De l'obligation aux dettes des associés en nom : quelles moyens de défense ? Par Françoise Bella, Doctorante et Juriste d'entreprise

De l’obligation aux dettes des associés en nom : quelles moyens de défense ?

Par Françoise Bella, Doctorante et Juriste d’entreprise

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Explorer : # responsabilité solidaire # société en nom collectif (snc) # moyens de défense

L’article L. 221-1 du code de commerce dipose que "Les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales.

Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, qu’après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire". il pose le principe de l’obligation aux dettes qui pèse sur les associés en nom mais en quoi consiste t-il ?

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Il est moins fréquent de recourir à la société en nom collectif (SNC) qu’à la SARL ou à la SA à cause de la responsabilité solidaire et indéfinie qui pèse sur ses associés. En effet, l’article L. 221-1 du code de commerce fait peser sur les associés en nom, une obligation au passif social plus rigoureuse que celle des associés des autres personnes morales et notamment des sociétés civiles de droit commun [1].

Cependant, au regard du récent arrêt du 20 mars 2012 [2], la Cour de cassation, tout en confirmant une position ancienne, vient fournir aux associés en nom, des moyens de défenses limitant le champ d’application de leur obligation aux dettes.

S’il est donc facile d’engager la responsabilité des associés en nom du fait de leur obligation aux dettes, ces derniers disposent désormais de moyens de défense de plus en plus étoffés par la jurisprudence.

I) Le principe d’une obligation aux dettes impliquant une responsabilité indéfinie.

L’obligation aux dettes sociales est une sorte de garantie pour les créanciers de la société en nom qui disposent non pas d’un, mais de plusieurs débiteurs auxquels ils peuvent s’adresser dès lors qu’ils sont confrontés aux impayés de la SNC. Cela implique qu’il s’agisse véritablement d’un passif social ne comprenant que les dettes de la société elle-même [3]

Les associés en nom sont non seulement solidairement et indéfiniment tenus, mais ils peuvent en plus, être poursuivis par un créancier social après qu’une simple mise en demeure, adressée à la société par actes extrajudiciaire, soit restée infructueuse sous huitaine [4] .

Nul besoin de rappeler que cette obligation peut peser, pour la totalité de la dette, sur un seul associé qui devra s’exécuter sans avoir à exiger au préalable que l’action menée à son encontre le soit aussi à l’encontre de ses coassociés.

L’associé poursuivi a certes la possibilité de demander un délai supplémentaire au président du tribunal de commerce, mais si on est face à une même créance sur la société et sur l’associé, la faculté de prorogation de délai est inexistante en raison de la nature de la dette.

La garantie du passif social peut continuer de peser sur l’associé même après transfert de la totalité de ses parts sociales. Ce qui peut surprendre dans la mesure où, en principe, un tel transfert entraîne la perte, par le cédant, de la qualité d’associé. Or, en cas de cession par un associé de SNC, de l’ensemble de ses parts, il demeure débiteur des créanciers envers qui la société s’est engagée avant la publication de son départ.

D’où la nécessité d’effectuer l’intégralité des formalités de cession de parts sociales le plus rapidement possible après la signature de l’acte. Une période de deux mois écoulée entre la date de signature de l’acte de cession et l’accomplissement des formalités implique que pendant cette période, le cédant sera tenu des engagements pris par la société alors qu’il est censé l’avoir quitté.

À cette complexité s’ajoute celle relative au fait qu’un associé en nom pourra être tenu au passif social crée avant même son arrivée dans la SNC. Ce sera notamment le cas dans la même hypothèse de cession de parts sociales. Le créancier de la société, ayant déjà la possibilité d’agir contre le cédant, peut aussi bien agir contre le cessionnaire [5]. Le cas échéant, il se retrouve avec plus de débiteurs solidaires que d’associés en nom. Ce qui renforce ses chances d’obtenir le paiement de sa créance.

Afin d’éviter au cessionnaire cette désagréable surprise, il est souvent conseillé aux parties à l’acte de cession de parts d’une SNC, d’y inclure une clause par laquelle, le cédant s’engage à prendre personnellement en charge, le passif né des engagements antérieurs à la cession. Cela évite au cessionnaire de se retrouver tenu des dettes nées avant même qu’il n’acquiert la qualité d’associé.

Le champ d’application de l’obligation aux dettes des associés en nom parait illimité et cela pourrait décourager tous ceux et celles qui souhaitent intégrer ou créer cette forme de société. Un récent arrêt vient néanmoins modifier cette donne en fournissant aux associés en nom, des moyens de défense en réponse à leur obligation aux dettes. En effet, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 20 mars 2012, est venue poser quelques limites.

II- Limitation de l’obligation aux dettes des associés en nom : le bénéfice de discussion

L’arrêt susmentionné permet de constater que certes, les associés d’une société en nom collectif (SNC) sont indéfiniment et solidairement tenus de régler les dettes de la société, mais encore faut-il que les créanciers de ladite SNC obtiennent leur condamnation.

Le cas d’espèce est relatif à une personne qui met à l’encaissement le chèque émis par une SNC. Rejeté pour insuffisance de provision, ce chèque fait l’objet d’un certificat de non-paiement, rendu ensuite exécutoire. Après avoir vainement tenté de recouvrer sa créance sur les biens de la SNC, le bénéficiaire du chèque se retourne contre les associés.

Devant les juges, les associés font valoir que la prétendue créance du porteur du chèque n’est, en réalité, pas fondée. Il s’agissait, en effet, d’un chèque de garantie remis en échange de perles qui, selon eux, ont été restituées. Les juges repoussent cet argument en relevant que le recours cambiaire exercé contre la société n’ayant pas été contesté, les observations des associés relatives à l’inexistence de la créance fondamentale ne peuvent pas être prises en compte.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui décide que les « associés d’une SNC ne sont pas les coobligés de la société et il incombe donc au porteur du chèque de rapporter la preuve de la dette sociale dont il leur réclame le paiement. Cette preuve ne pouvant résulter du seul titre exécutoire obtenu contre la société ».

Cette position de la Haute Cour n’est pas nouvelle car plusieurs de ses précédents arrêts [6] disposaient déjà que “ le titre exécutoire valant contre la société en nom collectif ne vaut pas contre les associés de celle–ci”.

L’arrêt du 20 mars 2012 ne fait donc que confirmer une jurisprudence ancienne. Mais, à travers cette dernière décision, la Cour de cassation va plus loin en exigeant que le créancier de la SNC rapporte la preuve de la dette sociale. En se positionnant ainsi, la Haute Juridiction fournit aux associés en nom, la même protection que celle attribuée aux associés de sociétés civiles de droit commun.

En effet, vis-à-vis de ces derniers, le juge de la Cour de cassation a souvent décidé que le créancier social souhaitant se retourner contre les associés, doit au préalable avoir vainement poursuivi la société civile. Cela veut dire qu’il est « absolument nécessaire qu’il ait diligenté des poursuites » [7]Signalons que dans ce cadre, le positionnement jurisprudentiel est réglementaire dans la mesure où la situation des associés de sociétés civiles résulte de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 qui pose cette exigence.

Or, par rapport aux SNC, la position des juges est quelque peu différente de celle du législateur. En effet, la loi donne la possibilité au créancier d’agir contre les associés passé le délai de 8 jours après la mise en demeure restée infructueuse et elle ne pose pas d’exigences supplémentaires.

La Cour de cassation exige que le créancier de la société rapporte la preuve de la dette sociale dont il réclame le paiement. En précisant que le seul titre exécutoire obtenu contre la société ne saurait constituer une preuve, la Haute cour pose non seulement une exigence de veines poursuites mais aussi, une obligation pour le créancier d’obtenir un titre exécutoire contre le ou les associés contre lequel ou lesquels il entend se retourner afin de réclamer le paiement de sa créance.

Au regard de cet arrêt, les associés en nom, souvent considérés comme assez exposés, du fait de leur obligation aux dettes disposent, au final, de moyens de défense efficaces. Dès lors qu’on leur présentera un titre exécutoire, ils bénéficieront de ce qu’il est convenu d’appeler le bénéfice de discussion.

Ils ne pourront s’acquitter de la dette sociale qu’après avoir vérifié que le titre qui leur est présenté par le créancier, a été dressé à leur encontre. On ne peut que se demander si le juge ne révèle pas, au travers de sa décision, sa volonté de voir changer l’article L. 221-1 du code de commerce ?

Rien n’est moins sure mais en attendant l’intervention du législateur, les associés en nom disposent de moyens de défense efficaces dans le cadre de leur obligation aux dettes et ils ne peuvent que bien accueillir le dernier arrêt du 20 mars 2012 rendu en la matière par la Cour de cassation.

Françoise Bella
Doctorante
Juriste d’entreprise

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Notes de l'article:

[1Selon l’article 1858 du code civil, les créanciers d’une société civile doivent « avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale » avant d’agir contre les associés de celle-ci.

[2Cass. Com., 20 mars 2012, n° 10-27.340.

[3Cette observation signifie que si ce passif venait à s’éteindre, les associés ne seraient plus tenus.

[4Article R.221-10 du code de commerce « Le créancier ne peut poursuivre un associé, à défaut de paiement ou de constitution de garanties par la société, que huit jours au moins après mise en demeure de celle-ci. Ce délai peut être prolongé par ordonnance du président du tribunal de commerce statuant en référé. »

[5P. Le Canu et B. Dondéro « Droit des sociétés », Précis Domat, 4ème édition, 2012 n° 1391 à 1393.

[6Cass. 2ème Civ., 18 mai 1998, BJS 1998, p. 1182, §361, note J-J Daigre ; Cass com., 3 mai 2006 Rev. Sociétés 2007, P. 88, note J. Moury.

[7Cass civ. 3ème, 08 oct. 1997 (Eskenazi c/Mme Cabrol et autres). .

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Discussion en cours :

  • par Lee , Le 7 juillet 2017 à 11:07

    Il n’y a pas beaucoup de commentaires sur ce fil mais j’espère que je trouverais une réponse...Donc pour résumer les faits :
    1- J’ai été désigné gérant d’une SNC. Suite à des défauts de paiement (sans rentrer dans les détails)
    2- Celle-ci a fait l’objet d’une liquidation judiciaire.
    3- Je reçois un courrier pour me signaler la dette issue de la SNC et une convocation pour arrangement amiable.
    4- On se met d’accord pour mettre en place un échéancier (aujourd’hui 700€/mois pour une dette de 140000 au total)
    Je précise que je n’ai eu aucun défaut de paiement depuis la mise en place de cet échéancier.

    Mes questions sont les suivantes :
    - Le créancier (une banque) a-t-elle le droit de revenir sur cet arrangement ? (effectuer d’autres saisies en plus du remboursement que j’effectue déjà (sur salaire, immobilier, etc...))
    - Est-elle en droit de saisir ma résidence principale (que j’ai acheté en indivision avec ma concubine).

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