Réglementation et innovation : les clés pour un équilibre entre stabilité juridique et dynamisme technologique.

Par Tariq Boukhima, Docteur en Droit.

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Explorer : # innovation technologique # régulation flexible # cybersécurité # intelligence artificielle

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La transformation numérique a profondément modifié nos vies en améliorant les interactions et l'accès à l'information. Cependant, elle pose des défis, notamment en matière de sécurité et d'éthique. Les gouvernements doivent élaborer des régulations flexibles et adaptées pour soutenir l'innovation tout en garantissant la protection des utilisateurs.
Description rédigée par l'IA du Village

La rapidité des évolutions technologiques crée une tension entre la stabilité souhaitée des régulations et la nécessité d’une régulation plus flexible pour encourager l’innovation. Dans ce contexte, la régulation doit être capable de suivre le rythme rapide des nouvelles technologies, de s’adapter à leurs évolutions, de servir de tremplin et de moteur pour les entreprises innovantes, tout en instaurant la confiance chez les consommateurs et en les protégeant contre les abus et les dérives technologiques.

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Introduction.

Le numérique a profondément transformé le quotidien de l’humanité, tant sur le plan personnel que professionnel, car il a chamboulé notre manière de vivre, d’interagir ou d’entretenir des relations avec la société. Internet nous permet de communiquer instantanément avec des personnes du monde entier. Les réseaux sociaux, les applications de messagerie et les appels vidéo ont révolutionné nos interactions sociales. Nous pouvons désormais obtenir des informations en temps réel sur n’importe quel sujet grâce à la recherche en ligne. Cela a changé notre façon d’apprendre, de travailler et de prendre des décisions.

En gros, le numérique a bouleversé nos habitudes, simplifié nos vies et ouvert de nouvelles opportunités. Qui a encore envie de faire la queue à la caisse d’un supermarché ou d’un grand magasin ? Qui veut chercher des heures et des heures pour comparer les prix d’un hôtel ou d’un billet d’avion ? la liste est sans fin.

Le mouvement de la transformation digitale est irréversible, rapide et puissant, car il est alimenté par de nouvelles aspirations sociales telles que l’économie collaborative, la crowdculture [1], l’élimination des intermédiaires inutiles, l’essor des usages mobiles, le besoin effréné de rapidité et la boulimie de rester connecté au monde.

Cela dit, la transformation digitale est truffée de risques et de défis. Autrement dit, la vie privée, la liberté d’expression et la vérité sont menacées par la face sombre du numérique, notamment les fausses informations et la surveillance, comme disait Michel Serres [2] « chaque individu tenait en main l’espace et toutes les informations désirables ».

Qui plus est, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et les plateformes exercent une influence considérable sur nos opinions et nos perceptions. Ils peuvent amplifier certaines voix, idées et tendances, tout en en minimisant d’autres. Ils ont ainsi mené à un brouillage des rôles [3] tenus par les internautes, ceux-ci étant en effet tout à la fois producteurs et consommateurs, utilisateurs et metteurs en scène, auteurs et publics des contenus qui s’échangent en ligne.

De même, dans un monde fortement connecté et dépendant, les gouvernements deviennent vulnérables aux failles inévitables des systèmes d’information et aux cyberattaques. Les menaces sont difficiles à identifier en raison de la diversité des acteurs et des cibles. En juillet 2024, le monde a été victime d’une cyberattaque qui a perturbé le réseau de trains à grande vitesse. Elle a été qualifiée de sabotage et a touché plusieurs lignes.

Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, les risques se sont accrus, plongeant le monde dans une confrontation entre la machine et l’homme et soulevant de nombreuses questions existentielles et éthiques [4]. Cette tendance s’accentue avec le développement rapide de l’IA, soulevant divers enjeux éthiques, notamment les biais et la discrimination, la transparence et la protection de la confidentialité.

Alors, pour minimiser les risques liés à la transformation digitale et tirer parti de ses avantages de manière plus sécurisée, les gouvernements doivent prendre diverses mesures, notamment la mise en place des lois et des régulations pour protéger les utilisateurs en ligne. Cependant, la technologie évolue à la vitesse grand V, rendant difficile pour la réglementation de suivre ce rythme effréné.

Cela soulève une question cruciale : comment concevoir des textes réglementaires capables d’absorber l’innovation ? En d’autres termes, quelles astuces ou caractéristiques doivent posséder ces textes pour harmoniser la rapidité de la technologie avec celle de la réglementation ?

Pour répondre à ces questions, nous décortiquerons d’abord les caractéristiques formelles de la réglementation sur l’innovation (Forme). Ensuite, nous examinerons ses caractéristiques fondamentales (Fond).

I- Les caractéristiques formelles de la réglementation sur l’innovation (Forme).

Pour que la réglementation sur l’innovation soit efficace et adaptable aux évolutions rapides du secteur technologique, elle doit présenter certaines caractéristiques formelles. Premièrement, elle doit être flexible et centrée sur l’utilisation plutôt que sur la technologie elle-même (A). Deuxièmement, elle doit adopter une approche graduelle basée sur les risques encourus (B).

A - Régulation flexible et axée sur l’utilisation plutôt que sur la technologie.

La vitesse des évolutions technologiques crée une tension entre la stabilité souhaitée des régulations et la nécessité d’une régulation plus flexible pour encourager l’innovation. Dans ce contexte, une régulation basée sur des principes plutôt que sur des règles rigides permet de s’adapter aux évolutions technologiques et économiques et d’éviter que le cadre réglementaire ne devienne rapidement obsolète.

Les entreprises sont ainsi incitées à innover et à adopter des décisions éthiques et responsables, en se conformant à des principes généraux qui leur fournissent un cadre clair, cohérent et uniformément applicable. Cela stimule l’innovation tout en permettant aux autorités de conserver leur capacité de contrôle, en leur laissant une certaine marge de manœuvre pour les interprétations contextuelles.

La loi de l’Union européenne sur l’intelligence artificielle (EU AI Act) illustre bien cette approche. Elle définit les principes fondamentaux pour le développement, le déploiement et l’utilisation des systèmes d’IA. Cependant, la mise en œuvre et l’application de ces principes sont confiées au Bureau Européen de l’IA, qui coordonne et veille à leur application uniforme et efficace.

De plus, comme il est impossible de prévoir toutes les applications futures d’une nouvelle technologie, le législateur ne peut pas déterminer à l’avance les mesures nécessaires pour demain. En conséquence, la régulation doit se concentrer sur l’utilisation plutôt sur la technologie elle-même, afin qu’elle puisse donner libre court à l’innovation, suivre et réagir plus rapidement aux problèmes émergents.

Cependant, cette approche centrée sur l’utilisation ne peut être efficace que si elle est accompagnée d’une classification des utilisations de la technologie selon les niveaux de risque qu’elles représentent, avec des mesures spécifiques adaptées à chaque niveau.

B - Approche graduelle basée sur les risques encourus.

Une approche graduelle basée sur les risques consiste à classer les utilisations d’une technologie selon leur niveau de risque (faible, modéré ou élevé) et à imposer des exigences juridiques en conséquence. Par exemple, pour les activités technologiques à faible risque, le législateur est encouragé à alléger au maximum les contraintes réglementaires. En revanche, pour les activités technologiques à risque très élevé, il doit être strict en renforçant la surveillance et les exigences.

La loi 05.20 sur la cybersécurité en est le bon exemple. Elle exige que les entités et infrastructures d’importance vitale classifient leurs actifs informationnels et leurs systèmes d’information en fonction du risque qu’un incident de cybersécurité pourrait représenter en termes de confidentialité, de disponibilité et d’intégrité, avec des impacts classés comme très graves, graves, modérés ou limités. En fonction de cette classification, des mesures organisationnelles et techniques spécifiques doivent être mises en place.

Il en est de même pour la loi de l’Union européenne sur l’intelligence artificielle (EU AI Act) qui a classé les systèmes d’IA en fonction de leur niveau de risque pour la santé, la sécurité et les droits fondamentaux. Les systèmes à risque élevé doivent respecter des exigences strictes, tandis que ceux à risque minimal sont moins réglementés.

Cette approche assure une protection appropriée des utilisateurs en tenant compte des niveaux de risques posés par la technologie. Elle permet également d’optimiser l’allocation des ressources tout en encourageant l’innovation.

II - Les caractéristiques fondamentales de la réglementation sur l’innovation (Fond).

Pour équilibrer la promotion de l’innovation et le contrôle des pratiques afin d’éviter les abus ou les risques pour la société, les réglementations sur les nouvelles technologies doivent inclure deux éléments essentiels : un bac à sable (A), qui est un environnement contrôlé pour tester les innovations sans les contraintes réglementaires habituelles, et des structures de surveillance (B), chargées de surveiller en continu les développements technologiques et de proposer des ajustements réglementaires en temps réel.

A - La mise en place d’un bac à sable réglementaire ?

Un bac à sable réglementaire (sandbox) est un environnement contrôlé et surveillé où les entreprises et les innovateurs peuvent tester et développer de nouveaux produits, services ou modèles commerciaux. Cela permet d’un côté aux entreprises d’expérimenter à petite échelle leurs produits innovants sans être soumis à l’ensemble du cadre réglementaire et d’autre côté aux régulateurs de suivre de très près l’évolution de l’innovation et de fournir en temps réel aux entreprises et aux innovateurs des retours et des conseils, afin de les aider à ajuster leurs produits pour qu’ils répondent aux exigences légales.

Dans certains cas, il est nécessaire d’assouplir ou d’alléger les exigences légales pour certains segments d’entreprises ou d’innovations, car ils présentent un risque moindre par rapport à d’autres. Par exemple, il serait inapproprié d’appliquer la réglementation en vigueur pour les établissements financiers traditionnels aux startups Fintech. Leur imposer les mêmes conditions pourrait freiner leur émergence et leur croissance en raison de contraintes réglementaires trop rigides.

Par conséquent, les régulateurs devraient tenir compte des résultats encourageants des expérimentations en intégrant le principe de proportionnalité réglementaire dans leur logique qui devrait se baser sur la nature et le degré de risque que l’innovation ou l’entreprise représente. Cela implique de simplifier et d’adapter les mesures et les charges réglementaires à ce nouveau segment, afin qu’elles soient justifiées et proportionnées aux objectifs visés. De ce fait, la réglementation prévoirait plusieurs types d’agréments, y compris des agréments allégés pour les établissements de paiement et de monnaie électronique.

Ainsi, la réglementation agirait comme un catalyseur de l’innovation plutôt qu’un frein. En effet, la régulation est cruciale pour certains secteurs innovants, tels que la Fintech, car elle renforce la confiance des clients et des investisseurs, et contribue ainsi à favoriser la croissance durable des fintechs. Ce rôle souhaité de la réglementation a été résumé par Villeroy de Galhau [5] lorsqu’il a affirmé : « L’innovation ne doit en effet pas se traduire par un nivellement par le bas de la sécurité. La réglementation peut aussi être un atout. La réglementation, c’est la confiance ».

Cela dit, pour que le bac à sable réglementaire fonctionne efficacement, il est essentiel que les critères de sélection soient clairs et que la réglementation ne privilégie ni ne pénalise aucune technologie en particulier [6]. Le principe de neutralité technologique vise à offrir une égalité des chances à toutes les technologies, permettant ainsi au marché et aux utilisateurs de déterminer quelles solutions sont les plus adaptées et performantes.

Alors, Il est essentiel d’établir des mécanismes de surveillance pour suivre les progrès des nouvelles technologies et innovations, et anticiper les ajustements réglementaires nécessaires.

B - La mise en place des structures de surveillance.

La rapidité des évolutions technologiques exige la création de structures de surveillance. Leur rôle serait de collaborer avec les acteurs technologiques pour analyser les innovations en cours, identifier les enjeux de compétitivité et de régulation, et, si nécessaire, évaluer la nécessité de modifier la réglementation.

Ces structures de surveillance devraient disposer de pouvoirs étendus leur permettant non seulement de proposer des régulations, mais aussi d’élaborer et de publier des guides et des chartes de bonnes pratiques pour aider les acteurs à comprendre et à respecter les réglementations.

De plus, elles devraient avoir la capacité d’accorder des dérogations temporaires ou permanentes à certaines innovations technologiques pour des raisons objectives, comme le développement de l’écosystème des fintechs. Cependant, elles devraient établir des critères clairs et transparents pour l’octroi de ces dérogations, afin de garantir l’équité et la transparence du processus. Elles devraient également mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation pour s’assurer que les dérogations accordées ne compromettent pas la sécurité ou l’intégrité des systèmes réglementés.

Par exemple, la Suisse, en plus d’un mécanisme de type bac à sable qui permet à des entreprises de gérer jusqu’à 1 MCHF sans autorisation bancaire, est en train de créer une licence sur mesure pour les Fintechs qui pourraient accepter des dépôts du public pour un montant maximal de 100 MCHF. L’Autorité Fédérale de Surveillance des Marchés Financiers (FINMA) pourrait fixer un seuil plus élevé en fonction du risque.

Également, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en France a créé une division Fintech, Innovation et Compétitivité (FIC) qui sert de point d’entrée pour les porteurs de projets innovants [7]. De même, l’Autorité néerlandaise des marchés Financiers et la Banque nationale des Pays-Bas ont formé une entité commune appelée « Innovation Hub », pour adapter la régulation aux nouveaux modèles d’affaires [8].

Etant consciente de l’importance de ces structures, la Commission Européenne, pour sa part, a créé le Bureau européen de l’intelligence artificielle, qui devrait jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre de la législation de l’UE sur l’IA et dans le développement d’une intelligence artificielle responsable et éthique.

Conclusion.

La transformation digitale a indéniablement révolutionné notre quotidien, facilitant nos interactions, nos modes de consommation et notre accès à l’information.

Cependant, cette révolution s’accompagne de défis majeurs, notamment en matière de protection de la vie privée, de sécurité et d’éthique. Les gouvernements doivent donc adopter des régulations adaptées pour encadrer cette évolution rapide.
Pour concevoir des textes réglementaires capables de suivre le rythme effréné de l’innovation technologique, il est essentiel de se concentrer sur deux aspects : la forme et le fond. Sur le plan formel, les régulations doivent être flexibles et adopter une approche graduelle basée sur les risques permettant de classer les utilisations technologiques selon leur niveau de risque et d’imposer des exigences juridiques proportionnelles.

Sur le plan fondamental, elles doivent intégrer des éléments fondamentaux tels que le bac à sable et les structures de surveillance. Le bac à sable réglementaire offre un environnement contrôlé où les entreprises peuvent tester leurs innovations sans les contraintes réglementaires habituelles, tout en permettant aux régulateurs de suivre de près les évolutions et d’ajuster les exigences légales en temps réel. Cette approche favorise l’innovation tout en garantissant que les nouvelles technologies respectent les principes éthiques et légaux sous le contrôle permanent des humains systématisé par « humain-in-command » [9].

Parallèlement, les structures de surveillance jouent un rôle essentiel en collaborant avec les acteurs technologiques pour analyser les innovations, identifier les enjeux de régulation et proposer des ajustements réglementaires nécessaires.

La collaboration avec les acteurs révèle que certaines activités innovantes nécessitent des règles spécifiques (approche microjuridique), ce qui peut parfois aller à l’encontre des intérêts des acteurs traditionnels. Par exemple, l’obligation pour les banques de partager leurs données bancaires (open banking) avec les Fintechs pour permettre à ces dernières de développer des solutions innovantes. Cela soulève la question suivante : la stimulation de l’innovation dépend-elle de la mise en place de réglementations spécifiques pour chaque type d’activité, ou une réglementation globale suffit-elle ? Et comment la réglementation peut-elle créer un environnement de collaboration entre les acteurs traditionnels et les innovateurs pour stimuler l’innovation et transformer les services existants ?

Tariq Boukhima
Docteur en Droit
kabbajme315 chez gmail.com

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Notes de l'article:

[1Les réseaux sociaux et Internet ont favorisé l’émergence d’une nouvelle culture celle qui provient de talents publiant leurs vidéos, photos ou textes sur la toile.

[2Michel Serres, Petite Poucette, Le Pommier, coll. « Manifestes », 2012.

[3Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Gallimard, 2013.

[4I.McEwan, Une machine comme moi, Gallimard, 2020 : le robot est-il « le jouet ultime, un rêve séculaire, le triomphe de l’humanisme - ou son ange exterminateur ? », P. 30.

[5F. Villeroy de Galhau : « Construire le triangle de compatibilité de la finance numérique : innovations, stabilité, régulation », la stabilité financière à l’ère du numérique, Revue de la stabilité financière N° 20, Avril 2016, P. 12.

[6J. Bruno : « Les régulateurs veulent encadrer la fintech sans l’étouffer », Les Echos, 18 juillet 2016, P. 6.

[7AMF, Communiqué de presse du 28 septembre 2016 publié sur le site : https://www.amf-france.org/

[9Voir le site https://www.eesc.europa.eu/

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