Action récursoire des caisses et opposabilité de leurs décisions : état de la jurisprudence.

Par Renaud Deloffre, Magistrat.

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Explorer : # action récursoire # faute inexcusable # inopposabilité # sécurité sociale

L’importance pour la pratique des rapports entre l’opposabilité aux employeurs des décisions de prise en charge des caisses et l’action récursoire de ces dernières pour le recouvrement de leurs avances dans le cadre des articles L.452-2 et L.452-3 du Code de la sécurité sociale ne rend pas inutile qu’il soit à nouveau fait un point de ces relations difficiles.
Il en résulte finalement que cette problématique semble être actuellement relativement stabilisée et que l’on peut en dégager un certain nombre de règles qu’il est possible de considérer comme à peu près acquises.

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On rappellera qu’avant l’introduction d’un nouvel article L.452-3 dans le code de la sécurité sociale, les choses étaient simples : l’action récursoire de la caisse se heurte à la reconnaissance de l’inopposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles.

L’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale introduit dans ce code par l’article 86 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 et applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant les tribunaux de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, prévoit que « quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3. »

Cette loi va susciter de très grandes incertitudes en jurisprudence.

En effet, la Cour de Cassation, saisie d’affaires dans lesquelles l’employeur invoque l’inopposabilité d’une décision de prise en charge pour faire échec à l’action récursoire de la caisse, rend à partir de novembre 2015 de nombreux arrêts contradictoires , ce dont il est résulté une grande insécurité juridique.

Dans une première affaire ayant donné à un arrêt difficile d’interprétation du 26 novembre 2015 N° 14-26.240 publié au Bull. 2015, II, n° 259, au bulletin d’information de la Cour de Cassation et commenté à son rapport 2015, la Cour de Cassation était saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble ayant retenu la faute inexcusable d’un employeur, rejeté la demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie et ordonné une mesure d’expertise avant dire droit sur la liquidation des préjudices de la victime et sur l’action récursoire de la caisse.

Le pourvoi développe un moyen en deux branches dirigé contre les dispositions de l’arrêt déféré déclarant la décision de prise en charge opposable à l’employeur et un moyen dirigé contre celles reconnaissant la faute inexcusable et tiré de l’absence d’exposition au risque.

La première branche du premier moyen de cassation reproche aux juges du fond d’avoir dénié à l’employeur la possibilité de se prévaloir de la décision initiale de prise en charge qui lui a été notifiée par la caisse et ce au motif que cette dernière avait pu retirer sa décision dans le délai de recours contentieux et ce alors que la caisse avait elle-même indiqué que ce retrait ne valait que pour la victime ce dont il résultait à contrario qu’il ne produisait pas d’effet à l’encontre de l’employeur qui pouvait alors s’en prévaloir.

La seconde branche du premier moyen portait sur un défaut de réponse aux conclusions de l’employeur faisant valoir que la caisse ne lui avait pas transmis toutes les pièces du dossier d’instruction de la maladie.

La Cour relève qu’ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable le 1er janvier 2010, est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Elle relève ensuite que l’arrêt, qui a constaté qu’il résultait du rapport d’enquête administrative que le salarié avait été exposé pendant vingt ans au risque d’inhalation de poussières d’amiante en réalisant habituellement des travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d’amiante et que la société figurait sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, a pu en déduire que les critères posés par le tableau n° 30 B étant remplis, le cancer bronchique primitif déclaré le 20 août 2010 par le salarié avait un caractère professionnel.

Puis elle en déduit, après avoir rappelé la définition de la faute inexcusable et indiqué qu’il résultait des énonciations de l’arrêt que l’employeur avait eu conscience du danger et n’avait pris aucune mesure pour en protéger le salarié, que le pourvoi est inopérant en ses deux premières branches et non fondé pour le surplus.

Le moyen inopérant est celui qui n’est pas susceptible d’avoir de conséquences sur la solution du litige ou qui, dans une espèce donnée, n’est pas susceptible d’entraîner la cassation.

L’ouvrage paru sous l’égide de la Cour de Cassation « Droit et Pratique de la Cassation en matière civile » [1] indique qu"il s’agit d’un moyen qui soit est sans incidence sur la solution retenue soit l’est devenu en raison de la réponse apportée aux autres moyens, d’une décision rendue dans une autre instance ou d’un événement extérieur".

Comment interpréter en l’espèce cette qualification du moyen par la Cour ?

Il semble que l’on puisse en déduire en toute logique, compte tenu de la définition du moyen inopérant, que le moyen n’était pas susceptible d’entraîner la cassation des dispositions de l’arrêt déféré portant sur l’opposabilité de la décision à l’employeur.

Il est difficile cependant d’appréhender les raisons pour lesquelles l’existence d’une décision initiale de refus de prise en charge notifiée à l’employeur et devenue définitive, s’agissant d’une instruction postérieure au 1er janvier 2010, ne ferait pas obstacle à l’opposabilité de la décision de prise en charge et serait donc constitutive d’un moyen inopérant.

Le caractère inopérant du moyen tiré de l’absence de réponse des premiers juges au moyen tiré de l’absence de transmission des pièces à l’employeur suscite la même difficulté d’interprétation.

L’inopérance de ce moyen implique en effet que même s’il était fondé il n’aurait aucune incidence sur la solution du litige, ce que l’on peine à comprendre puisque l’absence de respect par la caisse de son obligation d’information de l’employeur lors de la clôture de la procédure d’instruction entraîne l’irrégularité de la procédure et donc l’inopposabilité de la décision, sans qu’il soit nécessaire pour l’employeur d’établir l’existence d’un grief.

Mais peut être, finalement, faut il se contenter d’une lecture purement pragmatique de l’arrêt et d’en déduire l’existence d’une étanchéité entre la procédure administrative des caisses et l’action en reconnaissance de faute inexcusable dont il résulte que les moyens d’inopposabilité n’ont pas lieu d’être dans ce type d’action ?

Le rapport de la Cour de Cassation pour 2015 semble aller dans ce sens.

Dans son rapport, la Cour rappelle le principe de l’indépendance de la prise en charge au titre de la législation professionnelle et de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable.

Elle rappelle ainsi que si la décision de prise en charge de la caisse lui est opposable, l’employeur demeure néanmoins recevable à contester le caractère professionnel de l’accident du travail, de la maladie professionnelle ou de la rechute lorsque sa faute inexcusable est recherchée par la victime ou ses ayants droit.

Elle précise que c ’est en ce sens que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation statue dans l’arrêt du 5 novembre 2015. [2]

Elle poursuit en indiquant que, dans cet arrêt, « comme pour souligner la distinction entre, d’une part, la prise en charge au titre de la législation professionnelle des accidents du travail et maladies professionnelles, d’autre part, la reconnaissance et l’indemnisation de la faute inexcusable, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient préciser que la prise en charge ou le refus de prise en charge par la caisse, au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ».

Elle fait remarquer que la solution illustre l’indépendance de la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, et de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Elle cite ensuite sa jurisprudence selon laquelle l’inopposabilité de la décision de prise en charge ne prive pas la victime du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur et déduit de tous les développements du rapport sur les différents arrêts évoqués et commentés et notamment celui du 26 novembre 2015 que l’opposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge de l’accident, de la maladie ou de la rechute au titre de la législation professionnelle ne prive pas celui-ci de la possibilité de contester le caractère professionnel de l’événement à l’occasion de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable engagée à son encontre par la victime ou ses ayants droit.

Finalement, si le rapport insiste surtout sur le fait que la victime ne peut se voir opposer l’inopposabilité de la décision de prise en charge, on peut néanmoins en retenir le lien qu’il établit entre la solution retenue par l’arrêt du 26 novembre 2015 et l’étanchéité existant entre la procédure administrative de prise en charge par la caisse et l’action en reconnaissance de la faute inexcusable.

On peut donc considérer que par son arrêt du 26 novembre 2015 la Cour de Cassation a estimé que les moyens d’inopposabilité ou le moyen assimilé tiré du caractère définitif à l’égard de l’employeur de la décision de refus prise en charge étaient inopérants dans le contentieux de la faute inexcusable, s’agissant des instructions régies par le nouvel article R.441-14 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant du décret du 19 juillet 2009, et ce en application de l’indépendance de la procédure administrative d’instruction des dossiers par les caisses et de la procédure judiciaire en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Un premier accroc à la solution ainsi retenue va résulter d’un arrêt du 21 janvier 2016 n° de pourvoi 15-10367 qui retient, au visa des articles L. 452-3, alinéa 3, R. 441-11 du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction antérieure au décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 applicable au litige et 86-II de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 , qu’il résulte de la combinaison de ces textes que l’inopposabilité à l’égard de l’employeur, du fait du caractère non contradictoire de la procédure, de la décision de la caisse primaire d’assurance maladie d’admettre le caractère professionnel de la maladie prive celle-ci du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de sa faute inexcusable, les compléments de rentes et indemnités versés par elle lorsque l’action en reconnaissance de la faute inexcusable a été introduite devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale avant le 1er janvier 2013.

Dans cet arrêt, la Cour applique strictement le nouveau texte de l’article L.452-3 et il résulte de la solution qu’elle retient que l’inopposabilité de la décision de prise en charge continue à faire obstacle à l’action récursoire de la caisse pour les actions en faute inexcusable introduites avant le 1er janvier 2013 .

On est tenté de déduire de cet arrêt a contrario, et avec toutes les réserves qu’impose un tel raisonnement, que l’inopposabilité de la décision de prise en charge ne fait obstacle à cette action récursoire, pour les actions introduites à compter de cette date, que s’il s’agit d’une inopposabilité du fait du caractère non contradictoire de la procédure et non d’une inopposabilité de fond.

La solution diverge en tous cas de manière certaine de celle retenue par l’arrêt du 26 novembre 2015 en ce qui concerne la date à partir de laquelle l’inopposabilité ne peut plus faire obstacle à l’action récursoire de la caisse, la solution de l’arrêt du 21 janvier 2016 s’appliquant aux actions en faute inexcusable engagées à partir du 1er janvier 2013 tandis que celle de l’arrêt précédent s’applique aux instructions diligentées à partir du 1er janvier 2010.

La Cour a posé une solution tout à fait différente de celle des arrêts précédents dans un arrêt publié du 31 mars 2016 n°14-300015. 

Dans l’affaire en question, elle était notamment saisie par l’employeur du moyen selon lequel la cassation des dispositions de l’arrêt déféré lui déclarant opposable les décisions de prise en charge de la maladie et du décès du salarié entraînerait l’annulation de sa condamnation à diverses indemnités complémentaires pour faute inexcusable.

Elle rejette ce moyen en indiquant dans une formulation tout à fait générale et qui n’était pas rendue au visa d’un texte particulier que « l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge, par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, qui est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle ».

Dans cette affaire, il résulte des énonciations de l’arrêt déféré que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur avait été introduite devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale le 2 septembre 2011 et que les dispositions de l’article L.452-3-1 du Code de la sécurité sociale ne s’appliquaient pas, ce nouveau texte ne concernant que les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduite devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013.

La Cour a donc posé dans cet arrêt la règle générale selon laquelle les irrégularités de procédure ne privent pas la caisse de son action, règle qui se substituait en quelque sorte, pour les actions concernées, aux dispositions de l’article L.453-2-1 dont on pouvait penser qu’elle les rendait sans objet.

La formulation retenue par la Cour de Cassation ne faisait pas référence, comme l’article L.452-3-1 du Code, aux irrégularités commises par la caisse dans l’information de l’employeur mais, de manière générale, aux irrégularités de procédure et on pouvait donc penser, au vu de cette formulation, que toutes les irrégularités de procédure commises par la caisse laissaient subsister l’action récursoire de cette dernière, qu’elles résultent de la méconnaissance par elle des règles d’information de l’employeur posées par les articles R.411-11 puis R.411-14 du Code de la sécurité sociale mais également de ses obligations en matière d’instruction des dossiers.

Cet arrêt instaurait donc une solution incompatible avec les deux arrêts précédemment étudiés puisqu’elle ne subordonnait sa solution, contrairement à ces derniers, à aucun critère temporel.

Il heurtait en outre de plein fouet l’arrêt du 5 novembre 2015 précité en ne prévoyant le maintien de l’action récursoire de la caisse que pour les inopposabilités résultant des irrégularités de procédure, formulation qui était d’ailleurs plus large que celle retenue par l’arrêt du 21 janvier 2016 qui évoquait les inopposabilités pour défaut de respect du contradictoire.

Puis, le 24 mai 2017, la Cour de Cassation rend plusieurs arrêts dont les solutions sont antagonistes entre elles.

Dans un premier arrêt, pourvoi numéro 16-15.084, appliquant la solution de l’arrêt du 21 janvier 2016 précité à une action engagée postérieurement au 1er janvier 2013, elle retient que pour les actions en faute inexcusable introduites à compter du 1er janvier 2013 l’inopposabilité pour un manquement de la caisse à son obligation d’information ne fait pas obstacle à l’action récursoire.

La solution d’un autre arrêt n° 16 17644 du même jour est totalement différente.

Cet arrêt reprend la motivation de l’arrêt du 26 novembre 2015 selon laquelle ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Elle rappelle que la Cour d’appel était saisie d’une demande de la caisse tendant à récupérer, sur le fondement de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les préjudices alloués à la victime et à ses ayants droit en réparation de la faute inexcusable de la société et en déduit que l’inopposabilité à la société de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle ne faisait pas obstacle à l’action récursoire de la caisse à l’encontre de la société.

Il résultait donc de cet arrêt que pour les instructions régies par le décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, la caisse conserve nécessairement son action récursoire même en cas d’inopposabilité de la décision de prise en charge pour quelque motif que ce soit.

Telle n’est pas du tout la solution retenue par un troisième et un quatrième arrêts du 24 mai 2017 portant les numéros 16-17.726 et 16-17 ;728 qui divergent de toutes les solutions précédentes.

Ces arrêts interviennent au visa des articles L. 452-2, L. 452-3 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, et décident que l’irrégularité de la procédure suivie en application du dernier de ces textes, ayant conduit à la prise en charge, par la caisse au titre de la législation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, étant sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ne prive pas la caisse du droit qu’elle tient des deux premiers de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle.

Puis, un arrêt du 9 novembre 2017 n°16-24.568 revient à la même solution que celle résultant de l’arrêt n° 16-17.644 du 24 mai 2017.

Un arrêt publié du 15 février 2018 n° 17-12.567 va dans le même sens du maintien de l’action récursoire de la caisse dans tous les cas d’inopposabilité mais prévoit une exception lorsqu’il a été jugé dans les rapports entre la caisse et l’employeur, par décisions passée en force de chose jugée, que l’accident ou la maladie n’avait pas de caractère professionnel.

Il est à noter que cet arrêt faisait écho à un arrêt publié du 4 mai 2017 n° 16-13.816 prévoyant la limitation de l’action récursoire de la caisse au taux d’incapacité permanente partielle de la victime fixé par une décision passée en force de chose jugée.

La Cour rend ensuite un arrêt en date du 20 septembre 2018 n° 17-22.750 dans lequel, après avoir cassé la décision déféré du chef de l’inopposabilité de la décision de prise en charge pour ne pas avoir recherché si les décisions de prise en charge du décès et de la maladie avaient acquis un caractère définitif à l’égard de l’employeur, elle rappelle la formulation résultant de l’arrêt du 31 mars 2016 précité mais en visant les articles L. 452-2, L. 452-3 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, et censure les juges du fond pour avoir retenu que la caisse ne pourrait exercer son action récursoire au motif que l’inopposabilité des décisions de prise en charge de la maladie et du décès du salarié priverait la caisse de la possibilité de bénéficier d’une telle action.

Cet arrêt semble se situer dans le courant jurisprudentiel résultant de l’arrêt du 31 mars 2016 mais il en diffère sensiblement puisqu’à la différence de ce dernier il fonde la solution retenue sur les nouvelles dispositions de l’article R.441-14 du Code de la sécurité sociale.

Il en résulte donc que le maintien de l’action récursoire de la caisse ne peut concerner que les procédures d’instruction postérieures au 1er janvier 2010, contrairement à la solution dégagée par l’arrêt du 31 mars 2016 qui s’appliquait à toutes les procédures en reconnaissance de faute inexcusable quelle que soit la date de saisine de la juridiction ainsi qu’à toutes les procédures d’instruction des caisses qu’il s’agisse de celles antérieures au 1er janvier 2010 ou ce celles diligentées à partir de cette date.

Puis est rendu par la Cour un arrêt publié du 8 novembre 2018 de sa deuxième Chambre Civile portant le numéro de pourvoi n° 17-25.843.

La Cour relève que l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par le décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige régit exclusivement la procédure applicable à la prise en charge d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’une rechute au titre de la législation professionnelle et qu’il en résulte que si l’employeur peut soutenir, en défense à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que l’accident, la maladie ou la rechute n’a pas d’origine professionnelle, il n’est pas recevable à contester la décision de prise en charge de l’accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels.

La motivation de cet arrêt semble éclairer rétrospectivement celle de l’arrêt du 25 novembre 2015 dont il met peut être en lumière le chaînon manquant constitué par l’irrecevabilité de la demande d’inopposabilité.

Alors que dans les arrêts du 24 mai 2017 n° 16 -17644 et dans celui du 9 novembre 2017 n°16-24.568, elle pose le principe que l’inopposabilité ne fait pas obstacle à l’action récursoire de la caisse, elle pose dans l’arrêt du 8 novembre 2018 le principe de l’existence d’une fin de non recevoir d’ordre public à la demande d’inopposabilité qui serait présentée dans le contentieux de la faute inexcusable.

Comme dans l’arrêt du 24 mai 2017 et du 9 novembre 2017, la solution est fondée sur le nouvel article R.441-14 et est applicable aux instructions postérieures au 1er janvier 2010.

Un arrêt du 4 avril 2019 n° 18-14.170 rappelle à l’identique la solution dégagée par l’arrêt du 8 novembre 2018.

Moins de deux mois auparavant cependant la Cour avait rendu le 14 février 2019 un arrêt n° 18-11.258 n’allant pas du tout dans le même sens.

Cet arrêt est intervenu sur les suites de la reconnaissance de la faute inexcusable d’un employeur qui contestait devoir rembourser à la caisse le capital représentatif de la rente accordée à la victime à la suite d’une rechute de son accident du travail.

L’employeur faisait valoir que le taux d’incapacité fondant le calcul du capital ne lui était pas opposable dans la mesure où la caisse ne lui avait pas notifié la décision de prise en charge de la rechute (à noter qu’elle ne l’avait pas non plus associé à la procédure de prise en charge de la rechute mais ce point n’est pas évoqué ni par la Cour d’Appel ni par la Cour de Cassation).

Les premiers juges avaient retenu le bien fondé de cette analyse qui était erronée puisque l’absence de notification d’une décision de prise en charge ne constitue jamais un motif d’inopposabilité mais permet à l’employeur de contester l’opposabilité de cette décision sans condition de délai.

C’est au vu de la règle dégagée par son arrêt publié du 31 mars 2016 n° 14-30.015 que la Cour casse l’arrêt d’appel en reproduisant la formule de cet arrêt selon laquelle "l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge, par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, qui est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle, la cour d’appel a violé le texte susvisé" ( à savoir l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale).

La formulation de l’arrêt du 31 mars 2016 était intervenue sans visa de texte de sorte que l’on pouvait penser que la caisse conservait son action récursoire en cas d’inopposabilité de forme (pour un motif de procédure) de la décision de prise en charge, quelle que soit la date de la procédure d’instruction de la déclaration d’AT/MP.

Celle lecture se confirme avec le visa de l’article L.452-2 retenu par la Cour dans son arrêt du 14 février 2019, lequel visa ne fait aucune référence ni aux dispositions de l’article R.441-14 entrées en vigueur le 1er janvier 2010 ni à celles de l’article L.452-3-1.

Cet arrêt s’inscrit dans très clairement dans le sillage de l’arrêt publié du 31 mars 2016 ci-dessus analysé et dont il résulte que seule l’inopposabilité de la décision de prise en charge pour un motif d’irrégularité de la procédure suivie par la caisse fait obstacle, quelle que soit la date de l’instruction ou la date d’engagement de la procédure en reconnaissance de faute inexcusable, à l’action récursoire de la caisse.

Malgré l’arrêt récent précité et les divergences de jurisprudence que l’on s’est attaché à mettre ci-dessus en évidence, on peut néanmoins considérer qu’il existe désormais un nombre relativement important d’arrêts, dont plusieurs sont publiés, qui permet de considérer que les solutions jurisprudentielles sur les rapports entre l ’inopposabilité, l’action en reconnaissance de faute inexcusable et l’action récursoire des caisses sont désormais à peu près clairement fixées.

Il est ainsi possible de retenir, sous toutes réserves bien évidemment d’un revirement caractérisé toujours possible, qu’en ce qui concerne les procédures d’instruction diligentées par les caisses à partir du 1er janvier 2010, l’inopposabilité de la décision de prise en charge ne peut plus être sollicitée par l’employeur dans le cadre d’une procédure en reconnaissance de sa faute inexcusable, sous peine d’irrecevabilité d’ordre public de ce moyen de défense, et que si elle est reconnue en dehors de cette action elle ne peut faire obstacle à l’action récursoire de la caisse, sauf lorsqu’il a été jugé dans les rapports entre cette dernière et l’employeur, par décision passée en force de chose jugée, que l’accident ou la maladie n’avait pas de caractère professionnel.

Il semble également possible de considérer, au vu de l’arrêt du 26 novembre 2015 ci-dessus analysé, que le caractère définitif de la décision de refus de prise en charge à l’égard de l’employeur, qui entraîne l’inopposabilité à son égard de la décision ultérieure de prise en charge, ne fait pas pas obstacle à l’action récursoire de la caisse.

Par contre, il convient de retenir que l’action récursoire de la caisse ne peut s’exercer que dans les limites du taux d’incapacité permanente de la victime notifié à l’employeur par une décision judiciaire passée en force de chose jugée ou par par décision définitive de la caisse à l’égard de l’employeur et qu’il importe peu que ce taux ait été augmenté, dans les rapports entre la caisse et la victime, par une décision de justice (Arrêt du 09 Mai 2018 N° 17-17.460 et arrêt du 9 mai 2019 N° 18-15.809), même si la cohérence de la solution concernant la portée de la décision de la caisse avec celle que l’on déduit de l’arrêt du 26 novembre 2015 n’apparait pas évidente puisque l’on a du mal à comprendre que les décisions définitives des caisses dans leurs rapports avec les employeurs puissent avoir des effets variables sur leur action récursoire selon qu’il s’agit des décisions de refus de prise en charge des AT/MP ou des décisions sur les taux.

Sous la réserve d’une remise en cause significative des solutions jurisprudentielles majoritaires se dégageant de la jurisprudence ainsi que d’une harmonisation des jurisprudences divergentes sur les effets sur leur action récursoire des décisions prises par les caisses dans leurs rapports avec les employeurs de refus de prise en charge et de fixation des taux d’incapacité, il semble qu’après l’introduction du nouvel article L.452-3-1 dans le code de la sécurité sociale par la loi du 17 décembre 2012 les règles régissant les rapports entre l’opposabilité des décisions des caisses et/ou leur caractère définitif et l’action récursoire de ces dernières peuvent désormais être considérées comme à peu près stabilisées.

Renaud Deloffre
Conseiller à la Chambre de la Protection Sociale de la Cour d’Appel d’Amiens.
Docteur de troisième cycle en sciences juridiques.

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Notes de l'article:

[1Editions Lexisnexis juin 2012 p 309

[22e Civ., 5 novembre 2015, pourvoi n° 13-28.373.

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