En matière de compétition nautique, le contrat d’assurance est en principe posé en termes généraux par la responsabilité civile. Cependant, la Fédération Française de Voile réservera à ses licenciés, pratiquants d’une activité nautique sportive, une assurance spécifique. Il ne faudra pas omettre d’illustrer l’application du régime de l’assurance en matière de Course au large. Si les contrats d’assurance apportent des garanties certaines à l’égard des pratiquants, ils sont également susceptibles de déresponsabiliser ces derniers par une banalisation du risque.
L’assurance est une garantie de protection des pratiquants, un partenaire indispensable dans la lutte contre l’insécurité au cours d’une manifestation nautique. Créée pour protéger le pratiquant des conséquences dommageables liées aux risques (Le terme de « risque » doit ici être entendu comme la conjoncture de deux facteurs à savoir le dommage causé, et l’évènement déterminé, fait générateur du dommage.
En effet, le risque garanti est l’élément fondamental du contrat d’assurance puisqu’il détermine la nature et l’étendue de la protection attendue par l’assuré) de la navigation, la principale assurance demeure la garantie de responsabilité civile du pratiquant, qui en matière de plaisance, n’est pas obligatoire. De ce fait, dans le cadre spécifique des compétitions nautiques, la Fédération Française de Voile a prévu un contrat d’assurance pour ses licenciés par lequel le régime de responsabilité pourra être mis en œuvre. Il conviendra d’illustrer une application du régime de l’assurance dans le cadre spécifique de la Course au large, par une décision jurisprudentielle récente.
Quelles sont les dispositions de l’assurance responsabilité civile et fédérale ?
Le risque est inhérent à toute manifestation nautique, qui plus est, de nature compétitive. Cette activité est source de dommages causés aux personnes et aux navires. Les pratiquants prennent alors des garanties pour développer un sentiment de protection de la navigation et, si la mise en œuvre de l’assurance intervient par essence a posteriori, après la survenue d’un dommage, le besoin d’y souscrire s’inscrit pleinement dans une optique de prévention. Il convient de préciser que l’assurance est « l’opération par laquelle une partie, l’assuré, se fait promettre moyennant une rémunération, la prime, pour lui ou pour un tiers, en cas de réalisation d’un risque, une prestation pécuniaire par une autre partie, l’assureur, qui, prenant en charge un ensemble de risques, les compense conformément aux lois de la statistique ».
L’assurance souscrite pour une manifestation nautique, à l’instar de toute activité sportive, permet de garantir la responsabilité civile du pratiquant contre les dommages causés à autrui. Cependant, une extension de garantie sera souvent nécessaire, la navigation sportive étant une activité à risque. Dans la pratique, la plupart des compétitions nautiques se déroulent sous l’égide d’une Fédération délégataire et à ce titre les pratiquants, licenciés, bénéficient de la garantie en responsabilité civile souscrite par la Fédération.
Les articles 37, 38 et 38-1 de la loi du 16 juillet 1984 modifiée, et aujourd’hui inscrits dans le Code du sport, posent le principe de l’obligation d’assurance de responsabilité civile pour les groupements sportifs. Il est précisé que ces contrats d’assurance couvrent la responsabilité civile des personnes physiques et morales, en l’occurrence, du groupement sportif, de l’organisateur, de leurs préposés et des pratiquants du sport, en cas de sinistre.
A ce propos, le fait dommageable s’entend comme celui qui constitue la cause génératrice du dommage et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations, étant entendu qu’un ensemble de faits dommageables, ayant la même cause technique, sera assimilé à un fait unique.
La garantie d’assurance est étendue aux dommages causés par le navire dont le licencié a la garde alors que celui-ci est amarré ou à terre et ce, pendant la durée de la compétition nautique organisée par la Fédération Française de Voile à laquelle le licencié participe.
Il faut souligner que pour la Fédération Française de Voile, la garantie « responsabilité civile » est obligatoire aux bénéfices de ses pratiquants, à l’inverse de l’assurance « Accidents corporels » qui reste facultative. Ainsi, l’assurance fédérale entend protéger systématiquement les tiers contre un acte d’un de ses licenciés ayant causé un dommage mais à l’inverse, elle n’entend pas couvrir automatiquement son licencié pour ses propres actes.
Autrement dit, l’assurance de la Fédération ne couvre ipso facto les dommages causés à l’assuré et au support utilisé, responsables du sinistre. A noter, qu’en matière d’assurance, le monde maritime a posé des principes spécifiques prévus par la loi du 3 janvier 1967 et la Convention de Londres de 1976. Les contrats prévoient au titre de la limitation de responsabilité, que l’obligation d’indemnisation pesant sur l’assureur sera de facto limitée à ces plafonds.
Illustration des dispositions de la garantie d’assurance applicables à la Course au large
L’obligation d’assurance appliquée au domaine spécifique des Courses au large qui confère au bénéficiaire la qualité d’assuré peut être illustrée par un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 15 décembre 2009 qui met en évidence les conséquences d’une faute intentionnelle ou inexcusable commise par le skipper au cours de la conduite d’un navire et génératrice d’un sinistre.
Dans le cas d’espèce, la société LIGHTNING, propriétaire d’un voilier assuré auprès de la Société Mutuelles du Mans assurances avait donné ce voilier en location à la Compagnie maritime de la Mer du nord dont le coureur était également le gérant. Une extension des garanties avait été convenue au contrat par deux avenants mentionnant la participation du voilier à la Course du « Vendée Globe ».
Mais au cours de la compétition, le navire s’est échoué le long des côtes portugaises après un déroutement inopportun. A la suite du sinistre, la société LIGHTNING a obtenu en référé la condamnation de son assureur, la société Mutuelles du Mans assurances, à payer à titre provisoire le coût des travaux de remise en état du navire.
Cependant, la Cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 4 juin 2008, a rejeté le bien fondé de cette condamnation. En effet, les juges de la Cour d’appel ont estimé que le skipper locataire du navire avait la qualité de capitaine d’armement et non de préposé de l’assuré. De ce fait, il ne pouvait bénéficier d’une extension de garantie de la police d’assurance corps du navire sinistré. De plus, les juges ont estimé que le skipper s’était injustement dérouté, avait méconnu les règles élémentaires de navigation et ainsi ont caractérisé une faute intentionnelle et inexcusable.
Le Chef de bord a alors formé un pourvoi en cassation. A l’appui de son pourvoi, le propriétaire-assuré soutenait au contraire qu’en refusant de faire jouer l’extension de garantie au profit du skipper, et en s’abstenant d’indiquer en quoi les agissements de ce dernier caractérisaient une faute de cette nature, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1124 du Code civil et L. 113-1 du Code des assurances.
Les juges de la Haute Juridiction ont rappelé que « le contrat auquel a adhéré la société LIGHTNING stipule que la police est ouverte pour le compte de qui il appartiendra et qu’en vertu de l’article L. 171-4 du code des assurances la clause vaut alors, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat, que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de la clause ; qu’il relève encore que l’article 11 du contrat de mise à disposition a prévu que l’utilisateur serait seul responsable, durant la période d’utilisation, de la sécurité du voilier et des personnes et des biens se trouvant à bord ».
Ensuite, s’agissant plus spécifiquement de caractériser juridiquement une faute particulière, les juges de la Cour de cassation ont énoncé, en s’appuyant sur l’appréciation souveraine des éléments de preuves des juges de la Cour d’appel que le skipper « avait suivi une route très proche des côtes qu’aucune raison météorologique ou tactique ne pouvait expliquer, qu’il n’était pas contesté que son épouse était arrivée dans un hôtel de Peniche avant que le voilier ne s’échoue, que les circonstances du sinistre permettaient de considérer qu’il avait l’intention de la retrouver et enfin qu’il avait méconnu, d’une part, les conditions de la course pour laquelle le navire était assuré, puisqu’il s’était dérouté, et, d’autre part, les règles élémentaires de navigation, puisqu’il avait mal apprécié le tirant d’eau et les risques liés à la configuration des lieux ». Au vu de ces constatations, la Haute Juridiction confirme l’existence d’une faute intentionnelle et inexcusable ayant causé l’échouage.
Si cette décision doit être approuvée en raison de l’extrême gravité du comportement fautif, elle peut être soumise à la critique. En effet, approuvant les juges dont l’arrêt était soumis à censure, la Cour a estimé qu’une faute intentionnelle était bien établie. Il est reproché au coureur d’avoir « suivi une route très proche des côtes qu’aucune raison météorologique ou tactique ne pouvait expliquer ». Or « une autorité, fut elle judiciaire, peut elle apprécier la route d’un coureur, qui, de surcroit avait du faire demi tour en raison d’une avarie ».
La pratique de la course révèle qu’en cas de mauvais départ, on ne peut souvent sauver son classement qu’au prix d’une stratégie inhabituelle. Ainsi, longer la côte portugaise pendant un Vendée Globe, dès lors que la direction à suivre n’est pas aberrante, ne peut qualifier une faute. Il est encore retenu contre le skipper la mauvaise appréciation de son tirant d’eau. Mais de nombreux coureurs « talonnent » lors d’une route côtière, ce sont les risques de la course.
Par ailleurs, selon la Haute Juridiction, la présence de l’épouse proche de la zone d’échouage « permettait de considérer qu’il avait l’intention de la retrouver ». Ces circonstances n’auraient pas dû conduire les magistrats à retenir une faute intentionnelle. Le choix de route d’un coureur appartient à son seul art. La seule limite serait un cap suffisamment irrationnel pour en déduire qu’il ne participe pas à l’épreuve. Et laisser cette appréciation à des tiers ouvre une bien mauvaise voie en matière d’assurance des coureurs, s’ils doivent justifier de leurs choix tactiques. Le risque de casse, y compris d’échouage, est aussi pris en compte dans le calcul des primes d’assurance, extrêmement élevées en matière de course. Ces risques sont inhérents au contrat « régates » et l’échouage constitue, sauf exception, l’un de ces risques.
Une déresponsabilisation des pratiquants dans la gestion des risques
Si l’obligation d’assurance s’impose dans une logique de protection des pratiquants à une compétition nautique, ses modalités d’application ne sont pas exemptes de critiques, et ses garanties comportent des effets indésirables notamment par une banalisation du risque de la navigation maritime.
Lors d’une compétition nautique, seuls les licenciés à la Fédération Française de Voile bénéficient de l’assurance fédérale, par son caractère automatique, à l’opposé de l’assurance facultative pour les autres usagers. Cette différence de traitement tendrait à considérer que les licenciés font courir plus de risques aux tiers lors de leurs activités que les autres participants.
Cette idée est difficilement concevable dans la mesure où, d’une part, tous les navigants sont soumis aux mêmes périls de la mer, et d’autre part, les licenciés sont au contraire plus souvent expérimentés en terme de formation et de pratique.
Il serait alors plus cohérent, au titre de la lutte contre l’insécurité maritime, que la Fédération Française de Voile impose à l’ensemble des participants de souscrire à une assurance obligatoire couvrant les préjudices matériels et corporels causés à l’occasion de la manifestation nautique.
Il semble opportun de s’interroger quant à savoir si le fait de s’assurer conduit à plus ou moins de prudence. En effet, un pratiquant sera tenté, sous le couvert de son assurance, d’appréhender la compétition par un comportement plus à risque, qu’il ne l’aurait fait sans cette garantie.
En repoussant ses propres limites et celles de son navire, le pratiquant s’expose alors aux dangers avec un risque certain d’accidents. Ces derniers auraient pu probablement être évités sans cette banalisation du risque. La recherche constante de la performance dans le domaine de la Course au large, et parfois les drames qui en résultent, illustre ces absences de conduite responsable où, le skipper soumis à une liberté absolue, perd la conscience du risque qui s’efface devant celle du défi.
De ce fait, afin d’éviter une situation délicate pour la sécurité de la navigation, les assureurs entendent lutter contre ce phénomène de déresponsabilisation du pratiquant en mettant en place des garanties qui limitent le champ de manœuvre des assurés.
Dans les contrats d’assurance plaisance, des exclusions de garantie sont expressément stipulées. Ces clauses sont systématiquement irrecevables en matière délictuelle.
En revanche, elles sont admises en matière contractuelle. Par exemple, une exclusion notable est le sinistre survenu alors que la personne chargée de la navigation n’est pas en possession des titres de conduite exigés par la législation ou hors des limites géographiques fixées par le contrat ou la règlementation. En d’autres termes, la garantie du pratiquant née du contrat d’assurance sera exclue dès lors que ce dernier aura navigué dans une zone pour laquelle son navire n’était pas armé.
Une autre exclusion est celle de la faute intentionnelle ou dolosive du pratiquant selon l’article L 113-1 du Code des assurances, faisant obstacle au caractère aléatoire de l’assurance. Notons que les pertes et dommages causés par la faute de l’assuré restent à la charge de l’assureur.
On pourrait ainsi imaginer qu’un régatier à l’origine d’une faute intentionnelle soit responsable des pertes et dommages qu’il aura causés, excluant toute garantie par l’assurance. On peut observer que le pratiquant fautif, ne serait-ce que du fait d’une imprudence au regard de ses compétences, reste couvert par son assurance, lui laissant alors une garantie de confort en ce qui concerne les situations dangereuses.
En effet, l’article L 121-2 du Code des assurances énonce que « L’assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l’assuré est civilement responsable en vertu de l’article 1384 du code civil, quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ». De ce fait, le pratiquant prêtera moins attention aux risques engendrés par un comportement qu’il aurait certainement banni en l’absence d’une telle garantie.
La prévention de ces situations d’insécurité pourrait être renforcée en transposant en matière de compétition nautique, le système des clauses dites de « réduction-majoration » prévues pour les assurances de dommages non maritimes. Un navigant dont le comportement se révélerait à risque, permettrait à l’assureur de moduler la prime d’assurance en fonction des antécédents de l’assuré et du nombre de sinistres dont il s’est rendu responsable. Cette extrapolation serait d’autant plus facilitée par le principe de la liberté contractuelle qui autoriserait les assureurs à préciser de telles conditions.
Quoi qu’il en soit, sans atteindre les avantages procurés par de telles clauses, les assureurs ont mis en place des dispositifs dont les incidences sur le comportement du pratiquant favorisent, d’ores et déjà, une responsabilisation de ces derniers.
Le système des franchises dégressives permet de réduire le montant de l’indemnité qui reste à la charge de l’assuré en fonction du nombre d’années consécutives sans déclaration de sinistre. Si l’instauration d’une franchise repose sur une prise de conscience économique, cette volonté de fidélisation n’est pas sans effet sur le comportement de l’assuré dans la mesure où elle peut inciter à adopter un comportement responsable et par conséquent minimiser les risques.
Mais une difficulté demeure car le propriétaire du navire, et donc celui qui supporte les coûts de la franchise, ne sera pas toujours celui qui gère sa conduite. Faute de responsabiliser le pratiquant d’activités sportives par l’enjeu que représente la sécurité maritime, un palliatif serait alors, outre le fait pour l’assureur d’inciter à la prudence par un devoir d’information et de prévention comme énoncé à l’article L 112-2 du Code des assurances, de mettre en œuvre des sanctions pécuniaires où l’assuré se verrait supporter en tout ou partie les conséquences financières de ses dommages. Mais ce principe irait à l’encontre même du principe de l’assurance.
Par conséquent, la solution la plus opportune demeure une formation des navigants renforcée et, une meilleure cohérence dans la délivrance des permis de plaisance.