Comment combiner demande de résiliation judiciaire et mise à la retraite d'office pendant la procédure ? Par Grégory Chatynski, Juriste.

Comment combiner demande de résiliation judiciaire et mise à la retraite d’office pendant la procédure ?

Par Grégory Chatynski, Juriste.

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Explorer : # résiliation judiciaire # mise à la retraite # discrimination liée à l'âge # procédure judiciaire

Un licenciement intervenu dans le cours d’une procédure tendant à la résiliation judiciaire du contrat, met immédiatement fin au contrat de travail. Le juge doit, sauf cas très particuliers [1], examiner d’abord la demande de résiliation judiciaire, puis, si celle-ci n’est pas justifiée, la contestation relative au licenciement.

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Qu’en est-il lorsqu’une mise à la retraite d’office, du fait de la survenance de l’âge (70 ans), met fin à un contrat de travail dans le cours d’une procédure judiciaire tendant à la résiliation judiciaire du contrat ?

Un arrêt du 25 novembre 2021 de la 6ème chambre de la Cour d’Appel de Versailles (RG n° 19/00102) vient utilement y répondre.

La question est d’importance, car si la demande de résiliation judiciaire du contrat doit être examinée par le juge, l’employeur risque, en cas de dossier inconfortable, de subir les conséquences de la résiliation si celle-ci intervient (licenciement sans cause réelle ni sérieuse, ou nulle selon les cas).

Alors que si la demande est sans objet du fait de la mise à la retraite, le salarié n’a d’autre option que de se concentrer non plus sur le cœur de son contentieux initial, à savoir les manquements supposés de l’employeur, mais sur la contestation de sa mise à la retraite, si cette contestation est possible.

Cela change radicalement la physionomie du dossier.

Dans le cas d’espèce soumis à la Cour d’Appel de Versailles (RG n° 19/00102), un salarié avait obtenu en première instance la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Mais, en raison de l’effet suspensif de l’appel, cette résiliation judiciaire était suspendue jusqu’à la décision de la Cour.

De fait, le salarié, en arrêt-maladie, était toujours salarié, et disposait des mêmes droits que les autres salariés de l’entreprise, tandis que cette dernière pouvait, elle aussi, exercer l’ensemble des droits et prérogatives d’employeur.

C’est dans ce contexte procédural que l’employeur, au constat du dépassement de l’âge minimal à partir duquel une mise en retraite d’office était possible (70 ans), a décidé d’exercer ce droit, et de rompre le contrat de travail avant que la Cour ne statue.

Le débat judiciaire s’est donc naturellement déporté sur cette situation nouvelle : le salarié a contesté la validité de cette mise à la retraite et en a demandé la nullité puisqu’elle constituait, selon lui, pêle-mêle,

« une discrimination liée à l’âge, un harcèlement moral, un abus de droit, serait désinvolte, aurait été prise dans un but exclusivement procédural, malicieusement et dans le but vexatoire et non dans un intérêt légitime ».

Sur la discrimination liée à l’âge, il a essentiellement soutenu son argumentation sur l’application combinée :
- de l’article L1132-1 du Code du travail qui indique « Aucune personne ne peut être…sanctionné, licencié où faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte,... en raison de son âge » ;
- de l’article 6, § 1, de la directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, qui énonce « Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires » ;
- d’un arrêt du 22 janvier 2020 de la Cour de cassation [2] qui a appliqué ces principes à l’occasion d’un contentieux concernant une mise à la retraite d’office à la SNCF (65 ans).

Invoquant certains arrêts de la Cour de cassation [3], le salarié a également imaginé convaincre la Cour d’appel que la mise à la retraite prononcée par l’employeur avait été effectuée dans des conditions brutales et vexatoires, constitutives d’un abus de droit, ou encore caractérisait une légèreté blâmable de l’employeur.

Pour la Cour d’appel de Versailles, le constat est sans appel :

Rappel de la règle :

« Il est constant qu’en cas d’appel du jugement du conseil de prud’hommes prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail, c’est le jour du prononcé du jugement qui sera retenu comme date de rupture. Toutefois, lorsque le contrat de travail s’est poursuivi après le jugement, c’est la date de l’arrêt confirmatif d’appel qui constitue la date de rupture du contrat de travail. Si, au moment où le juge statue sur la demande de résiliation, l’employeur a déjà prononcé une mise à la retraite, cette demande de résiliation devient sans objet car la mise à la retraite a mis fin au contrat de travail. Par conséquent, le salarié ne peut plus obtenir la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il peut seulement demander des dommages-intérêts si les griefs formulés à l’encontre de l’employeur sont justifiés ».

Application de la règle :

« En l’espèce, (l’employeur), qui a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes du 6 décembre 2018 qui a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail liant les parties, indique avoir maintenu la relation contractuelle en application de l’effet suspensif de l’appel.

Le contrat de travail a dès lors été rompu par la notification de la mise à la retraite du salarié en juin 2021, de sorte qu’en application des principes rappelés ci-dessus, la demande de résiliation judiciaire est devenue sans objet devant la cour d’appel.

Pour faire échec à cette situation, (le salarié) invoque la nullité de sa mise à la retraite, qui constituerait, selon lui, une discrimination liée à l’âge, un harcèlement moral, un abus de droit, serait désinvolte, aurait été prise dans un but exclusivement procédural, malicieusement et dans le but vexatoire et non dans un intérêt légitime.

Il convient de rappeler que la mise à la retraite est un mode de rupture du contrat de travail prévu par l’article L1237-5 du Code du travail dès lors que le salarié a atteint l’âge de 70 ans.

Tel est le cas (du salarié), qui était âgé de 57 ans lors de son embauche, et de 72 ans lors de sa mise à la retraite en juin 2021. L’âge du salarié constitue donc une condition objective de sa mise à la retraite et non pas une discrimination.

(Le salarié) n’étayant pas les autres fondements de sa demande de nullité, l’argumentation du salarié apparaît dans ces conditions infondée.

(Le salarié) sera donc débouté de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur ainsi que des demandes subséquentes ».

La mise à la retraite a eu pour conséquence de rendre sans objet la demande de résiliation judiciaire. D’où l’infirmation du jugement du Conseil de prud’hommes.

Et dans la mesure où cette mise à la retraite a été jugée fondée, non fautive et non discriminatoire, les demandes du salarié à ce titre ont été rejetées.

CQFD.

Grégory Chatynski
Responsable juridique droit social
Ancien Conseiller prud\’homal Employeur, Industrie
Conseiller prud\’homal Employeur, Encadrement (2023-2025)

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Notes de l'article:

[1Exception : le contrat de travail du salarié protégé, licencié sur le fondement d’une autorisation administrative ensuite annulé et qui ne demande pas sa réintégration, est rompu du fait du licenciement, pourtant postérieur à la demande de résiliation judiciaire, de sorte que le juge du fond, initialement saisi, ne peut statuer sur la résiliation judiciaire qui devient sans objet. (Cass, Soc, 10 novembre 2021, RG 20-12604).

[2Soc - RG n° 17-31.158.

[3Cass. Soc. 3 mars 2010 n° 08-44.996, Cass. Soc. 20 novembre 2001, 99-45.065.

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Discussions en cours :

  • Cher confrère conseiller prud’homal,

    J’attire votre attention sur la jurisprudence postérieure à la vôtre (Cour d’appel, Montpellier, 2e chambre sociale, 6 Avril 2022 – n° 19/00856) qui condamne un employeur à verser des sommes pour licenciement nul à un salarié qui avait fait une demande de RJ, été mis à la retraite, avait été débouté en première instance, avait interjeté appel.
    La cour d’appel de Montpellier juge ainsi :
    "Les manquements ci-dessus de l’employeur présentaient un caractère de gravité avéré et ils empêchaient la poursuite de la relation de travail en sorte que Monsieur Jean-Pierre B. était fondé à demander en justice la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la sa Enedis. Cette résiliation produit les effets d’un licenciement nul au jour de la mise à la retraite d’office le 1er novembre 2018."
    Et c’est à mon sens parfaitement normal : si le juge a à statuer sur une demande de RJ nonobstant le licenciement ultérieur, pourquoi le juge n’aurait-il pas à statuer sur une RJ nonobstant la mise à la retraite opérée par l’employeur ?
    Autant, dans un cas où le salarié solliciterait de lui-même sa retraite (départ en retraite), on est fondé à considérer qu’il a tacitement abandonné sa demande de RJ ; mais dans le cas du licenciement comme de la mise à la retraite, le salarié n’est pas volontaire, c’est une décision de l’employeur, et il serait curieux que l’employeur puisse faire échec à une demande de RJ justifiée en mettant le salarié à la retraite.
    Devant ces deux décisions discordantes, celle de la cour d’appel de Montpellier me paraît être donc juridiquement davantage fondée.

    • par GREGORY CHATYNSKI , Le 22 mai 2023 à 16:21

      Bonjour cher confrère conseiller CPH

      Je vous remercie de cet arrêt et de sa motivation intéressante.

      Cet arrêt est toutefois contraire à un arrêt de principe du 12 avril 2005 (n° 02-45.923 : Bull V, n° 131 ; RJS 2005, n° 732), selon lequel :
      « Lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, le contrat de travail a pris fin par la mise à la retraite du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet ; il a seulement la faculté, si les griefs qu’il faisait valoir à l’encontre de l’employeur sont justifiés, de demander la réparation du préjudice en résultant » ; décision confirmée par la suite (Soc. 21 février 2007, n°05-43.438).

      Enfin, la cour de cassation vient de valider la décision citée dans mon article, en rejetant sèchement, par décision du 19 avril 2023 (rejet non spécialement motivé, n°22-10.815) le pourvoi du salarié.

      donc ...

      Bien à vous

    • par BenoitL , Le 22 mai 2023 à 23:38

      Cher confrère,

      Je vous remercie pour votre complément d’information ; il est dommage néanmoins que le site de la Cour de cassation n’ait pas présenté les moyens du pourvoi (sur legifrance, l’arrêt ne figure même pas), ce qui aurait pu permettre de voir exactement sur quoi portait le pourvoi.
      Mais, plus que cela, j’aurais bien aimé comprendre le raisonnement juridique sous-jacent menant à une différence de traitement entre RJ et licenciement et la RJ et mise à la retraite, les deux ruptures étant toutes les deux des décisions unilatérales de l’employeur, et je ne comprends pas pourquoi un salarié, au motif qu’il a atteint 70 ans et a été mis à la retraite, ne pourrait pas voir prospérer sa demande de RJ au contraire d’un salarié plus jeune qui ne peut être mis à la retraite ; et là-dessus, les décisions sont muettes (e.g. aucun article de loi cité par la Cour de cassation à l’appui de son raisonnement en 2005), et ce n’est pas le laconisme de la Cour de cassation dans son dernier arrêt qui permettra de mieux comprendre de quoi il s’agit, à supposer même que le pourvoi ait concerné ce point...
      Dans son commentaire de l’arrêt de 2005, M. Bernard Gauriau, Professeur à l’université d’Angers, écrivait d’ailleurs, après avoir relevé la contradiction entre la jurisprudence applicable à « RJ et licenciement » et la solution de la Cour de cassation « RJ et mise à la retraite » : "sans doute faut-il se garder de conclure trop hâtivement à une position tranchée de la Cour de cassation". Un éditeur juridique écrit en commentaire "Il serait souhaitable que cette solution [i.e. le juge doit étudier la demande de RJ même quand celle-ci est suivie d’un licenciement], fondée sur le désir que l’employeur ne puisse par sa seule volonté (en licenciant le salarié) se soustraire à une action en justice à laquelle il est défendeur, soit étendue à la mise à la retraite ultérieure à l’introduction d’une demande de résiliation".
      Il est donc à craindre qu’un RNSM, sans que l’on connaisse sur quoi portait le pourvoi, ne close pas le débat, surtout au vu de certaines formulations ambiguës de cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, chambre 5, 29 Septembre 2022 – n° 19/08470 ; CA Versailles, 19e chambre, 26 Octobre 2022 – n° 20/02503 ; CALyon - 7 décembre 2022 - n° 19/05335) ! Peut-être qu’il y aura pourvoi en cassation de la SA Enedis contre l’arrêt de Montpellier, ce qui incitera la cour de cassation à motiver satisfaisamment ?
      Ah, j’ajoute enfin que l’on ne peut considérer à mon sens que l’arrêt de 2007 est une confirmation de l’arrêt de 2005, puisqu’il dit bien que "la salariée avait fait valoir ses droits à la retraite en cours d’instance", donc il s’agit apparemment plus d’un départ à la retraite volontaire que d’une mise à la retraite du fait de l’employeur, nonobstant l’utilisation de l’expression "mise à la retraite" (observation faite par M. Jean Pélissier).

      Bien à vous

    • par GREGORY CHATYNSKI , Le 23 mai 2023 à 15:51

      Bonjour

      Merci de vos commentaires, documentés.

      Je serai ravi de découvrir de prochains développements jurisprudentiels en la matière.

      Bonne journée

    • par BenoitL , Le 25 mai 2023 à 22:04

      Bonsoir

      Un ultime commentaire ; j’avais mal fait mes recherches, il y a bien eu pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier, mais comme vous pouvez le voir, l’arrêt de cassation ne donne rien sur le fond : https://www.courdecassation.fr/decision/640989966424a5fb02710dce
      Dommage pour le droit (même si j’en suis ravi pour le salarié), il faudra attendre d’autres développements...

      Bonne soirée

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