Dans cette affaire, il est question de la confrontation du principe de laïcité à la française avec la liberté de religion de l’article 9 de la Convention européenne des droit de l’homme. La requérante était scolarisée pour l’année 1998-1999 en classe de sixième dans un collège à Flers. A partir du mois de janvier 1999, elle se présenta aux cours vêtue d’un foulard. A sept reprises, son professeur d’éducation physique et sportive, lui demanda de l’enlever. A sept reprises, la requérante refusa.
Un dialogue s’est alors instauré entre la requérante, ses parents et le corps enseignant. Le but étant de trouver une solution permettant de concilier liberté religieuse et pratique du sport. Le collège proposa un compromis selon lequel la requérante aurait le droit de porter le voile dans toute les matières à l’exception de l’éducation physique. Il a été rejeté par la famille de l’élève. Cette dernière proposa alors de porter un bonnet ou une cagoule. Les enseignants rejetèrent cette proposition au motif qu’elle ne permettait pas de parvenir à une pratique convenable du sport. Face au refus persistant de la requérante, le conseil de discipline du collège de Flers décida, le 11 février 1999, de l’exclure définitivement de l’établissement scolaire.
Cette solution a été confirmée par un arrêté du recteur d’académie daté du 17 mars 1999. Cet arrêté a été contesté devant les juridictions administratives au motif qu’il constituait une violation du principe de liberté religieuse. Chaque juridiction, y compris le Conseil d’Etat par un arrêt du 29 décembre 2004, a rejeté les arguments des requérants. Ces derniers ont alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Auparavant, la CEDH a déjà examiné la question de la conformité du principe de laïcité tel qu’il prévaut en France avec la liberté de religion telle que consacrée à l’article 9 de la Convention. Selon l’article 9 de ladite Convention, la liberté de religion n’est pas absolue. Elle peut être limitée. L’alinéa 2 de l’article 9 dispose, en effet : « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Le premier argument des requérants consistait à dire que l’arrêté d’exclusion pris par le recteur d’académie était non valable puisqu’aucune loi n’interdisait le port du foulard au sein des établissements scolaires. La liberté de religion ne pouvant, selon eux, être limitée que part une loi. Il faut rappeler que les faits se sont déroulés en 1999 et que la loi sur les signes religieux à l’école a été adoptée le 15 mars 2004. La CEDH a rejeté cet argument. Selon elle, le terme de loi ne doit pas être entendu au sens formel, c’est-à-dire, comme texte voté par le parlement mais au sens matériel. Toute prescription à caractère général et impersonnel pourvu qu’elle soit accessible, intelligible et permette aux citoyens de connaître raisonnablement les conséquences d’un acte déterminé peut ainsi être qualifiée de loi par la CEDH.
La CEDH examine le traitement en droit français de la question de la confrontation du principe de laïcité avec la liberté de religion ; au moment des faits. Elle constate l’existence d’une loi du 10 juillet 1989 mettant à la charge des élèves une obligation d’assiduité et une obligation de respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements. Elle relève que ladite loi prévoit des limites à la liberté de religion. Son exercice pouvant être interdit s’il porte atteinte au pluralisme, à la neutralité du service public ou s’il rend incompatible les activités d’enseignement. La CEDH met ensuite en exergue une clarification de cette loi par un avis consultatif du Conseil d’Etat daté du 27 novembre 1989. La Haute juridiction administrative venant confirmer le caractère limité de la liberté de religion et venant préciser que la méconnaissance de ces limites peuvent entrainer l’expulsion de l’établissement scolaire. Par ailleurs, la CEDH souligne que depuis l’avis de 1989 le Conseil d’Etat a toujours confirmé l’expulsion d’une élève pour cause de port du voile en cours d’E.P.S.
Au moment des faits il existait donc une jurisprudence publiée et largement confirmée prévoyant l’expulsion d’une élève portant le voile en cours d’E.P.S. En outre, cette jurisprudence était reprise dans le règlement intérieur de l’établissement scolaire en question prévoyant que « tout élève doit se présenter au cours d’E.P.S avec sa tenue de sport ». Ce règlement ayant été porté à la connaissance de l’élève intéressée et de ses parents lors de l’inscription. En somme, pour la CEDH, il existait, au moment des faits de nombreuses sources de nature juridique accessibles à la requérante et, parce qu’accessibles, permettant à la requérante de prévoir que son comportement était susceptible d’entrainer son expulsion du collège. De sorte que l’argument consistant à contester l’expulsion en se fondant sur le fait qu’elle ne s’appuye par sur une loi ne tient pas. Il existe, en effet, une loi. Certes au sens matériel.
Le second argument des requérants consistait à alléguer que la mesure de limitation de la liberté de religion ne poursuivait pas un but d’intérêt légitime et n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Auparavant, la CEDH, a déjà examiné un tel argument. L’affaire commentée s’inscrit donc dans une longue jurisprudence. La CEDH utilise la technique de la mise en balance des intérêts en présence. Ainsi, elle considère que des exigences de sécurité individuelle ou collective peuvent justifier une limitation de la liberté de religion. Elle a décidé que les sikhs pratiquants portant le turban pouvaient être obligés de l’ôter afin de pouvoir porter un casque lorsqu’ils circulent à moto (X c. Royaume-Uni, no 7992/77, décision de la Commission du 12 juillet 1978, Décisions et rapports (DR) 14, p. 234), ou encore afin de pouvoir se soumettre aux contrôles en vigueur à l’entrée des consulats (El Morsli c. France (déc.), no 15585/06, 4 mars 2008, CEDH 2008-...) ou des aéroports (Phull c. France (déc.), no 35753/03, CEDH 2005-I, 11 janvier 2005). En l’espèce, le but légitime poursuivi par la mesure d’expulsion est la protection des droits et libertés d’autrui et la protection de l’ordre public.
La protection des libertés d’autrui fait écho à l’affaire Dahlab c. Suisse (no 42393/98, CEDH 2001-V) où le CEDH a jugé qu’une personne se livrant à une activité d’enseignement à des enfants en bas-âge ne pouvait pas porter le foulard. De tels enfants n’étant pas encore pleinement rationnels et donc complètement libres ils encouraient alors sérieusement le risque d’être influencés par leur enseignante et donc d’adhérer à des principes religieux qu’ils n’avaient pas choisi. Or, en l’espèce, l’élève exclue était en classe de sixième. Ses camarades étaient donc âgés de onze ans. Or, à cet âge, les élèves sont encore en train de se construire. Intellectuellement, ils ne possèdent que des connaissances limitées. Ce manque de connaissances ne leur permet pas de faire des choix réfléchis et libres. Il y avait donc un risque que l’élève récalcitrante influence ses camarades. Il est intéressant, ici, de faire un parallèle avec le droit de vote. Si le législateur français ne permet l’exercice du droit de vote qu’à partir de dix huit ans, c’est parce qu’avant cet âge, il est impossible de comprendre le fonctionnement des institutions de la République et la portée du discours politique. Il y a donc une cohérence certaine à interdire l’adhésion à des valeurs religieuses en deçà d’un certain âge puisque l’adhésion à des valeurs politiques l’est également. La CEDH cherche à créer des individus libres et responsables et interdit donc l’engagement religieux aux personnes qui ne sont pas dotées de discernement.
La protection de l’ordre public fait écho à l’affaire Leyla Sahin c. Turquie ([GC], no 44774/98, 10 novembre 2005, CEDH 2005-XI). Dans cette affaire, il était question d’une étudiante voilée, qui, parce que voilée, n’avait pas eu accès à l’Université. La CEDH relève que le principe de laïcité est très fort en Turquie. L’Etat se fonde sur lui. La vie sociale s’articule grâce à lui. Il permet d’assurer le pluralisme car la neutralité de l’Etat en matière religieuse permet à chacun d’adopter la religion de son choix. En outre, il est le garant d’un espace public homogène car composé uniquement de citoyens. Ceci étant synonyme d’une société ouverte où chacun peut interagir avec l’autre.
En France, l’Etat s’est également érigé sur le principe de laïcité. Il est, en effet, présent à l’article 10 de la déclaration de 1789, dans les lois scolaires de 1882 et 1886, dans la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, dans le préambule de la Constitution de 1946 et à l’article 1° de la Constitution de 1958. La laïcité est donc une composante de l’ordre public national. De sorte qu’exclure une personne portant un foulard dans un collège n’est pas, en France, disproportionnée car le droit français a, depuis 1789, rappelé constamment son attachement à la laïcité. En outre, la CEDH, souligne que l’attitude de l’élève exclue avait engendré une tension entre elle et sa famille, et le corps enseignant. Cette tension était quotidienne. Il est aisé d’imaginer que le bras de fer engagé faisait perdre beaucoup de temps à chaque enseignant et aboutissait à une diminution des heures de cours et donc à une dégradation de la qualité de l’enseignement dispensé. L’exclusion de l’élève était donc l’unique solution permettant de garantir la continuité du service public de l’enseignement. Le principe de continuité du service public étant également une composante de l’ordre public français.
Dans cette affaire, la CEDH, rappelle sa jurisprudence antérieure. D’une part elle marque à nouveau son attachement au réel en considérant que le terme de loi doit être pris dans son sens matériel et non formel. D’autre part, elle confirme que l’expulsion des établissements scolaires d’élèves portant le voile est possible dans des Etats à forte tradition laïque. L’expulsion n’étant qu’un moyen de sauvegarder la liberté d’autrui et l’ordre public.
Simon Martin