Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

L’abandon de créance : une vue d’ensemble sur une notion complexe.

Par David Weber, Etudiant.

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L'article aborde la définition de l'abandon de créance et ses fondements, ainsi que sa mise en œuvre. Il explique également les conséquences comptables et fiscales de l'abandon de créance, tant à caractère commercial que financier.
Description rédigée par l'IA du Village

L’abandon de créance, acte juridique complexe, témoigne de la volonté d’une entité de renoncer à tout ou partie d’une créance qu’il détient sur une autre. Cette pratique soulève des enjeux financiers, fiscaux et commerciaux, et marque la subtile balance entre les intérêts des créanciers mais aussi les impératifs de solidarité et de restructuration économique des débiteurs.
Dès lors, il convient à l’issue de cet article de traiter de la notion d’abandon de créance dans son ensemble à destination du grand public.

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En droit français, la notion de créance revêt une importance capitale puisque celle-ci se trouve régulièrement au cœur des relations contractuelles, souvent de nature civile ou commerciale, qui sont omniprésentes dans notre quotidien. De manière générale, une créance correspond à la dette active, à savoir une somme d’argent due, qu’une personne qualifiée de créancier est en droit d’exiger d’une autre personne, appelée débiteur.

Cependant, il convient d’opérer une maigre distinction entre la notion de créance et la notion de dette, puisque malgré leur similitude, ces termes demeurent quelque peu différents. La créance constitue ce dont le créancier est en droit de percevoir du débiteur ; la dette, elle, correspond à ce que doit le débiteur à l’encontre du créancier. En clair, le créancier est en attente d’une créance de la part du débiteur, tandis que le débiteur est tenu d’une dette envers le créancier.

À l’inverse, il peut arriver que le créancier, en position de force dans la relation avec le débiteur, choisisse d’abandonner la créance qui lui est due, renonçant ainsi à la dette à laquelle le débiteur était tenu envers lui. Dès lors, il convient de conjointement définir et de circonscrire la notion d’abandon de créance tout en abordant sa mise en œuvre (I), et en présentant les caractéristiques financières et commerciales qu’elle peut adopter, sans omettre les conséquences fiscales et comptables qui en découlent (II).

I/ La définition et la circonscription de la notion d’abandon de créance.

Les fondements de la notion d’abandon de créance dérive de sa définition propre (A), tandis que sa mise en œuvre dépend du caractère normal de l’acte d’abandon (B).

A) Les fondements de la notion d’abandon de créance au travers de sa définition.

La nature d’une créance peut varier, elle peut être contractuelle ou non, voire fiscale ou sociale. Néanmoins, concernant le fait générateur d’une créance, c’est-à-dire sa date de naissance, celle-ci est spécifique à sa nature mais aussi à chaque contrat lorsqu’elle est de nature contractuelle, elle peut naître de la conclusion du contrat [1], de son exécution [2] ou encore de son annulation [3]...

Tout comme son fait générateur, une créance peut s’exécuter de multiples façons selon sa nature mais également selon les modalités fixées par le créancier. En cas d’impayé, le créancier peut user des moyens légaux à sa disposition, c’est ce qu’on appelle un recouvrement de créance, celui-ci peut être effectué principalement de manière amiable, par le biais de négociations, de mises en demeure, ou encore en faisant appel à un professionnel ou par voie judiciaire.

Toutefois, il est possible pour le créancier de renoncer à sa créance et donc de l’abandonner. Cet abandon est fréquemment effectué tant par la personne morale créancière, représentée par une entreprise ou une société, que par la personne physique créancière, telle que l’associé. On désigne cette action sous le terme d’abandon de créance, ou également appelé remise de dettes.

L’abandon de créance est un acte volontaire d’abandon, le plus souvent formalisé à travers une convention réglementée tel qu’un contrat, par lequel une personne morale ou physique qui détient des créances auprès d’autres entités renonce à réclamer le remboursement de tout ou partie de sa créance.

Ainsi, l’entité créancière renonce à exercer les droits qui lui sont conférés par la simple existence de la créance afin d’accorder son aide à une autre société ou une entreprise en difficulté ne pouvant plus faire face à ses engagements, et qui ce faisant va pouvoir enregistrer un profit exceptionnel.

Néanmoins, selon une décision publiée au bulletin officiel des finances publiques et des impôts [4], la jurisprudence du Conseil d’État considère que l’abandon de créance procède de la réunion de deux éléments constitutif.

  • Un élément matériel impliquant, d’une part, l’enregistrement préalable en comptabilité d’une créance par l’entreprise créancière et d’une dette de valeur égale par l’entreprise débitrice. D’autre part, la comptabilisation par l’entreprise qui consent l’abandon, d’une perte correspondant au montant de la créance abandonnée ainsi que la constatation d’un profit à concurrence du montant de la dette annulée par l’entreprise qui bénéficie de l’abandon ;
  • Un élément intentionnel résultant des motivations qui ont été à l’origine de l’abandon de créance.

B) La mise en œuvre de l’abandon de créance par un acte normal de gestion.

Concernant sa mise en œuvre, la créance abandonnée ne doit pas constituer un élément du prix de revient d’une participation dans une autre entreprise [5], elle doit procéder d’un acte de gestion « normal » [6]. En effet, selon le Conseil d’État, l’abandon de créance constitue, en principe, un acte anormal de gestion non déductible puisque l’abandon se fait sans contrepartie, ce qui va appauvrir l’entreprise s’étant adonnée à cet abandon.

Lorsque l’abandon de créance est considéré comme un acte normal de gestion, il peut constituer une charge déductible, et ce dès lors qu’il est accordé à des entreprises bénéficiant d’un redressement judiciaire ou d’un plan de sauvegarde. De plus, l’abandon de créance constitue un acte normal de gestion déductible lorsque celui-ci est consenti dans l’intérêt propre de l’entreprise créancière [7] et qu’il revêt une nature commerciale [8].

L’admissibilité de la preuve du caractère normal de l’abandon est établie quand celui-ci correspond à l’intérêt de l’exploitation de l’entreprise qui le consent et trouve son fondement dans l’existence d’une contrepartie réelle et suffisante [9]. Dans cette optique, l’aide apportée à l’entreprise par l’abandon de créance ne revêt un caractère normal que si l’entreprise créancière démontre un intérêt propre à l’avantage accordé [10].

A contrario, l’acte anormal de gestion peut constituer un acte de gestion hostile à l’intérêt social de l’entreprise, c’est le cas de l’acte qui entraîne une dépense ou une perte pour l’entreprise, ou qui la prive d’une recette, et ce sans que ces actes soient justifié par les intérêts de l’exploitation commerciale.

Pourtant, de manière générale, le principe de non-immixtion de l’administration fiscale dans la gestion de l’entreprise investit l’administration fiscal de rapporter la preuve de l’anormalité de l’acte, or dans le cas d’un abandon de créance, c’est à l’entreprise qui consent à l’abandon de démontrer la normalité de l’acte de gestion.

Le plus souvent, l’acte anormal de gestion désigne une opération entraînant une écriture comptable ayant un effet sur le bénéfice imposable, que l’administration fiscale cherche à écarter en la considérant comme étrangère ou contraire aux intérêts de l’entreprise [11]. À noter qu’un abandon de créance ne rend pas la TVA exigible [12].

L’administration fiscale considère trois critères caractérisant le caractère normal de l’abandon de créance : elle prend en compte la nature et le montant de la créance abandonnée ; Mais aussi les relations qui existent ou qui ont existé entre les deux entreprises impliqués dans l’abandon de créance ; Et enfin, les véritables motivations qui ont conduit à l’abandon de la créance.

Subséquemment, l’abandon de créance peut être définitif ou temporaire, dans ce dernier cas, la convention d’abandon de créances peut présenter ce qu’on appelle une clause de retour à meilleure fortune. Cette clause permet en cas de redressement de l’entreprise débitrice, de rendre à nouveau exigible l’ancienne créance. Dans cette situation, l’entreprise ayant initialement consenti l’abandon enregistre un produit exceptionnel, tandis que celle qui a précédemment bénéficié de l’abandon supporte une charge exceptionnelle.

Enfin, l’abandon de créance peut revêtir un caractère commercial ou un caractère financier qui auront tous deux des conséquences fiscales et comptables diverses, dès lors on parlera d’abandons de créances commerciales et d’abandons de créances financières.

II/ Le double caractère de l’abandon de créance et ses conséquences comptables et fiscales.

L’abandon de créance peut présenter un caractère commercial ou financier, dont le traitement fiscal et comptable varie selon le caractère qu’adopte l’abandon de créance. Il convient donc d’étudier le traitement fiscal et comptable de l’abandon de créance à caractère commercial (A), ainsi que celui à caractère financier (B).

A) Le traitement fiscal et comptable de l’abandon de créance à caractère commerciale.

L’abandon de créance à caractère commercial est celui qui revêt un caractère commercial en raison de la nature de celui-ci puisqu’il trouve son origine dans les relations commerciales entre deux entités morales qui n’ont aucun lien juridique entre elles. En effet, selon une décision publiée au bulletin officiel des finances publiques et des impôts [13], l’abandon de créance comporte un caractère commercial lorsqu’il résulte de relations commerciales entre 2 entreprises afin de soit préserver des sources d’approvisionnement, soit pour maintenir des débouchés.

De ce fait, l’abandon de créance sera considéré comme une aide à caractère commercial présentant un caractère normal [14]. Cet abandon peut d’ailleurs prendre la forme d’une annulation de créance d’exploitation ou la forme d’une charge ou encore d’un produit divers de gestion courante.

Néanmoins, le caractère commercial d’un abandon de créance est entendu plus largement à la suite d’une récente décision du Conseil d’Etat [15] qui considère qu’une aide consentie dans l’objectif de développer une activité n’ayant pas généré de chiffre d’affaires peut malgré tout présenter un caractère commercial, à condition que les perspectives de développement de celle-ci ne sont pas purement éventuelles à la date d’octroi de l’aide.

Par conséquent, l’abandon de créance commerciale constitue pour l’entreprise créancière une diminution d’actif et donc une perte comptable, tandis que pour l’entreprise bénéficiaire, cela constitue un produit exceptionnel autrement dit d’origine inhabituelle. À noter que l’abandon de créance commerciale est taxable lorsqu’elle se rapporte à une opération assujettie à la TVA.

Dès lors, lorsque l’abandon de créance revêt un caractère commercial et normal, les charges engendrées par cet abandon sera déductible pour l’entreprise qui y consent et seront comprises dans le résultat imposable pour la société bénéficiaire de l’opération, et ce, si l’entreprise qui l’a consenti peut établir avoir profité d’une contrepartie réelle et suffisante [16].

À défaut de contrepartie réelle et suffisante, l’abandon de créance constitue un acte anormal de gestion dont seule l’administration a qualité pour invoquer l’anormalité de l’acte et agir d’office à l’égard de celui-ci [17].

Par ailleurs, la loi n° 2020-1721, du 29 décembre 2020, de finances pour 2021, prévoit en son article 19 que sont désormais déductible de plein droit, les abandons de créances à caractère commercial dès lors qu’ils sont effectués en application d’un accord de conciliation. Néanmoins, bénéficient également d’une déductibilité, les abandons de créances à caractère commercial consenti dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, cela sans que l’entreprise créancière ait besoin de démontrer qu’elle a agi dans son propre intérêt (exception à l’art 39-I-8° du CGI). Et ce même si ces abandons ne sont pas réalisés dans l’intérêt direct de l’exploitation.

Enfin, dans le cas d’un abandon de créance qui revêt simultanément un caractère commercial et un caractère financier, on va chercher à déterminer les motifs prépondérants de cet abandon [18]. Le plus souvent, c’est le caractère commercial de l’aide qui absorbe le caractère financier.

B) Le traitement fiscal et comptable de l’abandon de créance à caractère financier.

L’abandon de créance à caractère financier est celui qui revêt un caractère strictement financier en raison de la nature et de la motivation de celui-ci puisqu’il trouve son origine dans les relations (notamment capitalistique) entre deux entités morales ayant des liens juridiques entre elles, de nature financière et non commerciale.

En effet, l’abandon de créance comporte un caractère financier lorsqu’il est accordé par une entreprise afin de sauvegarder la valeur de ses participations, en assurant la pérennité d’une filiale en difficulté [19], ou de sauvegarder son renom [20].

Cet abandon intervient le plus souvent entre une société mère et l’une de ses filiales, et peut porter sur une avance en compte courant ou encore un prêt. Néanmoins l’abandon de créance nécessite une écriture comptable au sein des deux entités impliquées à la renonciation. D’autant plus que le simple fait qu’il existe un lien capitalistique entre deux entreprises n’est pas une justification suffisante pouvant établir le caractère normal de l’abandon de créance.

Toutefois, en ce qui concerne son traitement comptable et fiscal, ce sont exclusivement les abandons “normaux” et ayant un caractère commercial qui sont susceptibles de constituer une perte déductible pour la société qui les accordent.

Dès lors, l’abandon de créance financière représente une charge pour l’ancien créancier et un produit exceptionnel pour l’ancien débiteur. Par principe, la déduction fiscale d’un abandon de créances à caractère financier n’est pas autorisée, et doit être réintégrée en totalité au résultat imposable de la société qui l’octroie [21]. Toutefois, elle reste possible dans le cadre de situations spécifiques notamment lorsque l’entreprise créditrice se trouve dans une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de conciliation ou de liquidation judiciaire.

Enfin, une exception demeure concernant la déductibilité encadrée des abandons de créance à caractère autre que commercial notamment financier. En effet, c’est le cas lorsque ces aides sont consenties dans le cadre d’une procédure de conciliation homologuée par le Président du Tribunal de commerce [22], ou lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une procédure de sauvegarde [23], de redressement judiciaire [24], de liquidation judiciaire [25] ou d’une autre procédure d’insolvabilité [26].

David Weber, Étudiant en Droit à l’Université Toulouse 1 Capitole

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Notes de l'article:

[1Cour de cassation chambre commerciale du 18/02/2003, n° 00-13257.

[2Cour de cassation, chambre commerciale du 27/09/2017, n° 16-14634.

[3Cour de cassation, chambre commerciale du 02/12/2014, n° 12-27739.

[4BOI-BIC-BASE-50-10, 24 février 2021, n°120.

[5Le prix de revient représente la totalité des dépenses, tant directes qu’indirectes, engagées par une entreprise pour fabriquer un produit ou fournir un service, exprimé en fonction de la quantité de biens produits ou de services fournis.

[6Conseil d’Etat (CE), 12/10/2018 n°405256.

[7BOI-BIC-BASE-50-10-80

[8BOI-BIC-BASE-50-10-110.

[9BOFIP-BIC-BASE-50-20-10 §§ 20 à 40 - 29/01/2013.

[10CE, 28 mars 2008, n°277522.

[11CE, plén., 27 juill. 1984.

[12CE 3e, 8e chambres réunies 02.05.2018 n°404161 ; art 269-2-c CGI.

[13BOI-BIC-BASE-50-10, 24 février 2021, n°120.

[14CE 15-2-1984 n°35339 ; CE 16-2-1983 n° 37868.

[15CE 9e-10e ch. 26-7-2023 n°463846.

[16CE Contentieux, 27 novembre 1981, n° 16814.

[17Conclusions de P.-F. Racine sous CE Contentieux, 27 juillet 1984, n° 34588.

[18CE plén. 27-11-1981 n°16814 ; CE 27-6- 1984 n°35030.

[19Projet de loi de finances rectificative pour 2012 du 4/07/2012, évaluation préalable de l’article 14

[20Projet de loi de finance rectificative, 2012, B-1.3 de la même évaluation mentionnée dans la note 11.

[21CGI art. 39, 13.

[22Prévu à l’article L611-8 du Code de commerce.

[23Au sens des articles L620-1 à L628-7 du Code de commerce.

[24Articles L631-1 à L632-4 du Code de commerce

[25Articles L640-1 à L644-6 du Code de commerce.

[26Règlement UE 2017/353 du 15 février 2017.

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