Dégradation de la qualité des écritures en appel : une situation devenue inacceptable.

Par Benoit Henry, Avocat.

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La qualité des écritures d’appel s’est encore gravement dégradée. Une situation devenue inacceptable.
Une dérive se concrétisant la plupart du temps par le dépôt de compilations de grand volume de conclusions et dépourvues de rigueur procédurale.

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Il doit impérativement être proscrit :
- les "donner acte" (formule dépourvue de toute portée juridique) ;
- les "constater" (sauf exception telles que notamment le constat de l’acquisition d’une clause résolutoire ou le constat d’une extinction d’un état d’enclave - art. 685- l du code civil), qui sont en pratique la reprise des moyens développés dans le corps des écritures et qui alourdissent inutilement le dispositif ;
- les "rappeler" ;
- les formules types telles que "déclarer l’appel recevable" notamment si aucune fin de non recevoir relevant de la compétence de la Cour n’est soulevée, "dire l’appel bien ou mal fondé" (formule redondante avec celle tendant à solliciter l’infirmation ou la confirmation de la décision querellée) ;
- les formules antinomiques (ex : "condamner conjointement et solidairement") ;
- en cas de demande de confirmation, la reprise des dispositions du dispositif de la décision déférée ;
- les demandes de condamnation de la partie adverse à rembourser la somme acquittée à raison de l’exécution provisoire assortissant la décision déférée (l’arrêt infirmatif emportant de plein droit obligation de restitution des sommes versées) ;
- les demandes d’exécution provisoire d’un arrêt contradictoire ou réputé contradictoire ;
- les conclusions dont la discussion ne porte pas sur les moyens formulés expressément à l’appui des prétentions ou sur les motifs du jugement déféré ;
- les conclusions d’appelant prises dans le délai prévu par l’article 908 du Code de Procédure Civile contenant un dispositif qui ne concluait pas à l’infirmation totale ou partielle du jugement déféré ;
- les conclusions contenant pas moins de 11 demandes "dire et juger".

C’est au moins la 4ème fois en deux ans qu’une Cour d’appel rappelle récemment que les diverses demandes de "dire et juger" et les "constater" ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4, 5, 31 et 954 du Code de Procédure Civile, mais des moyens au soutien de véritables prétentions !

Si les parties ne respectent pas les règles de structuration des écritures, la question se pose de la sanction d’un tel comportement.

Plusieurs réponses ont été apportées.

I- Plusieurs causes peuvent expliquer cette évolution.

Cela étant posé, cela invite à essayer de comprendre les causes qui peuvent expliquer cette évolution.

1- L’affaiblissement d’un enseignement professionnel dispensé dans les écoles d’avocats à un nombre grandissant d’étudiants chaque année (environ 1.500 élèves à Paris et 1.500 élèves à Versailles entrent à l’Ecole de formation du Barreau chaque année) ;

2- L’affaiblissement d’un enseignement de formation continue dispensé à un nombre grandissant d’avocats chaque année.

Il faut repenser l’enseignement sous son angle pratique, avec des ateliers de rédaction et de structuration, il faut rappeler les principes de base de la procédure civile et la structuration des écritures, si l’on veut améliorer la qualité des décisions et l’harmonie des relations avec les magistrats.

Mais une bonne formation se doit d’être contrôlée.

Dans les écoles de formations d’avocats comme dans le cadre de la formation continue, on ne peut qu’être frappé de voir que beaucoup viennent émarger les listes de présence pour eux ou pour d’autres en début de cours pour s’éclipser ensuite ou que beaucoup viennent "valider deux heures de formation" alors qu’ils ne participent qu’à un quart d’heure ou une demi-heure de l’enseignement.
Les formations continues mériteraient d’être largement diffusées. Il est toujours frappant de constater que beaucoup d’avocats ignorent l’existence même des protocoles et les usages.
Il ne s’agit en aucun cas de mesures coercitives, mais bien uniquement incitatives dans le but de renforcer l’office du juge et le rôle d’auxiliaire de justice de l’avocat pour élaborer ensemble l’oeuvre de justice à laquelle ils aspirent.

3- L’affaiblissement d’un enseignement professionnel dispensé à l’ENM à un nombre grandissant d’auditeurs de justice chaque année comportant seulement 7 jours de cours consacrés aux principes fondamentaux du procès civil et à l’office du juge.

Les enseignements de l’ENM permettent aussi peu aux magistrats d’assimiler les règles de procédure civile d’acquérir une méthodologie dans la prise de décision et dans sa formalisation, d’identifier et de mettre en œuvre l’office du juge dans le respect des principes directeurs du procès civil et du procès équitable.

La procédure d’appel est distincte de la procédure de première instance, et plus complexe, elle exige du professionnel en charge de la mise en état une parfaite connaissance de la procédure civile et particulièrement des raisonnements logiques de la procédure d’appel en vue de rendre des décisions dont la motivation est parfaitement claire.

Actuellement, c’est l’interprétation pléthorique des textes, qui en est faite par les nombreux conseillers de la mise en état sur tout le territoire, qui est particulièrement préoccupante, et notamment en matière sociale.

Lors des périodes de préparation aux premières fonctions devant la Cour d’appel et de reconversion fonctionnelle, les magistrats devraient être mieux préparés à tous les domaines de leur futur exercice professionnel y compris en procédure civile et particulièrement en vue d’une spécialisation en procédure d’appel.

Intégrant leurs spécificités fonctionnelles dans le processus décisionnel, les séquences dédiées à chaque matière de droit devraient se décliner ainsi en lien avec les apprentissages fondamentaux de procédure civile et de procédure d’appel dans la prise de décision et de la formalisation en matière civile pour constituer le socle des pratiques procédurales de la juridiction d’appel.

Serait-il exagéré de recourir plus systématiquement à la collégialité ?

Serait-il exagéré de jouer vraiment le jeu de des plaidoiries interactives en s’astreignant à un "vrai rapport d’audience" qui ne soit pas qu’un énoncé des moyens des parties mais l’ouverture d’un débat structuré avec les avocats des parties ?

4- Les réformes dites de simplification de la procédure d’appel menées depuis 2009, dont on peut citer la suppression des avoués, la dématérialisation des procédures et l’entrée en vigueur du décret Magendie et qui se sont accélérées en 2016 et 2017 ont abouti à une procédure d’appel spécifique exigeant un véritable spécialiste du procès d’appel.

5- La pratique irrégulière de la Cour d’appel par les avocats non spécialistes qui ne maîtrisent pas les pratiques procédurales de la juridiction d’appel.

6- La spécialisation de conseil en procédure d’appel encore exclusivement réservée aux anciens avoués à la Cour et anciens collaborateurs d’avoués ayant l’examen d’aptitude à la profession d’avoué (elle ne figure pas dans la liste des mentions de spécialisation en usage de la profession d’avocat fixée par arrêté du Garde des Sceaux du 28 décembre 2011 auxquelles tous les avocats peuvent prétendre).

7- La pratique "anglo-américaine" qui consiste à "importer" en France les travers d’une procédure écrite très prolixe qui conditionnerait largement la rémunération, doublée d’une culture du risque très frileuse.

8- L’accès sous format informatique, à tous les manuels via les abonnements juridiques en ligne, qui conduisent les avocats et les magistrats à copier/coller des pages entières.

9- Le recours à la dictée numérique et au traitement de texte qui incitent les avocats et les magistrats à une verbalisation peu rigoureuse de leur pensée.

II - L’indispensable structuration des écritures en appel comme facteur de qualité des décisions.

Les juridictions sont lassées de faire le tri entre les moyens et les prétentions.

Le principe de liberté formelle des écritures d’appel a atteint ses limites et même est parvenu à son point de rupture.

Ce système génère une insécurité généralisée qui affecte tous les acteurs du procès, dans la mesure où les conclusions sont très souvent pléthoriques et dépourvues de structure.

Un tel régime conforte les mauvaises pratiques et conduit les parties à disséminer moyens et prétentions tout au long des conclusions sans les ordonner et les dispense de faire le travail de synthèse indispensable à la rédaction de véritables conclusions récapitulatives.

Ces écritures inorganisées entraînent des inconvénients majeurs au regard du principe de la concentration des moyens et en considération de la qualité des décisions.

L’absence de structuration des conclusions conduit les auxiliaires de justice et les magistrats à oublier dans les arrêts et ordonnances certains moyens, certaines prétentions ou encore certaines pièces.

Le juge d’appel qui omet ainsi de répondre à des moyens et prétentions risquent alors une cassation pour défaut de réponse à conclusions.

Cela a aussi un impact sur l’ordonnancement de notre procédure civile, le juge voyant dans l’abandon de la voie d’achèvement le moyen de ne plus avoir à se préoccuper des conclusions d’appel pour ne se concentrer que sur la critique de l’office du juge de première instance.

Il apparaît donc indispensable de structurer les écritures d’appel dans l’intérêt des parties comme des professionnels du droit.

Il est évident, que le formalisme est garant de l’efficacité des droits de la défense et de la qualité des décisions.

La nécessité d’améliorer l’efficacité des droits de la défense est impérative.
Cela étant posé, cela invite à essayer de comprendre ce qui pose véritablement problème dans la situation actuelle.

Il ressort qu’en réalité, contrairement à ce que l’on entend trop souvent, la longueur des conclusions n’est pas un problème pour les magistrats.

En revanche, c’est de la qualité de ces écritures d’appel qu’ils se plaignent souvent, de bonnes conclusions étant utiles au processus de décision.

Le principe de concentration, consacré par la Cour de cassation quant au fondement juridique de l’action, a été transposé à la rédaction des écritures, tant en ce qui concerne leur nombre que leur contenu.

Le procès civil bénéficie de tous les avantages procurés par une application stricte du principe de concentration, tant en ce qui concerne la concentration substantielle qu’en ce qui concerne la concentration procédurale.

Dès lors qu’il est devenu impossible de noyer une prétention ou l’objet d’une demande dans les motifs, les risques de défaut de réponse du juge et d’omission de contestation par la partie adverse seront totalement neutralisés.

C’est là une innovation importante qui va dans le sens de la loyauté procédurale, dont vont bénéficier l’office du juge et des parties, ainsi que le service public de la justice.

Dans ce contexte, les conclusions constituent une véritable aide à la décision pour le juge.
Elles sécuriseront incontestablement le procès d’appel puisque les parties seront assurées d’obtenir une réponse à toutes leurs prétentions réunies en un document simplifié.

En outre, le développement du recours aux nouvelles technologies justifie une structuration rigoureuse des conclusions.

A- Les droits de la défense sont renforcés.

Devant la Cour d’appel, il est indispensable que les parties déposent des écritures structurées selon des règles préétablies, respectueuses du principe de concentration et susceptibles de permettre une meilleure compréhension du litige dans toutes ses composantes.

Elles doivent donner un cadre précis au procès d’appel, afin que le juge puisse déterminer sans hésitation les prétentions des parties ainsi que les moyens de fait et de droit qui sont invoqués.

Elles doivent aussi permettre à chacune des parties d’isoler immédiatement les prétentions de ses adversaires.

Un travail structuré gagne en lisibilité et contribue à la sécurité juridique tant pour les parties que pour le juge qui n’aura pas à statuer sur une prétention difficilement discernable au sein d’un argumentaire touffu et désordonné.

Un style concis et synthétique doit toujours être privilégié afin de ne pas alourdir inutilement les conclusions.

Dans le cas d’affaires particulièrement complexes et importantes, les conclusions doivent comporter une table des matières, afin de permettre à la juridiction de se situer plus facilement dans l’ensemble de l’argumentation et du raisonnement.

B- Un office du juge et des parties sécurisé.

Afin que la structuration des écritures soit effective devant toutes les cours d’appel, il est nécessaire d’établir un cadre général unique pour la rédaction des écritures, qui permette aussi de tenir compte des différences importantes qui existent entre les divers contentieux traités par les cours d’appel.

L’article 954 du Code de procédure civile a été complété en ce sens.

Si les parties ne respectent pas les règles de structuration des écritures, la question se pose de la sanction d’un tel comportement.

Plusieurs réponses ont été apportées.

D’abord, le conseiller de la mise en état peut adresser aux parties une injonction d’avoir à mettre leurs écritures en conformité avec les règles de structuration.

Ensuite, si les parties persistent à méconnaître ces exigences, il est prévu que le juge ne sera pas tenu de répondre aux prétentions qui ne sont pas énoncées dans le dispositif appelé usuellement le « Par ces motifs » de leurs conclusions.

L’article 954 du Code de procédure civile indique expressément que les prétentions doivent être énoncées dans le « Par ces motifs » des conclusions, faute de quoi elles sont réputées avoir été abandonnées.

Benoit HENRY,
Avocat
http://www.reseau-recamier.fr/
Président du Réseau RECAMIER
Membre de GEMME-MEDIATION
https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

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