Une nouvelle avancée du respect des droits de la défense.

Par David Taron, Avocat.

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Explorer : # droits de la défense # emploi des étrangers # sanctions administratives

Le respect des droits de la défense connaît une nouvelle avancée. Dans une décision du 30 juin 2021, le Conseil d’Etat estime que le procès-verbal à l’appui duquel une sanction est prise doit être communiqué. Cette communication doit s’opérer sur invitation de l’Administration.

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L’actualité politique est riche de discours portant sur l’immigration et ses incidences sur la vie économique. Si le sujet est propice au débat voire à aux polémiques, une chose est certaine : nombre d’emplois sont occupés par des étrangers [1].

Parmi ces derniers, on ne peut nier que certains sont en situation irrégulière au regard des règles relatives au séjour en France ou, s’ils bénéficient d’un titre, celui-ci ne les autorise pas à travailler. En pratique, il peut s’avérer que ces personnes occupent néanmoins un emploi ; elles sont d’ailleurs souvent déclarées aux organismes sociaux et leurs salaires sont soumis aux différentes prélèvements obligatoires.

Or, l’emploi d’étrangers en situation irrégulière est formellement interdit. L’article L8251-1 du Code du travail est extrêmement clair sur le sujet : « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France.

Il est également interdit à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa ».

En plus d’être interdit, l’emploi d’un étranger en situation irrégulière est sévèrement réprimé. Dans une telle hypothèse, le législateur a développé un dispositif de sanctions visant les employeurs.

Ainsi, le premier paragraphe de l’article L8253-1 du Code du travail dispose que :

« Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l’article R8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux ».

A la lecture de ce texte - dont les modalités d’application sont précisées aux articles R8253-1 et suivants du code précité - il apparaît que les sanctions susceptibles d’être prononcées sont très lourdes.

Ces sanctions revêtent un caractère administratif. De cette nature découle un régime procédural particulier très sensiblement différent de celui offert par la procédure pénale.

Pour le formuler plus directement, les garanties données en la matière sont moindres que celles propres à la matière pénale.

Il n’en demeure pas moins que certains principes généraux doivent être respectés par l’administration. Tel est le cas du respect des droits de la défense, lesquels revêtent essentiellement trois aspects suivants [2] :
- l’information de l’intéressé de ce qu’une procédure est ouverte à son encontre et ce, dans un délai raisonnable ;
- la possibilité de se faire assister ;
- la communication intégrale du dossier le concernant.

Simple dans sa formulation, ce principe s’avère souvent malaisé à mettre en œuvre.

L’application concrète de l’article L8253-1 ci-dessus reproduit en donne une bonne illustration.

Dans une affaire jugée le 30 décembre 2021 [3], le Conseil d’Etat avait à se prononcer sur le cas d’un ressortissant palestinien en situation irrégulière qui, à l’occasion d’un contrôle des forces de l’ordre, avait déclaré travailler comme peintre en bâtiment pour une entreprise.

A la suite de ce contrôle, un procès-verbal avait été établi et transmis à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Ledit office avait, par la suite, instruit le dossier et mis à la charge de l’employeur la somme de 16 800 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L8253-1 du Code du travail. Un titre de recettes avait également été émis pour opérer le recouvrement de cette somme.

L’employeur avait contesté la décision de l’OFII ainsi que le titre de recettes.

Notons ici qu’il n’est pas rare qu’une entreprise emploie de bonne foi un étranger qui se révèle être, à l’examen, en situation irrégulière. Il est en effet fréquent que la personne ait présenté de faux documents ou qu’elle travaille sous couvert d’un titre appartenant à un tiers (cas de la personne employée de manière régulière mais qui, sur un chantier, par exemple, envoie un membre de sa famille travailler).

Dans un tel cas de figure, il est essentiel que l’employeur puisse avoir accès aux éléments lui permettant de faire valoir sa position. A cet égard, le procès-verbal transmis à l’OFFI constitue une pièce majeure dans la mesure où il est le seul document portant véritablement sur la matérialité des faits.

Or, sur ce point précis, la jurisprudence comportait certaines zones d’ombre et pouvait se révéler exagérément favorable à l’administration car elle présupposait que l’employeur connaisse ses droits (exigence bien souvent chimérique convenons-en).

Statuant sur l’affaire, les juges d’appel avaient estimé que : « S’agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande » [4].

La communication du procès-verbal ne s’imposait donc que si et seulement si l’employeur en faisait la demande, avant le prononcé de la sanction.

Cette exigence n’était pas sans poser de difficultés car les textes relatifs à la procédure présidant à l’application de la contribution spéciale, en l’occurrence les articles L8253-1 et suivants et l’article L8271-17 du Code du travail, ne prévoient pas la possibilité de demander le procès-verbal d’infraction.

Bien souvent, les employeurs concernés se voyaient notifier les sanctions infligées par l’OFII sans même avoir pu valablement contester leur matérialité. De même, lors du débat contentieux, ils ne pouvaient pas utilement invoquer le vice de procédure tiré de l’absence de communication du procès-verbal et, ainsi, obtenir l’annulation de la sanction.

C’est à cette difficulté que le Conseil d’Etat a récemment mis fin en revenant, au passage, sur sa jurisprudence.

1. La position initiale du Conseil d’Etat.

Un rappel s’impose : fort logiquement, le Conseil d’Etat a toujours considéré que le principe du respect des droits de la défense s’impose à l’administration (ici l’OFII), ce qui impliquait la communication des éléments de la procédure dont le procès-verbal d’infraction.

Dans un arrêt du 6 mai 2019 [5], la haute juridiction administrative s’était prononcée dans les termes qui suivent : « Si les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale mentionnée à l’article L8253-1 du Code du travail ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration en application de l’article L8271-17 du Code du travail, constatant l’infraction aux dispositions de l’article L8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, lorsque la personne visée en fait la demande, afin d’assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de la contribution, qui revêt le caractère d’une sanction administrative ».

Et de préciser que : « Le refus de communication du procès-verbal ne saurait toutefois entacher la sanction d’irrégularité que dans le cas où la demande de communication a été faite avant l’intervention de la décision qui, mettant la contribution spéciale à la charge de l’intéressé, prononce la sanction. Si la communication du procès-verbal est demandée alors que la sanction a déjà été prononcée, elle doit intervenir non au titre du respect des droits de la défense mais en raison de l’exercice d’une voie de recours. Un éventuel refus ne saurait alors être regardé comme entachant d’irrégularité la sanction antérieurement prononcée, non plus que les décisions consécutives, même ultérieures, procédant au recouvrement de cette sanction ».

Il résultait de cette jurisprudence qu’il incombait bien à l’employeur de solliciter -spontanément - la communication du procès-verbal d’infraction avant le prononcé de la sanction, sans quoi il n’était pas fondé à invoquer un vice de procédure à l’appui de sa demande d’annulation.

A cet égard, la solution retenue par la Cour administrative d’appel de Nancy précitée s’avérait conforme à la position du Conseil d’Etat.

On l’a dit, cette exigence s’avérait par trop contraignante et empêchait bien souvent, en pratique, d’une part, d’avoir accès en temps utile aux informations les plus importantes et, d’autre part, de critiquer utilement la procédure suivie. Dans les faits, la jurisprudence entérinait une situation dans laquelle la maîtrise de l’information était asymétrique, au profit de l’administration.

Une évolution de la jurisprudence s’imposait donc. Elle a été très rapide.

2. Une extension des droits de la défense.

S’il n’a jamais été contesté que le principe du respect des droits de la défense implique la communication des éléments relatifs à la procédure précédant l’infliction de la sanction, l’information de l’employeur demeurait donc dans l’angle mort.

Dans sa décision du 30 décembre 2021, le Conseil d’Etat y remédie de manière tout à fait pertinente en énonçant que :

« Si ni les articles L8253-1 et suivants du Code du travail, ni l’article L8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l’infraction aux dispositions de l’article L8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant, le respect du principe général des droits de la défense suppose, s’agissant des mesures à caractère de sanction, ainsi d’ailleurs que le précise désormais l’article L122-2 du Code des relations entre le public et l’administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016, que la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus. Par suite, en jugeant pour annuler le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg, que l’OFII n’était pas tenu d’informer M. A... de son droit de demander la communication du procès-verbal d’infraction sur la base duquel les manquements avaient été établis, la Cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit ».

Il est désormais acquis que l’OFII est dans l’obligation d’informer l’employeur de la possibilité qui lui est offerte de solliciter la communication du procès-verbal servant de fondement à la sanction. A défaut, la procédure est entachée d’irrégularité et doit entraîner l’annulation de cette même sanction.

Il s’agit là d’une avancée décisive qui, à la réflexion, procède du bon sens. En effet, disposer de droits est une chose importante ; être en mesure de les faire valoir s’avère tout aussi important.

Nul doute que les entreprises concernées sauront se saisir de cette nouvelle opportunité.

David Taron
Avocat au Barreau de Versailles

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Notes de l'article:

[1Par étrangers, nous entendons les ressortissants des pays tiers à l’Union européenne.

[2Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 23ème édition, page 342.

[3CE, 30 décembre 2021, n°437653.

[4CAA Nancy, 22 octobre 2019, n°17NC02691.

[5CE, 6 mai 2019, n°417756

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