I. Evolution de la jurisprudence
Pour mémoire, la Cour d’Appel de Versailles avait accepté la capitalisation des intérêts en précisant, dans un arrêt de rendu le 11 janvier 2002 , qu’ « Aucune disposition du Code de la consommation ne s’oppose à la capitalisation des intérêts conformément aux prévisions générales et d’ordre public de l’article 1154 du Code civil, ni l’article L. 311-32 (NDLR : dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 et dont les dispositions ont été reprises aujourd’hui à l’article L 311-23) du Code de la consommation qui ne vise que les " indemnités ou les coûts " limitativement énumérés par les articles L. 311-29 à L. 311-31 (NDLR : dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 et dont les dispositions ont été reprises aujourd’hui et complétées, aux articles L 311-22 à L 311-25) du Code précité, et non pas les intérêts " stricto sensu " et leur capitalisation, ni l’article L. 311-30 (NDLR : dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 dont les dispositions ont été reprises aujourd’hui à l’article L 311-24) du même Code qui, en prévoyant expressément le paiement par l’emprunteur défaillant des intérêts échus demeurés impayés, réserve nécessairement au prêteur le droit d’en réclamer la capitalisation ».
Elle n’a toutefois pas été suivie par ses homologues de COLMAR, DOUAI, POITIERS, BORDEAUX et AIX-EN-PROVENCE .
La Première Chambre civile de la Cour de Cassation a, quant à elle, rendu un arrêt le 14 octobre 2010 (à l’encontre d’une décision de la Cour d’appel de Poitiers en date du 22 janvier 2008), arrêt de cassation qui avait laissé penser que l’anatocisme était envisageable mais sous la condition de respecter les formes exigées par la loi, en soulignant, sans plus d’explications, que :
« […] en condamnant M. X... aux intérêts conventionnels capitalisés calculés sur la somme de 3 041,34 euros, qui comprenait non seulement le capital restant dû et les échéances impayées incluant les intérêts, mais également les intérêts moratoires calculés sur ces sommes, sans relever l’existence ni d’une convention ni d’une demande aux fins de capitalisation des intérêts moratoires, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; […] ».
La même Première Chambre civile de la Cour de cassation vient de préciser sa position en rappelant clairement, dans un arrêt rendu le 9 février 2012 , en matière de prêt à la consommation, qu’aucune indemnité ou coût autres que ceux mentionnés aux articles L. 311-29 à L. 311-31 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou défaillance prévus par ces articles.
La Haute Cour précise que les juges du fond ne peuvent donc, pour ordonner la capitalisation des intérêts, retenir que les dispositions de l’article 1154 du code civil ne sont pas exclues par le code de la consommation.
Sur la forme, il convient de souligner que cet arrêt du 9 février 2012 est un arrêt de cassation sans renvoi, publié sur internet, au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation et au Bulletin bimensuel de la Cour de cassation (abréviations « P + B + I »).
II. Portée de l’arrêt du 9 février 2012
2.1. Une décision rendue en matière de prêt à la consommation mais transposable au prêt immobilier
La jurisprudence rendue en matière de prêt immobilier sur cette question précise de l’anatocisme en cas de remboursement par anticipation ou de défaillance de l’emprunteur n’a pas, sauf erreur, dépassé le stade des juridictions de premier degré.
Seul un jugement du Tribunal d’instance de Melle, en date du 15 février 2000 , faisant une stricte application des articles L 312-22 et L 312-23 du Code de la consommation a jugé que la capitalisation d’intérêts prévue dans le contrat constitue un coût non prévu dans l’article L 312-22 du Code de la consommation (et est donc prohibée).
Bien que la décision de cassation précitée ait été rendue en matière de prêt à la consommation, sa motivation, en droit, est parfaitement transposable au prêt immobilier, compte tenu de la réglementation SCRIVENER II qui prévoit, pour mémoire, les mêmes dispositions en ce qui concerne les indemnités et coût qui peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance.
2.2. Une décision prohibant tant la demande judiciaire de capitalisation des intérêts que les dispositions conventionnelles
L’arrêt du 9 février 2012 a cassé et annulé l’arrêt rendu le 17 juin 2010 par la cour d’appel de Paris en ce qu’il ordonnait la capitalisation des intérêts demandée par la société BNP Paribas dans les conditions de l’article 1154 du Code civil.
La Cour de cassation précise, préalablement, que « […] que pour ordonner en outre la capitalisation des intérêts demandée par la banque, l’arrêt retient que les dispositions de l’article 1154 du code civil ne sont pas exclues par le code de la consommation ;
Qu’en statuant ainsi la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d’application, le second par fausse application […] ».
Il résulte donc de ces précisions préalables qu’outre la demande judiciaire de capitalisation des intérêts exclue, les éventuelles dispositions contractuelles expresses qui prévoiraient cette capitalisation des intérêts sont également, a fortiori, prohibées.
2.3. Une décision limitée aux cas précisément visés par la loi
Il importe de bien circonscrire la portée de l’arrêt rendu à son strict périmètre, c’est-à-dire uniquement aux cas des intérêts que pourraient générer un remboursement par anticipation ou une défaillance de l’emprunteur.
En ce qui concerne plus particulièrement le remboursement par anticipation, les intérêts prohibés (et dont la capitalisation est évidemment, ipso facto, également prohibée) sont ceux que pourrait générer un remboursement par anticipation ou une indemnité de remboursement par anticipation dont le règlement effectué entre les mains du prêteur reviendrait impayé.
Cette première hypothèse constitue une hypothèse d’école puisque :
si le règlement du remboursement par anticipation revient impayé, les prêteurs ne persévèrent (évidemment) pas dans le sens d’un aboutissement de l’opération de remboursement par anticipation en décomptant des intérêts de retard (au demeurant donc prohibés) et en attendant la bonne fin du paiement, ils « restaurent » le prêt et ses mensualités d’avant le remboursement par anticipation enclenché mais non abouti,
le règlement de l’indemnité de remboursement par anticipation n’est jamais isolé du remboursement par anticipation principal, de telle sorte que la sous-hypothèse d’un défaut de règlement de la seule indemnité de remboursement par anticipation ne semble pas pouvoir survenir (et ramènerait de tout façon à l’hypothèse principale ci-dessus).
Enfin, l’autre hypothèse, également d’école, dans le cadre de laquelle des intérêts de retard auraient pu être décomptés, est celle d’un règlement d’un remboursement par anticipation annoncé à telle date et/ou pour tel montant et que ne respecterait pas l’emprunteur.
Cette promesse de faire (à supposer qu’elle soit prouvée et soit effectivement qualifiée de « promesse de faire » par le juge) aurait alors pu générer - en l’absence de dispositions particulières interdisant les intérêts et donc la capitalisation desdits intérêts, tel l’article L 3122-23 du Code de la Consommation - des intérêts de retard .
Là encore, les prêteurs ne persévèrent (évidemment) pas dans le sens d’un aboutissement de l’opération de remboursement par anticipation annoncé. S’ils ne reçoivent pas les fonds, le prêt demeure dans toutes ses caractéristiques d’avant le remboursement par anticipation annoncé.
Voir également : « Défaillance ou remboursement anticipé d’un crédit à la consommation : absence de capitalisation des intérêts », T. de Ravel d’Esclapon, in Dalloz Actualités, 29 février 2012. (http://www.dalloz-actualite.fr/actualites/affaires/banque-credit).