Ainsi, le contenu de la réforme (A) ne peut occulter l’incidence des réseaux sociaux sur l’infraction d’outrage (B), alors même que le cas des intermédiaires de l’internet (C) n’est pas clairement traité, et qu’il y a lieu de craindre certaines insuffisances relatives aux sanctions (D), notamment en considération de la réalité de l’internet et des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui sont devenus le support et le moyen de prédilection de la commission des infractions considérées.
A. Contenu de la réforme : article 241 (nouveau) et 241-1 (nouveau) du code pénal.
A.1. L’érection d’une nouvelle infraction : outrage à la tribu.
Les infractions qui sont érigées concernent toutes « l’outrage » dont la définition est clairement donnée dans l’article 152 du même code. Lesdites infractions sont : l’outrage aux races et aux religions, et l’outrage à la tribu. S’agissant de l’ « article 241 (nouveau) Outrage aux races et aux religions » , il n’y a rien de nouveau, mis à part l’introduction de nouveaux moyens de commission. Par contre, l’ « article 241-1 (nouveau) Outrage à la tribu » est entièrement inédit.
A.2. L’énumération de nouveaux moyens de commission : décloisonnement au regard des technologies des communications électroniques.
La réforme procède également à l’énumération de nouveaux moyens de commission des infractions. Ainsi les infractions visées aux articles 241 (nouveau) et 241-1 (nouveau) consacrent comme moyens de commission la voie de presse, la voie de radio, la voie de télévision, la voie de réseaux sociaux et la voie de tout autre moyen susceptible d’atteindre le public.
Ladite exhaustivité s’aligne sur la réalité technologique. Au départ, il y avait une approche verticale qui avait, tout en haut les télécommunications et en bas les communications audiovisuelles. Avec l’avènement des communications électroniques, il y a eu un décloisonnement et une fusion des voies, moyens et réseaux, et désormais, il n’y a plus qu’une seule catégorie générique à savoir les communications électroniques, et qui a permis de mettre à l’horizontal les voies et moyens et rassembler ainsi la télévision, la presse, la radio, les réseaux sociaux, sous l’expression « service de communication au public par voie électronique ».
Par conséquent, l’énumération extensive de l’article 241 (nouveau) est non exhaustive par son fonctionnement, au regard de l’internet et des réseaux sociaux. C’est aussi une approche proactive du législateur camerounais qui se prémunit dès maintenant des évolutions technologiques en prévoyant de nouveaux moyens de commission qui n’existent pas encore, mais qui pourraient exister dans l’avenir.
A.3. Les responsabilités.
Deux types de responsabilité sont déductibles de la réforme : les responsabilités génériques et les responsabilités spécifiques.
Les responsabilités génériques et classiques. Sur le plan générique et classique les responsables en droit pénal sont l’auteur principal, le co-auteur et le complice. Une autre classification générique fait état de deux types de responsabilité : la responsabilité du fait personnel et la responsabilité du fait d’autrui, la responsabilité du fait des choses étant exclue par principe en matière informatique, et notamment sur internet. On en déduirait aussi que la responsabilité concerne les contenus et les intermédiaires, autrement dit les internautes et les intermédiaires techniques : éditeurs, publicateurs, fournisseurs d’accès internet et fournisseurs d’hébergement. Dans l’écriture de l’article 241-1 (nouveau), aucun élément n’est de nature à fonder une quelconque dérogation à ces distributions classiques.
Les responsabilités spécifiques. Sur le plan des responsabilités spécifiques, les responsables sont le fonctionnaire , le responsable de formation politique, le responsable de média, le responsable d’organisation non gouvernementale et le responsable d’institution religieuse. En outre, au regard de la nature de la responsabilité, il est certain que la responsabilité de type éditorial va cheminer avec d’autres types de responsabilité.
B. Incidence des réseaux sociaux sur l’infraction d’outrage.
Il ne se fait aucun doute que l’esprit de la réforme de l’article 241 du Code pénal camerounais vise la régulation et la répression de l’expression de la haine et de la malveillance dans les échanges, les activités et les comportements sur les réseaux sociaux en ligne et autres voies et moyens de communication au public. Or, les réseaux sociaux sont le moyen de commission le plus utilisé et le plus dangereux dans les infractions visées dans la réforme, pour plusieurs raisons : les acteurs, les procédés et la nature du contenu.
B.1. L’incidence des acteurs non intermédiaires : les internautes.
Les acteurs et auteurs des outrages sont les internautes. Ainsi, une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT), révèle que les causes de la viralité sont diverses mais, elles sont toutes liées moins au facteur informatique algorithmique qu’au facteur humain. L’étude est arrivée à la conclusion que la vitesse de propagation de contenus illicites tient de l’hypothèse selon laquelle « Notre attention est plus attirée par ce qui est nouveau, car la nouveauté met à jour notre compréhension du monde. La nouveauté de ce fait est une valeur plus importante d’un point de vue social. »
Olivier Kennedy, dirigeant d’une agence de communication genevoise, précise que la construction des contenus illicites repose sur des techniques « qui utilisent des biais cognitifs humains ». « Biais affectifs - on croit plus facilement ce qui correspond à des croyances, des craintes, des espoirs, cognitifs - on croit plus facilement ce qui est vraisemblable - et de popularité - on croit plus facilement ce que tout le monde considère comme vrai. »
B.2. L’incidence des procédés utilisés.
Sur le plan des procédés, ce sont l’ami, l’abonné ou le « follower » actifs qui créent et accentuent la viralité par des actes de sympathie et d’adhésion (« like » ou « j’aime »), des partages et des commentaires au moyen desquels ils louent, glorifient, justifient, approuvent, provoquent et incitent. Cet aspect fait des amis, abonnés ou followers de vrais acteurs de la viralité et de la nocivité, lesquelles sont les fondements sociaux de la réforme sur les infractions d’outrage.
B.3. L’incidence de la nature des contenus publiés.
En ce qui concerne la nature des contenus, il est établi qu’un contenu outrageant a plus de chance de se propager qu’un autre qui ne l’est pas. L’étude du MIT , citée supra, montre à cet effet qu’une information vraie met six fois plus de temps à parvenir à 1500 personnes sur Twitter, par exemple, que si elle était fausse. Autrement dit, « les contenus et informations illicites se répandent plus vite, plus profondément que les actualités authentiques sur Twitter, et se montrent donc supérieures aux vraies informations sur deux métriques : le nombre de personnes atteint, le nombre de partages, de republication qui s’en suivent, et la vitesse élevée (70% de chances de propagation). »
C. Cas des intermédiaires dans le droit européen communautaire et non communautaire.
On peut distinguer les intermédiaires non techniques des intermédiaires techniques. C.1. Le cas des intermédiaires non techniques : les internautes.
Dans le cadre de la réforme considérée et selon toute logique, l’internaute est rattaché à la catégorie de responsable de média. Il peut s’agir d’un internaute ayant un mur simple, une page simple, une page de groupe, un blog ou un site internet, à condition qu’il en ait la maîtrise et le contrôle.
La page de réseau social en ligne est un média et l’internaute en est le directeur de publication. Il en est de même du mur, du groupe, du blog et du site internet. A cet effet, par exemple, la cour suprême française avait statué que la page de réseau social est un média. Chaque titulaire de page de réseau social, de blog, de groupe ou de site internet, en est le directeur de publication. Or, la qualité de directeur de publication appelle des devoirs et des responsabilités précises.
Parce qu’il en a la maîtrise, le contrôle et la direction, il est donc, tenu pour responsable de ce qui y est publié, s’il a eu la connaissance du contenu et n’a pas réagi : c’est un cas de complicité par fourniture de moyens. Et, il encourt donc, de ce fait, la peine correspondante à la norme pénale violée, au même titre que celui qui est allé publier le contenu outrageant sur ladite page. A titre d’illustration, un élu politique avait écopé de 3.000 euros (soit environ 2.000.000 F CFA) d’amende pour des propos postés par des commentaires sur sa page de réseau social en ligne, au motif de discrimination raciale.
La responsabilité de l’internaute comme directeur de publication est dérogatoire et exorbitante.
Premièrement, il s’agit d’une responsabilité dérogatoire, au regard du principe de la personnalité du droit pénal. La responsabilité de l’internaute titulaire, administrateur ou exploitant du mur, de la page, du blog ou du site, ou du groupe, est, de ce fait, d’exception car, en principe c’est l’internaute auteur qui est allé publier sur la page du premier qui devrait être poursuivi comme auteur principal. Or, ce dernier n’est poursuivi que comme complice de l’internaute qui contrôle son média. L’internaute reste donc responsable même en cas d’existence d’un service de modération externalisé des contenus en circulation sur la page qu’il contrôle, maîtrise et dirige. Cette présomption de responsabilité qui pèse sur l’internaute est irréfragable : c’est le pendant du devoir de surveillance et de contrôle de sa page qui lui incombe, en qualité d’auteur principal.
Néanmoins, la responsabilité de l’internaute peut ne pas être retenue s’il est de bonne foi en démontrant qu’il a rempli ses devoirs de surveillance et de contrôle, en cas d’absence de fixation préalable à la suite d’un contenu diffusé en direct, ladite fixation s’apparentant à l’enregistrement, la rediffusion à répétition du message outrageant, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a posé ces règles.
En second lieu, c’est une responsabilité de plein droit, autrement dit, sans qu’il y ait besoin de prouver l’existence de la mauvaise foi ni celle de l’intention coupable de l’ami, abonné ou follower. Ainsi, la simple démonstration de la qualité de responsable de la page, du mur, du groupe, du blog ou du site en ligne suffit à le rendre coupable.
Cette responsabilité à la fois dérogatoire et exorbitante tient d’abord de la difficulté d’identification formelle de l’auteur initial de contenu outrageant dans les réseaux sociaux et d’autres moyens de communication au public en ligne. Elle permet aussi la prévention pénale et la sanction par l’internaute lui-même, afin d’éviter la répression pour les actes d’autrui.
La coaction et la complicité de l’ami, abonné ou follower. Quant à celui qui, sans en être l’auteur, « like » ou « j’aime », ou qui « retweete », partage ou commente favorablement le contenu présumé manifestement illicite, le juge peut déduire du « like », « j’aime », « retweetage », commentaire, ou partage, l’intention approbatrice du contenu, l’adhésion et la volonté de le reproduire : ce qui entraîne la responsabilité.
Ainsi, en 2007 en Russie, pour un partage d’une photo moquant les traditions religieuses, un Russe avait écopé de plus d’un an de prison ferme, au motif d’incitation à la haine. En 2015, plus de 200 personnes avaient été condamnées, dont 43, de peines de prison ferme, pour avoir partagé du contenu illicite sur internet à caractère religieux, xénophobe et politique. En 2016, une peine de prison ferme de plus de 2 ans avait été infligée, pour avoir partagé une photo montrant un tube de dentifrice accompagné de la phrase : « Fais sortir la Russie de toi-même. »
En France en 2017 , un homme avait été condamné à 3 mois de prison ferme pour avoir « aimé » une publication sur un réseau social en ligne. Le Ministère Public avait argumenté comme suit : « Quand on met « J’aime », c’est que l’on considère que ce n’est pas choquant ou que l’on adhère « même si les paramètres de confidentialité sur le réseau sont activés et que le compte est privé ».
En 2015 en Suisse, une personne avait été condamnée, par le Tribunal d’arrondissement de Zurich, à une peine avec sursis de 4000 francs suisses - soit environ 3700 euros ou 2 427.000 francs CFA - pour avoir « liké », sur un réseau social en ligne, des commentaires qualifiant, sans preuve, une autre personne de « raciste », « fasciste » et « antisémite ».
Au Maroc, le tribunal de première instance d’Agadir avait condamné un professeur universitaire travaillant à l’université Ibn Zohr à deux amendes de 30.000 DH - soit environ 2 800 euros ou 1 840 000 francs CFA - et de 100.000 DH - soit environ 9 360 euros ou 6.133.000 francs CFA - pour des publications partagées sur un réseau social en ligne, où il insultait l’un de ses collègues.
C.2. Le cas des intermédiaires techniques : fournisseur d’hébergement et fournisseur d’accès internet.
La nomenclature des intermédiaires techniques. Au titre d’intermédiaires techniques, il y a le fournisseur d’accès internet et le fournisseur d’hébergement. Il est à relever que l’intermédiaire technique n’est pas considéré comme l’auteur ou le directeur de publication du réseau social dans lequel un outrage aurait été perpétré. Néanmoins, son rôle peut être d’une grande utilité à la commission de l’infraction. Ainsi, les termes « de tout autre moyen susceptible d’atteindre le public » seraient-ils de nature à faire retenir la responsabilité de l’intermédiaire technique ?
Une telle responsabilité serait excessive, si tant est que ce dernier n’est pas sensé avoir connaissance des échanges de contenus qui s’opèrent en surface entre les utilisateurs. Mais, s’il a eu connaissance de l’existence de contenus outrageants, sa responsabilité peut être établie, reconnue et engagée.
Origine de l’idéologie de la responsabilité sur internet. Le déclencheur de l’idéologie de la responsabilité sur internet est l’affaire dite du mannequin et de l’hébergeur, dans laquelle un site internet avait publié les photos d’une dame, la représentant dénudée . Mais, la solution avait déjà été trouvée par la Cour de cassation française dans le cadre d’une affaire relative à l’hébergement d’un site Minitel . Ladite solution avait été reprise dans le droit communautaire européen et le droit français où la responsabilité de l’intermédiaire technique est retenue, sous certaines conditions. Il est à relever que sont exclus du bénéfice de ce régime favorable, les fournisseurs de services de cache, les fournisseurs de services de référencement et les plateformes en ligne.
Les conditions de la responsabilité limitée. Deux conditions sont posées pour bénéficier du régime de responsabilité limitée. Premièrement, il faut fournir un service de la société de l’information. En second lieu, il faut avoir un rôle passif, autrement dit ne pas intervenir sur les activités des internautes : non intervention de l’intermédiaire technique dans la production, l’envoi et la réception du contenu d’outrage. Ainsi, la règle est simple : l’absence de contrôle et l’absence de connaissance entraînent l’absence de responsabilité.
Il s’agit d’un rôle qui se veut purement technique, automatique et passif de l’intermédiaire technique. Ce qui voudrait dire que la responsabilité de ce dernier pourrait être engagée, notamment au cas où il aurait eu connaissance de la présence de contenus outrageants et qu’il ne les aurait ni retirés ni supprimés ni bloqué d’accès.
Le cas du fournisseur d’hébergement. En ce qui concerne le fournisseur d’hébergement, sa responsabilité est retenue par les cours et tribunaux. Ainsi, par exemple, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait condamné un hébergeur à des dommages et intérêts de 2000 euros - soit environ 1.300.000 francs CFA -, pour publication, diffusion et non retrait de contenus « illicites » et « incitant à la haine raciale ».
Le Tribunal de Grande Instance de Versailles avait condamné un hébergeur de sites, pour mise en ligne d’un site internet au contenu illicite, non retrait de propos illicites, et non blocage d’accès au public du site, pour un montant de 3.000 euros (soit environ 2.000.000 de francs CFA). Le Tribunal de Grande Instance de Brest avait condamné un hébergeur d’un blog en même temps que le blogueur auteur du blog, pour non suppression de contenus manifestement illicites - et non certainement illicites : c’est un cas de complicité par aide ou assistance. Le Tribunal de Grande Instance de Paris avait condamné le directeur général de l’hébergeur du site d’une revue hebdomadaire, pour diffamation envers un particulier.
Le cas du fournisseur d’accès internet. Pour ce qui est du fournisseur d’accès internet, la responsabilité n’est pas éludée non plus, comme l’illustre l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) , statuant à titre préjudiciel, sur la saisine de la cour suprême autrichienne. La CJUE avait alors fait injonction à un fournisseur d’accès internet à bloquer un contenu illicite.
De même, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait fait injonction à plusieurs fournisseurs d’accès internet à empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, à un site internet considéré comme exhortant à la haine religieuse, raciale et au passage à l’acte violent contre des personnes : les mesures ordonnées par le tribunal étaient définitives et illimitées.
En somme, le rôle de l’intermédiaire technique n’est pas neutre et encore moins purement technique. La responsabilité de l’outrage ne se limite pas seulement à l’auteur de contenus outrageants, elle s’étend aussi à tout autre intermédiaire technique ou non, professionnel ou non, qui prête son concours à la réalisation, la répétition et la propagation de l’infraction.
D. Insuffisances de la reforme et attentes auprès du juge camerounais.
D.1. Les insuffisances des sanctions.
Certaines sanctions semblent ridicules, comparativement, non seulement aux conséquences des outrages considérés, mais aussi au regard des quanta pratiqués dans d’autres espaces juridiques pour des infractions similaires.
Les amendes. Alors qu’ au Cameroun les fourchettes basses et hautes oscillent entre 5000 et 500.000 Francs CFA - soit environ entre 7 et 765 euros -, ailleurs, en ce qui concerne les amendes pour outrages aux races et aux religions, la peine plancher est à 1 500 euros - soit environ 900 000 francs CFA -. Il en est de même des peines d’emprisonnement : elles sont comprises entre 6 jours et 12 mois au Cameroun, contre au moins 3 mois ailleurs.
Les circonstances aggravantes. Pour des besoins de prévisibilité, il aurait peut-être fallu mentionner explicitement les circonstances aggravantes. Par exemple : la récidive, la non information des autorités, la non prise de mesures conservatoires dès la connaissance des contenus outrageants, la participation à la viralité, toutes choses qui contribuent à faire enfler la propagation des allégations outrageantes.
Les peines accessoires. Sans préjudice de celles déjà existantes dans le corpus pénal en vigueur, il aurait été intéressant de retenir expressément, comme peines accessoires : la suspension ou la suppression de l’abonnement téléphonique et/ou internet, la fermeture du site et/ou de la page individuelle, de la page de groupe ou du blog, la déchéance de la nationalité camerounaise, l’interdiction d’exercer, le placement sous surveillance judiciaire, la fermeture, l’exclusion des marchés publics, l’interdiction de procéder à une offre au public de titres financiers et aux négociations sur un marché réglementé, l’interdiction d’émettre des chèques ou l’interdiction de percevoir toute aide publique attribuée par les pouvoirs publics.
D.2. Les attentes et questionnements à l’endroit du juge pénal camerounais.
La spécificité de l’internet et des réseaux sociaux appelle plusieurs attentes et des questionnements, à l’épreuve de l’application des articles 241 et 241-1 du Code Pénal.
Quelle approche pour le délai de prescription de l’action publique ? Rattachées à la définition de l’outrage de l’article 152 du code pénal, l’infraction d’outrage aux races et aux religions et l’infraction d’outrage à la tribu sont sous l’empire du délai de prescription de l’action publique dudit article à savoir 4 mois révolus à compter du délit ou du jour du dernier acte de poursuite ou d’instruction.
Mais, la réalité de la pratique pourrait être toute autre en ce qui concerne la computation du délai à compter du délit, en rapport avec la spécificité des réseaux sociaux en ligne. Dans le cas de la commission de l’infraction par le « partage » ou le « retweetage », le délai de prescription se renouvèlerait-il pour chaque acte de « partage » ou de « retweetage » car, chacun de ces actes constitue la commission de l’infraction par celui qui l’effectue ? En est-il de même du « like », « aime » ou commentaire favorable, incitatif ou encourageant qui est techniquement et obligatoirement réputé concomitant à la commission de l’infraction initiale ?
Ainsi, le point de départ de la computation du délai de prescription de l’action publique, pourrait être celui des infractions commises par répétition : chaque « partage », « retweetage », « like », « j’aime », ou commentaire pourrait-il alors remettre le compteur à zéro pour celui qui y procède, et chaque fois qu’il y procède ?
Quels seront les actes constitutifs de co-action et de complicité ? Pour la co-action, l’acte constitutif est la participation avec et en accord avec autrui à la commission de l’infraction. Quant à la complicité, elle consiste à provoquer, aider, faciliter la préparation, ou donner des instructions pour la commission de l’infraction. En rapport avec les procédés des réseaux sociaux, où les faits constitutifs sont le partage, la fourniture d’accès internet, la fourniture d’hébergement, le « partage », « retweetage », le « likage », le commentaire, etc. il appartiendra au juge de rattacher chacun de ces actes soit à la co-action soit à la complicité. A cet effet, les circonstances et le rôle de chaque personne concernée pourraient être déterminants, bien que le coauteur et le complice aient la même peine que l’auteur principal.
Quelle qualification à réserver aux services de cache, de référencement et aux plateformes en ligne ? Le droit communautaire européen et le droit français et n’avaient pas cru devoir accorder aux fournisseurs de services de cache et services de référencement, ainsi qu’aux plateformes, la qualité d’intermédiaires techniques et partant, le bénéfice du régime de la responsabilité limitée. Et pourtant, ces services remplissent les deux critères retenus pour bénéficier de ce régime de faveur, à savoir : la fourniture des services de la société de l’information et la passivité. L’appréciation du juge camerounais sera très attendue sur cet aspect.
Quelle sera l’approche sur la notion de passivité ? Il est à relever que la responsabilité du fournisseur d’hébergement et du fournisseur d’accès internet est juridiquement assumée par la personne physique ou morale délivrant le service considéré. Ce qui revient à déterminer la passivité, ce d’autant plus que la passivité totale ou la neutralité totale n’existe pas. Dans ce cas, la définition de la passivité devrait-elle s’apparenter à l’absence d’influence intellectuelle, autrement dit la présence de l’intelligence artificielle ? A cet effet, la responsabilité du fait des choses serait-elle alors envisageable, avec son pendant à savoir la responsabilité du gardien de ladite chose ?
Quelles modalités de la responsabilité : in solidum et/ou subsidiaire ? Sur le plan des condamnations, la responsabilité in solidum pourrait être d’une grande portée préventionnelle : elle induit le fait que l’un des condamnés soit emmené à payer pour tous les autres, quitte à exercer une action récursoire par après. En ce qui concerne la subsidiarité, le juge voudra-t-il opter pour cette responsabilité en cascade en retenant en premier lieu la responsabilité du directeur de publication, à défaut, celle de l’internaute auteur du contenu outrageant, et à défaut, enfin celle de l’hébergeur ?
Quel statut pour les intermédiaires dans l’administration de la preuve et l’application des peines ? La difficulté d’identification des internautes présumés coupables d’outrage, la recherche de la source initiale et des itinéraires des contenus outrageants, met les intermédiaires techniques et les internautes au centre de l’administration de la preuve au soutien de la saisine du juge, et de l’application des peines infligées.
L’internaute sera-t-il interpellé pour fournir les contenus illicites ? L’intermédiaire technique sera-t-il limité à fournir les données d’identification et de connexion ? Lesquels seront impliqués pour l’application des peines infligées ? Dans tous les cas, tous les intermédiaires (techniques ou non) pourraient être des auxiliaires de justice, avant, pendant et après le procès d’outrage.
Quel régime pour les données ? Les données publiées dans les réseaux sociaux à savoir les contenus constitutifs d’outrage sont rattachées au régime juridique de la liberté d’expression. Par contre, les données à caractère personnel, rattachées à l’identification authentique de l’internaute, relèvent de la vie privée. Il appartiendra au juge, le moment venu, de faire la part des choses, en ce qui concerne les modalités et la responsabilité à retenir, en rapport avec chacun des régimes considérés.
Ce qu’il faut retenir.
Pour autant qu’elle soit justifiée par le contexte sociopolitique, les spécificités des activités des réseaux sociaux en ligne, et les conséquences de la viralité découlant de la nature des contenus publiés et des procédés utilisés, la réforme aurait pu s’affranchir de certaines insuffisances, notamment en ce qui concerne les sanctions. Nonobstant, toute l’attention sera focalisée sur les approches des juridictions camerounaises relatives à l’application des articles 241 (nouveau) Outrages aux races et aux religions et 241-1 (nouveau) Outrage à la tribu. Wait and see.