Extrait de : Droit de l’Homme et Libertés fondamentales

Liberté d’expression des collégiens et des lycéens : étude comparée entre les États-Unis et la France.

Par Marc Lecacheux, Avocat.

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Explorer : # liberté d'expression # Éducation # droits des élèves # comparaison internationale

Le 21 janvier 2015, un lycéen âgé de 17 ans, rédacteur en chef du journal du lycée Marcelin Berthelot, à Saint-Maure des Fossés, a été l’objet de graves menaces de mort après la publication d’un numéro exceptionnel sur la tuerie de Charlie Hebdo.

Ce harcèlement a donné lieu à des manifestations de soutien de la part des professeurs et des lycéens de ce même lycée, sur les menaces physiques et verbales dont a fait l’objet le rédacteur en chef du journal lycéen La Mouette bâillonnée.

Ce fait divers nous donne l’occasion de revenir sur l’application de la liberté d’expression au sein des collèges et lycées français. Car cette affaire est pour le moins emblématique de l’application et de la protection de la liberté d’expression au sein de l’enceinte scolaire.

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Cependant depuis de nombreuses années, tous les débats sur l’éducation ont tourné autour de l’application et du respect du principe de laïcité par les élèves.
Par contre, il semble qu’un des aspects fondamentaux de cette vie scolaire ait toujours été absent de ce débat à savoir : les conditions d’exercice par des lycéens et collégiens des libertés d’opinions et d’expressions au sein de l’enceinte scolaire.
En effet, comment former de futurs citoyens, maîtres de leurs avenirs, sans les sensibiliser dès leurs minorité à l’exercice de la démocratie ?

Ainsi, il n’est pas inutile de réfléchir sur le fait qu’au-delà de l’acquisition des savoirs fondamentaux, l’exercice effectif des droits et libertés par de futurs citoyens est essentiel pour faire reculer toutes les formes d’obscurantismes politique et religieux et assurer ainsi le respect des valeurs qui fondent notre République.
A ce titre, une étude comparée entre la France et les Etats-Unis peut nous éclairer sur cette question qui devient de plus en plus sensible en France, compte tenu des crispations identitaires et religieuses actuelles.

Aux Etats-Unis : une liberté fondamentale aux yeux de la Cour Suprême.

A titre liminaire, il convient de rappeler que le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis garantit aussi la liberté d’expression et d’association aux lycéens.
En effet, dans l’un de ses arrêts de principe (1969 Tinker/Desmoines Independant community School district) la juridiction suprême américaine a affirmé tout d’abord que le 1er amendement devait s’appliquer aux lycéens mais uniquement aux établissements publics, contrairement aux établissements privés parce que ces derniers possédaient leurs propres règlements intérieurs et parce qu’ils n’étaient pas supervisés par l’Etat.

Dans cette affaire célèbre, une jeune lycéenne de quinze ans avait été exclue de l’établissement pour avoir porté un brassard noir symbolisant son refus de la politique américaine durant la guerre du Vietnam.
La préservation de cette liberté d’expression pour les opposant à la guerre a été par la suite réaffirmée par la Cour en établissant que l’expression de l’opinion politique d’un opposant devait être protégée par le 1er amendement (1971 Arrêt Cohen V Californie).
La règle étant que les élèves peuvent exprimer leurs opinions oralement ou par écrit à la condition que cette expression ne perturbe pas matériellement et substantiellement la classe ou les autres activités de l’établissement.
C’est donc l’affirmation solennelle selon laquelle, l’article 1er de la Constitution s’applique bel et bien aux jeunes américains et qu’il s’agit pour eux d’une liberté fondamentale à l’instar des adultes.

Par la suite, la Cour a eu l’occasion de préciser sa position (certains parleront de régression) en estimant que l’administration pouvait censurer des prises de paroles ou des activités artistiques s’il les considérait inappropriées ou blessantes même s’il ne s’agissait pas de propos et d’images vulgaires ou qu’elles ne perturbaient pas les activités scolaire. (1988 Hazelwood School district V Kuhlmeier).

Pour finir, il convient de rappeler qu’au-delà de ces principes dégagés par la Cour suprême, certains Etats ont développés leurs propres lois encadrant la liberté d’expression des lycées généralement appelés « high school free expression » (Colorado, Californie, Iowa, Kansas, Massachussetts).

L’Europe et la France : la liberté d’expression comme construction de la citoyenneté.

1) L’Europe protectrice des libertés.

D’emblée, il convient de rappeler que la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) a pour vocation principale de s’assurer du respect, par les Etats parties, de la liberté d’expression (Article 10) que la Cour européenne des droits de l’homme considère comme :
« L’un des fondements essentiels dans une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun » (CEDH Handyside le 4 novembre 1976).

Néanmoins ce même article pose des restrictions prévues tant à la protection de la santé qu’à la morale :
« Peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique ... à la protection de la santé ou de la morale. »

Ces limites ont d’ailleurs été réaffirmées par un arrêt de cette même Cour qui a admis qu’une peine d’emprisonnement avec sursis et d’amendes pouvait être prononcée à raison de la distribution de tracts dans un lycée présentant l’homosexualité comme une « propension à la déviance sexuelle », comme ayant un « effet moralement destructeur » sur la société et comme étant à l’origine de l’extension du sida. Les tracts alléguaient en outre que le « lobby homosexuel » cherchait à minimiser la gravité de la pédophilie.

La juridiction de Strasbourg a estimé a l’époque que, même si elles n’appelaient pas directement à la violence, ces allégations étaient graves et nuisibles (CEDH, 5e sect., 9 févr. 2012, n° 1813/07, V. et a. c/ Suède, § 56 : JurisData n° 2012-033724).
Elle estime donc comme légitime dans une société démocratique, de punir de telles insinuations homophobes qui entrent donc dans les restrictions posées par l’article 10.

Enfin, n’oublions pas que le traité de Lisbonne intègre dans le droit de l’Union européenne la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne dans le corpus normatif européen qui affirme dans son article 11 :
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.
La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »

2) Le droit français : Le droit de la vie scolaire.

En effet, en France, on assiste à une montée en puissance de la règlementation de la vie scolaire, certains parlant même de « judiciarisation » de la vie scolaire.

Le Code de l’éducation (article L 511-2) pose comme principe que les lycéens bénéficient de droits et notamment de la liberté d’information et de la liberté d’expression :
« Dans les collèges et les lycée, les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, la liberté d’information et d’expression, l’exercice de cette liberté ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement »
Et ceci conformément à l’article 13 de la Convention. Internationale des Droit de l’enfant (CIDE) du 26 janv 1990.

Pour ce qui concerne les textes règlementaire, le décret. N° 85-924, 30 août 1985, art.3-4 : Journal Officiel 31 août 1985 permet au chef d’établissement d’interdire ou de suspendre toute publications de nature injurieuse ou diffamatoire ou en cas d’atteinte grave au droit d’autrui ou à l’ordre public.
Qu’en outre deux circulaires viennent préciser l’exercice de cette liberté par les lycéens (Circulaire n°2002-026 du &er février 2002 et Circulaire 2010-129 du 24 aout 2010 « responsabilité et engagement des lycéens »).

On le voit, l’Education Nationale se préoccupe des conditions de la pleine expression journalistique, artistique des collégiens et des lycéens.

Pour ce qui concerne la jurisprudence administrative, il convient de rappeler un arrêt célèbre arrêt du Conseil d’Etat (CE, 19 mai 1933, Benjamin : Rec. CE 1933, p. 738) qui fait du juge administratif le garant du respect de la liberté d’expression.
Pour autant, dans le sujet qui est le nôtre, le bilan est plutôt décevant, tant la matière a été monopolisée, depuis 1992, par la question de l’application du principe de laïcité dans les lycées et les collèges (affaire du foulard islamique).

Il nous faut remonter à l’année 2004 pour trouver une décision de jurisprudence administrative sur notre sujet.
Dans cette affaire, le juge d’appel avait annulé la suspension par le proviseur du prestigieux lycée Henry IV de la parution du journal « Ravaillac », où les élèves étaient apparus nus sur la couverture pour sensibiliser les lycéens aux enjeux de l’éducation à la sexualité.
Les juges ont en effet considéré que les textes publiés avaient pour objet, en dépit de leur caractère parfois provocateur, de susciter la réflexion des lecteurs sur la sexualité sans heurter la sensibilité des élèves ; les photographies ne permettant pas d’identifier les élèves (CAA Paris, 7 oct. 2004, n° 04PA00430, min. Éduc. nat. c/ Desoindre).

Comme le juge européen, le juge administratif français examine si les restrictions et interdictions posées par l’administration ne sont pas disproportionnées dans l’atteinte à la liberté d’expression prévue par l’article L 511-2 du Code de l’éducation.

Maître Marc Lecacheux
Avocat à la cour
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