Lotissements : la position "anti-ALUR" de la Cour de Cassation.

Par Jérôme Nalet, Avocat.

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Explorer : # urbanisme # lotissements # loi alur

Ceux qui ont le courage d’examiner sous toutes ses coutures le vaste fourre-tout que constitue la loi dite ALUR du 24 mars 2014 découvriront l’article 159, qui forme à lui seul sa section 6, l’ensemble étant intitulé « Mobiliser les terrains issus du lotissement ».

L’objectif est clairement énoncé, bien que de façon pudique : il s’agit pour le Législateur de tenter de fragiliser les documents des lotissements, qui constituent un frein à la construction dans les grandes agglomérations.

Dans cette optique, ont été modifiés ou complétés les articles L.442-9, L.442-10 et L.442-11 du Code de l’Urbanisme.

-

Je ne m’attarderai pas ici sur les deux derniers de ces articles. Il importe simplement de savoir qu’ils ont été modifiés pour abaisser la majorité de colotis exigée pour demander à l’autorité publique compétente de modifier les documents du lotissement (article L.442-10) et renforcer la faculté, pour cette même autorité, de mettre en concordance les documents du lotissement avec le Plan Local d’Urbanisme (article L.442-11). Mais ces deux possibilités sont, à ma connaissance, assez peu utilisées et la jurisprudence en la matière reste très clairsemée.

L’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme, en revanche, fait l’objet d’un contentieux qui se développe et ne peut à mon avis qu’augmenter, à la fois car il est très maladroitement rédigé et compte tenu du manque de terrains disponibles pour construire.

En voici la version actuelle (qui diffère très peu de celle issue de la loi ALUR, tenant simplement compte d’un changement de numérotation de l’article qui concerne les terrains lotis en vue de la création de jardins) :

« Les règles d’urbanisme contenues dans les documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé, deviennent caduques au terme de dix années à compter de la délivrance de l’autorisation de lotir si, à cette date, le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu.
De même, lorsqu’une majorité de colotis a demandé le maintien de ces règles, elles cessent de s’appliquer immédiatement si le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu, dès l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
Les dispositions du présent article ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement, ni le mode de gestion des parties communes.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux terrains lotis en vue de la création de jardins mentionnés à l’article L. 115-6.
Toute disposition non réglementaire ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble, contenue dans un cahier des charges non approuvé d’un lotissement, cesse de produire ses effets dans le délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 précitée si ce cahier des charges n’a pas fait l’objet, avant l’expiration de ce délai, d’une publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier.
La publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier est décidée par les colotis conformément à la majorité définie à l’article L. 442-10 ; les modalités de la publication font l’objet d’un décret.
La publication du cahier des charges ne fait pas obstacle à l’application du même article L. 442-10. »

Rappelons-le : les parties communes et éléments communs des lotissements sont le plus souvent administrés par des Associations Syndicales Libres (ASL) ou des Associations Foncières Urbaines Libres (AFUL), dont l’organisation interne est régie par des statuts.

S’y ajoutent, en règle générale, un cahier des charges, un règlement de lotissement ou un cahier des charges approuvé. Malheureusement, les dénominations varient et ces documents coexistent parfois, ce qui contribue au flou artistique en la matière.

Ils comportent souvent des règles encore plus contraignantes que celles contenues dans le Plan Local d’Urbanisme de la commune à laquelle le lotissement appartient, d’où la volonté législative d’en altérer la portée.

Le cahier des charges est contractuel par nature, ce qui logiquement devrait le rendre inamovible. Pour tenter de passer cet écueil, le texte distingue en son sein « les clauses de nature réglementaire » des « droits et obligations régissant les rapports entre colotis ». Les premières sont réputées caduques dans les dix ans de l’arrêté de lotir. Quant aux seconds, ils sont maintenus. Mais qu’est-ce qu’une clause de nature réglementaire ? Comment demander au Juge Civil de porter une telle appréciation ? Et comment, au surplus, appréhender la notion de « disposition non réglementaire ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble », introduite par la loi ALUR ? Ce malaise évident n’est sans doute pas étranger au fait qu’aucun décret ne soit encore paru (trois ans plus tard et à deux ans de l’échéance fixée) s’agissant des modalités de publication mentionnées au dernier alinéa de l’article L.442-9… Et sa parution n’apporterait d’ailleurs pas franchement de solution au problème.

Cela pourrait paraître plus simple s’agissant du règlement de lotissement et du cahier des charges approuvé. Le règlement de lotissement est en réalité, depuis 1977, la nouvelle appellation du cahier des charges approuvé. Ce changement visait à mettre fin à la double nature (à la fois administrative et civile, réglementaire et contractuelle) du cahier des charges approuvé. La loi ALUR a en tout cas, pour ces deux documents, supprimé la possibilité pour les colotis de demander le maintien des règles qu’ils contiennent à la majorité de l’article L.422-10 (et privé d’effet les demandes de maintien opérées avant son entrée en vigueur). Ainsi, la situation devait a priori être plus claire que pour les cahiers des charges non approuvés : les règles d’urbanisme contenues dans les règlements de lotissement et les cahiers des charges approuvés devaient être frappées de caducité dans les dix ans de l’arrêté de lotir, sans qu’il soit besoin de trier, d’interpréter, etc…

Mais la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation ne l’entend pas de cette oreille et l’année 2016 nous a apporté à ce sujet quelques démonstrations éclatantes.

Dans son arrêt du 7 janvier 2016 (n°14-24.445), elle confirme ne voir aucun obstacle à ce que les membres d’un lotissement choisissent de « contractualiser » un règlement de lotissement, de façon à ce que les règles qu’il contient échappent à la sanction de la caducité passés les dix ans de l’autorisation de lotir.

La loi ALUR, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ne remet donc pas en cause cette possibilité, ouverte avant elle par la jurisprudence.

En outre, est validée la position de la Cour d’Appel qui avait estimé qu’un article du règlement de lotissement prohibant un certain type de constructions n’était pas une règle d’urbanisme « mais une disposition destinée à régir les rapports entre les colotis et les modalités de vie en commun (…) ».

Son arrêt du 21 janvier 2016 (n°15-10.566) est le seul à avoir fait l’objet de quelques commentaires, sans doute car il a été publié au bulletin.

Il confirme le caractère contractuel des clauses du cahier des charges régissant les constructions comprises dans le lotissement, ce qui en soi n’est pas étonnant.

Mais, au passage, l’opportunité de poser une question préjudicielle à la juridiction administrative (sur le fait de savoir si la clause considérée devait être qualifiée ou non de règle d’urbanisme) est écartée.
Or, il s’agissait d’un article du cahier des charges « limitant la superficie des constructions pouvant être édifiées sur chaque lot »

Cette prise de position prend d’autant plus de force que la décision de premier degré était une ordonnance du Juge des Référés ordonnant une démolition après avoir retenu l’existence d’un trouble manifestement illicite, ce qui paraissait extrêmement sévère.

L’arrêt rendu le 29 septembre 2016 (n° 15-22414 et 15-25017) me paraît tout aussi important.

La Cour d’Appel estimait qu’un règlement de lotissement (dont on comprend qu’il avait ensuite été rebaptisé cahier des charges, certaines modifications ayant à cette occasion été opérées) devait être considéré comme ayant acquis une valeur contractuelle.

Cette appréciation est validée sans équivoque par la Cour de Cassation, mais avec encore plus de fermeté que dans sa décision du 7 janvier 2016 :

« Mais attendu qu’ayant retenu souverainement que l’article 3-02 du cahier des charges du lotissement, prévoyant la création d’une construction par lot d’un ou plusieurs logements, n’était pas la reproduction de la règle d’urbanisme plus contraignante prévoyant une seule construction d’un logement par lot et exactement que cette règle du cahier des charges avait un caractère contractuel et était justifiée par la destination du lotissement et engageait les colotis entre eux, la Cour d’Appel, qui a relevé qu’une construction à usage d’habitation avait déjà été édifiée sur le lot n° 15, n’a pu qu’en déduire, sans dénaturation, que M. J… et Mme I… devaient démolir la construction édifiée (…). »

La 3ème Chambre Civile persiste et signe le 13 octobre 2016 (n° de pourvoi 15-23674), cette fois concernant un cahier des charges approuvé.

Elle affirme sans détour « que les clauses du cahier des charges d’un lotissement, quelle que soit sa date, approuvé ou non, revêtent un caractère contractuel et engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues (…). »

Une démolition lourde de conséquences est à nouveau validée : il s’agit d’une piscine, de trois murs de soutien et d’un local technique.

Mais elle marque aussi la volonté de la Cour de Cassation de s’affranchir de la lettre de l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme issu de la loi ALUR, ce quel que soit le document considéré.

En résumé, les règlements de lotissement peuvent selon elle devenir des contrats au-delà des dix ans de l’autorisation de lotir (si les colotis en ont marqué la volonté) et les cahiers des charges (qu’ils soient approuvés ou non) rester applicables dans leur globalité sans condition de délai.

A la réflexion, cette entrée en résistance n’a rien de surprenant : abstraction faite des difficultés d’interprétation presque insurmontables engendrées par l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme, la nécessité de construire davantage ne doit pas se faire au mépris d’autres impératifs (en l’occurrence, la force obligatoire du contrat et le respect du droit de propriété).

Spécialiste en Droit Immobilier
Avocat Associé au sein de la SELARL FEUGAS AVOCATS
http://www.nalet-avocat.com/
http://www.feugas-avocats.com/
https://aslinfoblog.wordpress.com/

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Discussions en cours :

  • Bonjour,

    Je viens de lire avec intérêt cet article, merci.
    J’ai construit une maison dans une ZAC. Le CAHIER DES CHARGES DE CESSION OU DE LOCATION DE TERRAINS a été approuvé par le maire en 2011, et notre acte de vente conclut en 2015.
    Dans ce cadre, il était prévu une surface de plancher maximale de 120 m², que nous avons réalisée.

    Le cahier des charges ayant moins de 10 ans, et en vue d’une extension future, je n’arrive pas à savoir si le PLU prévaut, ou si cette limitation de surface s’applique encore, et si oui, jusqu’à quand (5 ans, 10 ans...) ?

    En vous remerciant pour cet éclaircissement,
    Cordialement,

    Mickaël

    • par Jérôme NALET , Le 11 janvier 2018 à 15:22

      Cher Monsieur,

      Il me semble malheureusement que, le cahier des charges de la ZAC ayant été signé après la loi du 13/12/00, aucune caducité n’est encourue même après expiration d’un délai de 10 ans. Il continue donc à s’appliquer, en sus du PLU, jusqu’à la date de suppression de la zone (article 311-6 du code de l’urbanisme).

      Bien cordialement

      JN

  • Bonjour,

    Si j’ai bien compris votre article la position de la cours de cassation concerne les règles présentes dans les cahiers des charges de lotissement, ces règles s’appliquant aux colotis.
    Quand est-il lorsqu’un terrain du lotissement fait l’objet d’un rachat en vue d’un projet immobilier ne respectant pas les règles du cahier des charges.
    Peut-on utiliser cette jurisprudence dans ce cas contre le futur propriétaire et à quel moment : dès l’accord du permis de construire, dès l’acquisition définitive du terrain, au début des travaux ?
    Dans mon cas, je suis face à un promoteur immobilier qui a obtenu un permis de construire pour un immeuble en R+3 (conforme au PLU). Or le cahier des charges de notre lotissement limite la hauteur de construction à 6m.

    Cordialement.

    • par Jérôme NALET , Le 29 juin 2017 à 11:03

      Cher Monsieur,
      La question est trop complexe pour vous répondre sans en avoir discuté préalablement. Vous pouvez me joindre au 0130987500. Les règles du cahier des charges étant de nature civile, elles ne peuvent être invoquées dans le cadre d’un recours contre le PC. Mais contester le PC sur d’autres motifs peut être une bonne idée pour marquer dès à présent votre opposition. Et vous conserverez le droit d’agir au titre du cahier des charges, devant les juridictions civiles.
      Bien cordialement.
      JN

    • par MICHEL , Le 1er août 2017 à 12:09

      Bonjour,
      nous sommes dans la même situation, la commune veut vendre un lot à un promoteur pour faire construire un immeuble r+3, elle a déjà signé le compromis de vente mais face à la mobilisation des colotis, elle compte user de l’article L442-11 pour faire modifier les documents du lotissement et les aligner sur le PLU (2017), le lotissement est de 2012, l’usage du 442-11 sert clairement à régulariser une situation litigieuse, comment peut-on organiser une enquête publique alors que le projet est déjà bien avancé au mépris du règlement de lotissement et des actes de vente qui définissent clairement la destination prévue du lot en question ?
      Cordialement,

    • par Jérôme NALET , Le 19 septembre 2017 à 12:03

      Cher Monsieur,
      La question est complexe et nous disposons de trop peu de repères jurisprudentiels. Le mieux serait que nous en discutions de vive voix au 0130987500. Mais le dispositif de l’article L442-11 ne peut avoir qu’un objectif de mise en concordance. Ainsi, si le cahier des charges contient d’autres règles contraires au projet du promoteur mais ne contrevenant pas forcément au PLU, elles demeureraient opposables sur le plan civil.
      Bien cordialement,
      JN

  • Dernière réponse : 22 juin 2017 à 15:35
    par Alex Merle , Le 22 juin 2017 à 14:37

    Bonjour,
    Quid d’une association syndicale libre qui délibérait favorablement (majorité de modification des statuts) pour empêcher la div #ision de lots en intégrant cette clause contractuelle dans ses statuts, au titre de la mise en valeur (protection) des propriétés citée par l’ordonnance de 2004 ?
    Autre façon d’échapper au L159 de la loi ALUR ?

    • par Jérôme NALET , Le 22 juin 2017 à 15:35

      Bonjour Monsieur,
      A mon sens, l’Assemblée Générale a le droit d’interdire de diviser et, en l’état actuel de la jurisprudence, la loi ALUR n’y fait pas échec. Je reste à votre disposition pour en discuter au 0130987500.
      Bien cordialement,
      JN

  • Propriétaire dans un lotissement géré par une ASL en bordure de mer, je suis confronté au non respect du cahier des charges et du règlement du lotissement, à savoir stationnement interdit sur la voie et le trottoir, (voie d’accès ouverte) agrandissements non conformes, plusieurs logements sur le même lot, non respect des distances par rapport aux limites latérales et la voie....etc, ce depuis au moins 40 ans. 111 lots, 132 propriétaire.
    Lotissement approuvé par le préfet de Vendée le 3 novembre 1958.
    Je trouve cet article intéressant. Il est dommage qu’il faille entamer une procédure pour faire respecter un contrat.
    Je n’ai pas bien saisi si il y a un problème de caducité après 10 ans.

    • par Jérôme NALET , Le 27 mars 2017 à 09:25

      Cher Monsieur, il faut bien distinguer le règlement de lotissement (caduc) et le cahier des charges (qui continue à produire ses effets sur le plan civil et dont vous pouvez, en tant que coloti, demander à ce qu’il soit respecté. Tout dépend donc dans quel document les règles non respectées se trouvent... Je reste à votre disposition pour en discuter (0130987500 ou jerome.nalet chez feugas.eu).

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