La production d’électricité en France actuellement est d’environ 550 TWh par an, 70% de cette production est d’origine nucléaire, les 30% restants étant d’origine thermique, éolienne, solaire, ou hydraulique (source Insee).
Face à l’augmentation des coûts pour EDF, l’ État français est venu limiter la hausse des prix de l’électricité à travers deux textes. Le premier, un décret en date du 11 mars 2022, par lequel le Premier Ministre fixe les modalités spécifiques d’attribution d’un volume additionnel d’électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l’Accès Régulé et limité à l’Électricité Historique (ARENH) ; et le second, un arrêté du 11 mars 2022, des ministres chargés de l’économie et de l’énergie fixant un volume global maximal additionnel de 20 TWh par an. Cependant, craignant pour sa « santé » économique, EDF ne se laissera pas faire et initiera une procédure administrative contentieuse à travers un recours en référé et un recours au fond. C’est ce second recours qui est à la une de l’actualité administrative en ce moment.
Rappelons-nous tout d’abord l’acte premier en mai dernier : EDF saisit le Conseil d’État d’un recours en référé suspension, procédure, souvenons-nous, prévue par l’article L521-1 du Code de justice administrative. Deux conditions sont nécessaires : l’urgence de la situation d’une part, un « doute quant au sérieux de la légalité de la décision » d’autre part.
Dans cette décision le juge décidera de ne pas examiner la seconde condition, la première n’étant pas remplie à ses yeux. Arrêtons-nous donc uniquement sur l’urgence de la situation. L’urgence de ce référé est différente de celle appréciée en matière de liberté.
Dans notre cas procédural, il s’agit de suspendre la décision administrative parce qu’elle préjudicie soit à un intérêt public, soit à une situation du requérant, soit aux intérêts qu’il entend défendre de manière suffisamment grave et immédiate. Le juge des référés appréciera l’urgence in conreto, suivant les éléments d’espèce présentés par le requérant.
La décision de référé doit être prise rapidement et surtout, avant la décision au fond. Il faut apprécier l’urgence non pas pour le requérant mais pour la situation d’urgence en tant que telle face aux atteintes portées aux différents intérêts en présence. Le juge des référés doit donc tenir compte de manière globale et objective des circonstances de l’espèce et procéder à une balance des intérêts en cause (CE, ord, 5 mars 2001, Syndicat des travailleurs corses, req n°230681).
En l’espèce, le juge de référé estime que les requérants n’apportent pas suffisamment d’éléments, pas d’éléments assez précis sur l’incidence économique de la décision gouvernementale pour EDF dans un contexte de forte hausse des prix à l’origine d’importantes répercussions sur les particuliers ou les professionnels. Pour lui, ce contentieux n’exige pas de décision prise en urgence.
Il a donc fallu attendre la décision au fond afin d’avoir l’issue du litige.
Le 3 février 2023, le Conseil d’État s’est penché sur ce différend. Les requérants l’avaient saisi d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ce décret et de cet arrêté. A l’appui de leur action en justice, différents arguments étaient invoqués.
Tout d’abord, la légalité externe des décisions était en jeu. Pour les requérants, le gouvernement n’avait pas respecté la procédure de modification du texte en ne procédant pas aux consultations obligatoires des organismes officiels, exigées par le Code de l’énergie... Parmi les organismes à consulter, figurait la Commission de régulation de l’énergie, une autorité administrative indépendante créée par la loi dite « NOME » du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité (LOI n°2000-108 du 10 février 2000).
Elle a pour principales missions d’assurer aux fournisseurs alternatifs un droit d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, de permettre la préservation du parc nucléaire historique d’EDF et de maintenir des prix compétitifs en France pour les consommateurs. Elle est donc la garante de la transparence et de la sécurisation des réglementations en matière d’électricité. Il était par conséquent louable de se prévaloir de l’absence de sa consultation.
En dépit de ces manquements procéduraux, une loi de validation était venue régulariser ces carences, il s’agissait de l’article 41 de la loi du 16 août 2022 portant mesure d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, et cette loi respectait bien les conditions du système de validation imposant le respect de 3 conditions.
A savoir :
Le bon respect des décisions de justice, cette condition découlait du principe de respect de la séparation des pouvoirs : « la mesure de validation qui porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à la garantie des droits est contraire à la Constitution » (Cons. Const., 29 déc 2005, n°2005-531DC). Cela signifie qu’une validation ne peut intervenir que dans des procédures en cours et pas sur celles devenues définitives ou « passées en force de chose jugée ». C’est ce que la Haute juridiction administrative du palais Royal affirme en reprenant les termes de l’article de loi : « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ».
Puis la seconde condition est sans intérêt dans le cas d’espèce puisqu’elle porte sur l’obligation du respect du principe de non-rétroactivité de la loi en matière pénale, notre cas ne portant pas sur cette matière.
Enfin, la dernière condition relative au motif impérieux d’intérêt général correspond la plupart du temps à la préservation du fonctionnement du service public (par exemple dans la décision : Cons. Const., 22 juillet 1980 n°80-119DC). Le Conseil d’État se targue de cet argumentaire et le justifie de manière factuelle en prenant pour motif le « contexte de crise sur le marché de l’électricité », ou la « hausse exceptionnelle du prix de l’électricité ». L’atteinte portée au droit, en d’autres termes le manquement à la procédure est justifié par ce motif impérieux d’intérêt général pour le Conseil d’État.
Ensuite la légalité interne des mesures prises par rapport au droit interne tenait à plusieurs choses. Pour les requérants, il y avait entre autres une atteinte à la liberté d’entreprendre, liberté fondamentale et constitutionnelle depuis la décision du Conseil de la rue de Montpensier de 1982 (Cons. Const., 16 janv 1982 n°81-132DC). Cette liberté est rattachée au décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 et à la Loi le Chapellier des 14 et 17 juin 1791 interdisant les corporations. Elle implique le droit de créer et d’exercer librement une activité économique dans le domaine de son choix, comme on le souhaite. Cette liberté n’est pas absolue et peut être limitée de manière légale, par exemple en nationalisant l’entreprise, ou de manière conventionnelle, par exemple en insérant une clause de non-concurrence dans le contrat. Pour EDF, l’État limitait sa liberté d’exploiter à sa guise la production d’électricité en augmentant le taux de l’ARENH.
Le Conseil d’État n’est pas de cet avis face à ce contexte exceptionnel. Pour lui, cette augmentation permet de garantir davantage les principes de l’article L 336-1 du Code de l’énergie, à savoir garantir le libre choix du fournisseur, et la stabilité des prix.
Enfin les requérants invoquaient un manquement à l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne. Pour eux, l’État aurait dû soumettre à la Commission européenne cette révision du taux. Néanmoins le Conseil d’État n’est pas de cet avis. Il ne s’agirait pas d’une aide publique pour les juges administratifs (or seules les aides publiques doivent être soumises au contrôle de la Commission européenne). En effet, il s’agissait pour le Conseil d’État d’un « mécanisme opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs sur le marché de l’électricité aux fins de favoriser la concurrence », la notification n’avait donc pas lieu d’être.
Le Conseil d’État valide une seconde fois ce mécanisme permettant de limiter la hausse des prix de l’électricité. Il se range du côté de l’État, du côté de l’État régulateur, protecteur de sa population, défavorisant ainsi la liberté d’entreprendre.
L’État fait prévaloir l’intérêt général sur l’intérêt particulier et ce, en raison d’un contexte fort particulier en ce moment. Ira-t-il encore plus loin ? EDF deviendra-t-elle bientôt la propriété de la personne publique ?