Transport routier de marchandises et faute inexcusable.

Par Alain Dahan, Avocat.

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Explorer : # faute inexcusable # transport routier de marchandises # responsabilité du transporteur

Avec la notion de faute inexcusable, l’indemnisation des clients malheureux du transporteur relève du parcours du combattant.

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Cinq ans après l’introduction de la faute inexcusable du transporteur dans le Code de Commerce [1], la jurisprudence en ce domaine reste encore peu développée.

Autant la notion de « faute lourde » a énormément fait couler d’encre judiciaire, et continue encore à ce jour, autant celle de « faute inexcusable » reste cantonnée à quelques décisions dont le dénominateur commun semble être, pour la plupart d’entre elles, que les conditions d’application d’une telle faute ne semblent jamais remplies pour la Cour de cassation.

Je ne parle bien évidemment pas ici de la faute inexcusable en matière de droit du travail, ni en matière d’accident de la circulation.

On rappellera le contenu de l’article L133-8 du code de commerce :

« Seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. Toute clause contraire est réputée non écrite  ».

Dans un arrêt récent du 18 novembre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation ne déroge pas à la règle selon laquelle la faute inexcusable serait, comme une étoile au firmament du droit des transports, certes bien visible et scintillante, mais pratiquement impossible à atteindre.

Dans l’affaire relatée, la cour de cassation a rendu la décision suivante :

« Vu l’article 1150 du code civil, ensemble l’article L. 133-8 du code de commerce ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’au mois de juillet 2010 le syndicat Laboratoire d’analyses X. (l’expéditeur) a confié à la société Y. (le transporteur) l’expédition d’un dossier d’appel d’offres à destination d’un établissement public ; que le bordereau de remise à l’expéditeur stipulait une date impérative de livraison au 12 juillet 2010 ; qu’ayant été informé du rejet de son dossier parvenu à l’établissement public après la clôture de l’appel d’offres, l’expéditeur a assigné en dommages-intérêts le transporteur qui s’est prévalu de la limitation d’indemnisation du contrat type général approuvé par le décret n° 99-269 du 6 avril 1999 ;

Attendu que, pour condamner le transporteur à payer à l’expéditeur la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts, l’arrêt retient que le transporteur, en ne prenant aucune initiative pour acheminer le pli à sa destination, a manqué gravement à son obligation, cependant qu’il savait, dans la journée du 12 juillet, ne pouvoir y parvenir ;

Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser la faute inexcusable du transporteur, laquelle est une faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Dans un billet écrit en 2011, je constatais que, du fait même de la rédaction de l’article L133-8 du Code de commerce, parvenir à établir l’existence d’une telle faute ne manquerait pas de relever à coup sûr de la mission impossible.

Le caractère « délibéré » de la faute inexcusable, caractère qui n’était pas exigée pour la faute lourde, la rend particulièrement difficile à démontrer.

La faute inexcusable c’est en quelque sorte l’intention de nuire ou le comportement qui frise l’inconscience ou « l’irresponsabilité » du transporteur.

Quand on sait que, en matière d’accident de la circulation [2], la faute inexcusable d’un simple quidam qui surgit soudainement devant votre véhicule, par exemple un piéton, est loin d’être évidente à prouver, cette notion appliquée au transport paraît somme toute antinomique pour un partenaire contractuel et pour un professionnel.

Même si, évidemment, la faute intentionnelle de la victime d’accident de la circulation est différente de celle du transporteur [3], on y retrouve cependant des similitudes : l’élément intentionnel de son auteur et la conscience de provoquer un dommage grave.

Dans mon précédent article rédigé en 2011, j’attendais avec impatience des éclaircissements, voire des assouplissements de la Jurisprudence afin que ce texte du législateur, l’article L133-8 du Code de commerce, puisse trouver une vraie application dans le paysage du transport de marchandises.

Aujourd’hui, je ne pense pas qu’une telle évolution se produira, le style particulièrement chargé de cette disposition légale, laissant peu de place à l’interprétation.

Les transporteurs ne peuvent que se féliciter d’une telle protection qui fait de la limitation de garantie un principe qui ne souffre que rarement d’exceptions.

…et les clients mécontents ne peuvent que s’en plaindre.

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Notes de l'article:

[1article L133-8 issu de la LOI n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports

[2article 3 de la Loi n° 85-677 du 05 juillet 1985

[3« faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » selon la jurisprudence

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Discussions en cours :

  • par Abdel , Le 2 septembre 2015 à 23:50

    Selon le protocole (procédure) de transport de colis exigé par mondial relay, le client dépose d’abord son colis au point relais (dans mon cas le magasin illico auto à Roubaix), le colis est scanné par le commerçant et un reçu est délivré au client, une trace apparait aussitôt à l’agence de livraison (située à HEM qui accueille et gère les colis remis aux points relais pour les faire délivrer aux destinataires). Le suivi colis sur l’espace perso du client est déclenché aussi (étape 2 = Colis remis à Mondial Relay)
    Un transporteur s’occupe du ramassage des colis présents aux points relais pour les acheminer à l’agence de livraison. Cependant, déjà à cette première étape de la procédure il existe une défaillance, une grosse faille de suivi et de traçage puisque le transporteur qui vient récupérer les colis ne donne aucun reçu et ne rend aucun compte sur le nombre de colis qu’il a récupéré chez le commerçant. En effet, le commerçant dépose les colis des clients dans un grand sac « panier » et le transporteur indique sur sa feuille de route uniquement le nombre de « paniers » récupérés et non pas le nombre de colis. Le transporteur peut donc facilement récupérer un panier qui contient 10 colis et une fois arrivé à l’agence de livraison de livraison il remet un panier avec 5 colis et pareil, le point relais peut très bien mettre 5 colis dans le panier et dire qu’il en a mis 10 . J’ai demandé au service clients comment ils peuvent être sûrs que le transporteur a bien remis au dépôt la quantité exacte de colis présents dans un panier et qu’il ne va pas déposer 5 au lieu des 10. Sa réponse de « professionnel du transport » était : « ce mec là je le connais et je lui fais confiance » et qu’ils font ça pour gagner du temps.

  • par Abdel , Le 2 septembre 2015 à 23:51

    Toujours selon la procédure de transport de mondial relay, les colis récupérés au niveau de l’agence de livraison sont tous scannés à leur arrivée ce qui déclenche sur le suivi colis l’étape 3 = Colis sur l’agence de livraison. Concernant mon colis, le service clients m’a informé que mon colis n’a jamais été scanné au niveau de l’agence de livraison de HEM, donc il n’a pas été pris en charge par le transporteur et donc il n’a pas quitté le point relais où je l’ai moi même déposé et selon eux il y aurait UNIQUEMENT TROIS CAS POSSIBLES.
    1/ Le commerçant a gardé le colis « chez lui » et ne l’a jamais remis au transporteur : Sur ce point, le responsable du service client me répond qu’il ne voit pas pourquoi ce mec (le commerçant) serait malhonnête et va garder pour lui le colis au lieu de le mettre dans le panier. Vous êtes des professionnels du transport et vous ne pouvez dire aux clients que vous pensez que le point relais a peut-être remis au transporteur votre colis parce que vous trouvez que « ce mec » n’a pas l’air d’être malhonnête. IL faut mettre les moyens nécessaires de contrôle pour s’assurer que le commerçant a bien remis ou pas tel colis à tel personne : un traçage, un suivi, un reçu un justificatif, c’est vraiment le minimum exigé dans le métier d’agent de transport. Moi quand je viens récupérer mon colis dans un relais on m’exige d’abord une pièce d’identité et une signature, et pourtant je suis HONNÊTE.
    2/ Le transporteur a bien récupéré mon colis chez le commerçant mais il ne l’a jamais déposé à l’agence de livraison : Comme je l’ai indiqué plus haut, aucun moyen non plus de savoir puisqu’aucun traçage aucun suivi aucun reçu ni justificatif à ce stade. Pour ne pas faire perdre son temps au transporteur il rentre dans l’arrière-boutique du point relais il prend un panier dans lequel personne ne sait combien il y a de colis et encore pour cette défaillance le service clients me répond : « ce gar là on le connait bien et je sais qu’on peut lui faire confiance ».
    3/ Le commerçant a bien mis mon colis dans le panier et le transporteur a bien déposé mon colis à l’agence de livraison mais sans que le colis ne soit scanné : A cette question on m’a répondu qu’il arrive que l’agent employé par mondial relay pour scanner les colis arrivés à l’agence ne fasse pas correctement son travail et qu’il ne scanne pas tous les colis parce qu’il est débordé et donc il les entasse au dépôt et ces colis entassés au quai (plus de 3000 selon le servi de réclamation) sont considérés perdus ou avariés puisque les employés n’ont pas le temps d’aller chercher les colis des clients dans cette « montagne » de colis si le client n’a pas pris une assurance.

  • par Abdel , Le 2 septembre 2015 à 23:51

    Dans le cas 1 et 2 il s’agit explicitement d’un VOL et c’est une faute inexcusable puisque Mondial relay dans le but de gagner du temps ne prend aucune mesure pour dissuader ses collaborateurs de voler les colis. Aucun traçage, aucun reçu ni justificatif lors du transfert des colis entre le point relais et le transporteur et à moins d’apporter la preuve qu’il y a eu une intrusion et un vol de mon colis dans le magasin du relais colis ou dans le camion du transporteur entre le 24 et le 25 aout (date de dépôt et date de passage du transporteur) les seuls personnes susceptibles d’avoir eu un contact avec mon colis sont le commerçant et le transporteur.
    L’agence de livraison m’a bien confirmé que mon colis n’a jamais été scanné chez eux donc soit c’est le commerçant qui l’a gardé dans son coffre de voiture, soit c’est le transporteur qui l’a déposé chez lui avant de rejoindre l’agence de livraison. C’est sûrement l’un des deux et c’est la parole du commerçant contre celle du transporteur. Aucun des deux n’a une preuve papier ou numérique qu’il a remis mon colis, d’autant plus que les deux connaissent très bien la faille et savent très bien que mondial relay ne met pas les moyens pour tracer les colis des clients à ce niveau pour limiter les dépenses et la perte de temps et se contente de faire confiance aveugle aux collaborateurs « honnêtes », comme ils savent tous les deux que dans tous les cas, le colis sera soldé avarié perdu ce qui arrange tout le monde sauf le client.
    Dans le cas 3 il s’agit de Faute professionnelle GRAVE, c’est une faute inexcusable parce que l’employé chargé de scanner les colis ne l’a pas fait parce que trop de charge de travail et manque de temps alors il entasse les colis au dépôt sans les scanner sachant qu’il est rare qu’on va lui demander d’aller chercher un colis perdu vu que la somme remboursé au client en cas de perte de colis ne coute pas plus cher qu’un heure de travail et pour aller chercher un colis parmi 3000 cartons qui se ressemblent tous, « les actionnaires » savent que c’est plus rentable de dédommager les 19€ que de passer des heures à chercher dans cette montagne de colis. D’autant plus que ce gros tas de colis perdus c’est la caverne d’Ali Baba pour ces employés qui vont revenir plus tard remplir leur coffre pour arrondir les fin de mois, ce qui, bien sûr les encouragerait à perdre encore davantage de colis.

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