La suspension du contrat de travail lié à un accident du travail ne constitue pas un obstacle à la conclusion d’une rupture conventionnelle.

Par Abdelaziz Mimoun, Avocat.

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Explorer : # rupture conventionnelle # consentement # protection des salariés # accident du travail

La Chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre, le 30 septembre dernier, un arrêt attendu qui vient fixer, un peu plus, les contours de la rupture conventionnelle et, plus précisément d’apprécier la validité de ce mode de rupture du contrat de travail d’un salarié dont le contrat de travail était suspendu en raison d’un accident du travail.

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Avant toutes choses, il convient de rappeler que la rupture conventionnelle résulte de l’ANI du 14 janvier 2008 à l’issue duquel les partenaires sociaux ont négocié et introduit un nouveau mode de rupture codifié aux articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail.

L’alinéa 2 de l’article L. 1237-11 du Code du travail rappelle clairement que la rupture conventionnelle constitue un mode de rupture du contrat de travail autonome qui obéit à ses propres règles et ne constitue ni un licenciement à l’initiative de l’employeur, ni même une démission imputable au salarié.

Elle est tout autre chose.

C’est ainsi que, dans leur rôle prétorien, les juges du fond relayés par les Hauts magistrats sont venus, depuis 2008, définir les contours et les conditions de validité de la rupture conventionnelle.

Il est désormais clairement établi que la rupture conventionnelle constitue un contrat de rupture du contrat de travail soumis au droit commun des contrats régi par le code civil (A) et qui échappe donc aux dispositions relatives au licenciement (B).

A- La rupture conventionnelle constitue un contrat de rupture du contrat de travail soumis au droit commun des contrats régis par le Code civil

Le caractère consensuel de la rupture conventionnelle résulte clairement de sa dénomination qui laisse entendre que ce mode de rupture est une convention soumise à l’accord des deux parties au contrat de travail.

De plus, l’alinéa 2 de l’article L. 1237-11 du Code du travail confirme cette analyse en disposant que « la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties », ce qui a contrario suppose l’accord des deux parties puisque aucune partie ne peut, en principe, imposer cette rupture à l’autre.

Quoique partant d’une approche égalitaire, ce texte n’en reflète pas moins une réalité déformée dans la mesure où dans les faits, le lien de subordination tronque l’égalité préconisée par ce texte.

En effet, comment peut-on aborder la rupture conventionnelle sous l’angle égalitaire mise en relief par le premier des textes relatifs à ce mode de rupture alors que le critère décisif du contrat de travail réside dans le lien de subordination ? Point de lien de subordination, point de contrat de travail nous précise la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis plusieurs décennies.

Dès lors, même si elle résulte d’un vœu louable, cette approche égalitaire de la rupture conventionnelle n’en laisse pas moins perplexe puisque dans la pratique que j’ai à connaître, la convention de rupture constitue un pis aller offert au salarié pour quitter dignement son emploi en partant, le plus souvent, avec le minimum légal ou conventionnel.

Estimant donc qu’il s’agit d’une convention de rupture exigeant un consentement libre, cette approche nous envoie directement à la théorie des contrats régis par le Code civil et plus précisément, en la matière, aux vices du consentement que sont la violence, le dol, l’erreur des articles 1110 et suivants du Code civil.

D’abord soumis aux juges de première instance, les litiges relatifs à la nullité de la rupture conventionnelle ont, notamment et logiquement conduit les demandeurs à arguer de cette nullité pour vice du consentement, ces derniers se prévalant de violences morales exercées sur leur personne pour les conduire à régulariser une rupture conventionnelle contre leur gré, contraints et forcés.

Au terme d’une évolution jurisprudentielle débutée en 2010 et constante depuis, la rupture d’un contrat de travail au moyen d’une rupture conventionnelle est abusive et doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au préjudice de l’employeur si la convention a été signée dans un contexte conflictuel entre les parties.

Ainsi, le Conseil de prud’hommes de Bobigny a jugé le 06 avril 2010 que le contexte conflictuel dans lequel la rupture conventionnelle du contrat de travail a été signée entre l’employeur et le salarié justifie la requalification de la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse au préjudice de l’employeur [1].

Le Conseil de prud’hommes de Rambouillet a également eu à statuer sur ce point à l’occasion d’un jugement du 18 novembre 2010 aux termes duquel la rupture conventionnelle du contrat de travail signée entre l’employeur et le salarié et négociée alors qu’il existait un litige entre eux doit être requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse au préjudice de l’employeur [2].

Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 13 juin 2012 laquelle a rappelé un principe imparable, à savoir que « la rupture conventionnelle suppose un consentement donné par le salarié en connaissance de cause et dont l’intégrité doit être assurée. Elle ne peut être imposée par l’employeur pour détourner des garanties accompagnant un licenciement et elle suppose l’absence de litige sur la rupture » .

A également été considéré comme ayant une influence sur le consentement du salarié par le Conseil de prud’hommes de Valence aux termes d’un jugement du 25 novembre 2010, le litige préexistant à la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Cette juridiction a estimé que le consentement du salarié à cette rupture conventionnelle avait été vicié de sorte que la nullité de la rupture doit être prononcée au tort de l’employeur [3].

Ainsi, lorsque le consentement du salarié à la rupture de son contrat de travail n’a pas été donné librement, la convention litigieuse ne répond pas aux exigences posées pour sa validité par les articles L 1237-11 et suivants du Code du travail et ne peut produire aucun effet de telle sorte que l’acte par lequel a été rompu le contrat de travail doit dans ce cas s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou abusif.

La liberté du consentement, et, plus particulièrement celui du salarié constitue donc la pierre angulaire de la validité de la rupture conventionnelle, même si d’autres impératifs peuvent conduire à la requalification de la rupture conventionnelle en un licenciement comme l’absence de remise au salarié d’un exemplaire de cet acte de rupture lui interdisant toute possibilité d’homologation et surtout de toute faculté de rétractation pendant les 15 jours suivants la date de sa conclusion.

 [4]

Le caractère autonome de ce mode de rupture du contrat de travail est affirmé de façon particulièrement explicite par l’alinéa 2 de l’article 1237-11 du Code du travail.

On retrouve cette approche dans le cadre de la mise à la retraite à l’initiative de l’employeur et du départ à la retraite à l’initiative du salarié respectivement prévue et régie à l’article 1237-5 du Code du travail pour la mise à la retraite et à l’article L. 1237-9 pour le départ à la retraite dont la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue dire là encore le caractère autonome en rappelant que la première ne constitue pas un licenciement, et que la seconde ne peut être assimilée à une démission.

Le licenciement est fondamentalement différent et distinct de la rupture conventionnelle en ce qu’il procède d’un acte unilatéral à l’initiative de l’employeur qui doit reposer sur un motif qu’il soit personnel ou d’ordre économique.

A l’inverse, la rupture conventionnelle constitue un engagement de rupture synallagmatique supposant l’accord des deux parties peut importe qui en est à l’origine.

Seulement, la question de l’initiative de la rupture conventionnelle qui demeure secondaire parce qu’on a du mal à imaginer que les deux parties au contrat de travail viennent, spontanément et concomitamment avec un grand sourire, se rencontrer pour imaginer une rupture idéale et sans remous.

La problématique de l’initiative de la rupture glissera, dans un contexte de conflit, sur le terrain de l’imputabilité de la rupture qui générera un examen des conditions de la rupture pour tenter, côté salarié, de faire requalifier la rupture du contrat de travail en un licenciement.

C’est exactement cette question que la Chambre sociale a eu à trancher relativement à une affaire où une salariée qui était revenue au sein de l’entreprise après avoir bénéficié d’un arrêt de travail pour accident du travail supérieur à 8 jours dont les textes en vigueur [5] au moment des faits imposaient à l’employeur d’organiser une visite médicale de reprise (depuis le 1er juillet 2012 l’absence doit être d’au moins 30 jours en lieu et place des 8 jours antérieurement en vigueur).

La salariée n’avait pas bénéficié de visite médicale de reprise que l’employeur devait organiser dans les 8 jours suivants la reprise du travail [6] ; visite médicale qui met fin à la suspension du contrat de travail et à la protection exorbitante du droit commun du licenciement.

Or, et, malgré cette carence de l’employeur, les parties ont conclu une rupture conventionnelle que la salariée avait contesté devant le juge prud’homal en se prévalant des dispositions de l’article L. 1226-9 du Code du travail qui interdit à l’employeur de rompre le contrat de travail sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle.

En l’espèce, la problématique que devaient trancher les Hauts magistrats consistait de savoir si cette protection exorbitante du droit commun contre la rupture du contrat de travail s’appliquait à la rupture conventionnelle.

Sur ce point, la Direction Générale du Travail avait émis une circulaire le 17 mars 2009 (DGT n°2009-04) excluant la possibilité de signer une rupture conventionnelle durant un arrêt imputable à un accident de travail ou une maladie professionnelle en vertu de l’article L. 1226-9 du Code du travail.

Faut-il rappeler que cette circulaire n’a aucune portée normative et qu’elle ne constitue que l’avis de l’Administration du travail sur les modalités de mise en œuvre de la rupture conventionnelle qui ne saurait lier le juge prud’homal.

Par un arrêt du 30 septembre 2013 [7], la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré qu’était valable une rupture conventionnelle intervenue alors que le salarié était placé en arrêt de travail pour maladie, considération qui n’affecte pas la validité de la rupture sauf à démontrer que le consentement du salarié avait été affecté.

Il est vrai qu’en matière d’arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle, le salarié ne bénéficie absolument pas de la protection contre la rupture de son contrat de travail.

La question soumise à la Cour de cassation, s’agissant de la possibilité de conclure une rupture conventionnelle pendant la période de suspension du contrat de travail, franchissait un pallier supplémentaire à l’aune des dispositions de l’article L. 1226-9 du Code du travail.

Finalement, la réponse rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation même si d’aucuns y verront une atteinte à la protection des salariés, il n’en demeure pas moins qu’elle est logique.

En effet, une analyse rapide des textes en confrontation permet de justifier la position des Hauts magistrats.

L’article L. 1226-9 du Code du travail interdit fondamentalement la seule rupture à l’initiative de l’employeur au titre d’un licenciement ou d’un motif tenant à l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle.

L’alinéa premier de l’article L. 1237-11 du Code du travail dispose que l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.

Autrement dit, la rupture conventionnelle ne résultant pas d’une rupture unilatérale à la seule initiative de l’employeur, la réponse donnée par la chambre sociale de la Cour de cassation doit, donc, sur un plan strictement juridique recevoir toute approbation, l’article L. 1226-9 protégeant le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle du seul risque de rupture du contrat à l’initiative de l’employeur, à savoir finalement le licenciement, et, un peu moins connu, la mise à la retraite.

Cass. Soc. 30 septembre 2014, n°13-16.297 (FS-P+B+R)

Abdelaziz MIMOUN, Avocat au Barreau de Versailles
mimoun-avocat.fr
mimounavocat chez gmail.com
+33 1 30 21 44 04 - +33 1 30 21 21 41

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Notes de l'article:

[1CPH Bobigny 6 avril 2010, n°08-4910

[2CPH Rambouillet section commerce n° RG 10/00042

[3CPH Valence 25 novembre 2010, n°09/00519

[4B- La rupture conventionnelle échappe donc aux dispositions relatives au licenciement

[5article R. 4624-22

[6art. R. 4624-23 code du travail

[7n°12-19711

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