Avantages catégoriels, la Cour de cassation ajoute une pierre à l’édifice.

Par Pauline Goetsch.

3983 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # Égalité de traitement # avantages catégoriels # conventions collectives

Ces dernières années, la Cour de cassation a eu maintes fois l’occasion de se prononcer sur les différences de traitement pouvant exister entre les catégories professionnelles. Les nouveaux arrêts rendus par la Cour de cassation le 8 juin 2016 (Soc. 8 juin 2016, FP-P+B+R+I, n° 15-11.324 et Cass. soc., 08-06-2016, n° 14-19.097, F-D) et apportant de nouvelles précisions en la matière constituent l’occasion de faire un point sur la question et d’observer le chemin parcouru par la Cour quant à la conciliation de ces différences de traitement avec le principe de non-discrimination.

-

Interrogée sur la conformité des avantages catégoriels au principe d’égalité de traitement entre les salariés, la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er juillet 2009 (Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-42.675), a pu considérer : « qu’en vertu du principe d’égalité de traitement, des salariés placés dans une situation comparable ne peuvent être traités différemment sans que cette différence ne repose sur une raison objective. Or, la seule différence de catégorie professionnelle ne justifie pas en soi une différence de traitement  ».

L’octroi d’un avantage catégoriel devait donc pour être licite, être fondé sur des raisons objectives, vérifiables et pertinentes.

Le juge, lorsqu’il était saisi par un salarié sur la question de la justification d’un avantage catégoriel, devait donc appliquer un raisonnement en deux temps consistant à vérifier si les salariés concernés par l’avantage et ceux qui demandaient à en bénéficier étaient placés dans une situation comparable, puis si la différence de traitement litigieuse reposait sur une raison objective.

Les avantages catégoriels étaient donc admis sous réserve de justification.

Cette position, dénoncée par les partenaires sociaux, était réitérée dans plusieurs arrêts, notamment dans deux décisions datées du 8 juin 2011 (n°10-11.933 et n° 10-13.663) dans lesquels, les demandeurs, sur la base du principe d’égalité de traitement avaient obtenus les avantages auxquels ils prétendaient, sans pour autant faire partie de la catégorie professionnelle à qui ces avantages étaient, en théorie, réservés.

  • Les arrêts du 27 janvier 2015, ou un revirement de jurisprudence

Pourtant, par trois arrêts du 27 janvier 2015 (pourvois n°13-22.179 ; n° 13-25.437 et n° 13-14.773), la Cour de cassation est revenue sur la solution qu’elle avait dégagée dans ses arrêts précédents.

En effet, en l’espèce, comme dans les arrêts précédents, il était question de savoir si l’existence, dans différentes conventions collectives, d’avantages conventionnels réservés aux cadres et dont étaient exclus les salariés non-cadres constituait ou non une atteinte au principe d’égalité de traitement.

La Cour de cassation avait alors pu, pour la première fois, préciser que :

« les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».

La Cour abandonne ainsi sa jurisprudence antérieure et établi une présomption simple de justification des différences de traitement.

Cette présomption ne joue que pour les différences de traitement issues de la négociation collective et ne s’applique donc pas aux avantages catégoriels institués par usage ou décision unilatérale de l’employeur.

  • Les arrêts du 8 juin 2016 : une réaffirmation et une extension du principe dégagé par les arrêts de 2015.

Par deux arrêts rendus le 8 juin 2016, la Cour de cassation a réaffirmé ce principe tout en ouvrant la possibilité d’appliquer un raisonnement similaire au sein même d’une catégorie professionnelle.

Dans le premier arrêt, un salarié avait saisi le Conseil de prud’hommes car il considérait que la différence de traitement relative à l’indemnité conventionnelle de licenciement opérée par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la production des papiers, cartons et celluloses du 4 décembre 1972 au profit des ingénieurs et cadres par rapport aux ouvriers, employés, dessinateurs, techniciens et agents de maîtrise était incompatible avec le respect du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination.

Le requérant faisait valoir que si des dispositions conventionnelles auxquelles l’employeur est soumis peuvent accorder des avantages à une catégorie de salariés, elles ne peuvent suffire à justifier une différence de traitement avec des salariés relevant d’une autre catégorie professionnelle mais se trouvant dans la même situation au regard de l’avantage en cause qu’à la condition que cette différence de traitement repose sur des raisons objectives, pouvant résulter de la prise en compte des spécificités de la catégorie professionnelle qui en bénéficie.

La Cour de cassation rejette cet argumentaire se référant à la même motivation que dans les arrêts de 2015 :

« Mais attendu que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle »

Dans la deuxième espèce, en vertu de deux conventions collectives du Crédit Agricole, les chefs d’agence (relevant de la catégorie des cadres) et les cadres de direction (relevant de la catégorie des cadres dirigeants) percevaient une indemnité de logement.

Considérant que cette disposition était incompatible avec le principe d’égalité de traitement, sept cent trente-deux salariés relevant de la catégorie des cadres et employés ont alors saisi le Conseil des prud’hommes de demandes au titre de la prime de résidence et de l’indemnité de logement.

Les requérants reprenaient la solution dégagée par la Cour dans ses arrêts antérieurs à 2015 et faisaient valoir le fait que la seule appartenance à une catégorie professionnelle ne saurait en elle-même être regardée comme une considération de nature professionnelle justifiant, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement, même résultant d’un accord collectif, entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives et spécifiques au regard de l’avantage en cause, dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.

Au soutien de leurs prétentions, les exposants faisaient notamment valoir que l’exclusion des salariés n’occupant pas les fonctions de directeur de groupe ou de chef d’agence du bénéfice de l’indemnité de résidence était injustifiée au regard de l’absence de différence de situation des salariés par rapport à cet avantage particulier.

Cette argumentation contrevenait à l’esprit des nouvelles règles dégagées par la jurisprudence depuis les arrêts rendus le 27 janvier 2015 et c’est donc sans surprise que la Cour de cassation, tout comme la cour d’appel de Rouen et celle de Chambéry avant elle, a rejeté cette argumentation.

En effet, la Haute juridiction a précisé que « les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».

Ce faisant, dans ces deux arrêts, la Cour vient d’une part rappeler la solution qu’elle avait dégagée dans ses arrêts du 27 janvier 2015, pérennisant ce raisonnement.

D’autre part, dans la seconde espèce, elle vient préciser qu’une différence de traitement au sein même d’une catégorie professionnelle entre des salariés exerçant des fonctions différentes est présumée justifiée dès lors qu’elle est prévue par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives.

En adoptant cette solution, la Cour de cassation valide l’existence de différences de traitement au sein même d’une catégorie professionnelle.

Elle ouvre ainsi la voie à l’introduction, dans les accords collectifs, d’avantages réservés à certaines « sous-catégories » au sein même de catégories professionnelles.

Cette position de la Cour de cassation est en accord avec l’esprit qui souffle actuellement sur la matière sociale et avec la volonté de renforcer le dialogue social ainsi que de donner aux partenaires sociaux une place privilégiée dans l’élaboration des règles régissant le droit du travail.

En effet, dans les arrêts du 27 janvier 2015 ainsi que dans les arrêts du 8 juin 2016, la Cour justifie la confiance à accorder aux différences de traitement présentes dans les conventions collectives en rappelant que les organisations syndicales sont d’une part, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et, d’autre part, qu’elles assurent la représentation des salariés qui leur confient leur voix au moment des élections professionnelles.

Cependant, afin d’empêcher toute dénaturation des textes conventionnels prévoyant un avantage catégoriel et afin de protéger les salariés de tout abus, la Cour de cassation maintient son cap et insiste également, dans les deux arrêts de 2016, sur le fait que cette présomption de justification n’est pas irréfragable et qu’elle peut être renversée dès lors que de demandeur parvient à démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Pauline GOETSCH

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

142 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs