Précisions sur les plans de sauvegarde de l’emploi.

Par Marie Cochereau, Elève Avocat.

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Explorer : # plan de sauvegarde de l'emploi # licenciement économique # contrôle administratif # consultation du comité d'entreprise

Par trois décisions du 22 juillet 2015, le Conseil d’État précise le régime d’approbation par l’administration des plans de sauvegarde de l’emploi, contentieux nouveau et encore inexploré pour le juge administratif.

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Par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, le législateur a réformé la procédure applicable au licenciement économique de plus de dix salariés dans une période de trente jours.

La loi transpose ainsi l’accord du 11 janvier 2013 signé entre les organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) et trois syndicats (CFDT, CFTC et CFE-CGC) mais refusé par FO et la CGT.

Désormais, la loi prévoit qu’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) devant être élaboré préalablement à ces licenciements fait désormais l’objet d’un contrôle administratif préalable.

Aussi est-il prévu que la procédure de licenciement collectif pour motif économique et le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi seront fixés par un accord collectif majoritaire, ou à défaut par une décision unilatérale de l’employeur. Dans les deux cas, le plan est ensuite soumis à la Direccte pour validation ou homologation.

Ce plan de sauvegarde de l’emploi contient un ensemble de mesures destinées, notamment, à limiter le nombre de licenciements et à favoriser le reclassement (articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du code du travail) :
-  Les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise ;
-  Les modalités de mise en œuvre des licenciements, qui peuvent revêtir deux formes : notification des licenciements en application de l’ordre des licenciements / recours au volontariat ;
-  La pondération et le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements mentionnés à l’article L. 1233-5 du code du travail (liste non limitative) ;
-  Le calendrier des licenciements ;
-  Le nombre de suppressions d’emploi et les catégories professionnelles concernées ;
-  Les modalités de mise en œuvre des mesures de formation, d’adaptation et de reclassement prévues aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 du code du travail.

Ensuite, dès lors qu’il est saisi d’un recours, le tribunal administratif dispose de 3 mois pour juger. À défaut, il est dessaisi au profit de la cour administrative d’appel, qui dispose elle aussi de 3 mois pour se prononcer. Si elle ne le fait pas, le Conseil d’État sera amené à statuer en premier et dernier ressort. À ce jour, les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel ont quasi systématiquement rendu leurs jugements dans le délai de 3 mois qui leur est imparti.

Par trois décisions du 22 juillet 2015, le Conseil d’État précise le régime d’approbation administrative des plans de sauvegarde de l’emploi, contentieux nouveau et encore inexploré pour le juge administratif.

En effet, le Conseil d’État n’avait jusqu’alors rendu que deux décisions. La première affaire avait été l’occasion pour la Haute juridiction, d’une part de préciser comment se détermine le tribunal administratif compétent, d’autre part de juger qu’il s’agit d’un recours en excès de pouvoir contre une décision non réglementaire (CE 24 janvier 2014 Comité d’entreprise de la société Ricoh France, req. n° 374163). Au cours de la seconde, le juge administratif avait pu exposer que le référé suspension est ouvert dans les conditions du droit commun (CE 21 février 2014 Comité d’entreprise de la société IPL Atlantique, req. n° 374409).

Dans les trois affaires, classées en A, traitées par le Conseil d’État le 22 juillet 2015, les sociétés Pages Jaunes (CE Assemblée 22 juillet 2015 Société Pages Jaunes et ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, req. n° 385668), Heinz (CE Assemblée 22 juillet 2015 Ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social c/ Comité central d’entreprise HJ Heinz France, req. n° 385816) et Calaire Chimie (CE Assemblée 22 juillet 2015 Syndicat CGT de l’union locale de Calais et environs, req. n° 383481) ont procédé à des licenciements économiques soumis au nouveau régime issu des dispositions de la loi du 14 juin 2013.

Tandis qu’au sein de la société Pages Jaunes, le plan de sauvegarde de l’emploi avait fait l’objet d’un accord collectif majoritaire validé par la Direccte, ceux des sociétés Heinz et Calaire Chimie avaient donné lieu à des PSE élaborés unilatéralement par l’employeur et homologués par l’administration.

Les questions soulevées par ces trois arrêts vont permettre de mieux cerner la procédure d’approbation des plans de sauvegarde de l’emploi instituée par la loi du 14 juin 2013 et de comprendre le rôle de l’administration et du juge administratif.

1°) La première question, soulevée dans deux des trois décisions évoquées, portait sur les personnes ayant intérêt pour agir contre une décision de validation ou d’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Dans la première affaire Société Pages Jaunes, un salarié de cette société a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’annuler la décision du 2 janvier 2014 par laquelle le Direccte d’Ile-de-France a validé l’accord collectif déterminant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi, conclu le 20 novembre 2013. La Cour administrative d’appel de Versailles, contredisant le tribunal administratif avait fait droit à sa demande.

En premier lieu, la Haute juridiction a pris le temps de rappeler que toute personne attaquant une décision approuvant un plan de sauvegarde de l’emploi doit justifier d’un intérêt à exercer ce recours. En effet, selon le juge, la circonstance que la décision de validation ou d’homologation d’un PSE soit portée à la connaissance des salariés de l’entreprise par voie d’affichage ne les dispense pas de justifier d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision qu’ils attaquent.

En l’occurrence, le Conseil d’État reconnaît un intérêt pour agir contre la décision de validation ou d’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi aux salariés affectés par la mise en place de ce plan de sauvegarde de l’emploi. En l’espèce, le requérant, à qui avait été proposée, au titre du projet de licenciement collectif en cause, une modification de son contrat de travail susceptible d’entraîner, en cas de refus de sa part, son licenciement pour motif économique, disposait d’un intérêt pour agir.

Dans la deuxième affaire Société Calaire Chimie, le syndicat CGT de l’union locale de Calais et environs a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 octobre 2013 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas de Calais a homologué le document élaboré par la société AJJIS et la société FHB, agissant en qualité d’administrateurs judiciaires de la société Calaire Chimie, fixant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Cependant, par un jugement du 26 mars 2014, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Le Conseil d’État a exposé que les syndicats présents dans une entreprise ont qualité pour agir contre une décision validant ou homologuant un plan de sauvegarde de l’emploi dans leur entreprise et leurs recours doivent être présentés dans un délai de deux mois à compter, soit de la notification de la décision lorsque celle-ci doit leur être notifiée sur le fondement des dispositions de l’article L. 1233-57-4 du code du travail, soit de l’accomplissement des modalités d’information des salariés prévues par cet article.

Sur ce point, le Conseil d’État a simplement étendu sa jurisprudence relative à l’accès au juge de l’excès de pouvoir d’une personne morale, faisant valoir un intérêt collectif (CE 21 décembre 1906 Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey - Tivoli, Lebon p. 962 ; CE Assemblée 12 décembre 2003 USPAC CGT, req. n° 239507, publié au recueil Lebon).

2°) La deuxième question étudiée par le Conseil d’État portait sur l’intensité du contrôle que doit exercer l’administration chargée de valider un accord collectif majoritaire.

Pour le Conseil d’État, lorsqu’elle est saisie d’une demande de validation d’un accord collectif fixant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’administration doit vérifier non seulement le caractère majoritaire de l’accord qui lui est soumis, en s’assurant que ce plan a été signé par des organisations syndicales qui ont recueilli au moins 50% des suffrages exprimés lors du premier tour des élections professionnelles, mais aussi la qualité des signataires pour engager leurs syndicats.

Ainsi, dans l’affaire Société Pages Jaunes, la Haute juridiction a considéré que, faute pour l’employeur ou le syndicat d’établir la désignation comme délégué syndical de l’un des signataires de l’accord, ce dernier n’avait pas qualité pour engager son syndicat. Le Conseil d’État en a déduit que cette personne n’avait pu signer l’accord au nom du syndicat et a approuvé le raisonnement de la cour administrative d’appel qui a annulé la décision administrative validant cet accord. Il en résulte que le plan de sauvegarde de l’emploi ne pouvait être mis en œuvre et que les salariés licenciés ont pu, à leur demande, être réintégrés dans l’entreprise.

3°) La troisième question évoquée par le juge touchait à l’étendue du contrôle de l’administration sur la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise.

Dans l’affaire Heinz, plusieurs requérants ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 janvier 2014 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Ile-de-France a homologué le document élaboré par la société H.J. Heinz France SAS fixant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Le Conseil d’État a rappelé que l’administration doit, sous le contrôle du juge administratif, s’assurer que le comité d’entreprise a été correctement informé du plan et de la situation économique de l’entreprise. Lorsque l’employeur restreint sa présentation de la situation économique de l’entreprise au niveau d’un secteur d’activité qu’il définit, il doit justifier ce choix. Ainsi, l’administration ne doit pas se contenter de vérifier qu’il y a eu une information, elle doit en vérifier la pertinence en s’assurant que le comité d’entreprise a bénéficié d’une information appropriée.

En l’espèce, si la société Heinz avait justifié le choix d’un secteur d’activité particulier, restreint aux filiales européennes du groupe Heinz, elle n’avait fourni au comité d’entreprise que des éléments portant presque exclusivement sur le marché français et ne présentait pas l’évolution de l’activité des autres filiales européennes du groupe. Cela a conduit le Conseil d’État à confirmer l’annulation par les premiers juges de la décision d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi en cause.

4°) La quatrième question soulevée concernait la méthode d’appréciation du caractère suffisant du contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Pour le Conseil d’État, afin de déterminer le caractère suffisant du contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’administration doit apprécier si les mesures contenues dans le plan sont conformes aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement des salariés compte tenu.

L’administration doit ainsi vérifier que les mesures prises dans le plan sont précises, concrètes et conformes aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement des salariés. Doivent alors être pris en considération les efforts de formation et d’adaptation déjà réalisés par l’employeur, les moyens dont dispose l’entreprise, ainsi que le caractère sérieux des possibilités de reclassement des salariés dans l’entreprise ou dans d’autres entreprises du groupe. Ces mesures sont d’ores-et-déjà décrites aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 du code du travail, et n’ont malheureusement pas été mieux explicitées par le juge.

En l’espèce, dans l’affaire Société Calaire Chimie, le Conseil d’État a donc jugé que le PSE relatif à la société Calaire Chimie respectait ces exigences et a rejeté le recours.

5°) La cinquième et dernière question étudiée par la Haute juridiction portait sur la teneur de l’obligation de motivation des décisions de l’administration.

Aux termes de l’article L. 1233-57-4 du code du travail : " (…) La décision prise par l’autorité administrative est motivée ".

Tout d’abord, cela signifie qu’entrent dans le champ de cette obligation de motivation toutes les décisions envisageables : validation, homologation, acceptation ou refus.

Ensuite, cette exigence légale implique que l’administration doit énoncer les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que les personnes auxquelles ces décisions sont notifiées puissent à leur seule lecture en connaître les motifs.

Cependant, dans l’affaire Heinz, le Conseil d’État a estimé que cette règle « n’implique ni que l’administration prenne explicitement parti sur le respect de chacune des règles dont il lui appartient d’assurer le contrôle en application des dispositions des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du même code, ni qu’elle retrace dans la motivation de sa décision les étapes de la procédure préalable à son édiction ».

In fine, le Conseil d’État a confirmé l’annulation des décisions d’approbation des plans de sauvegarde de l’emploi des sociétés Pages Jaunes et Heinz, ainsi que la décision de la cour administrative d’appel d’avoir rejeté le recours dirigé contre la décision d’homologation du PSE de la société Calaire Chimie.

Avocate associée
Droit de la fonction publique
www.officioavocats.com

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Discussion en cours :

  • Bonjour,

    Savez vous si un salarié concerné par un premier plan de sauvegarde de l’emploi peut bénéficier d’un second plan négocié qques mois après le premier sachant que le salarié, conformément au planning des départs n’a toujours pas quitté l’entreprise alors que le second plan est alors aussi en place et validé ? Il s’agit pour le salarié de bénéficier du second plan plus intéressant financièrement.

    Merci

    Robert.

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