A l’occasion d’un litige opposant l’artiste Jacques Villeglé à ses assistants d’atelier, la première chambre civile de la Cour de Cassation a rappelé dans un arrêt rendu le 20 mars 2019 la nécessaire démonstration pour se voir reconnaître la qualité de co-auteur de « l’apport effectif à la création de l’œuvre exprimant l’empreinte de la personnalité (de l’assistant d’atelier) ».
I. Le régime de l’oeuvre de collaboration.
Selon l’article 113-2 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, « est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ».
Conformément aux principes généraux du droit d’auteur, l’œuvre créée doit être originale et doit résulter d’une activité créative originale qui émane de personnes physiques.
A cet égard, il convient de rappeler comme l’a souligné la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 mars 1988 qu’une personne morale ne peut être coauteur d’une œuvre de collaboration, sauf à ce qu’elle rapporte la preuve d’une cession de droits à son profit.
Pour qu’il y ait qualification d’œuvre de collaboration deux critères majeurs doivent être réunis : une création effective et une concertation.
S’agissant de la notion de création effective, l’ampleur de l’implication de chaque intervenant est indifférente pour peu que l’apport créatif de chaque contributeur soit reconnu (Civ. 1re, 2 avr. 1996). Peu importe également que les apports personnels de chacun soient individualisables ou non au sein de la création. Il convient qu’il y ait une implication personnelle créative dans l’univers des formes.
Une communauté d’inspiration et une concertation entre les différents intervenants est nécessaire à la création de l’œuvre dans un processus qualifié d’« horizontal ».
La qualité d’auteur appartient donc à celui ou à ceux sous le nom duquel l’œuvre est divulguée (article L. 113-1 du code précité).
Toutefois, toute personne qui, ayant participé personnellement à la réalisation de l’œuvre et y a imprimé sa trace et sa personnalité, peut revendiquer la qualité de co-auteur. C’est ce qu’a rappelé la Première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 6 mai 1997, soulignant que « la qualité de coauteur ne peut se déduire d’une présomption de collaboration, mais doit résulter d’éléments précis révélant le rôle de création de chacun ».
Dans cette affaire, un peintre, figure du fauvisme et du cubisme, avait autorisé la reproduction de certaines de ses œuvres en trois dimensions dans les domaines de la joaillerie, de l’art lapidaire et de la sculpture. Une sculpture en bronze doré a ainsi été réalisée à partir d’une de ses gouaches. Huit exemplaires en ont été tirés et un tirage a été vendu en indivision aux enchères publiques. A l’occasion d’une action judiciaire entre les co-indivisaires de ce tirage, une expertise judiciaire de l’œuvre a été ordonnée afin d’établir son authenticité et l’œuvre litigieuse a été attribuée au sculpteur et non au peintre, l’expert estimant que « le peintre n’avait pas participé à la fabrication de la sculpture litigieuse qui a été exécutée sans ses instructions, sans son contrôle et sans sa responsabilité d’artiste ». L’un des co-indivisaires a sollicité l’annulation de la vente car il pensait avoir acquis une œuvre du peintre et non du sculpteur.
La Cour a estimé dans son pouvoir d’appréciation souveraine que la sculpture ne pouvait pas être qualifiée d’œuvre de collaboration dans la mesure où la preuve de l’apport créatif personnel du sculpteur n’était pas rapportée. Le bronze était donc une œuvre du peintre, réalisée avec son accord, à partir d’un dessin conçu par ce dernier. Le fait que le sculpteur ait choisi la forme et les matériaux du bronze ne suffisait pas à démontrer l’apport créatif du sculpteur, considéré comme simple exécutant.
L’œuvre de collaboration suppose donc de la part des co-auteurs un apport personnel résultant d’une activité créatrice et d’une participation concertée des co-auteurs.
Les assistants d’atelier qui bénéficient d’une certaine liberté dans leurs apports personnels (choix de la couleur, choix des matériaux, réalisation de formes dessinées par exemple) et agissent dans une communauté d’inspiration avec l’artiste pourront ainsi revendiquer la qualité d’auteur.
S’agissant du régime de l’œuvre de collaboration, elle est la propriété commune des auteurs (article L. 113-1 du code précité), les différents collaborateurs en sont copropriétaires.
Chaque coauteur détient ainsi des droits exclusifs sur sa propre contribution si celle-ci peut être individualisée ainsi que des droits indivis sur l’oeuvre dans son ensemble. En pratique, une difficulté peut résider dans l’appréciation de la part contributive de chaque auteur relativement à l’exploitation de l’oeuvre de collaboration.
Rappelons en outre comme l’a souligné la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 mars 1988 qu’une personne morale ne peut être co-auteur d’une œuvre de collaboration, sauf à ce qu’elle rapporte la preuve d’une cession de droits à son profit.
L’œuvre de collaboration se distingue de l’œuvre collective qui est, selon l’article L. 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle celle créée « sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et en son nom ».
Ains, lorsque l’artiste dirige, encadre, contrôle le processus créatif dans son ensemble et sous tous ses aspects et diffuse l’œuvre sous son seul nom, l’œuvre sera qualifiée d’ « œuvre collective ». Les droits d’auteur naissent au seul profit de la personne qui est à l’initiative du projet.
II. Panorama de jurisprudence.
L’arrêt Villegié s’inscrit dans une abondante jurisprudence en la matière où de nombreux assistants ou collaborateurs d’artistes revendiquent la qualité de co-auteur.
Les juges apprécient in concreto le rôle de chaque participant dans la réalisation de l’œuvre pour leur attribuer ou non la qualité de co-auteur. Quelques arrêts sont cités à titre illustratif.
La qualité de co-auteur déniée.
Dans le cadre d’un contentieux concernant la réalisation d’une tapisserie, un lissier a assigné un cartonnier et souhaitait se voir attribuer la qualité de coauteur de l’œuvre. La Cour d’appel de Limoges dans un arrêt en date du 31 mai 1976 a considéré en l’espèce que le lissier n’avait fait que suivre les instructions très précises du cartonnier et ne lui a pas reconnu la qualité de co-auteur de la tapisserie.
Dans un autre arrêt en date du 8 novembre 1983, la Cour de cassation a estimé que celui qui n’a fourni que des découvertes scientifiques pour un ouvrage de vulgarisation ne peut en être coauteur.
Ou encore, le professeur qui s’est contenté d’aiguiller son élève sur le choix des matériaux à utiliser ne peut pas être coauteur de l’œuvre (TGI Paris, 3 nov. 1988).
Un assistant de réalisateur, embauché dans le cadre du tournage d’un film français, estimait qu’il pouvait prétendre à la qualité d’auteur-réalisateur d’un certain nombre de scènes. Toutefois, il a été débouté de ses demandes, les juges estimant que l’assistant n’avait eu qu’un rôle technique ne portant pas l’empreinte de sa personnalité, considérant que « les choix de l’appelant ne s’avèrent pas suffisants pour caractériser un réel apport créatif au sens du droit d’auteur ».
La qualité de coauteur reconnue aux assistants d’artistes.
A l’inverse, la qualité de co-auteur a pu être reconnue aux personnes dont la participation à la création de l’oeuvre s’est réalisée de façon originale dans l’univers des formes.
Dans l’affaire du célèbre peintre Renoir, son assistant, l’artiste Richard Guino, a revendiqué plusieurs décennies après la mort du peintre la qualité de co-auteur de sculptures. Richard Guino avait réalisé des sculptures créées en commun avec Renoir qui ne le pouvait pas. Les sculptures étaient cependant uniquement signées par Renoir.
La Cour de cassation dans un arrêt du 13 novembre 1973 a reconnu la qualité de co-auteur à l’assistant de Renoir, relevant que « Guino n’avait pas été un simple modeleur qui n’aurait pas fait un geste sans une indication de Renoir, qu’il travaillait seul pendant des heures parfois même loin de Renoir, (…), la comparaison des tableaux de Renoir et des sculptures litigieuses révélait que certaines attitudes, certaines expressions avaient été acceptées et non dictées par Renoir et marquaient l’empreinte du talent créateur de Guino », ajoutant « les sculptures auraient été autres si elles avaient été l’œuvre du seul Renoir ».
III. L’affaire Jacques Villeglé : la Cour de cassation rappelle la nécessaire démonstration de l’apport créatif de celui qui se revendique comme coauteur.
Jacques Villeglé, artiste et plasticien français, est notamment connu pour ses œuvres réalisées à partir d’affiches qu’il trouve dans la rue et qui sont lacérées par des anonymes ou par l’effet du temps.
Un couple ayant travaillé à l’atelier d’Aquitaine et estimant avoir eu un travail de galeristes et participé à la réalisation de plus de huit cent œuvres l’ont assigné en justice. Ils revendiquaient la qualité de co-auteur de certaines œuvres qui étaient, selon eux, des œuvres de collaboration.
Ces derniers ne contestaient pas que les œuvres litigieuses aient été divulguées sous le nom de l’artiste. Ils prétendaient toutefois qu’il existait un accord passé avec Villeglé afin de garder occulte leur qualité de « nègre artistique » et expliquaient en outre qu’ils se sont présentés eux-mêmes au cours des seize dernières années comme étant simplement les galeristes de l’artiste, procédant à l’organisation des exposition et à la vente de ses œuvres. Ils faisaient d’ailleurs visiter l’atelier du Marteret en cette qualité alors qu’ils estimaient collaborer à la création des œuvres.
La Cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 11 mai 2018 déboute les époux de leur demande après avoir apprécié in concreto la participation des époux au processus créatif des œuvres et considéré qu’ils n’avaient prouvé aucun apport créatif à l’œuvre de Villegié.
La collecte de résidus urbains sans sélection préalable n’implique aucun apport créatif des époux. Le montage des toiles sur châssis et leur marouflage ne sont que des opérations techniques réalisées par les plaignants qui échouent à démonter un apport créatif. La Cour note également que Villegié s’était de surcroît réservé la sélection des matériaux, le cadrage des affiches et qu’il avait défini sa démarche artistique comme une démarche appropriative dès 1949. Il est donc seul auteur de ces œuvres.
La Cour de cassation qui devait notamment se prononcer sur la question de savoir à quelles étapes du processus créatif un participant exprimait sa personnalité confirme l’arrêt d’appel sur ce point et rappelle que « la présomption simple de titularité dont bénéficie celui sous le nom duquel l’oeuvre est divulguée ne s’oppose pas à ce que d’autres personnes se voient reconnaître la qualité de co-auteurs, s’il est démontré de leur part un apport effectif à la création de l’œuvre exprimant l’empreint de leur personnalité. »
De simples opérations jugées comme simplement matérielles et techniques ne permettent donc pas d’obtenir la qualité de co-auteur.
L’appréciation est donc casuistique, laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond qui vont chercher à comprendre l’implication créatrice de chaque collaborateur de l’artiste dans la réalisation de l’oeuvre.
Il est donc indispensable, tant pour les artistes, que pour leurs collaborateurs ou assistants, de garder toutes preuves relatives au processus de création en cas de contentieux.