La cavalière jugée gardienne du cheval ne peut agir en responsabilité contre le propriétaire.

Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.

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Explorer : # responsabilité civile # garde de l'animal # accident équestre # transfert de garde

Cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 14 mars 2019 n° 17/05525 sur le fondement de l’article 1385 du Code civil, désormais codifié à l’article 1243 du même code, apporte d’utiles précisions quant aux critères relatifs à la garde d’un animal et dans quelles circonstances le propriétaire peut démontrer qu’elle a été transférée à l’utilisateur ponctuel.

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Commentaire.

Une adolescente âgée de 15 ans au moment des faits a subi un traumatisme crânien sévère alors qu’elle s’était rendue chez un tiers, propriétaire de poneys. Les circonstances exactes de l’accident, n’ont jamais pu être déterminées précisément puisque l’enfant aurait été perdue de vue alors qu’elle était avec un poney, tandis que c’est le propriétaire des poneys qui aurait donné l’alarme en téléphonant aux parents, en leur indiquant que le poney était rentré seul et qu’il avait retrouvé Nolwen inconsciente. Après avoir été hospitalisée une quinzaine de jours, la victime a conservé de l’accident, des séquelles comportementales. Six ans après le sinistre une action en justice fut introduite à l’encontre du propriétaire du poney et de son assurance.

Sur le fondement de l’article 1385 du Code civil, le Tribunal a retenu en première instance que la garde de l’animal n’avait pas été transférée à la jeune fille, âgée de 15 ans. Toutefois, relevant qu’elle pratiquait depuis plusieurs années l’équitation et titulaire du galop 4, le Tribunal a retenu une faute de la victime à hauteur de 50% des conséquences dommageables de l’accident, au motif qu’elle connaissait parfaitement les risques encourus en cas de chute sans port d’une bombe.

La jeune fille interjeta appel de la décision. Mal lui en a pris. La Cour d’appel infirma cette décision en jugeant à l’inverse qu’en application de cet article 1385, la jeune fille était gardienne de l’animal et son recours en responsabilité contre le propriétaire du poney fut intégralement rejetée.

L’article 1385 du Code civil visé par la Cour [1] lequel dispose que « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé ; soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé » et qui était « d’une importance capitale en 1804 » pour certains auteurs « n’aurait plus qu’un rôle secondaire, par suite de la diminution des tâches confiées aux animaux dans la vie économique, et surtout de « l’invention » de l’article 1242, alinéa 1er » la responsabilité du fait des animaux n’étant plus qu’une application particulière de l’article 1242, alinéa 1er.

Cependant « La responsabilité du fait des animaux reste invoquée par les plaideurs si ce n’est fréquemment, au moins régulièrement » même s’il est exact qu’en l’état du droit positif, les conditions d’application de la responsabilité du fait des animaux, s’apprécient suivant les mêmes règles que la responsabilité du fait des choses, notamment s’agissant de déterminer le gardien de l’animal, qui est justement le point de droit discuté dans l’espèce commenté.

Ainsi que l’observe Monsieur le Professeur Vincent Rebeyrol : « C’est d’ailleurs cette question de la garde qui cristallise l’essentiel des litiges en matière de responsabilité du fait des animaux, au moins pour ceux qui sont portés devant la Cour de cassation. L’hypothèse est celle, fréquente, dans laquelle l’animal a été prêté à un tiers qu’il a blessé ; le propriétaire actionné oppose alors le transfert de garde au tiers et les solutions adoptées en la matière sont difficiles à systématiser ? » [2].

La remarque de l’auteur prend tout son sens dans notre affaire, dès lors que les premiers juges avaient retenu que la garde avait été conservée par le propriétaire, raisonnement infirmé par la Cour d’appel. Si la notion de gardien revêt une importance capitale, c’est à la fois pour déterminer le responsable du dommage causé par l’animal à l’égard de tiers, mais aussi parce que le gardien comme dans l’espèce commenté, ne pourra pas obtenir l’indemnisation des dommages qu’il a subi par le fait du cheval se trouvant sous sa garde.

Peut-on néanmoins dégager une cohérence quant à la caractérisation de la garde d‘un animal au vu de certains critères rappelés dans la décision ? C’est l’exercice que nous tenterons.

Sur la présomption simple de responsabilité au détriment du propriétaire.

Si la garde est un pouvoir de fait apprécié concrètement dans chaque espèce, en revanche la notion de garde et la qualité de gardien sont bien des questions de droit soumises au contrôle de la Cour de cassation. Aussi les juges du fond doivent apporter sur ces points toutes les précisions nécessaires pour que ladite juridiction soit en mesure d’exercer son rôle [3].

Ainsi que le rappelle l’arrêt à l’image d’autres Cour d’appel et comme l’a relevé également la Cour de cassation, le propriétaire est présumé gardien et il supporte la charge de la preuve de démontrer qu’il a bien transféré la garde de la chose . Cette présomption simple au détriment du propriétaire est d’ailleurs maintenue dans l’avant-projet de loi sur la réforme de la responsabilité civile.

Selon la célèbre définition de l’arrêt Franck contre Connot, la garde est caractérisée par le pouvoir d’usage, de direction et de contrôle, définition de l’arrêt Franck régulièrement reprise par les juridictions . Les trois expressions sont vues comme était globalement synonymes, la garde impliquant la maîtrise de la chose [4].

Plus spécifiquement l’usage, est le fait de se servir de la chose généralement dans son intérêt ;

Le contrôle signifie que le gardien peut surveiller la chose, qu’il a l’aptitude à empêcher qu’elle cause des dommages ; la direction manifeste le pouvoir effectif du gardien sur la chose : il peut l’utiliser à sa guise, la faire déplacer là où il le souhaite, de façon indépendante. La garde implique donc l’autonomie du gardien.

Bien que ces critères soient plus délicats à manier s’agissant d’un animal, il convient d’admettre en les rapprochant à notre espèce, que la Cour d’appel parait avoir légalement justifié sa décision.

Sur l’usage de l’animal.

La jeune fille contestait avoir monté le poney au moment de l’accident. Concernant l’utilisation exacte du poney par la jeune fille, la tâche des juges était compliquée par l’absence de témoins. La Cour relevait cependant que tout le suivi médical et psychologique mis en place après l’accident, était fondé sur l’existence d’un traumatisme crânien par chute de cheval, qu’il n’avait jamais été fait état de la moindre autre blessure. Or si la jeune fille avait été blessée alors qu’elle tenait le poney en main, ou par un coup de pied, d’autres lésions n’auraient pas manqué d’être relevées. Elle confirmait la décision de première instance ayant jugé que la jeune fille avait bien monté le poney.

La circonstance que l’accident se soit produit alors que l’utilisateur montait le cheval est un élément décisif retenu par les magistrats pour considérer que la garde a été transférée.

La Cour d’appel de Versailles le rappelle en indiquant à propos du cavalier : « il est de principe qu’il devient le gardien de sa monture puisqu’il en acquiert à ce moment-là, l’usage, la direction et le contrôle. »

Le cavalier est réputé se servir de la chose dans son propre intérêt, pour son agrément.

C’est ainsi que l’on peut tenter de concilier deux arrêts rendus en 2010 par la 2ème chambre de la Cour de cassation qui ont pu paraître contradictoires en doctrine, puisque l’un refuse et l’autre admet le transfert de garde à l’utilisateur ponctuel de l’animal. Le 15 avril 2010, [5] le transfert de garde sera exclu par la Cour après avoir relevé que le cheval qui avait été confiée à une amie (pourtant elle-même propriétaire de chevaux et d’écurie) « durant son absence, avait blessé cette dernière, alors qu’elle tenait le cheval au bout d’une longe et marchait à ses côtés ».

La Cour a estimé « qu’elle n’avait pas reçu sur le cheval de pouvoir de contrôle ou de direction, que son rôle était limité à l’entretien courant de l’animal….que les pouvoirs transférés sont limités dans l’intérêt du cheval ; la victime n’utilisait pas le cheval dans son propre intérêt, lors de l’accident ». En sens inverse, le 3 juin 2010, [6] la 2ème chambre retiendra que le cavalier, titulaire d’une licence fédérale et du Galop 4 qui participe à un concours hippiques organisé par le Club, était bien gardien du cheval au moment de l’accident dès lors que ; « comme tout cavalier et sauf circonstance particulière, il s’est vu transférer la garde de l’animal pendant le temps où il l’a pris en charge pour effectuer son parcours….il était alors seul à avoir sur lui un pouvoir de direction et de contrôle. »

Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 7 janvier 2016 illustre parfaitement comment l’utilisateur ponctuel peut être jugé gardien ou non de l’animal selon qu’il se trouve au moment de l’accident à côté ou sur le cheval : bien que la victime ait déjà eu l’occasion de monter la jument par le passé, c’est en sortant l’animal de son box pour le promener à la longe que de retour au box, la victime fut blessée par une ruade. La Cour retient que « le jour de l’accident elle n’a pas pris l’initiative de seller la jument pour quitter la propriété de Monsieur T afin de partir en promenade alors même qu’elle le faisait régulièrement d’autres jours ainsi qu’en ont attesté les témoins précités….. le jour de l’accident M. T (propriétaire) avait conservé la garde de l’animal ».

Sur l’usage de l’animal dans l’intérêt ou non de la victime.

Dans les faits soumis à la Cour d’appel de Versailles, le propriétaire du poney n’avait nullement demandé à la victime de monter son équidé. Il prétendait à l’inverse lui avoir interdit l’accès au poney et qu’elle avait fait sortir le poney en sautant la clôture. Si la Cour considère que peu importe que la jeune fille ait eu l’autorisation ou non du propriétaire pour monter le poney, elle relève cependant que « c’est librement et pour son propre plaisir » qu’elle montait le poney.

A l’image du préposé bénévole qui ne peut être considéré comme gardien le cavalier même s’il s’agit d’un cavalier aguerri pourra démontrer ne pas avoir eu les pouvoirs de direction et de contrôle, dès lors qu’il rend service au propriétaire : « Madame L. qui montait le cheval ne s’était vu confier l’animal que pour quelques instants, le temps d’une promenade que ni la propriétaire de Qualha ni sa sœur n’était en mesure de faire faire au cheval et à titre bénévole dans le cadre de la relation amicale qui la liait à Madame H » [7].

La victime peut également démontrer l’existence d’une véritable convention d’assistance bénévole entre elle-même et le propriétaire du cheval, laquelle oblige l’assisté à indemniser l’assistant. Statuant sur 1385, la Cour d’appel de Caen le 22 mars 2016 l’a admis en présence d’une victime qui s’est vu blessée par un cheval alors qu’elle tenait ce dernier en main pendant que le cavalier reconnaissait le parcours .
La victime supporte la charge de la preuve de la convention en cas de contestation, comme l’a retenu la Cour d’appel de Riom le 6 avril 2016 : « il appartient à Mme L. de démontrer l’existence de ladite convention par des éléments qui lui soient extérieurs..., faute d’établir que l’appelant lui-même ait entendu se placer dans un tel cadre contractuel dans la mesure où la blessée n’agissait pas exclusivement dans l’intérêt de M. D., mais pour satisfaire son légitime plaisir de monter la jument…  »

Sur le niveau équestre de la victime et sa connaissance des risques.

Autre élément relevé par la Cour d’appel pour juger la cavalière gardienne de l’animal, le niveau d’équitation de la victime. Le cavalier agissant dans son propre intérêt ne sera pas systématiquement jugé gardien. Ce sont cette fois les critères du contrôle et de la direction qui permettent aux juges de refuser le transfert de la garde. Sur ce point la Cour adopte une argumentation intéressante en distinguant la capacité à maîtriser sa monture, de la seule connaissance des risques. Certes eu égard à son niveau d’équitation Galop 4 sur une échelle de 1 à 7, les magistrats le qualifient de « moyen ». Ils admettent que la cavalière n’était pas capable de maîtriser le cheval en toutes circonstances. Néanmoins dès lors qu’elle avait connaissance des risques qu’elle prenait en sortant l’animal de son enclos et en le montant à cru sans bombe, la Cour en déduit qu’elle avait accepté les risques d’une chute. Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas là d’une application par la Cour d’appel de la « théorie de l’application des risques » proprement dite. Rappelons que cette construction jurisprudentielle permet au gardien de la chose ayant causé le dommage, d’obliger la victime à démontrer la faute qualifiée pour engager sa responsabilité civile.

Cette théorie qui ne s’appliquait que dans le cadre d’une compétition, a été clairement abandonnée par la Cour de cassation sur le fondement de la responsabilité du fait des choses [8] tout au moins, son abandon sur le fondement de l’article 1385 du Code civil [9], n’étant pas forcément acquis. Il s’agit pour la Cour de considérer que sa pratique de l’équitation attribuait à la cavalière la conscience des risques et du danger. Ce critère a permis en revanche à d’autres victimes de ne pas être jugée gardienne de l’animal.Tel est notamment le cas dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 mai 2015 où il fut jugé à propos d’une victime débutante en équitation que « compte tenu de l’extrême rapidité de sa chute, il était constant que Madame X n’était monté sur ce cheval que durant un court instant, ce qui démontre qu’elle n’en avait nullement le contrôle qui aurait permis de caractériser un transfert de la garde. »

Dans le même sens la Cour d’appel de Rennes le 19 Mars 2014 a jugé que la victime qui « n’avait pas l’habitude de faire du cheval, c’était la seconde fois qu’elle montait le poney de son père ..… si elle avait l’usage du poney, c’était à titre ponctuel, alors qu’elle n’avait ni la capacité, ne le pouvoir d’en disposer à son gré ».

Sur la compatibilité des critères de la garde avec la sensibilité propre à l’animal.

Il est constant qu’il existe un flou relatif quant à la détermination du gardien s’agissant d’un animal et plus particulièrement d’un cheval. Nous partageons parfaitement l’avis de Monsieur le Professeur Vincent Rebeyrol, lorsqu’il souligne que « On peut se demander si ces critères de la garde, qui sont ceux du célèbre arrêt Franck du 2 décembre 1941 rendu en matière de responsabilité du fait des choses, sont parfaitement compatibles avec l’affirmation récente, par le Code civil, d’une sensibilité propre de l’animal (peut-on « user » d’un être sensible et le « contrôler » ?) »

Contrairement à une chose, l’animal interagit avec les éléments qui l’entourent. Son comportement peut dépendre de la manière dont il est appréhendé par l’homme. Une mauvaise réaction à l’égard d’un animal peut entraîner des dommages qui aurait pu être évités notamment par une meilleure connaissance de sa psychologie. S’agissant d’un cheval, outre le niveau du cavalier qui lui permet d’éviter la chute, sa maîtrise est d’autant plus complexe qu’il est à la fois fort, puissant, mais également émotif, craintif, cherchant son salut dans la fuite.

On ne peut que déplorer que l’avant-projet de loi sur la responsabilité civile qui avait toute latitude pour affiner le principe de responsabilité du fait des animaux en tenant compte de sa qualité « d’être vivant doué de sensibilité » reconnue désormais par le Code civil, à l’article 515-14, ait à l’inverse prévu de supprimer l’article qui lui était dédié, en l’englobant dans un article général de responsabilité du fait des choses.
Il est encore temps de s’y opposer lors des futurs débats, puisqu’il ne s’agit que d’un avant-projet qui devra être prochainement discuté et éventuellement amendé.

Blanche de Granvilliers-Lipskind
Avocat à la Cour, Docteur en droit,
Membre de l’Institut du Droit Equin et de la commission droit de l’animal.

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Notes de l'article:

[1Devenu l’article 1243.

[2La Semaine Juridique Edition Générale n° 11, 18 Mars 2019, 271, Précisions en matière de responsabilité du fait des animaux - Note sous arrêt par Vincent Rebeyrol.

[3Cf. Dalloz action Droit de la responsabilité et des contrats n°2221.154 qui cite Civ. 2e, 21 nov. 1990, no 89-19.401, Bull. civ. II, no 241 ; Gaz. Pal. 1991. Pan. 61 – Civ. 2e, 9 déc. 1992, no 91-16.954 , Bull. civ. II, no 305 ; Gaz. Pal. 1993. 1. Pan. 126 : cassation.

[4Ch. réunies, 2 déc. 1941, GAJC, t. II, 13e éd., 2015, no 203 ; DC 1942. 25, note Ripert ; S. 1941. 1. 217, note H. Mazeaud ; JCP 1942. II. 1766, note Mihura.

[5Cour Cass 2ème n° 09-13.370 JurisData n° 2010-004154 ; JCP G 2010, 725, A. Zelcevic-Duhamel.

[6Cass. 2e civ. n° 09-13.526 : JurisData n° 2010-008179.

[7Cf. CA Nîmes 2 juin 2016.

[81384 alinéa 1er devenu 1242 alinéa 1er.

[9Devenu 1243.

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