son audience, dit n’y avoir lieu à la saisie des scellés n° 1, 2 et 3, ordonné leur restitution immédiate et la cancellation de toute référence à ces objets ou à leur contenu dans le dossier de la procédure, dit que la saisie des scellés n° 4, 5 et 6 est régulière, ordonné le versement de ces scellés et du procès-verbal des opérations au dossier de la procédure, avec cancellation des éléments relatifs aux scellés dont la restitution a été ordonnée, et dit n’y avoir lieu à la désignation d’un expert.

Par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction, Mme [C] et le bâtonnier de l’ordre des avocats ont chacun formé un recours contre cette décision.

1.2) Moyen.

Le moyen, pris de la violation de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a estimé recevables les recours de Mme [C] et du bâtonnier de l’ordre des avocats effectués par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction, alors que ces recours ne pouvaient qu’être enregistrés au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, en l’espèce le greffe du juge des libertés et de la détention, afin de garantir l’information immédiate du procureur de la République qui diligente l’enquête, et, par suite, le caractère suspensif de tels recours.

1.3) Réponse de la cour.

Ni l’article 56-1 du Code de procédure pénale ni aucune autre disposition du Code de procédure pénale ne prévoyant la forme du recours ouvert contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant en matière de contestation de saisie effectuée au cabinet d’un avocat ou à son domicile, un tel recours pouvait être effectué par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction tout autant que par déclaration d’appel au greffe du premier juge.

1.4) Analyse.

La Cour de cassation a une position très pragmatique qu’il faut saluer.

Faute de précision textuelle, elle affirme que le recours contre l’ordonnance du JLD peut être effectué par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction tout autant que par déclaration d’appel au greffe du premier juge.

Cette position pragmatique est d’autant plus appréciée que le délai de recours contre l’ordonnance du JLD est de 24 heures, ce qui est extrêmement court.

2) Le président de la chambre de l’instruction statue à nouveau en fait et en droit sur la contestation de l’ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention.

2.1) Moyen.

Le procureur général critiquait l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a estimé ne pas pouvoir faire droit à une demande de réformation partielle et considéré que le président de la chambre de l’instruction est seulement saisi d’un recours sur le caractère exécutoire de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, alors qu’il revient au président de la chambre de l’instruction de statuer sur la contestation de saisie, selon une procédure qui, identique à celle prévue devant le juge des libertés et de la détention, corrobore le caractère dévolutif du recours sur la totalité de la contestation.

De même, Mme [C] et le bâtonnier de l’ordre des avocats plaidait également que le recours formé contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant sur la contestation d’une perquisition réalisée au domicile d’un avocat devant le président de la chambre de l’instruction, sur fondement de l’article 56-1 alinéa 8 du Code de procédure pénale, est assorti de l’effet dévolutif et l’oblige à statuer à nouveau en fait et en droit sur cette contestation.

2.2) Réponse de la cour.

Au visa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, la chambre criminelle de la Cour de cassation affirme que la décision du juge des libertés et de la détention statuant sur l’opposition du bâtonnier ou de son délégué à la saisie d’un document ou objet à l’occasion d’une perquisition dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile peut faire l’objet d’un recours suspensif devant le président de la chambre de l’instruction.

Il en résulte que celui-ci statue alors à nouveau en fait et en droit sur la contestation.

Pour ordonner la mise à exécution de la décision du juge des libertés et de la détention, l’ordonnance attaquée énonce qu’il résulte de l’article 56-1 du Code de procédure pénale que le recours devant le président de la chambre de l’instruction ne vise qu’à faire obstacle au versement immédiat des pièces dont la saisie a été autorisée par le juge des libertés et de la détention, et que ce recours ne saurait se substituer à un appel dont l’effet dévolutif autoriserait tant l’examen de la régularité des opérations de perquisition et de la décision déférée que celui des demandes en restitution d’objets saisis.

Le juge ajoute qu’il ne saurait, sans excès de pouvoir, réformer, même partiellement, l’ordonnance attaquée, si bien que le recours à une expertise se révèle sans objet à ce stade.

En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l’instruction, qui devait répondre aux demandes et moyens de l’avocat concerné et du bâtonnier ainsi qu’aux réquisitions du procureur général, et qui a ordonné la mise à exécution d’une décision dont il a pourtant refusé de contrôler la régularité, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

La cassation est dès lors encourue.

La Cour de cassation renvoie la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris.

2.3) Analyse.

Encore une fois, cette décision doit être approuvée.

L’appel de la décision du JLD n’aurait de sens si celui-ci était limité au recours sur le caractère exécutoire de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention.

Ce n’était pas l’intention du législateur qui a voulu au contraire permettre un recours entier (en fait et en droit) contre l’ordonnance du JLD.

Il faut saluer cette décision qui clarifie la portée de l’appel devant la chambre de l’instruction de l’ordonnance du JLD.

Source.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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