En 2021, la Cour de cassation avait déjà étendu le droit à réparation de la victime hospitalisée à l’aide apportée par ses proches pour pallier sa perte d’autonomie dans les actes de la vie courante [1].
Poursuivant en ce sens, la 1ᵉ Chambre civile a jugé, par un arrêt du 1ᵉʳ février 2023, au visa de l’article L 1142-1, II du Code de la santé publique que le rejet, par principe, de toute indemnisation de l’assistance par tierce personne pendant les périodes d’hospitalisation violait le principe de réparation intégrale du préjudice.
Pour cela, elle a rappelé que l’assistance par une tierce personne :
« ne se limite pas aux besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne ».
C’est donc sur ce moyen que les proches d’une victime d’un accident médical ont contesté un arrêt de la Cour d’appel d’Agen du 1ᵉʳ février 2023 ayant considéré que la rente par tierce personne devait être suspendue au-delà de trente jours d’hospitalisation ou de prise en charge en milieu médical spécialisé.
La 1ʳᵉ Chambre civile a donc précisé son premier arrêt et cassé la décision contestée en précisant :
« En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a écarté par principe toute indemnisation de l’assistance par une tierce personne pendant les périodes d’hospitalisation ou d’admission en milieu médical de Mme X, sans prendre en compte les besoins d’assistance qu’elle pourrait avoir durant ces périodes, a violé le texte et le principe susvisés ».
Ainsi, la Haute Cour considère que les juridictions du fond doivent prendre en compte les besoins d’assistance, quelle que soit la durée d’hospitalisation.
Cette décision est justifiée dans la mesure où plus la durée d’hospitalisation est longue, plus les proches de la victime sont amenés à l’assister.
En effet, les victimes hospitalisées doivent tout de même accomplir certains actes du quotidien : elles doivent pouvoir bénéficier de leurs vêtements, propres, avoir accès à leurs activités d’agrément quand cela est possible (lecture, jeux de sociétés, etc.), elles peuvent avoir envie de bénéficier de véritables repas en dehors de ceux de l’hôpital, etc.
Il s’agit également de s’occuper des tâches administratives de la victime qui doit continuer à payer ses factures, son loyer etc. Il faut aussi tenir informé son employeur de sa situation de santé, éventuellement mettre en place des actions auprès de la MDPH, de la Sécurité sociale, contacter un avocat, etc.
Et, plus l’hospitalisation est longue, plus ces éléments de la vie doivent justement être assurés.
Citons, par exemple, l’hypothèse d’une victime grande brulée dont la gravité des lésions justifie une hospitalisation durant plusieurs mois, notamment en centre de réadaptation. Ces centres sont spécialisés et sont rarement proches des domiciles des victimes.
Ainsi, les proches de la victime peuvent faire plus de 100 km aller-retour, plusieurs fois par semaine, pour se rendre à son chevet. Ces déplacements doivent être pris en compte dans l’assistance allouée.
Et, les proches restent souvent plus d’une heure sur place.
Si l’hospitalisation dure 6 mois, que les proches se déplacent 3 fois par semaine, le calcul total pourrait donc correspondre à :
- Nombre de déplacements : 3 fois/semaine x 4 semaines/mois x 6 mois : 72 déplacements ;
- Déplacements : 72 déplacements x 100 km : 7 200 km ;
- Durée de déplacement : 2 h x 72 : 144 heures ;
- Présence : 1h x 72 : 72 heures
Soit au total : 216 heures et 7 200 km.
Toutes ces tâches prennent finalement un temps considérable pour les proches de la victime, sans compter le temps passé dans les transports pour se rendre entre l’hôpital, le domicile de la victime et leur propre domicile.
C’est la raison pour laquelle la reconnaissance de ce besoin par le juge, quelle que soit la durée d’hospitalisation, est fondamentale.
Plus encore, cette reconnaissance devrait également passer par les experts interrogés sur l’évaluation des préjudices des victimes et ceux de leurs proches. En effet, ces médecins -souvent hospitaliers– ont tendance à considérer, à l’instar de la Cour d’appel, que les périodes d’hospitalisation correspondent à une prise en charge intégrale des préjudices de la victime.
Il convient donc d’informer les experts judiciaires de ces nouveautés jurisprudentielles afin qu’ils puissent les intégrer à leurs évaluations. Pour cela, leurs missions d’expertise doivent être modifiées afin de faire explicitement référence à ce poste de préjudice « d’aide humaine, y compris pendant les périodes d’hospitalisation ».
Par ailleurs, cet arrêt revient sur l’appréciation par la Cour d’appel de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs de la victime d’un accident médical jeune.
D’une part, sur l’évaluation de la perte de gains professionnels futurs, qui avait été conditionnée par la Cour, à une perte de chance en raison du jeune âge de la victime au moment de l’accident.
La Cour d’appel avait donc précisé que la victime :
« n’ayant pu, en raison de son handicap, ni suivre d’études ou de formation ni exercer d’activité professionnelle, elle n’avait pas subi une perte effective de revenus, mais la perte d’une chance d’exercer une activité professionnelle ».
La Cour de cassation considère, au visa de l’article L11421-1, I, du Code de la santé publique et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit, que :
« la perte de gains professionnels futurs, liée un accident survenu lors de la naissance de la victime ou dans son jeune âge, la privant de toute possibilité d’exercer un jour une activité professionnelle, doit être regardée comme présentant un caractère certain.
20. Pour limiter l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs à une perte de chance, l’arrêt retient que Mme [B] [R] n’ayant pu, en raison de son handicap, ni suivre d’études ou de formation ni exercer d’activité professionnelle, elle n’a pas subi une perte effective de revenus, mais la perte d’une chance d’exercer une activité professionnelle.
21. En statuant ainsi, en l’absence d’aléa professionnel, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ».
D’autre part, la 1ʳᵉ Chambre a également cassé l’arrêt ayant limité ce poste de préjudice de la même façon que la rente pour la tierce personne durant l’hospitalisation.
Là encore, la Haute juridiction considère que l’indemnisation de ces pertes de gains n’a pas à être suspendue au-delà de 30 jours d’hospitalisation.
Cette décision fait là encore preuve de réalisme dans la mesure où la personne active professionnellement ayant subi un accident l’obligeant à être hospitalisée perçoit également son salaire, soit par le biais de son entreprise, de la Sécurité sociale, d’une assurance ou d’une rente accident.
Rien ne justifie que la jeune victime d’un accident soit traitée différemment et ne perçoive aucun revenu dans des circonstances similaires.
La 1ʳᵉ Chambre de la Cour de cassation rend là encore une décision favorable aux victimes d’accidents médicaux sur lesquelles elle refuse de faire peser une charge de la preuve démesurée dès lors qu’elles justifient du lien entre leurs demandes et la réalité de leurs préjudices.