Et si en 2023, la protection de l'environnement était impulsée par les acteurs du monde judiciaire ? Par Gwenaëlle Vautrin, Avocate.

Et si en 2023, la protection de l’environnement était impulsée par les acteurs du monde judiciaire ?

Gwenaëlle Vautrin, Avocate au Barreau de Compiègne.

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Explorer : # protection de l'environnement # justice climatique # prévention juridique # acteurs judiciaires

Le 31 décembre dernier, Jacques Attali déclarait, sur les ondes d’Europe 1, que le réveil des consciences sur le dérèglement climatique n’avait jamais été aussi intense que l’année écoulée, en raison des phénomènes météorologiques exceptionnels.
Pour 2023, il exhortait les représentants de la société civile, à s’investir dans la protection de l’environnement, à la place des Etats, qu’il jugeait « lâches » sur ce sujet.
Un vœu déjà réalisé, dès le 28 novembre dernier, avec les premières « rencontres justices et droit de l’environnement » de la Cour d’Appel d’Amiens, organisées dans le but d’échanger et de travailler sur des pistes de réflexion en faveur de l’environnement.

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A l’initiative de la première présidente de la Cour d’appel d’Amiens, Catherine Farinelli et de la procureure générale, Brigitte Lamy, tous les acteurs du monde judiciaire étaient conviés à Saint Valery sur Somme, les avocats ayant été invités par la COBHAF (conférence des bâtonniers des haut de France), cette manifestation étant la dernière de la présidence d’Alain Cockenpot.

L’objectif est fixé dès le discours inaugural de la première présidente : face au constat indéniable de l’atteinte à l’environnement, il reste possible d’agir « ensemble de manière éclairée », les rencontres s’inscrivant clairement dans cette volonté, avec une séance plénière de présentation des enjeux et une table ronde, le matin, et 3 ateliers pratiques de réflexion, l’après-midi.
Et pour ces premières rencontres, une invitée exceptionnelle avait fait le déplacement : Madame la ministre Corinne Lepage.

La procureure générale a introduit l’intervention de la ministre, en rappelant la faiblesse du contentieux de l’environnement (qui représente moins de 1% du contentieux pénal), alors que les citoyens attendent de la Justice qu’elle soit plus investie sur cette problématique d’actualité, qui a d’ailleurs impulsé, au niveau politique le décret du 16 mars 2021, créant des pôles spécialisés en matière d’environnement.

Madame la Ministre Corinne Lepage a poursuivi les échanges avec un constat sans équivoque : sans possibilité de retour en arrière, « la vie d’il y a 30 ans n’existera plus » « comment allons-nous être collectivement capables de trouver la voie de la grande transformation ? ».

Elle a rappelé qu’à l’heure actuelle, « le droit joue un rôle absolument majeur » évoquant le développement sur le plan mondial de la « justice climatique » avec ses 1 000 procès en cours, initiés pour contraindre les Etats et les collectivités publiques « à faire mieux ».

Elle a beaucoup insisté sur le rôle primordial du juge et du droit dans les avancées actuelles, rappelant qu’au niveau mondial, les décisions des uns inspirent les décisions des autres pour former une « convergence des juridictions ».

Sa conclusion ? L’essentiel reste la prévention qui doit s’appuyer sur des « outils juridiques dissuasifs » mis en œuvre par un personnel compétent et techniquement formés aux nouveaux enjeux technologiques (risques biologiques, chimiques…).

Après ces discours introductifs, place à la table ronde sous l’égide de Madame Dorothée Coudevylle, substitut générale près la cour d’appel de Douai.
La première intervention de la doyenne de la faculté de droit d’Amiens, Florence Jamay, a permis de retracer l’histoire du droit de l’environnement, avec ses débuts au 19e siècle, ses développements plus contemporains dès la fin des années 60 et le rôle primordial de la jurisprudence européenne actuelle qui a condamné à plusieurs reprises l’état français sur ce sujet.

Les acteurs étatiques ont ensuite présenté leurs organismes, en pleine évolution, et leurs activités, le représentant de l’OCLAESP (office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) détaillant les missions des 400 gendarmes intervenant pour la plupart dans les brigades équestres et nautiques ; le rôle primordial des gardes champêtres, acteurs de terrain indispensables, a été souligné alors que leur nombre diminue chaque année.

Emilie Ledain, directrice de l’OFB (Office français de la biodiversité), a complété l’éventail des actions de terrain de ses inspecteurs qui ont été amenés à intervenir lors de pollutions accidentelles des cours d’eau de la région Hauts-de-France.

En présence de la présidente du tribunal administratif d’Amiens, Martine DHIVER, une jeune conseillère nous a livré un panorama de la jurisprudence de son tribunal en cohérence avec les derniers arrêts marquants du conseil d’État, dont celui rendu le 22 septembre 2022, et qui a consacré la protection de l’environnement en tant que liberté fondamentale ; une ordonnance, rendue deux jours plus tôt, ayant consacré le référé-liberté en droit de l’environnement.

La vice-procureure du tribunal judiciaire d’Amiens, Eve Bauduin, a pu nous détailler en pratique ses nouvelles missions à la tête du pôle spécialisé en matière de l’environnement : déjà 6 procédures en cours, un travail de prévention déjà engagé avec les acteurs de préservation de l’environnement (élaboration de guides dédiés, intervention dans les collèges…) et une coordination avec la MISEN (mission interservices de l’eau et de la nature) sur 3 axes majeurs : lutte contre les déchets, préservation de l’eau et préservation des espèces protégées.

La table ronde s’est terminée sur l’aspect pratique des contentieux, avec l’intervention de Patrick Thiery de l’association Picardie Nature ; la plupart des actions contentieuses de l’association a été initiée, suite à l’arrachage des haies, le volet répressif ayant conduit à ce que des actions préventives soient mises en place, auprès des agriculteurs, avec succès, grâce à l’appui de la chambre de l’agriculture.

Le volet contentieux a été conclu par l’avocat du barreau de Lille, David Deharbe qui s’est réjoui de l’existence des Masters 1 et 2 existants désormais en matière de droit de l’environnement ; selon lui, ce contentieux particulier est désormais entré dans une « ère du juge judiciaire », alors qu’historiquement, il relevait du seul juge administratif.

La séance des questions- réponses avec les 150 participants a permis au président du tribunal judiciaire d’Amiens, Dominique Lenfantin, de préciser le faible nombre de dossiers traités en matière de droit de l’environnement par sa juridiction, alors que celui-ci pourrait donner lieu à davantage de saisines, sur le fondement de l’article 835 du CPC.

Parmi les trois ateliers pratiques de l’après-midi, l’atelier Biodiversité, animée par la directrice de l’OFB, permet après un propos introductif, d’échanger avec la salle, composée en grande partie d’acteurs de terrain (gendarmes et inspecteurs de l’OFB, gardes travaillant en baie de somme…).

On y apprend que le territoire des Hauts-de-France est comme partout touché par la disparition des oiseaux (- 81% de linottes mélodieuses..) ou d’espèces vivant en eaux douces( anguilles…) ; la région est en particulier concernée par le trafic d’espèces protégées comme le serval (en raison de sa proximité géographique avec Paris et la Belgique…).

On y apprend également que l’installation des parcs éoliens, importants dans la région en raison du vent, déciment certaines espèces comme les oiseaux ou les chauves-souris, ce qui induit des autorisations d’installation sous conditions par le préfet.

À l’ère du progrès technologique, on y apprend aussi que les procès-verbaux électroniques n’ont pas intégré certains corps professionnels, qui faute de carnets de procès-verbaux, ne peuvent plus verbaliser…
A l’ère de la protection de l’environnement, on y apprend également qu’au nom de la sécurité, des élus rasent des hectares de bois au motif que les migrants peuvent s’y cacher…
L’enseignement le plus important des acteurs de terrain est certainement le suivant : la société attend énormément de l’État, alors que le citoyen engagé est le moteur essentiel de la protection de l’environnement, la brigade de Chantilly citant l’un des dispositifs testés avec succès en forêt : « cavalier vigilant, chasseur vigilant, randonneur vigilant ».

Après ces échanges, retour dans notre salle de conférence, en présence des politiques locaux (préfet de la Somme, président du conseil départemental, et maire de Saint Valéry, qui se voient restituer, par les rapporteurs des trois ateliers pratiques, les conclusions des groupes de travail, qui unanimement saluent le travail effectué par des acteurs particulièrement impliqués, en dépit d’un manque de ressources humaines et budgétaires.

Discours des politiques et clôture de cette première édition par la première présidente qu’elle résume en quelques mots-clés : « Intelligence collective, formation nécessaire, universalisme, effectif réduit… ».

Côté avocats, les mots-clés, complétés par le président Alain Cockenpot, évoquent « échanges fructueux, acteurs engagés, indispensable prévention… »
Des mots clés complémentaires et une conclusion commune : le rendez-vous est d’ores et déjà pris pour la seconde édition du colloque fin 2023.

Gwenaëlle Vautrin, Avocate au Barreau de Compiègne.

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