Comment le droit et la procédure civile abordent-ils la gastronomie ? Par Benoit Henry, Avocat.

Comment le droit et la procédure civile abordent-ils la gastronomie ?

Par Benoit Henry, Avocat.

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Explorer : # protection des créations culinaires # gastronomie et droit # concurrence déloyale # patrimoine culturel immatériel

Selon Salvador Dali "la beauté sera comestible ou ne sera pas" car "consommer des aliments sera devenu un art".
La France est réputée dans le monde entier pour la richesse et la diversité de sa gastronomie. Qu’elle soit traditionnelle, familiale ou au contraire innovante et artistique, la cuisine française connaît aujourd’hui un grand succès, notamment à l’étranger.
Les émissions de télévision ont permis de remettre la cuisine au cœur des foyers et de mettre à l’honneur des chefs étoilés, de jeunes cuisiniers et surtout des recettes de cuisine.
La protection des recettes de cuisine repose sur peu de textes juridiques et il n’y est fait référence ni dans le code de la propriété intellectuelle, ni dans le code de la consommation. Si le droit traite de chaque produit, il ne traite pas de leur alliance.

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Ce vide législatif pose un réel problème pour l’ensemble des professionnels, à la fois pour les cuisiniers qui ne peuvent faire protéger leurs créations culinaires, pour les restaurateurs qui peuvent faire face à une concurrence déloyale, mais aussi pour les clients qui n’ont pas de garantie sur la nature et la qualité du plat qu’ils ont dans leur assiette, particulièrement dans les zones touristiques.

Le droit actuel ne permet pas en l’état d’offrir une protection réelle des recettes de cuisine de notre terroir et de nos traditions.

Une proposition de loi a été enregistrée à l’Assemblée nationale relative à la protection des recettes et des créations culinaires.

I - Comment définir la gastronomie ?

A cette belle table, c’est un pari audacieux, de la part de Me Benoit Henry, gastronome gourmet et amateur de bonne chère, avocat et spécialiste de la procédure, si l’on considère la richesse et l’originalité des multiples approches de tenter de dire en quoi le droit et la procédure auraient leur mot à dire dans la gastronomie.

Divers auteurs ont tenté de définir la gastronomie souvent par des formules trop longues pour être totalement convaincantes.

Selon Géraldine Goffaux Caillebaut, professeur de droit privé [1] : "la gastronomie fait partie de ces mots que tout le monde connaît, mais que personne ne sait définir. On serait tenté de dire qu’il s’agit de l’art de jouir, de manière raffinée, de la fonction de s’alimenter. Ce serait en quelque sorte l’hédonisme de la bonne chère".

Selon Sylviane Tarsot-Gillery, Directrice nationale de la Bibliothèque de France : "La bibliothèque nationale de France recèle des trésors documentaires en la matière et les meilleurs spécialistes pour les analyser".

Les chercheurs associés ont donc débattu avec de nombreux participants, chercheurs et professionnels de droit public, comme du droit privé, du monde de l’histoire de l’art, de la culture, de la gastronomie.

Selon Didier Guével, professeur de droit privé et sciences criminelles [2] : "la gastronomie pourrait être au-delà de la seule cuisine, l’art et la science de l’hédonisme du boire et du manger, l’art et la science de jouir de manière raffinée de la fonction de s’alimenter".

De cette définition se révèle toute la richesse.

Selon Marie Cornu, directrice de recherche CNRS, institut des sciences sociales du Politique : "La gastronomie est une affaire française. Elle est un monde social complexe dans lequel prend place la cuisine, un art et une science de jouir des bonnes choses, l’expression de soi, une méthode de résolution des conflits, un art d’être, une religion, un fluide, un objet d’études total.
De toutes ces lectures, se dégage l’idée que la gastronomie se déploie sur plusieurs espaces, celui du patrimoine artistique, scientifique et technique.
Elle est aussi un mode de relation aux autres, un tissu social.
Elle est enfin un patrimoine vital au contact de la réalité des denrées alimentaires, de la place de produits industriels et des enjeux de la santé.
Cette dimension des enjeux de la santé publique touche à des questions essentielles, à des droits fondamentaux, ceux de nourrir, de se nourrir bien, ceux en amont de l’accès à la terre.
Elle implique en effet de s’intéresser aussi à l’environnement dans lequel s’inscrit la gastronomie, aux exigences d’une production de qualité.
"

II- Le droit aborde t-il la gastronomie ?

Globalement finalement très peu.

Il y a bien sûr en 2010 le très fameux classement du repas festif dont les convives pratiquent pour cette occasion, l’art du bien manger et du bien boire, le repas gastronomique des français qui figure dans la liste des éléments du patrimoine culturel immatériel (PCI) de l’humanité et son dépôt en tant que marque à l’INPI.

Mais est-ce une reconnaissance juridique ?

Dans la gastronomie, il faut sans doute sous-distinguer celle de masse (restauration d’entreprise, cantines, restaurants universitaires...) qu’il ne faut pas mépriser et pour laquelle bien des efforts restent à faire, de la restauration de ville et celle des grands chefs.

Selon Didier Guével, professeur de droit privé et sciences criminelles [3] : " Si la gastronomie est un art, elle constitue également un enjeu économique et sociétal. En tant qu’art, en tant qu’élément du patrimoine culturel, la gastronomie mérite t-elle une protection juridique".

Si tel est le cas, dispose t-on d’une protection générale (organisation des repas, gastrodiversité ) et y a t-il une cohérence entre les protections spéciales des éléments qui oeuvrent à son élaboration (recettes culinaires, qualités des ingrédients, ustensiles de tables) ?

En tant que partie prenante des échanges humains et d’affaires, dans quelle mesure la gastronomie est-elle prise en compte par les droits de la distribution, de la consommation, du travail et de la santé et par les accords internationaux encadrant le commerce ?

Les produits agroalimentaires sont aujourd’hui des produits courants. Face à la concurrence, les producteurs et distributeurs ont depuis longtemps orienté le choix des consommateurs par l’utilisation de signes distinctifs, marques, appellations d’origine, labels...

Selon Philippe Tanchoux, Maître de conférences [4] : "les AOC/AOP/IGP terroirs ne garantissent pas la qualité ou la typicité du produit mais l’origine commerciale du bien. La relativité de l’effectivité juridique de l’AOC/AOP au plan international n’est pas la seule limite de ce dispositif. Si l’AOC/AOP doit garantir les consommateurs contre le risques de tromperie sur la qualité des produits, encore faut-il qu’elle soit lisible et inspire leur confiance".

Les questions liées à la qualité de la nourriture, aux conditions de productions, d’élevage et de fabrication sont au cœur des préoccupations du consommateur, tout comme l’inquiétude concernant l’insuffisance des ressources alimentaires.

Selon Catherine Aurérin directrice du département droit économie politique de la Bibliothèque National de France (BNF) : "une nouvelle approche des modes de consommation semble donc ne pas être juste une mode, mais une véritable quête de sens et de préoccupation citoyenne".

Quelles sont dans notre alimentation les implications du droit communautaire ?

Selon Jean-Paul Branlard, maître de conférences honoraire de droit privé de la Faculté de PARIS Sud - Paris Saclay et membre de l’association professionnelle des chroniqueurs et informateurs de la gastronomie et du vin : "nombreuses, denses et complexes. On chiffre à plus de 80% sa part communautaire dans notre assiette. Souffle alors le vente de l’inquiétude. Le mangeur s’éprend avec ferveur de la religion du doute : harmonisation ou uniformisation de nos assiettes ?"

Comment l’agriculture et l’alimentation sont-elles prises en compte pat les traités internationaux encadrant la liberté du commerce, tels que le TAFTA et CETA ?

Selon Dominique Plihon, Professeur émérite d’économie de la Faculté de PARIS 13 - Sorbonne Paris Cité : "ces traités ne respectent pas la souveraineté alimentaire des pays et en particulier de la gastronomie, élément du patrimoine national. Ils constituent une menace importante : en premier lieu, ils s’attaquent aux normes qui protègent notre santé et assurent la qualité de notre alimentation, il est donc inévitable que l’harmonisation des dites normes se fasse vers le bas au détriment de la qualité de l’alimentation, en second lieu, les règles et procédures contenues dans le traité vont fonctionner comme un verrou privant les autorités publiques de la possibilité d’améliorer et de renforcer ces normes dans le futur".

La protection des recettes de cuisine repose quant à elle sur peu de textes juridiques et il n’y est fait référence ni dans le code de la propriété intellectuelle, ni dans le code de la consommation.

Si le droit traite de chaque produit, il ne traite pas de leur alliance.

Ce vide législatif pose un réel problème pour l’ensemble des professionnels, à la fois pour les cuisiniers qui ne peuvent faire protéger leurs créations culinaires, pour les restaurateurs qui peuvent faire face à une concurrence déloyale, mais aussi pour les clients qui n’ont pas de garantie sur la nature et la qualité du plat qu’ils ont dans leur assiette, particulièrement dans les zones touristiques.

Si un vide législatif existe pour ce qui est de la protection des créations culinaires, la jurisprudence permet de contourner la difficulté dans certains cas, en rattachant les créations à un dessin ou à une œuvre littéraire. Malgré tout, elle ne vient pas répondre aux besoins des métiers de bouche.

Si l’Académie culinaire a pour mission de promouvoir, préserver, enseigner et assurer la diffusion de la cuisine française, celle-ci n’a aucune valeur juridique et ne permet pas d’apporter les protections nécessaires.

Enfin, on constate dans les régions françaises des abus de certains restaurateurs qui proposent des plats sans pour autant en respecter la recette traditionnelle.

S’il existe en France des dispositifs permettant de reconnaître l’existence de particularités comme celles des bouchons lyonnais ou encore de la cuisine niçoise, le droit actuel ne permet pas en l’état d’offrir une protection réelle des recettes de cuisine de notre terroir et de nos traditions.

Selon Nathalie Blanc, Professeur de droit privé de la Faculté de PARIS 13 - Sorbonne Paris Cité : "le plagiat culinaire est souvent invoqué que ce soit par les cuisiniers du dimanche ou par les grands chefs étoilés. Ils s’en plaignent. Ils luttent avec plus ou moins de succès contre le pillage de leurs recettes. L’analyse du droit positif révèle que si la protection actuelle des recettes de cuisine est imparfaite, elle est perfectible."

Une proposition de loi a été enregistrée à l’Assemblée nationale relative à la protection des recettes et des créations culinaires.

Aussi, le titre premier inscrit dans le Code du patrimoine la création d’une nouvelle institution, la « Fondation pour la gastronomie française », qui a pour mission de répertorier les recettes traditionnelles, de les protéger et d’identifier les restaurateurs qui respectent la recette ancestrale.

Le titre II repose sur les travaux réalisés par le docteur Fringans-Ozanne, afin de protéger les créations culinaires. Il insère un chapitre 5 au titre IV du livre 1er du Code du patrimoine.

Elle a été renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.

III- En réalité, en gastronomie droit et procédure sont partout.

1° - En réalité, en gastronomie, le droit est partout.

Il est complexe et très spécifique.

Mais pour tous, les réglementations abondent, sans doute trop nombreuses diront les praticiens.

Elle ne peut donc échapper à bien des branches de droit : des lois betteravières à la directive chocolat, du règlement Reach aux accords internationaux, du droit de la propriété intellectuelle, des labels de qualités au cortège de certification multiples, du droit de la santé, au droit de la consommation sans évoquer les nombreux ressort du droit commun, celui des contrats, de la responsabilité, de la propriété.

2° - En réalité, en gastronomie, la procédure est partout

Elle est complexe et très spécifique.

Mais pour tous, les lois procédurales abondent, sans doute trop nombreuses diront les praticiens.

Elle ne peut donc échapper aux procédures.

La gastronomie et la réglementation dont elle est l’objet peut donc entraîner d’importants litiges en ce qui concerne son environnement professionnel, sa production, les infractions douanières ou fiscales, infractions à la consommation, amendes, problèmes sur les qualités substantielles, contentieux sur l’aspect qualitatif des produits, défaut de livraison des produits.

Dans le contexte communautaire et international, d’autres difficultés viennent s’ajouter impliquant diverses juridictions, différentes traditions juridiques, lois et procédures, ainsi que plusieurs langues.

La procédure exige donc une vigilance très particulière pour échapper aux pièges. Il y a une spécificité de chaque procédure, associée à la connaissance des secteurs techniques et du droit spécifique qui s’y applique.

Encore renforcée par la nouvelle procédure d’appel "Magendie" complexe, qui exige une parfaite maîtrise des règles, exigeant un véritable spécialiste du procès d’appel :
- l’accès au juge d’appel, les décisions susceptibles d’appel, l’appel impossible, l’appel soumis à autorisation spéciale, l’appel différé, les règles particulières à certaines juridictions ;
- la saisine du juge d’appel, la pratique du RPVA, les difficultés liées à la communication électronique, la cause étrangère ;
- l’objet de l’appel limité aux chefs du jugement déféré, le défaut de capacité d’ester en justice, le défaut de pouvoir, les majeurs protégés, la disparition de la personnalité juridique et les difficultés des entreprises ;
- la recevabilité de l’appel, les personnes ayant qualité pour interjeter appel, les changements de qualité, l’appel du ministère public, le changement dans la situation des parties, l’intérêt à interjeter appel, l’appel incident et l’appel provoqué, l’appel nullité ;
- les délais d’appel, l’irrecevabilité des conclusions et la caducité de l’appel ; les procédures d’urgence à bref délai, les procédures relevant obligatoirement du jour fixe ; la procédure prioritaire, les procédures en matière de saisie immobilière, l’appel particulier du jugement d’orientation, l’appel en matière de compétence, l’appel en matière de procédures collectives ;
- le double degré de juridiction et le respect du principe du contradictoire, la communication des pièces et des conclusions ; le principe de l’immutabilité du litige, l’effet dévolutif, l’appel voie de réformation ou d’achèvement, frontières entre prétentions nouvelles recevables et prétentions nouvelles irrecevables, les applications jurisprudentielles, l’intervention volontaire, l’intervention forcée devant la Cour, l’évolution du litige, l’évocation ;
- l’office du juge d’appel, les pouvoirs juridictionnels du Conseiller de la mise en état, la chose jugée, le sursis à statuer, la communication des pièces, l’irrecevabilité des conclusions et leur modélisation, les exceptions de nullité, les fins de non-recevoir, les incidents d’instance, l’interruption, la péremption, la radiation, le désistement , l’autorité des décisions du CME et les voies de recours ; le référé suspension, l’arrêt de l’exécution provisoire, sanction de l’inexécution des condamnations provisoires de droit, ordonnées par le juge ou interdite ; aménagement de l’exécution provisoire ;

De même, les pratiques actuelles très différentes selon les Cours quant à l’application du décret du 6 mai 2017 ne simplifient pas la gestion des multi-contentieux et la surveillance des délais notamment en matière d’appel de référés, d’affaires familiales, de décisions du juge de l’exécution ou encore de décisions concernant les procédures collectives.

La procédure d’appel est distincte de la procédure de première instance, et plus complexe.

Elle exige du professionnel en charge une parfaite connaissance de la procédure civile de première instance, d’appel, des modes alternatifs de règlement du litige et des voies d’exécution.

L’avocat praticien en procédure garantit que la procédure sera scrupuleusement respectée et que le dossier ne sera pas irrémédiablement perdu pour un problème de pure procédure.

Conclusion.

Le domaine de la gastronomie, de l’alimentation par l’intérêt qu’il suscite nécessite de plus en plus de professionnels aussi diverses que variées qui réfléchissent et agissent de concert.

Selon Anne Fauchon, Maître de conférences HDR de droit privé de la Faculté de droit de L’Université de PARIS 13 - Sorbonne Paris Cité : "le plus grand des mérites de cette aventure intellectuelle est certainement de jeter des ponts entre ces disciplines droit, procédure et gastronomie".

(Retrouvez en PDF les textes et bibliographies en lien avec cet article.)

Textes et Bibliographie

Benoit Henry, bhenry chez recamier-avocats.com
Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel
Barreau de Paris
http://www.reseau-recamier.fr/
bhenry chez recamier-avocats.com
Président du Réseau Récamier
Membre de Gemme-Médiation
https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

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Notes de l'article:

[1Membre du centre de recherche juridique Pothier de la Faculté d’Orléans (CRJ) et de l’Institut de recherche pour un droit attractif (IRDA) de la Faculté de droit de L’Université de PARIS 13 - Sorbonne Paris Cité

[2Doyen honoraire de la Faculté de droit de L’Université de PARIS 13 - Sorbonne Paris Cité

[3Doyen honoraire de la Faculté de droit de L’Université de PARIS 13 - Sorbonne Paris Cité

[4Membre du centre de recherche juridique Pothier de la Faculté d’Orléans (CRJ)

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