Point sur les différents enjeux juridiques en présence.
Afin de comprendre le raisonnement du juge administratif en la matière et son évolution, il est nécessaire de revenir sur les différents enjeux pris en considération par ce dernier dans le cadre des autorisations d’installation de telles éoliennes, tant du point de vue du droit de l’urbanisme que du droit de l’environnement.
L’objectif public de développement de la filière éolienne.
Dans la lignée de l’Accord de Paris sur le climat [1], les pouvoirs publics doivent inscrire leur action dans un objectif principal de neutralité carbone en 2050, posant nécessairement la question d’une évolution du « mix énergétique » vers plus de production d’énergie à partir de sources renouvelables.
L’Union européenne a ainsi fixé un objectif global contraignant de 42,5% de production d’énergie à partir de sources renouvelables pour 2030 [2], imposant donc à l’État français de mettre en œuvre une véritable stratégie de développement de la filière éolienne notamment.
Dans un souci de permettre un tel développement plus rapide d’implantation des éoliennes, des procédures particulières ont été mises en place, notamment quant à la contestation devant les cours administratives d’appel dès la première instance [3].
Le juge administratif doit donc tenir compte de la volonté particulière des pouvoirs publics d’amplifier l’installation de nouvelles éoliennes.
Le principe antagoniste de protection de la biodiversité et des paysages.
Face à cet objectif significatif des pouvoirs publics, il convient néanmoins de souligner que l’installation d’ouvrages importants tels que des éoliennes n’est pas sans impact sur l’environnement.
À cet égard, et afin de pouvoir déterminer si l’installation d’éoliennes dans un lieu précis ne porte pas une atteinte trop grande à l’environnement, le préfet qui autorise ou non le projet dispose d’une étude d’impact réalisée par le pétitionnaire [4].
C’est cette étude d’impact qui va servir de guide au juge administratif [5], sans pour autant qu’elle ne lie ce dernier, conscient qu’elle a été commandée par la société pétitionnaire [6].
Évolution récente de la jurisprudence vers une plus grande prise en compte de la biodiversité et des paysages.
Il convient de souligner que ces dernières années, la jurisprudence s’oriente en faveur d’une plus grande protection de la biodiversité et des paysages, suivant notamment une préoccupation grandissante des acteurs locaux.
Une plus grande protection de la biodiversité.
Dans un avis relativement de décembre 2022, le Conseil d’État [7] a tenu à rappeler que la destruction ou la perturbation des espèces animales ou la dégradation de leurs habitats sont interdites mais qu’il est possible d’y déroger dès lors que sont remplies trois conditions cumulatives :
- l’absence de solution alternative satisfaisante ;
- ne pas nuire au maintien des populations d’espèces concernées dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle ;
- remplir un des cinq motifs relatifs à une raison impérative d’intérêt public majeur précisés au 4° de l’article L411-2 du Code de l’environnement [8].
Le juge administratif est ainsi très attentif à ces différents critères, et notamment aux mesures de protection des espèces protégées [9], sanctionnant d’annulation tous les projets ne respectant pas les aires de répartition de ces espèces (voir par exemple, pour la cigogne noire CAA Lyon, 7ᵉ chambre - N° 22LY03417 - société PE du Moulin à vent - 01 février 2024 - C+), ou lorsque les mesures visant à réduire l’impact des éoliennes sont insuffisantes (voir à propos du bridage des éoliennes l’arrêt du Conseil d’État, 6ᵉ - 5ᵉ chambres réunies, 20 décembre 2024, n°473862).
Une décision du Conseil d’État, en date du 27 décembre 2024 [10] illustre cette analyse précise des mesures proposées pour réduire ou compenser l’atteinte à la flore et à l’avifaune comme l’installation de gîtes artificiels pour les chiroptères ou la réalisation d’une opération paysagère et écologique.
Une plus grande protection des paysages.
De manière plus ambitieuse, le juge administratif développe un contrôle de plus en plus exigeant de l’impact des éoliennes sur les paysages.
En effet, le Conseil d’État avait indiqué dans un arrêt de 2012, Association Engoulevent, une méthode permettant de déterminer si l’implantation d’éoliennes n’est pas particulièrement attentatoire au paysage considéré.
Pour ce faire, le juge examine :
- La qualité du paysage considéré ;
- Les atteintes potentielles des éoliennes au paysage (notamment la saturation visuelle ou la proximité d’habitations par exemple) ;
- Les éléments permettant éventuellement d’atténuer ces atteintes.
Il faut ici souligner que les juges du fond ont, de manière relativement récente, donné une nouvelle dimension à cette méthode en réalisant une véritable étude au cas par cas : le juge a ainsi pu sanctionner des atteintes à des paysages remarquables, et notamment un paysage inscrit dans les œuvres de Marcel Proust [11] ou encore lorsque les éoliennes projetées entrent en co-visibilité avec des monuments exceptionnels [12].
Le juge administratif apparait donc plus exigeant dans son contrôle du respect de la qualité des paysages.
Une préoccupation plus grande des acteurs locaux.
Face à une volonté accrue de l’État pour l’installation d’éoliennes, certains élus locaux ont pu édicter des documents d’urbanisme visant à encadrer leur développement. Ainsi, le juge administratif a récemment [13] pu reconnaître la valeur d’une « charte de développement des projets en énergies renouvelables » [14] comme un document réglementaire permettant notamment de suspendre une autorisation d’implantation d’éoliennes dans le cadre d’un référé suspension [15].
Il faut néanmoins souligner que cette décision ne préjuge pas du fond, et que la cour administrative d’appel de Bordeaux [16] a pu juger à l’inverse qu’une opposition à déclaration préalable ne pouvait se fonder uniquement sur les potentielles atteintes aux éléments de paysage, aux cônes de vue et vues lointaines à protéger selon un SCoT (Schéma de cohérence territoriale). Il apparait par conséquent nécessaire de bien faire attention à la nature du document en question.
Il convient par ailleurs de remarquer le rôle toujours important des associations de protection de l’environnement et des paysages mais également des riverains qui restent les premiers pourvoyeurs de contentieux en la matière (voir comme illustration tant sur le rôle des associations et des riverains que sur l’étude approfondie de l’impact environnemental des éoliennes l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, 2ᵉ Chambre, 7 janvier 2022, n°20NT03390).
En résumé : Confronté à la tension entre deux enjeux opposés - d’une part, le développement de la filière éolienne indispensable à la transition énergétique, et d’autre part, la préservation de la biodiversité et des paysages - le juge administratif tend de plus en plus à privilégier leur protection.