Enquête pénale en cours et refus de nomination en qualité de notaire : quelques précisions.

Par Laurent Stouffs, Avocat.

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Explorer : # refus de nomination # enquête pénale # notaire # liberté professionnelle

Avant de faire droit à une demande de nomination en qualité de notaire, il appartient au garde des Sceaux, ministre de la Justice, de s’assurer que le requérant n’a pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité.

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Par un jugement n° 2216445 rendu le 17 mai 2023, le Tribunal administratif de Montreuil a rappelé, à ce sujet, que les faits susceptibles de justifier un refus de nomination sur ce fondement doivent être suffisamment établis.

Ainsi, la seule circonstance qu’une enquête pénale soit en cours à l’égard de l’intéressé ne saurait, en l’absence de toute autre circonstance, autoriser l’administration à rejeter une demande de nomination.

1. Aux termes de l’article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d’accès aux fonctions de notaire, nul ne peut être nommé notaire s’il a « été l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité ».

Sur le fondement de ces dispositions, le Conseil d’État a précisé que :

« lorsqu’il vérifie le respect de cette condition, il appartient au ministre de la Justice d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si l’intéressé a commis des faits contraires à l’honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté ainsi que du comportement postérieur de l’intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination » [1].

Il en résulte qu’un refus de nomination en qualité de notaire ne peut être opposé par le garde des sceaux qu’à la condition de démontrer que les faits reprochés à l’intéressé ont effectivement été commis, notamment parce qu’ils ont fait l’objet d’une condamnation pénale et/ou disciplinaire.

Une telle exigence est parfaitement compréhensible.

Un refus de nomination a en effet des conséquences pratiques très graves puisqu’il fait obstacle à ce que l’aspirant notaire puisse exercer librement son activité professionnelle - droit dont on rappellera qu’il constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de justice administrative [2].

Outre leur gravité et leur caractère suffisamment récent, les faits invoqués par le ministre pour refuser une nomination doivent donc être avérés, ou, à tout le moins, hautement vraisemblables, et non simplement hypothétiques.

2. Dans l’affaire ayant donné lieu au jugement commenté du Tribunal administratif de Montreuil [3], le requérant - qui exerçait déjà la profession de notaire - avait sollicité du garde des sceaux sa nomination au sein d’une nouvelle structure d’exercice.

Pour justifier son refus de faire droit à cette demande, le garde des sceaux s’était borné à faire état d’un courriel du procureur émettant un avis défavorable sur cette nomination au motif qu’une enquête pénale ouverte des chefs d’escroqueries et de blanchiment était toujours en cours à l’égard de l’intéressé, lequel avait été entendu dans ce cadre en audition libre.

Néanmoins, faisant droit au recours en annulation formé par le requérant, le tribunal a censuré pour erreur d’appréciation cette décision aux motifs que les seuls éléments invoqués par le ministre 

« ne suffisent pas à caractériser l’existence de circonstances faisant obstacle à la nomination de [Me X], alors qu’au demeurant il ne ressort pas des pièces du dossier que celui-ci aurait fait l’objet d’une quelconque mesure administrative l’empêchant de poursuivre l’exercice de la profession de notaire » [4].

Le tribunal a ainsi adopté la même position que son juge des référés lequel avait retenu, pour sa part, dans cette même affaire, qu’« en se bornant à produire un courriel du procureur général près la Cour d’appel de Paris indiquant que l’enquête pénale, au cours de laquelle [Me X] a été entendu en audition libre, n’était pas close, que les investigations se poursuivaient pour entendre différents mis en cause et obtenir des éléments complémentaires, ce qui pourrait constituer un obstacle à sa nomination en qualité d’officiel public et ministériel, alors que [Me X] […], exerce toujours ses fonctions de notaire dans l’office notarial dans lequel il a été nommé, et alors qu’aucune mesure de suspension ou aucun début de procédure disciplinaire n’a été engagé contre lui » [5], le garde de sceaux ne justifiait pas légalement sa décision de refus.

3. Une telle solution s’imposait clairement.

Comme le faisait valoir le requérant à l’appui de son recours, la seule circonstance qu’une enquête pénale soit en cours n’établit en elle-même nullement la matérialité des faits reprochés.

Juger le contraire reviendrait à faire peser sur le demandeur une présomption de culpabilité que rien ne saurait justifier.

En l’absence de tout élément de nature à démontrer le caractère suffisamment plausible des accusations en cause, l’on ne voit pas, en effet, pourquoi celui-ci aurait à subir seul les conséquences d’une enquête pénale dont on sait qu’elles durent souvent de très nombreux mois.

Ce à quoi il sera ajouté qu’une nomination ne crée aucune situation irréversible puisque, à supposer que l’enquête pénale aboutisse finalement à démontrer le bienfondé d’accusations formulées à l’encontre du demandeur, ce dernier pourra faire l’objet d’une interdiction d’exercer, que celle-ci soit prononcée dans le cadre d’une procédure disciplinaire, sur le fondement de l’article 16 de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, ou/et par le juge pénal, sur le fondement notamment de l’article 131-27 du Code pénal.

En définitive, le garde des Sceaux ne saurait refuser une nomination à titre purement conservatoire : ou bien les faits reprochés sont suffisamment établis ou bien ils ne le sont pas et, dans cette seconde hypothèse, il doit alors être nécessairement fait droit à la demande du requérant.

Laurent Stouffs,
Avocat au Barreau de Paris
avocatstouffs.com

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Notes de l'article:

[1CE, 25 juin 2018, n° 412970, mentionné aux tables.

[2CE, JR 11 juin 2002, Aït Oubba, n° 247649, mentionné aux tables ; CE, JR, 15 décembre 2005, Marcon, n° 288024, publié au Recueil.

[3TA de Montreuil, 17 mai 2023, n° 2216445.

[4Point 3 du jugement.

[5TA de Montreuil, JR, 20 décembre 2022, n° 2217664.

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