Prolégomène
Cet article est né du constat étrange voire rageant que la plupart des acteurs économiques français ignorent à quoi sert l’Union européenne et en quoi sa production normative peut les concerner.
L’accès à la « chose européenne » paraît encore très complexe, malgré le nombre croissant de documents pédagogiques de très grande qualité publiés par les institutionnels et les efforts de communication effectués.
Il suffit de prononcer le terme « Union européenne » pour qu’une nébuleuse virtuelle se crée et que tout interlocuteur peut averti détourne son attention vers un sujet qu’il estime plus accrocheur.
Comment expliquer le gouffre existant entre le quotidien des acteurs économiques (notamment mais pas seulement les entreprises privées) et l’Union européenne ?
Voici une proposition de décryptage de ce qu’est l’Union européenne dans ses grandes lignes, à quoi elle sert et surtout comment nous, acteurs économiques, pouvons activement participer à son développement mais aussi, par ce biais, à la défense de nos intérêts.
La première partie de cet article décrit ce qu’est une politique publique européenne, de sa genèse à sa mise en œuvre.
La seconde partie de cet article consistera à détailler comment et pourquoi les acteurs économiques ont intérêt à développer un réseau européen pour participer à la mise en œuvre de ces politiques, répondant à un certain nombre d’exigences économiques qu’ils peuvent rencontrer au quotidien.
L’Union européenne offre à l’ensemble des acteurs de son territoire et de celui de pays tiers, des financements de différentes natures (libéralités, prêts, aides indirectes...) afin que ces derniers mettent en œuvre les politiques publiques communautaires, dans le cadre de projets qu’ils auront eux-mêmes élaborés.
Explorons tout d’abord le chemin juridique d’une politique publique, de la mise sur agenda à sa mise en œuvre concrète. (1)
Au titre des aides directes accordées par la Commission européenne, l’acteur économique porteur de projet va devoir constituer un partenariat transnational à forte plus-value avec d’autres acteurs économiques européens, de statut public ou privé (réseau), afin de mettre en place et coordonner ensemble l’action projetée, à savoir la mise en œuvre d’une politique publique.
Ce partenariat constitue un consortium. Il est régi par un contrat de droit privé ’’sui generis’’ dont la rédaction peut s’avérer relativement complexe mais ne doit pas effrayer les candidats au financement, une fois que les préceptes de base seront maîtrisés. (2)
1) Les politiques publiques communautaires : genèse et mise en œuvre
a)Qu’est-ce qu’une politique publique communautaire ?
Une politique publique relève de l’organisation de la société au quotidien et concerne l’ensemble des secteurs, de l’éducation à la protection sociale, en passant par l’industrie, la protection de l’environnement, l’économie budgétaire ou la politique extérieure.
Les politiques publiques sont les moyens élaborés par les institutions démocratiquement élues au sein d’un Etat pour organiser un pays.
Plus techniquement, une politique publique constitue « un enchaînement de décisions ou d’activités, intentionnellement cohérentes, prises par différents acteurs, publics et parfois privés, dont les ressources, les attaches institutionnelles et les intérêts varient, en vue de résoudre de manière ciblée un problème défini politiquement comme collectif.
Cet ensemble de décisions et d’activités donne lieu à des actes formalisés, de nature plus ou moins contraignante, visant à modifier le comportement de groupes sociaux supposés à l’origine du problème collectif à résoudre (goupes cibles), dans l’intérêt de groupes sociaux qui subissent les effets négatifs dudit problème. » (Cité par M. S. NAHRATH, Institut de Hautes Etudes en Administration publique, conférence SENTEDALPS, Lausanne 22.06.05)
Une politique publique communautaire est une politique publique dont la gestion n’est plus confiée à une Etat mais dont la gestion est déléguée totalement ou partiellement à l’Union européenne.
Concrètement, les Etats membres, par le biais des traités communautaires successifs signés entre eux, ont délégué à l’Union européenne la gestion de leurs politiques publiques :
Les politiques communes : le transfert de compétences est total, les Etats membres n’ayant plus la charge de leur gestion au niveau national. Il s’agit notamment de la PAC (politique agricole commune), la politique commerciale et surtout l’union économique et monétaire avec l’introduction de l’euro. Les politiques communes représentent le process le plus abouti de coopération économique et juridique, partant humain, de l’Union européenne ;
Les politiques communautaires : les compétences quant à la gestion de ces politiques sont partagées entre l’Union européenne et les Etats membres qui délèguent eux-mêmes à leurs collectivités territoriales. Il s’agit de la politique régionale, des politiques sociale et de la santé, de la recherche et des technologies en général, de la cohésion économique et sociale, de la protection de l’environnement et du consommateur, de la coopération au développement ou encore des politiques énergétiques ;
Les mesures d’accompagnement : un certain nombre de politiques restent de la compétence exclusive des Etats membres (aucun consensus n’étant intervenu la plupart du temps), l’Union européenne n’intervenant qu’en marge par des actions ponctuelles (politiques liées à l’industrie, la culture ou l’éducation).
b)Comment l’Union européenne met-elle en œuvre ces politiques publiques ?
Afin de mettre en place ces politiques publiques, l’Union européenne dispose d’un arsenal juridique que les institutions (Commission, Parlement et Conseil) élaborent ensemble, dans la limite de leurs prérogatives fixées par lesdits traités.
Ainsi, les institutions européennes agissent par la voie de règlements, directives, décisions, communications, propositions, livre blanc ou vert, livre rose (…), actes auxquels sont attachés des effets créateurs de droit plus ou moins coercitifs pour les Etats membres et donc pour l’ensemble des acteurs économiques. C’est ce que l’on appelle la hiérarchie des normes communautaires.
En droit français, l’équivalent de ces textes est la constitution, la loi, l’ordonnance, le décret, la circulaire administrative… actes qui obligent plus ou moins directement les citoyens et constituent notre droit.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler, compte tenu de l’importance de ces normes dans le quotidien des acteurs économiques, combien la participation de tous les citoyens aux élections européennes est essentielle, au même titre que les élections présidentielles en France pour décider des orientations à donner à un pays.
Comme pour le fonctionnement d’un Etat, voire même schématiquement d’une entreprise, l’Union européenne dispose d’un budget alimenté par des ressources diverses (recettes), afin de mettre en œuvre l’ensemble des politiques publiques (dépenses/investissement) tout en tenant compte d’un certain nombre de charges (par exemple le financement des institutions et du personnel administratif communautaire).
Le document essentiel à la compréhension de cette gigantesque et passionnante gestion est le règlement CE n°1605/2002 Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes.
L’Union européenne dispose cependant d’un système plus complexe que celui d’un Etat du fait de la multiplicité des intervenants et des formes de gestion, comme nous l’avons vu, plus ou moins directes.
C’est la Commission européenne qui est en charge de la gestion du budget et donc de la mise en œuvre des politiques communautaires, mais pas uniquement.
D’une part parce que les Etats membres n’ont pas entendu déléguer la totalité de leurs prérogatives à l’Union européenne, certains pays étant encore « eurosceptiques », d’autre part parce que la gestion de ce budget est gigantesque et nécessite des moyens colossaux dont ne disposent pas les institutions, de sorte que la gestion du budget est déléguée aux Etats membres et aux collectivités locales notamment.
Globalement, le schéma de gestion budgétaire des politiques publiques peut se résumer ainsi :
Centralisation au niveau communautaire : le Conseil et le Parlement édictent des programmes pluriannuels cadres par la voie de décisions dans lesquelles ils définissent l’ensemble des politiques publiques à mettre en œuvre. Dans ce cadre, la Commission, en charge du budget, édicte une décision pour la mise en œuvre concrète des grands axes présentés dans la décision Conseil/Parlement, puis émet des appels à proposition (sorte d’appel d’offres) proposant des subventions directes aux porteurs de projet candidats pour cofinancer leurs actions de mise en œuvre desdites politiques publiques (cf. notre article "l’Entreprise et l’Union européenne : comment allier initiative privée et politiques publiques de grande ampleur "),
Décentralisation au niveau des Etats membres : l’UE verse des aides indirectes aux porteurs de projet (souvent les collectivités territoriales) en les attribuant directement aux Etats membres qui sont en charge de les redistribuer, finançant ainsi la mise en place de politiques publiques liées à la promotion de la cohésion sociale et économique (Fonds social européen) ou à la compétitivité régionale et à l’emploi (FEDER) ; en France, c’est la DIACT (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires, sous la direction du Premier ministre) qui est chargée du suivi des fonds structurels au niveau national et qui sert d’interlocuteur entre la Commission européenne, les services de l’Etat et les collectivités locales.
Coopération extérieure à l’Union européenne : l’Union européenne a également mis en place des instruments de financement visant à assurer le soutien humanitaire, économique ou juridique de pays tiers candidats à l’entrée dans l’Union européenne ou par exemple connaissant une crise nationale de grande ampleur.
L’Union européenne finance la mise en œuvre de ses politiques publiques et dans le cadre de ces financements, invite tous les acteurs économiques à y participer activement. Les cibles ne sont pas exclusivement les entités publiques mais bien évidemment aussi les associations ou les entreprises (groupes ou PME).
A noter que du 6 au 14 mai 2009 est organisée la première semaine des PME par la Direction Générale Entreprise et Industrie de la Commission européenne en vue de promouvoir l’entreprenariat en Europe et d’informer les entrepreneurs sur les aides disponibles aux niveaux européen, national et local.
Première semaine européenne PME
c)L’exemple de la mise en œuvre de la politique liée à la santé publique
Dans le cadre des cofinancements centralisés, sujet qui nous intéressera plus particulièrement dans le cadre de ce développement, étudions un exemple.
Le site portail de l’Union européenne expose l’ensemble des financements offerts et partant une base documentaire utile au candidat audacieux qui aura le plus grand mal à se retrouver dans cette masse "éditoriale". A noter que souvent, l’anglais est la seule langue de publication des textes, francophones non rompus à l’European English s’abstenir...
Le chemin juridique du cofinancement est relativement complexe et nécessite un minimum de connaissances en droit communautaire.
Attention, l’étude de l’ensemble de ces documents est nécessaire afin de s’imprégner du contexte très particulier du droit applicable, imbriquant à la fois des notions juridiques et économiques, et de pouvoir ainsi comprendre la logique européenne.
Concrètement, le candidat intéressé devra se constituer une base de données avec l’ensemble de ces textes à étudier attentivement et auxquels il pourra se référer en permanence pour :
Vérifier qu’aucun élément n’aura été oublié (la candidature à un financement nécessite rigueur et parfaite connaissance du contexte),
Puiser dans la terminologie spécifique usitée pour la rédaction de son formulaire de candidature et des documents juridiques annexes.
Voici le chemin « éditorial » à parcourir dans le cadre de cet exemple :
Le traité fondateur
L’article 152 du traité instituant la Communauté européenne dispose que la Communauté pourra adopter des mesures en vue d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine.
Concrètement, les Etats membres ont chargé l’Union européenne de mettre en œuvre des politiques visant à protéger la santé de ses citoyens.
Le programme d’action communautaire - intervention des institutions
Sur la base de ce texte, le Parlement et le Conseil ont adopté la décision n°1350/2007/CE du 23 octobre 2007 pour établir un programme d’action communautaire dans le domaine de la santé pour la période 2008-2013, sur proposition de la Commission européenne.
L’action de la Commission européenne – mise en œuvre
La direction générale Santé et protection des Consommateur de la Commission européenne délivre alors sur ces bases des outils d’information à destination des acteurs économiques européens pour les inviter à mettre en œuvre conjointement avec l’UE ces politiques publiques.
C’est une forme de « publicité » institutionnelle pour appeler les acteurs économiques à intervenir, en fixant un cadre stratégique d’action. C’est à ce moment là que naissent chez les acteurs économiques concernés par ces problématiques, des idées d’actions à mettre en œuvre.
A noter que ces documents sont de formidables sources pédagogiques de décryptage des politiques publiques communautaires et de l’action menée au quotidien par l’Union européenne, la lecture des actes juridiques étant nettement plus ésotérique et fastidieuse.
L’enveloppe financière dédiée à la mise en œuvre de ce programme est de 321.500.000 euros pour la période courant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2013.
Le 23 février 2009, la Commission européenne a publié une décision portant sur l’adoption du plan de travail défini pour l’année 2009 dans le cadre de la mise en œuvre de la protection de la santé et des consommateurs avec un budget total alloué de 48,2 millions d’euros.
C’est l’agence exécutive pour la santé et les consommateurs, basée à Luxembourg, qui a statutairement la charge de mettre en œuvre les prescriptions de la Commission sur la base du plan de travail annuel (et oui, encore un nouvel intervenant).
L’agence exécutive a la charge d’émettre les appels à propositions (sortes d’appels d’offres) afin d’inviter les candidats à présenter leurs projets.
L’agence exécutive a émis un appel à propositions (le dernier en date) le 26 février 2009 modifié le 17 mars 2009. La tâche du courageux candidat qui n’aura pas encore abandonné se trouve compliquée par cette veille permanente qu’il faut assurer.
L’agence exécutive précise les montants alloués, dans quelle mesure les fonds seront versés (60% maximum de cofinancement), qui peut candidater…et regroupe l’ensemble des informations opérationnelles dans le guide du candidat. Ce guide est un outil méthodologique à destination des porteurs de projet pour remplir les critères de candidature.
Enfin, l’agence exécutive fournit un modèle de contrat de subvention dénommé Grant Agreement, base légale de la relation entre l’agence exécutive qui alloue les fonds et le porteur de projet dénommé communément le coordinateur. Ce contrat comprend l’ensemble des droits et obligations des parties et organise concrètement le financement.
Et c’est là que s’arrête en général la longue liste de documents à rassembler pour prendre connaissance de ce qu’est une politique publique communautaire, comment elle est mise en œuvre et comment toute entité juridique peut y participer.
Tous les documents ?
Il en manque un, obligatoire pour certains programmes comme le programme cadre recherche et développement, facultatif mais fortement recommandé pour d’autres programmes : le contrat de consortium.
A noter d’ailleurs la tendance de la Commission européenne à rendre la rédaction de ce contrat de plus en plus obligatoire.
Précisons…
Pour participer à la mise en œuvre d’une politique publique communautaire, les candidats doivent impérativement constituer un partenariat transnational à forte plus value afin, ensemble, de cofinancer l’action envisagée et de développer un réseau visant à rendre plus effective la mise en place de ladite action sur tout le territoire. Le souci évident est de créer un effet de levier économique mais également de contribuer à l’harmonisation des politiques.
Une entreprise porteur de projet aura tout intérêt, sous couvert de la mise en œuvre d’une politique publique d’intérêt général, à constituer un réseau mixte dans toute l’Europe, susceptible d’impulser sa notoriété ou sa position économique, sans parler des opportunités de lobbying et coopération économique (ce qui fera l’objet d’un développement ultérieur…)
C’est ce réseau qui constituera le consortium, spécialement réuni pour la mise en place d’un projet.
Relevant du droit contractuel privé, le contrat de consortium est cependant extrêmement complexe à rédiger car conclu entre entités publiques et/ou privées de culture juridique différente, dans un contexte communautaire qui n’a prévu aucun régime applicable, notamment en cas de conflit entre les parties.
A ce jour, les modèles standards fournis par l’Union européenne, quand ils sont fournis, sont rédigés sur un mode économique dans une terminologie propre aux politiques publiques mais ne soulignent pas les problématiques juridiques posées par de tels contrats (à l’exception du contrat modèle à disposition des candidats au programme cadre recherche et développement, extrêmement détaillé mais à forte dominante protection de la propriété intellectuelle et donc pas du tout adaptable à l’ensemble des autres programmes).
Par exemple, quelle sera la juridiction compétente en cas de conflit dans un litige entre une entreprise commerciale et un ministère étranger qui de par ses statuts ne peut être attrait par devant aucune juridiction étrangère judiciaire ou administrative, ni même se voir un droit appliqué autre que son droit national (sauf dérogation constitutionnelle !!)
La constitution d’un réseau européen et la formalisation d’un consortium (contrat de consortium) feront l’objet de la seconde partie de cet article. C’est un sujet très peu abordé par les opérationnels et porteurs de projets qui excluent hélas trop souvent la dimension juridique du cofinancement communautaire ce qui dans la mise en pratique, pour des consortia établis sur une durée de 2 ou 3 ans, peut occasionner de fortes déconvenues.
Christelle Mazza - Avocat à la Cour