Extrait de : Droit administratif

Réflexions sur la réglementation des marchés publics en Tunisie.

Par Cryslen Tirolien, Avocat.

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Explorer : # marchés publics # Économie tunisienne # réglementation # transparence

La Tunisie a réformé sa réglementation sur les marchés publics par l’adoption d’un décret en date du 13 mars 2014. Si ce décret fait la part belle au respect des principes fondamentaux des marchés publics et des règles qui en découlent, l’efficacité de l’achat public doit encore être améliorée, notamment eu égard au poids économique des marchés publics sur l‘économie tunisienne.

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Selon le journal « L’économiste maghrébin », les marchés publics représentent 15 % du produit intérieur brut de la Tunisie, avec plus de huit mille millions de dinars par an.

L’Institut national de la statistique indique dans un rapport de 2015 que les petites et moyennes entreprises (PME) représentent quant à elles 92% du nombre des entreprises en activité sur le territoire tunisien.
Ainsi, les marchés publics constituent un levier économique important pour le développement de l’économie tunisienne.

Outre ces visées économiques, les marchés publics étant conclus par des personnes publiques, ils doivent, par ailleurs, obéir à des principes fondamentaux assurant la préservation de l’intérêt public.
En effet, si de facto les marchés publics impactent l’économie d’un pays, ils sont également régis par les exigences - plus politiques cette fois - des spécificités régaliennes auxquelles sont soumis les donneurs d’ordres que sont les personnes publiques.

Alors, comment le décret du 13 mars 2014 portant réglementation des marchés publics en Tunisie parvient-il à concilier ces deux objectifs cardinaux, politiques, d’une part, et, économiques, d’autre part, les marchés publics offrant une marge de manœuvre économique primordiale pour l’État tunisien ?

A l’aune d’une analyse non exhaustive des dispositions du décret du 13 mars 2014, il s’avère que si ce décret se caractérise par une volonté de rationaliser la passation des marchés publics dans l’esprit des textes internationaux en matière de marchés publics (1), quelques écueils font de ce décret un texte perfectible (2).

1. La réglementation des marchés publics en Tunisie s’inscrit dans le respect des principes fondamentaux des marchés publics

Le décret du 13 mars 2014 relatif aux marchés publics a été adopté dans un contexte particulier, à la fois marqué par une période « post révolution du 14 janvier 2011 » mais aussi par le début d’une crise économique persistante en Tunisie.

Étant donné le poids économique potentiel des marchés publics sur l‘économie tunisienne et le contexte politique de modernisation souhaitée, force est de constater que ce décret se caractérise par :
- d’une part, l’encadrement de la pratique des marchés publics par des principes fondamentaux ;
- d’autre part, un réel effort de rationalisation dans la réglementation des marchés publics.

a. Le décret du 13 mars 2014 a vocation à mettre en œuvre les principes fondamentaux de la commande publique

La réglementation en matière de marchés publics doit respecter un équilibre parfois subtil entre, d’une part, constituer une force de développement de l’économie, et, d’autre part, respecter des principes de transparence, d’égalité et de publicité intrinsèques à la logique même de la commande publique.

Autrement dit, si les marchés publics constituent un moyen de promouvoir l’économie d’un pays, la réglementation en matière de marchés publics n’échappe pas non plus aux principes fondamentaux qui régissent les marchés publics dans le monde.

A ce titre, le chapitre 2 du Titre premier du décret relatif aux marchés publics en date du 13 mars 2014 rappelle les principes généraux auxquels sont soumis les acheteurs publics tunisiens.

Bien que ces principes généraux ne fassent pas l’objet d’un préambule spécifique démontrant leur application à tous les articles du décret précité, il n’en demeure pas moins que l’esprit de ces principes généraux fait partie intégrante de la mise en œuvre du décret du 13 mars 2014.

Très concrètement, et conformément à l’article 6 du décret précité du 13 mars 2014, l’acheteur public qui met en œuvre les dispositions du décret doit garder à l’esprit que les principes de « concurrence, liberté d’accès à la commande publique, d’égalité devant la commande publique, de transparence et d’intégrité des procédures » doivent guider sa pratique.

La déclaration des principes fondamentaux de la commande publique n’a donc pas qu’un simple effet déclaratoire. La garantie de l’effectivité de ces principes impose l’édiction de règles assurant leur mise en œuvre comme par exemple les sanctions en cas de conflits d’intérêts ou de corruption.

Ainsi, par exemple, au titre de la passation du contrat, le principe d’égalité de la commande publique commande de déterminer une procédure de choix de l’offre attributaire que l’acheteur public doit mettre en œuvre sans favoriser un candidat par rapport à un autre candidat.

En découlent toutes les règles relatives au contenu des offres, à la détermination des critères de sélection des offres ou encore aux conditions de signature du marché public envisagé.

Dans cette même logique, ces principes se retrouvent dans le bon déroulement de la passation et de l’exécution du contrat. Ainsi, le texte du décret du 13 mars 2014 prévoit un chapitre entier dédié au respect de l’intégrité dans les marchés publics. Des sanctions sont, d’ailleurs, prévues en cas de non respect de l’effectivité du principe d’intégrité.

Ainsi, après avoir rappelé, en son article 173, que toute personne intervenant à quelque titre que ce soit dans la passation ou l’exécution des marchés publics est soumise aux dispositions législatives et règlementaires relatives à la lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts dans les marchés publics, le décret du 13 mars 2014 précise les sanctions attachées aux manquements à l’intégrité comme l’annulation du marché public en cause ou encore l’exclusion du candidat qui n’a pas respecté les règles applicables aux marchés publics.

Quant aux manquements, il peut s’agir de la divulgation des informations relatives à des secrets d’ordre technique ou commercial ou ayant trait aux aspects confidentiels des offres ou encore l’exécution des pratiques frauduleuses ou des actes de corruption.

A cet effet, les structures chargées de la gouvernance des marchés publics en assurent le respect. Ce sont notamment le conseil national de la commande publique, la Haute Instance de la commande publique et les structures et commissions de contrôle des marchés publics.

Dès lors, chaque étape de la procédure de préparation, de passation et d’exécution des marchés publics obéit et met en œuvre ces principes fondamentaux.

En conséquence, le décret du 13 mars 2014 s’inscrit dans cette logique de rationalisation de la commande publique en consacrant ces principes fondamentaux communs dégagés par le droit international des marchés publics.

b. Le décret du 13 mars 2014 marque une volonté de rationalisation et d’efficacité de l’achat public

Le droit des marchés publics tunisien est également marqué par la volonté de rationaliser l’achat public. Il s’agit en effet de déterminer des règles de protection des deniers publics mais aussi d’efficacité de la commande publique.

L’exigence de planification des marchés publics par les acheteurs publics comme la création d’un système visant à favoriser les petites entreprises dans les marchés publics en sont deux indicateurs forts.

Tout d’abord, par son chapitre 1 du titre II intitulé « De la préparation des marchés publics », le décret du 13 mars 2014 ancre la volonté de rationalisation du dispositif des marchés publics issus des réflexions relatives aux marchés publics en Tunisie.

En effet, la préparation, et donc l’anticipation dans le cadre des marchés publics, constitue une étape essentielle dans l’élaboration de la nouvelle architecture du droit de la commande publique.

Il s’agit d’inciter l’acheteur public à déterminer en avance les grandes lignes du marché public qu’il envisage de conclure tout en favorisant la transparence.

Le dispositif est le suivant : l’article 8 du décret du 13 mars 2014 prévoit que les acheteurs publics devront publier au moins 30 jours avant le début de toute procédure de passation « un plan prévisionnel annuel de passation des marchés publics conformément au projet de budget selon un modèle standard et un calendrier défini ».

Ce dispositif n’existe pas dans tous les pays. A titre d’illustration, le nouveau décret du 25 mars 2016 sur les marchés publics en France n’exige pas ce type de plan.

Cette étape est, à un double point de vue, une avancée.

En premier lieu, la rédaction d’un plan prévisionnel encourage les acheteurs publics à prévoir à l’avance tant leurs besoins que les délais dans lesquels les marchés publics seront lancés et ce, dans le cadre d’un budget préalablement défini.
Cet effort de rationalisation de la commande publique oblige ainsi les acheteurs publics à organiser le processus de contractualisation afin d’améliorer l’efficacité de l’achat public.

En second lieu, la planification renforce la transparence dans les marchés publics permettant aux opérateurs économiques d’être informé et de se préparer au mieux.
A ce titre, l’acheteur public doit publier ce plan gratuitement « au plus tard trente jours avant tout début des procédures de passation, hormis les cas d’urgence impérieuse dûment motivée ».

L’écueil de cet effort de rationalisation est sans doute son caractère précis quant aux délais. En effet, déterminer à l’avance des délais aussi précis quant à l’évaluation technique et financière, à la date d’avis de la commission de contrôle des marchés publics relatif au rapport d’évaluation ainsi qu’à l’approbation et à la signature du projet de marché pourrait s’avérer rigide.

Si une telle anticipation sur les délais de procédure a le mérite de discipliner les acheteurs publics, elle pourrait au contraire s’avérer contre productive dans le cas où aucune marge de manœuvre n’était laissée aux acheteurs publics.

Il n’est en effet pas précisé dans le texte que les délais sont indicatifs, ce que l’acheteur public pourrait en revanche préciser de lui même.

En tout état de cause, notons qu’aucune procédure de passation ne peut être engagée, par l’acheteur public, avant l’expiration d’un délai de sept jours à compter de la publication du plan ou de sa révision.
Cet effort de rationalisation a le mérite d’inciter les acheteurs publics à rendre plus efficient et rationnel le processus de l’achat public.

Par ailleurs, dans le cadre de la démarche de rationalisation de la commande publique, le décret du 13 mars 2014 marque également un accès facilité pour les petites entreprises tunisiennes aux marchés publics.
Par son article 20, le décret du 13 mars 2014 précité énonce les conditions dans lesquelles les acheteurs publics peuvent réserver certains marchés aux petites entreprises tunisiennes.
L’article 94 précise la notion de moyenne entreprise alors que la notion de petite entreprise est présentée à l’article 20 du décret.

Est ainsi considérée comme une petite entreprise, une entreprise en activité ou récemment constituée dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas certains montants fixés au décret (article 20 du décret du 13 mars 2014).

A titre d’illustration, une petite entreprise dans le domaine des travaux de génie civil ou routes doit avoir un chiffre d’affaires ne dépassant pas 1 million de dinars lorsqu’elle est en activité. En revanche, dans ce même domaine, en ce qui concerne les entreprises récemment constituées, le critère est différent. Est pris en compte le volume de l’investissement qui ne doit pas dépasser 500 000 dinars (article 20 du décret du 13 mars 2014).

Si en Europe, les directives communautaires de l’Union Européenne interdisent de réserver l’accès à des marchés publics aux PME pour des raisons d’égalité de traitement des candidats et d’égale accès à la concurrence, il est admis que les marchés publics en Tunisie sont soumis à d’autres circonstances d’ordre plutôt économiques qui justifient cette dérogation.

En effet, lorsque l’on sait que le tissu économique tunisien est composé d’une très grande majorité de petites et moyennes entreprises, établir un quota réservé aux petites entreprises constitue une faveur non négligeable de soutien à l’économie de la majorité des entreprises tunisiennes.

Dès lors, tant dans le cadre de son effort de planification que par la faveur accordée aux petites entreprises, le décret du 13 mars 2014 tente de concilier le double objectif économique et politique assigné aux marchés publics.

Cependant, si les contraintes imposées aux personnes publiques découlant des principes fondamentaux de la commande publique favorisent l’objectif d’efficacité de l’achat public, certains écueils demeurent.

2. La réglementation des marchés publics en Tunisie ne rend pas pleinement efficient le système d’attribution des marchés publics

En règle générale, l’efficience de la réglementation des marchés publics est essentielle.

En effet, comme le rappelle Yves-René Guillou, « le formalisme qui contraint les personnes publiques dans leurs actes d’achat a pour vocation à la fois de favoriser la vertu civique de l’achat public et la performance économique. Ces procédures sont conçues comme des moyens de gestion efficace de l’argent public » (Y.-R. GUILLOU, « Pourquoi et quand recourir à la négociation ? », Dossier « Négociation mode d’emploi », CP-ACCP, juin 2005, n° 45, p. 22.)

Ainsi, le poids des marchés publics dans l’économie tunisienne doit aller de pair avec une recherche constante d’efficience de l’achat public.

Il s‘agit là encore de concilier protection des deniers publics et efficacité de l’achat public.

Cependant,
- en premier lieu, la centralisation excessive de la passation et du contrôle exercé sur les marchés publics en Tunisie constitue un écueil à améliorer.
- en second lieu, l’analyse des offres ne permet pas à l’acheteur public tunisien de choisir l’offre économiquement et qualitativement la plus avantageuse mais seulement l’offre la moins disante.

a. Le décret du 13 mars 2014 est marquée par une certaine fragilité organique : l’excessive centralisation des organismes de passation et de contrôle

En Tunisie, plusieurs comités et commissions assurent le contrôle du bon déroulement des marchés publics.
Il existe différents types de structures :
- celles ayant vocation à analyser la mise en pratique de la réglementation en vigueur ;
- celles intervenant dans le règlement des litiges.

Les structures intervenant dans le contrôle des marchés publics, sans pour autant régler les litiges, sont :
- la commission supérieure de contrôle et d’audit des marchés publics – cette commission est un organe constitutif de la haute instance de la commande publique (HAICOP). Elle a pour mission de contrôler les marchés publics tels que mis en œuvre par les acheteurs publics.
- Les commissions de contrôle des marchés publics, qui existent au niveau national au sein de chaque ministère, au niveau de chaque gouvernorat, au niveau de chaque municipalité ainsi qu’au niveau de chaque entreprise publique, ont principalement pour mission d’assurer le contrôle de la passation des marchés publics par l’acheteur public (validation du rapport d’évaluation des offres, validation du dossier de règlement définitif du marché). Leur compétence dépend du montant du marché en cause.

Les structures ayant pour mission le règlement des litiges sont quant à elles :
- Le comité de suivi et d’enquête des marchés publics – ce comité est l’autre organe constitutif de la haute instance de la commande publique (HAICOP). Il constitue l’instance « d’appel » auprès desquels les opérateurs économiques exercent un recours après avoir introduit un recours gracieux de première instance devant l’acheteur public.
- Le comité consultatif de règlement amiable des litiges qui est saisi sur demande d’une partie intéressée par le Chef du gouvernement. Il statue sur les litiges relatifs aux marchés publics sur la base des « éléments d’équités » susceptibles de s’appliquer au litige dont il est saisi.

Eu égard aux rôles assignés aux différents organes ci-dessus, l’acheteur public n’est pas autonome pour mener la procédure de passation d’un marché public. Plusieurs organes extérieurs à l’acheteur public interviennent au cours d’étapes primordiales de la passation du marché public comme la validation du rapport d’analyse des offres ou encore la signature du contrat.

Ces nombreuses interventions s’avèrent à la fois lourdes et parfois redondantes.

Une simplification des structures et de leurs rôles apporteraient une plus grande efficacité du système de contrôle tout en valorisant l’effort d’intégrité dont doivent faire preuve l’acheteur public et l’opérateur économique.

En effet, d’aucuns ne sauraient remettre en cause le principe selon lequel l’intervention d’un tiers pour contrôler le déroulement d’un processus constitue un atout. Cependant, la mise en œuvre d’un tel principe a parfois des limites.

Prenons un exemple. En vertu de l’article 168 du décret du 13 mars 2014, l’acheteur public doit obtenir l’avis de la commission de contrôle compétente sur le rapport d’évaluation des offres de l’acheteur public. Cette commission dispose d’un délai de vingt jours pour rendre un avis. A l’expiration de ce délai, si la commission n’a pas rendu d’avis, ce dernier est réputé favorable.

Il en résulte que l’acheteur public doit rédiger un rapport très complet sur l’analyse des offres et la procédure en cours, le transmettre à la commission de contrôle et attendre l’expiration d’un délai de 20 jours pour éventuellement obtenir un avis de la part d’une commission qui connaît peu ou prou le projet et qui, en plus, n’a pas l’obligation de rendre un avis.

Plus encore, lorsque plusieurs offres les plus intéressantes sont jugées équivalentes, l’acheteur public doit prendre l’avis de la commission de contrôle des marchés publics compétente (article 68 du décret du 13 mars 2014). L’acheteur public n’est ainsi donc pas habilité à prendre une décision de manière autonome sur le choix de l’offre attributaire. Il est limité dans ses prérogatives par la centralisation « jacobine » du pouvoir de décision en matière de marchés publics.

Dans d’autres pays, l’acheteur public est responsabilisé et la procédure est rationalisée : l’acheteur public prend seul ses décisions mais est contrôlé. Il est soumis à la censure du juge dans le cadre de procédure de droit commun ou d’urgence adaptées à l’exigence de célérité de ce type de procédure de passation.

Par exemple, le droit communautaire n’exige pas de soumettre le rapport d’évaluation des offres à un organisme externe à l’acheteur public. L’acheteur public procède à la rédaction d’un rapport d’évaluation des offres qui est soumis à une commission d’appel d’offres, structure émanant de l’acheteur public lui même.

Cela est également le cas au Maroc. L’article 35 du décret n° 2-12-349 du 8 joumada I 1434 relatif aux marchés publics (B.O. n° 6140 du 4 avril 2013) instaure une commission d’appel d’offres composé de cinq membres obligatoires dont le Président de la commission. L’article 35 du décret marocain sur les marchés publics prévoit également que cette commission est convoquée à l’initiative de l’acheteur public concerné et non du pouvoir central.

Les acheteurs publics sont donc responsables de l’analyse et du choix de l’offre de l’attributaire. En effet, ces commissions, émanations de l’acheteur public, connaissent le projet en cause, analysent les offres et choisissent l’attributaire de manière collégiale. L’acheteur public maitrise donc son calendrier de procédure sans dépendre d’un organisme tiers non omniscient sur le projet et qui n’a même pas l’obligation de rendre un avis.

Le « mille-feuille » de structures intervenant dans la passation des marchés publics en Tunisie démontre :
- une trop grande complexité dans la mise en œuvre des procédures ;
- l’intervention de structures ne connaissant pas le projet de l’acheteur public ;
- des délais de passation trop longs ;
- l’absence d’effectivité du dispositif puisque ces instances ne rendent pas toujours d’avis.

Par ailleurs, les organismes de contrôle ne respectent pas nécessairement le principe du contradictoire puisque l’intervention de l’opérateur économique auteur de la plainte n’est pas toujours prévue.

Dès lors, des recours à l’encontre des marchés publics centrés sur l’intervention de l’autorité judiciaire compétence amèneraient :
- les opérateurs économiques à avoir une plus grande confiance dans l’intégrité des acheteurs publics ;
- les acheteurs publics à se responsabiliser sous l’effet de l’intervention d’un tiers disposant de l’autorité régalienne tel que le juge administratif dans le déroulement des procédures de passation ;
- une plus grande autonomie et professionnalisation des acheteurs publics.

b. Le décret du 13 mars 2014 est marqué par une certaine fragilité matérielle : la faiblesse du processus de choix de l’offre de l’attributaire du marché public

Si les principes fondamentaux de la commande publique sont explicités dans le décret du 13 mars 2014, il ne peut être nié que ces principes doivent avoir pour effet de favoriser l’efficacité de l’achat public.

Néanmoins, deux écueils, et non des moindres, nous semblent empêcher une véritable effectivité des principes modernes cardinaux des marchés publics :
- l’absence d’une véritable analyse des candidatures préalable ;
- la préférence donnée au choix de l’offre du moins disant.

En premier lieu, le décret du 13 mars 2014 ne prévoit pas expressément de phase proprement dite d’analyse des candidatures c’est-à-dire de vérification des capacités économiques, financières et techniques du potentiel attributaire.

Si la commission d’ouverture des offres procède à une vérification de la conformité des offres, il s’agit d’une vérification du contenu formel des offres sans que le décret ne prévoit de manière expresse la vérification préalable des capacités techniques, financières et professionnelles des candidats pour exécuter le marché public projeté.

Selon les termes des directives européennes (notamment directive n°2014/24 du 26 février 2014, en son article 58), l’acheteur public doit, avant d’étudier la qualité financière et technique des offres des candidats, vérifier si ces candidats ont les capacités pour exécuter le marché.

Concrètement, l’acheteur public se livre à une analyse d’éléments tels que le chiffres d’affaires, les bilans, l’extrait du registre du commerce et des sociétés, les certificats professionnels afin d’éliminer les candidats qui n’auraient pas les qualifications ni la solidité financière pour assurer l’exécution du marché public en cause.

Selon la réglementation tunisienne en vigueur, une telle analyse des candidatures n’existe pas à proprement parler dans le décret du 13 mars 2014, bien que certains de ces documents doivent être fournis.

Par ailleurs, la commission d’ouverture des plis divulgue, au mépris du secret des affaires, le prix proposé par chacun des concurrents.

Ce processus s’inscrit parfaitement dans la logique du choix de l’offre du moins disant.

En effet, en second lieu, le choix de l’opérateur économique devrait aboutir à l’issue d’un processus de choix plus efficient que celui du moins disant.

Le décret du 13 mars 2014 prévoit, dans une section relative à l’évaluation des offres, des articles 63 à 72, que l’acheteur public choisit, en principe, d’attribuer le marché sur la base du critère unique du prix. Cela constitue donc la très grande majorité des cas.

Par exception, l’attribution du contrat à l’offre la mieux disante est réservé uniquement aux marchés de fourniture de bien et d’équipement important et comportant des spécificités techniques » (article 63 du décret du 13 mars 2014). Qui plus est, il ne s’agit que d’une option, laissant ainsi la possibilité à l’acheteur public d’attribuer le marché sur la seule base du prix pour ce type de contrat.

Le choix de l’offre la mieux disante constitue donc une exception restreinte par les termes mêmes de l’article 63 du décret du 13 mars 2014.

Retenir le moins disant au lieu du mieux disant présente plusieurs faiblesses.

Le choix du moins disant aboutit souvent à ce que celui-ci ne présente pas nécessairement une offre de qualité et donc un service efficient pour l’acheteur public.
Par ailleurs, cela est particulièrement pour les contrats complexes et, ce, surtout lorsqu’ils ne recouvrent pas la qualification de contrat de fourniture de bien.
Ainsi, une adaptation des dispositions du décret, et ce particulièrement pour les contrats complexes, constituerait une avancée non négligeable pour le développement de qualité de l’économie tunisienne.

De même, le fait que les entreprises ne soient pas protégées par le secret des affaires, lors de la séance d’ouverture des offres, et puissent connaître les prix de leurs concurrents ne favorisent pas l’exigence de qualité mais, au contraire, une concurrence fondée sur les prix sans nécessaire recherche d’une offre équilibrée tant sur le prix que sur la qualité de la prestation proposée aux acheteurs publics.

En conclusion, le décret du 13 mars 2014 met en œuvre les principes fondamentaux des marchés publics à savoir le respect de l’égalité de traitement, de la transparence et la publicité. Toutefois, la mise en œuvre de ces principes est tournée vers le marché économique tunisien amenuisant la libre concurrence internationale et ses bénéfices pour l’économique tunisienne. Cette orientation protectionniste de la réglementation n’apparaît donc pas efficiente sur le long terme.
En effet, sous couvert de protéger l’économie, la réglementation des marchés publics n’assure pas une complète transparence ni d’ailleurs une responsabilisation des acheteurs publics comme des opérateurs économiques. L’excès de centralisation dans le cadre du contrôle des marchés publics y est, à ce titre, pour beaucoup.
Malgré l’adoption récente de ce décret du 13 mars 2014, il ne saurait être nié qu’une réforme de la réglementation des marchés publics pourrait s’avérer plus favorable à un développement économique durable du pays par un achat public efficace.

Dès lors, s’il est concevable que la réglementation des marchés publics soit, au départ, centrée sur la protection de l’intérêt économique interne du pays, il est à prévoir que l’intérêt économique du pays convergera, à terme, vers une logique économique d’ouverture du marché à la concurrence.

Cryslen Tirolien
Avocat

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