Les harcèlements moral et sexuel - Preuve et prévention.

Par Bérengère Vaillau, Avocat

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Explorer : # harcèlement # preuve # prévention # code du travail

Le régime de la preuve est identique en matière de harcèlement moral et de harcèlement sexuel.

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I- LA PREUVE DU HARCÈLEMENT

Le régime de la preuve est identique en matière de harcèlement moral et de harcèlement sexuel.

L’article L. 1154-1 du Code du Travail prévoit à cet égard que « lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

Force est donc de constater que la Loi répartit la charge de la preuve entre le salarié et l’employeur :

Dans un premier temps, le salarié doit établir des faits laissant présumer des agissements de harcèlement.

Concrètement, il s’agit de constituer un faisceau d’indices qui pourraient laisser présumer une situation de harcèlement.

Le salarié doit donc démontrer plusieurs actes pertinents ayant potentiellement ou non dégradé ses conditions de travail.

La preuve est libre : attestations, écrits, photos etc …

De simples allégations ne suffisent pas.

Très souvent, le salarié qui se plaint de faits de harcèlement moral, a, au soutien de ses affirmations, uniquement des certificats médicaux qui ne font que reprendre ses propos sur les origines professionnelles de l’affection par ailleurs médicalement constatées : ce ne sont cependant pas des éléments matériels, précis et concordants pouvant laisser présumer l’existence d’un harcèlement.

Dans une espèce où la salariée avait produit « un certificat médical attestant des répercussions sur sa santé du comportement de l’employeur  », la Cour d’appel, pour rejeter la demande de dommages intérêts pour harcèlement moral, a retenu « que son état de santé constaté médicalement ne permettait pas "d’établir la réalité de faits de harcèlement" de l’employeur  ».

La Cour de Cassation a jugé :

«  que la cour d’appel, en examinant l’ensemble des éléments de fait produits par la salariée et notamment ceux relatifs à son état de santé a tiré les conséquences légales de ses constatations en estimant que ces éléments n’étaient pas de nature à présumer l’existence d’un harcèlement moral  » Cass Soc 6 avril 2011 n°09-70598.

Dans un deuxième temps, il appartient au Juge de déterminer si les faits incriminés laissent présumer l’existence d’un harcèlement.

Dans un troisième temps, si la présomption de harcèlement est établie, l’employeur devra justifier objectivement que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A cet égard, notons qu’une enquête interne concluant à l’inexistence d’un harcèlement moral ne lie pas le Juge (Cassation Criminelle, 8 juin 2010, n°10-80.570)

II- MOYENS DE PRÉVENTION CONTRE LE HARCÈLEMENT

Le Code du Travail prévoit que l’employeur prend toute disposition nécessaire en vue de prévenir tant les agissements de harcèlement moral (article L. 1152-4) que les agissements de harcèlement sexuel (article L. 1153-5).

Dans cette mission, il est épaulé par le CHSCT à qui il appartient de proposer des actions de prévention (article L. 4612-3 du Code du Travail) :

« Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail contribue à la promotion de la prévention des risques professionnels dans l’établissement et suscite toute initiative qu’il estime utile dans cette perspective. Il peut proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et du harcèlement sexuel. Le refus de l’employeur est motivé ».

Les moyens de la prévention pourraient se résumer ainsi :

- former ;
- informer ;
- dialoguer.

1. Former

La prévention du harcèlement moral par la formation relève majoritairement d’initiatives individuelles.

En effet, si dans le cadre de la signature de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, a été mise en cause la formation au management proposée dans les différentes écoles ou universités, il n’en est rien ressorti puisqu’aussi bien aucune obligation de négocier sur ce point au niveau de la branche n’a été instaurée.

Il ne faut pas perdre de vue en effet :

- D’une part, que dans la majorité des cas le harcèlement est « descendant », c’est-à-dire d’un supérieur sur son subordonné ;

- D’autre part, que certaines méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique sont condamnées, lorsqu’elles se manifestent, pour un salarié déterminé, par des agissements constitutifs de harcèlement moral.

Ainsi, la pression continuelle exercée par un directeur sur l’ensemble de ses salariés, et plus particulièrement sur le plaignant, « par une absence de dialogue caractérisé par une communication par l’intermédiaire d’un tableau et ayant entraîné un état dépressif » doit être condamnée (Cassation Sociale, 10 novembre 2009, n°07-45.321).

Cette reconnaissance du harcèlement managérial est liée à l’exclusion du caractère intentionnel en tant que critère du harcèlement.

Il ne peut donc qu’être conseillé à des employeurs qui auraient mis en place des méthodes d’organisation pathogènes, d’envoyer leurs responsables et chefs d’équipe en formation managériale, et ce d’autant que depuis des arrêts du 3 février 2010, la Cour de Cassation estime que les moyens mis en place par un employeur pour faire cesser les agissements de harcèlement ne suffisent pas à écarter sa responsabilité.

En effet, dans l’un de ces arrêts (n°08-40.144), les juges du fond avaient estimé que la société, qui ne pouvait prévenir l’altercation, avait adopté, après avoir eu connaissance des faits, l’attitude d’un employeur responsable pour prévenir tout nouveau conflit entre les protagonistes, notamment en infligeant un avertissement au directeur et en le mutant, lui comme la salariée, dans d’autres services.

La Cour de Cassation censure cet arrêt après avoir retenu que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales, exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.

(Cassation Sociale, 3 février 2010, n°08-44.144 et 08-44.019)

2. Informer : le règlement intérieur

Le règlement intérieur doit être le support privilégié de l’information des salariés.

Ainsi, la loi de modernisation sociale a imposé au règlement intérieur de rappeler les dispositions relatives à l’interdiction de toute pratique de harcèlement moral ou sexuel (Article L. 1321-2 du Code du Travail) :

« Le règlement intérieur rappelle :
1° Les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés définis aux articles L. 1332-1 à L. 1332-3 ou par la convention collective applicable ;
2° Les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel prévues par le présent code.
 »

Ces dispositions concernent d’une part la prohibition des agissements de harcèlement sexuel et moral et d’autre part l’immunité disciplinaire dont bénéficie tout salarié victime ou témoin d’actes de harcèlement.

Cela n’est pas obligatoire, mais il pourrait également être utilement rappelé que dans le règlement intérieur que tout individu, auteur de harcèlement, engage non seulement sa responsabilité disciplinaire, mais également sa responsabilité pénale, voire pécuniaire.
Ajoutons que dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010, il est vivement recommandé d’annexer au règlement intérieur dans les entreprises qui y sont assujetties, une charte de référence qui « précise les procédures à suivre. Ces procédures peuvent inclure une phase informelle, durant laquelle une personne, ayant la confiance de la direction et des salariés, est disponible pour fournir conseil et assistance  ».

L’accord du 26 mars 2010 recommande encore aux entreprises de mettre en place une procédure appropriée pour identifier, comprendre et traiter les phénomènes de harcèlement et de violences au travail.

3. Dialoguer : la médiation

Dans le cas uniquement de harcèlement moral, le Code du Travail (article L. 1152-6) prévoit qu’une procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime ou par la personne mise en cause.

« Une procédure de médiation peut être mise en oeuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause.
Le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties.
Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties. Il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement.
Lorsque la conciliation échoue, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime.
 »

Les modalités de cette procédure ne sont pas définies.

Il est simplement précisé que le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties.

Tout d’abord, le médiateur doit « s’informer de l’état des relations entre les parties ».

Un temps d’écoute s’impose donc et précède l’action : le médiateur doit en effet être force de proposition et recueillir les pistes de solution communes.

Lorsque la conciliation échoue, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime.

Il est cependant à craindre le peu de succès de cette voie de médiation,

- Tout d’abord, parce que les modalités n’en sont pas définies ;

- Ensuite, parce que cette procédure peut s’avérer dangereuse pour l’employeur s’il reconnaît au cours de la procédure un ou des actes contribuant à la démonstration d’un harcèlement moral ; étant en effet observé que les échanges au cours de cette procédure ne sont pas couverts par le secret et que le médiateur établit, de surcroît, un écrit.

4. Le dialogue contraint : le droit d’alerte

Lorsqu’un cas de harcèlement survient dans l’entreprise, le Code du Travail reconnaît au délégué du personnel un droit d’alerte.

A cet égard, l’article L. 2313-2 du Code du Travail dispose en effet :

« Si un délégué du personnel constate, notamment par l’intermédiaire d’un salarié, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de toute mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement.

L’employeur procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.

En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du Conseil de Prud’hommes qui statue selon la forme des référés.

Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor.  »

N.B. : Concernant, la définition des harcèlements moral et sexuel, vous pouvez consulter l’article du même auteur : "Définir et caractériser les harcèlements sexuel et moral".

Bérengère VAILLAU, Avocat au Barreau de Dijon
Cabinet DGK Avocats Associés
www.cabinetdgk.com

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