Quand l’évaluation flirte avec la discrimination (II).

Par Nadine Regnier Rouet, Avocat

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Explorer : # discrimination syndicale # Évaluation professionnelle # licenciement abusif # droits des salariés

Retour sur quelques pratiques d’évaluation des salariés sanctionnées…

Toutes concernent des salariés investis de mandats de représentation du personnel ou de mandats syndicaux. Dans un premier article récent, paru sur le site du Village de la Justice , nous avons examiné un premier principe juridique : "L’absence d’entretien d’évaluation fait présumer une discrimination dès lors que les autres salariés de la même catégorie professionnelle bénéficient d’un tel entretien d’évaluation". Dans ce 2e article, voyons le principe n° 2.

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Principe n° 2 : Il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment… d’avancement, de rémunération (Article L2141-5, alinéa 1, du Code du travail)

Illustration de l’application de cet article avec deux décisions récentes.

Arrêt de la Cour de Cassation du 23 mars 2011 (n° 09-72733)

L’entretien d’évaluation d’un représentant du personnel a lieu. A la suite, l’entreprise lui adresse en février 2006 le courrier suivant, apparemment rédigé par son N + 1, qui est lui aussi représentant du personnel et syndicaliste :

"Une année 2005 médiocre… Ces résultats sont en partie dus au fait que vous n’avez pas pu travailler à 100% en fin d’année (arrêt de travail de 3 mois). D’autre part, votre implication dans la vie syndicale de notre entreprise est consommatrice d’une part non négligeable de votre temps. Pour 2006, et malgré un début d’année perturbé (1 mois d’arrêt de travail), la poursuite de vos engagements syndicaux (élections 2006 et négociations sur le métier de chargé de missions), je vous demande de tout mettre en œuvre pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés … »

Le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur mais la Cour d’Appel de Toulouse, en 2009, donne à cette prise d’acte la qualification d’une démission et non d’un licenciement car elle juge que « les références aux activités syndicales et aux arrêts maladie du salarié… sont inopportunes  » mais sont « la reprise des arguments de l’intéressé pour expliquer la baisse de son activité  » et sont « rappelés de façon objective et non sous la forme d’un grief  ». D’ailleurs, note-t-elle, le salarié « exerce des fonctions représentatives depuis 1997 sans le moindre incident et a bénéficié d’une promotion en 2000… ». Verdict : pas de discrimination syndicale.

Pas du tout, dit la Cour de cassation, qui, au visa de l’article L2141-5, juge la procédure d’évaluation discriminatoire puisque l’employeur a pris en considération dans l’évaluation du salarié l’exercice d’activités syndicales.

Les juges de renvoi, à la demande du salarié, prononceront probablement la rupture de son contrat de travail « aux torts de l’employeur ». Rappelons que dans un tel cadre, l’employeur est jugé responsable de la rupture et, comme il n’a pas notifié celle-ci avec un motif « réel et sérieux », il est l’auteur d’un licenciement sans motif, donc « abusif  » et il est donc condamné à verser des dommages-intérêts pour licenciement abusif au salarié.

Arrêt de la Cour de Cassation du 11 janvier 2012 (n°10-16655)

Cet arrêt a jugé dans le même sens pour un salarié ayant eu la mention dans ses évaluations
-  que ses objectifs sont atteints au prorata du temps de présence et
-  que sa disponibilité est réduite compte tenu des fonctions exercées.

Même si par ailleurs, le salarié était bien noté dans d’autres rubriques de son évaluation.

Le salarié soutenait qu’il y avait eu discrimination syndicale à son égard et sollicitait des dommages-intérêts. L’employeur soutenait au contraire qu’il s’agissait seulement d’appréciations « quantitatives » et « totalement neutres » sans « aucune connotation défavorable  » puisque « les objectifs sont notés comme atteints en fonction du temps de présence  ». L’employeur a convaincu la Cour d’Appel… qui jugea qu’il s’agissait « d’un simple constat dépourvu de jugement de valeur  » et débouta le salarié de sa demande.

Pas du tout, dit encore la Cour de cassation ! S’attachant uniquement aux mentions faites durant l’évaluation du représentant du personnel, elle rappelle que les juges, ayant constaté « que les fiches d’évaluation… faisaient mention d’une disponibilité réduite [du salarié] du fait de ses fonctions syndicales », devaient en tirer les conséquences légales : à savoir, condamner l’employeur pour avoir contrevenu aux dispositions légales de l’article L2141-5 :

« Sauf application d’un accord collectif visant à en assurer la neutralité ou à le valoriser, l’exercice d’activités syndicales ne peut être pris en considération dans l’évaluation professionnelle d’un salarié. » (Rappel de la Cour de cassation le 11 janvier 2012).

Conseil RH

Cette décision rappelle aux employeurs l’alinéa 2 de l’article L2141-5 qui dispose qu’ils peuvent, par accord collectif négocié au sein de l’entreprise, mettre en place un processus spécifique d’évaluation des représentants du personnel avec mention du mandat de représentation sous certaines conditions. L’entreprise doit

(1) soit valoriser le mandat au plan professionnel à travers l’évaluation générale de l’activité du salarié,

(2) soit réduire à néant l’impact du mandat sur l’activité professionnelle du salarié.

C’est la seule exception stricte admise dorénavant à l’interdiction édictée par l’alinéa 1 du même article, interdiction qui fut fatale aux employeurs dans les décisions du 23 mars 2011 et du 11 janvier 2012.

Employeurs, sachez donc vous positionner en fonction de l’alinéa 1 ou de l’alinéa 2 de l’article L2141-5 du Code du travail lorsque vous évaluez vos représentants du personnel !

Nadine Regnier Rouet
Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit social
Site internet : www.n2r-avocats.com
Email : contact chez n2r-avocats.com

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