Un refus de mutation peut être justifié par le droit au repos et à la santé du salarié.

Par Magali Baré, Consultante.

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Explorer : # droit à la santé # droit au repos # modification contractuelle # licenciement

Non publiée, la décision du 16 novembre 2016 retient notre attention car il s’agit, à notre connaissance, de la première fois que la Cour de cassation fait référence au droit à la santé et au repos dans le cadre d’un refus de changement de lieu de travail dans un même secteur géographique.

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Les faits sont les suivants : une employée de bureau travaillant depuis 16 ans pour une coopérative agricole à Evron en Mayenne refuse sa mutation au siège social de la société, situé à Laval. Pour justifier sa décision, elle fait valoir l’impact sur sa vie personnelle lié à l’éducation de ses trois enfants ainsi que des raisons médicales justifiées par la production de deux certificats médicaux, l’un établi par un médecin du CHU d’Angers et un autre du médecin du travail de l’entreprise. Elle est licenciée pour faute grave et conteste la cause réelle et sérieuse de son licenciement.

La cour d’appel considère que le changement de lieu de travail intervenait dans le même secteur géographique et que le refus de la salariée justifiait la rupture du contrat.

Elle relève en effet que les deux sites sont distants de 34 km, ce qui correspond à un trajet en voiture de 40 minutes et en train de 16 à 26 minutes. Elle écarte néanmoins la faute grave au regard de l’ancienneté de la salariée et des difficultés sur le plan personnel qu’elle invoquait.

La salariée saisit la Cour de cassation qui censure cette décision au motif que les juges du fond auraient dû rechercher « si la décision d’affectation de la salariée ne portait pas atteinte aux droits de la salariée à la santé et au repos et à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché » (Cass. Soc.16 nov. 2016, 15-23.375).

Rappelons, en premier lieu, que la jurisprudence considère désormais que le refus par un salarié d’un changement de ses conditions de travail, s’il demeure une faute disciplinaire pouvant justifiant un licenciement, ne constitue plus automatiquement une faute grave (voir par exemple : Cass. soc. 23 mai 2012 n° 10-28.042 ; Cass. soc. 9 juillet 2015 n° 14-17.675). Les juges doivent prendre en compte d’autres éléments pour apprécier la gravité du manquement aux obligations contractuelles du salarié, par exemple sa qualité de cadre (Cass. soc. 18 juillet 2001 n° 99-43.922). Dès lors, la décision dans l’affaire qui nous occupe de licencier la salariée pour faute grave exposait l’employeur à un risque fort de voir sa décision remise en cause par les juges.

Ce que l’on remarque dans cette espèce, c’est la motivation de la Cour de cassation : le respect du droit au repos et à la santé et à la vie personnelle et familiale.

Le critère de l’impact sur la vie personnelle et familiale du salarié n’est pas nouveau en matière de modification contractuelle. Il a ainsi été considéré que le refus d’un salarié de changer de lieu de travail n’était pas une faute grave compte tenu de son ancienneté de trente ans et du fait qu’il vivait seul avec sa fille handicapée et son père âgé de 86 ans (Cass. soc. 3 juin 2009 n° 08-41.041). Des situations a priori moins lourdes ont également pu justifier le refus du salarié et l’absence de faute grave, comme le fait de ne pas avoir trouvé de solution de garde (CA Versailles 18 janvier 2011 n° 10/01827) ou le fait qu’une modification d’horaires entraînait la suppression de la pause du midi pour une salariée qui ne pouvait donc plus disposer du temps du déjeuner pour s’occuper de ses enfants (Cass. soc., 17 oct. 2000, no 98-42.177).

En l’espèce, la salariée faisait valoir qu’elle avait trois enfants mineurs, ce qui été pris en compte par la cour d’appel pour exclure la faute grave.

L’évolution de la jurisprudence sur ce point est notable car il s’agissait initialement de tenir compte de raisons familiales impérieuses caractérisées par des situations particulièrement complexes. Désormais, le fait d’élever trois enfants peut suffire alors qu’il s’agit d’une situation relativement classique, non révélatrice de difficultés particulières et résultant de choix personnels qu’il peut paraître surprenant d’opposer à l’entreprise.

Cela dit, l’élément marquant de l’arrêt du 16 novembre 2016 est la prise en compte inédite, s’agissant d’un changement de lieu de travail, de la situation médicale de la salariée. La Cour de cassation estime que les juges du fond doivent rechercher si la décision de l’employeur ne porte pas « atteinte aux droits de la salariée à la santé et au repos ».

Cette motivation a déjà été utilisée précédemment dans des décisions concernant des changements d’horaires de travail. La Cour de cassation y énonce que « sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l’employeur » (Cass. soc., 3 nov.2011, no 10-14.702 et Cass. soc., 8 nov. 2011, no 10-19.339). Conséquence : lorsque les salariés invoquent une atteinte excessive résultant, par exemple, d’un bouleversement de leur rythme de travail, la décision de l’employeur de modifier les horaires est considérée comme une modification contractuelle. Dans l’arrêt du 8 novembre 2011, le changement d’horaires consistait à demander à la salariée de travailler le mercredi au lieu du samedi, il a été jugé incompatible avec les obligations familiales impérieuses de l’intéressée.

Il sera particulièrement intéressant de suivre l’évolution de cette jurisprudence qui intègre le droit au repos et à la santé dans le droit de la modification des obligations contractuelles. Quelle sera la conséquence d’une atteinte excessive au droit au repos et à la santé ? Le changement de lieu de travail au sein d’un même secteur géographique devient-il alors une modification du contrat exigeant l’accord exprès du salarié comme c’est devenu le cas pour le changement des horaires de travail ?

Cette tendance ne surprend pas au regard de la montée en puissance de la prise en compte des questions de santé dans les relations de travail.

C’est en effet ce droit à la santé qui depuis l’arrêt Snecma (Cass. soc., 5 mars 2008, no 06-45.888) permet de suspendre une réorganisation au motif que l’obligation de sécurité interdit que « dans l’exercice de son pouvoir de direction, l’employeur puisse prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés » notamment lorsque l’employeur n’a pas évalué et pris les mesures de prévention requises, y compris des RPS. Il est également le fondement de l’arrêt du 29 juin 2011 (Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107) sur les conditions de validité des conventions de forfait-jours dont les stipulations doivent garantir le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.

Si cette évolution se poursuit, on peut avancer l’idée que le droit à la santé deviendrait un nouveau fondement du droit du travail, ou plutôt le redeviendrait plus de 170 ans après le rapport du Docteur Villermé en 1840 qui a conduit à l’adoption des premières lois sociales pour protéger la santé des ouvriers.

Magali Baré
Consultante
Cabinet IDée Consultants

www.ideeconsultants.fr

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