Crise : licenciement économique, what else ?

Par Pierre Robillard, Avocat

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Explorer : # licenciement économique # préservation de l'emploi # reclassement # droit du travail

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Droit du travail

CRISE : LICENCIEMENT ECONOMIQUE, WHAT ELSE ?

Les alternatives à la rupture du contrat de travail

Dans l’esprit du législateur, le licenciement pour motif économique doit être l’ultime recours. La lettre du texte et ses applications jurisprudentielles l’ont traduit en termes concrets : le licenciement n’est valable que s’il est précédé de mesures tendant à préserver l’emploi.

Le projet de se séparer d’un ou plusieurs salariés provient le plus souvent d’un constat que l’on peut schématiser ainsi : la conjoncture défavorable provoque une chute du chiffre d’affaires et du résultat, le carnet de commande ne suffit plus à occuper tous les employés, la masse salariale est devenue trop lourde. Néanmoins, avant de congédier un ou plusieurs salariés, l’employeur doit impérativement suivre un cheminement intellectuel rigoureux destiné d’une part sur le plan social à faire œuvre utile en préservant l’emploi, et d’autre part sur le plan financier à alléger les coûts et, si possible, éviter les déconvenues en cas de contestation en justice.

Certains outils juridiques sont à ces trois égards incontournables.

Dans la mesure où, contrairement au licenciement pour motif personnel, l’économique n’est pas inhérent à la personne du salarié, la première démarche consiste à identifier le(s) poste(s) dont la suppression ou la modification est envisagée. Et ce n’est pas nécessairement celui qui correspond au salaire le plus élevé, puisqu’il s’agit d’une question de rentabilité donc de comparaison couts/avantages. En d’autres termes, un poste à salaire élevé peut parfaitement être rentable s’il génère plus profits que de charges. C’est dans un second temps que sera déterminé le salarié licencié, en appliquant des critères d’ordre parmi la catégorie professionnelle à laquelle appartient le(s) emploi(s) supprimé(s). Ces critères sont déterminés par la convention collective, à défaut par le Code du travail, prenant en considération, l’âge, l’ancienneté, les caractéristiques sociales et enfin les qualités professionnelles.

Licenciement, ultime recours

La seconde phase réside dans l’obligation de tenter de reclasser le salarié dont le poste est supprimé. Obligation de moyens, qui consiste pour l’employeur à faire tout son possible pour trouver un autre emploi, compatible avec les qualifications du salarié, assorti le cas échéant d’une formation adéquate. Les moyens en question sont appréciés par les Juges en fonction de la taille de l’entreprise : une PME dispose en principe de moyens moins importants qu’une multinationale. Si le reclassement doit être favorisé en interne (dans le groupe dont l’employeur relève, parmi les entreprises dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer des permutations de personnels), des pistes externes peuvent également être suivies.

Avant de prononcer la rupture du contrat, l’employeur devra également se poser des questions de réorganisation de sa structure : et si quelques changements dans la gestion des ressources humaines permettaient de sauvegarder l’emploi ? Dans ce domaine, la créativité juridique doit être au pouvoir (c’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt du métier d’avocat en droit social), dans le respect des droits de chacun.

Il ne s’agit pas seulement de trouver un poste équivalent où « recaser » le salarié menacé, mais éventuellement de lui permettre de réorienter sa carrière en suivant une formation complémentaire. La limite de cette obligation est marquée par l’acquisition d’une qualification nouvelle (exemple : poste supprimé secrétaire comptable, niveau jugé insuffisant pour être affecté au seul emploi vacant de contrôleur de gestion : Cour de Cassation, 17 mai 2006 n° 1209 F-D). Evidemment, elle ne va pas non plus jusqu’à provoquer le licenciement d’un salarié pour permettre le reclassement d’un autre.

In fine, un poste de catégorie inférieure doit être proposé, s’il existe, et si le salarié accepte une modification de son contrat de travail (impliquant généralement une baisse de salaire). Les efforts doivent alors être partagés entre protagonistes. Attention tout de même à ne pas renverser les rôles : très récemment, un licenciement a été jugé abusif car l’employeur avait demandé au salarié de formuler des propositions d’activités (Cass. soc. 2 avril 2008 n° 07-40.640).

L’aménagement de la durée du travail peut constituer un vivier de reclassement. Au-delà de la suppression des mesures appliquées lorsque la conjoncture était florissante (heures supplémentaires, intérimaires, etc.), il s’agit de rendre un poste disponible accessible au salarié. Ici aussi, bonne volonté et loyauté doivent se conjuguer de part et d’autre, impliquant souvent la collectivité des salariés, amenés à accepter des contraintes pour sauvegarder le poste de l’un d’entre eux.

Une mesure de chômage partiel, à effet certes temporaire et impliquant une baisse de rémunération générale, peut aussi s’intégrer dans cette phase. L’idée est de patienter en vue de jours meilleurs, en adaptant la masse salariale à l’activité, tout en évitant le licenciement.

Dans l’esprit qui la guide, à savoir éviter autant que possible la rupture du contrat, la procédure de licenciement pour motif économique implique une consultation régulière des représentants du personnel, s’ils existent, au sein de l’entreprise concernée. En dépit de la lourdeur apparente de la procédure, un dialogue constructif entre partenaires sociaux ne peut que constituer un atout, aussi bien en amont (consultation et proposition) pour éviter le licenciement, qu’en aval, pour défendre sa démarche en cas de litige devant le Conseil de Prud’hommes. En effet, ainsi qu’il a été précisé plus haut, l’obligation de moyens consiste à mettre en œuvre toutes ses capacités en direction de l’objectif défini. Toutes les initiatives doivent être mobilisées. Et il incombe à l’employeur de prouver qu’il a bien respecté cette obligation.

Conjuguer motif économique et profits ?

Enfin, rappelons que, contrairement à une idée reçue, le licenciement pour motif économique n’est pas incompatible avec la notion de profits. C’est d’ailleurs tout le dilemme des employeurs confrontés à un prévisionnel calamiteux après avoir gouté à des années de croissance. L’exercice 2008 a bien souvent généré des profits, même si le dernier trimestre a pu annoncer un ralentissement. 2009 commence mal, mais cela suffit-il à invoquer les « difficultés économiques » légitimant une rupture du contrat ? Il faut se souvenir que, comme tout motif de licenciement, l’économique doit être « réel et sérieux » c’est-à-dire exister et correspondre à une situation suffisamment grave pour justifier la mesure envisagée. Or, la Cour de Cassation retient constamment que des difficultés passagères ne permettent pas de s’engager sur cette voie. Est ainsi « passagère » une baisse du résultat au cours de l’année précédant le licenciement (Cass. soc. 8 décembre 2004 n° 02-46.293), de même que le motif tiré de l’incertitude de l’avenir de l’établissement.

S’il n’est pas exigé que la situation financière de l’entreprise soit catastrophique et, alors même que l’employeur demeure en principe libre de ses choix de gestion, il ne lui est juridiquement pas possible de procéder au licenciement si les difficultés financières invoquées lui étaient connues à la date de l’embauche ou si la rupture du contrat constitue une mesure personnelle déguisée.

Il y a 14 ans, la Cour de cassation avait ouvert une brèche dans l’orthodoxie juridique, permettant qu’une réorganisation puisse constituer un motif économique pourvu qu’elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité auquel appartient l’entreprise (Cass. soc. 5 avril 1995, 2 arrêts : n° 1954 PB, Thomson), indépendamment de la notion de difficultés économiques. Renforcement de cette position en 2006 (arrêts Pages Jaunes, du 11 janvier) permettant à l’employeur « d’anticiper des difficultés économiques prévisibles et mis à profit une situation financière saine pour adapter ses structures à l’évolution de son marché dans les meilleures conditions ».

Il serait toutefois périlleux de voir dans cette jurisprudence autre chose qu’une optique de prévention et, en l’espèce, les difficultés économiques à venir étaient liées à des mutations technologiques.

N’est-ce pas pourtant l’interprétation parfois hâtive qui est faite par des multinationales, sous les feux des médias, pour fermer un site, délocaliser éventuellement, supprimer de nombreux postes bien souvent ? Le motif économique ne réside alors pas dans des difficultés économiques actuelles, mais futures et probables, étant rappelé que ces difficultés s’apprécient au niveau du groupe et pas du seul établissement en cause. En d’autres termes, si l’année 2009 n’est finalement pas aussi catastrophique que prévu ( !), le cœur du licenciement pourra s’être évaporé quelques mois après avoir été prononcé …

Il est sans doute utile de préciser que la décision d’un chef d’entreprise de transférer sa production de France vers d’autres cieux en raison d’incitations financières et fiscales attractives, a été clairement condamnée par la justice (Cass. soc. 18 septembre 2007 n°06-42.401). Ce motif est en effet, en tant que tel, totalement étranger à ceux limitativement énumérés par le Code du travail.

Anticiper malgré tout

C’est au terme de ce processus exigeant que la rupture du contrat de travail, devenue inéluctable, pourra être prononcée. Les filtres à travers lesquels le raisonnement préalable le fait passer (critères d’ordre, reclassement, formation, adaptation …) sont destinés à l’éviter. Certes, la procédure de licenciement pour motif économique peut être considérée comme un symptôme de la complexité de notre droit du travail. Mais l’objectif demeure social, et même, plus largement, sociétal : dans l’idéal, la crise doit avoir été précédée d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui permet de réagir efficacement lorsque les difficultés surgissent.

En remplissant ses obligations juridiques, l’employeur doit prendre en compte son environnement, au premier rang desquels figurent les salariés, pris individuellement (celui qui occupe le poste supprimé) et collectivement (le personnel et ses représentants).

L’erreur serait de considérer le licenciement comme acquis dès que les difficultés économiques se déclarent. Diriger, c’est anticiper …

Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit social.

Maître Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit du travail, diplômé de Sciences Po Paris.

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