I Télé doit-elle mettre en œuvre un PSE dans le cadre de la fin de collaboration de 50 journalistes sous CDDU ?

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # plan de sauvegarde de l'emploi (pse) # licenciement économique # requalification de cdd en cdi # journalistes en cddu

En juin 2016, I Télé a annoncé la fin de collaboration de 50 journalistes en employés sous contrats à durée déterminée d’usage (CDDU).
Suite à cette annonce, les salariés d’I Télé ont fait grève pendant 4 jours du 27 au 30 juin 2016.

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I Télé est-elle tenue de mettre en œuvre un PSE du fait de la non-reconduction des CDDU des 50 journalistes ? A notre connaissance, cette question n’a jamais été traitée en jurisprudence.

1) Quand un employeur doit mettre en œuvre un PSE ?

Aux termes de l’article L. 1233-61 du Code du travail, lorsqu’un employeur envisage un « projet de licenciement » d’au moins 10 salariés dans une même période de trente jours il doit mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.

L’article L1233-3 définit le licenciement économique de la manière suivante : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »

C’est donc dans ce cadre que peut se poser la question de l’obligation pour l’employeur de mettre en œuvre un PSE lors qu’il met un terme à la collaboration de plus de 10 salariés employés dans le cadre de CDD d’usage successifs.

Pour les salariés, l’intérêt de bénéficier d’un PSE est de bénéficier, conformément aux articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du Code du travail, d’un plan visant au reclassement des salariés (reclassement au sein du groupe, action de formation, aide à la mobilité géographique, aide à la création d’entreprise, etc.).

2) I Télé doit-elle mettre en œuvre un PSE pour la fin de collaboration de 50 journalistes en CDDU ?

A cet égard, en cas de requalification de CDD en CDI, la Cour de cassation impose le respect de l’ensemble de règles afférentes à la rupture d’un CDI et en tire toute les conséquences indemnitaires pour le salarié.

En effet, et selon une jurisprudence bien établie, lorsque des CDD sont requalifiés en CDI, l’employeur est tenu de respecter les règles relatives à la procédure de licenciement, à défaut la rupture est considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l’employeur ne peut invoquer le terme du dernier CDD comme motif légitime de rupture (Cass. soc., 13 nov. 1986, no 84-44744).

A l’inverse, en cas de requalification de CDD en CDI, en l’absence de démission claire et non équivoque du salarié la rupture des relations contractuelles s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass, soc, 19 janvier 2012, n°10-13.416).

Aussi, et dès lors qu’il est avéré que les emplois pourvus en CDD successifs sont en réalité des emplois permanents qui auraient dû être pourvus en CDI, il semble naturel de pouvoir exiger de l’employeur qu’il soit astreint à l’obligation de mettre en œuvre un PSE à l’égard des salariés dont il rompt la collaboration.

Encore faut-il néanmoins que les ruptures reposent sur des raisons économiques répondant aux exigences de l’article L1233-3 du Code du travail précité, et qu’il en résulte bien des suppressions, transformations ou modifications d’emplois permanents de l’entreprise.

Le recours au CDDU est illicite, selon nous, pour l’emploi de journalistes.

En effet, l’article 17 de la convention collective des journalistes n’autorise le recours au contrat à durée déterminée que pour une «  mission temporaire dont la nature et la durée doivent être défini lors de l’embauche ».

Récemment, le 13 avril 2016 (RG : 14/12654), la cour d’appel de Paris a requalifié les CDD d’usage (63 CDD en 4 ans) d’une journaliste de France Télévisions au motif qu’elle a eu recours à une succession de CDD pour pourvoir durablement un emploi relevant de l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La convention des journalistes n’autorise par un employeur d’engager des journalistes sous CDD d’usage ; a contrario, à titre d’exemple, dans le secteur de la production audiovisuelle, la convention collective de ce secteur, autorise le recours au CDD d’usage pour certains métiers de techniciens, salariés, intermittents du spectacle.

D’ailleurs, suite à la demande de l’inspection du travail, I Télé s’est engagée, le 29 juin 2016, à intégrer en CDI, 11 journalistes (sur 52) qui étaient employés jusqu’alors en CDDU.

3) Un raisonnement par analogie avec la jurisprudence sur les ruptures conventionnelles conclues dans un contexte de réduction d’effectifs ?

Il est également possible dans ce contexte d’opérer un rapprochement avec le régime applicable à la rupture conventionnelle, dans un contexte de réduction d’effectifs.

En effet, l’article L.1237-11 du Code du travail exclut les ruptures conventionnelles des dispositions sur le licenciement économique.

Néanmoins, la Cour de cassation exige la prise en compte des ruptures conventionnelles pour l’appréciation de la procédure à suivre et des obligations de l’employeur en matière de PSE, lorsqu’elles constituent une modalité d’un processus de réduction des effectifs pour une cause économique (Cass, soc, 9 mars 2011, n°10-11.581).

Dans la même logique, il est ainsi envisageable, dès lors que le terme mis à la collaboration de 50 journalistes, salariés employés en CDDU successif s’inscrit manifestement dans une opération de réduction des effectifs guidée par un souci d’économie, de réclamer la mise en place d’un PSE.

4) Sanctions

En cas d’absence de PSE, les licenciements sont nuls (article L. 1235-10 et 11 et L. 1235-16 du Code du travail).

Les salariés auront droit à être réintégrés dans l’entreprise ou s’ils ne le demande pas ou si la réintégration est impossible, ils auront droit à une indemnité égale au minimum aux salaires des 12 derniers mois.

La non mise en œuvre d’un PSE (dans le cas où celui ci est obligatoire) pourrait, selon nous, aussi être considérée comme une entrave au droit des institutions représentatives du personnel.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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