Lenteurs de la justice et droit du travail : délais déraisonnables, que faire ?

Par Barbara Régent, Avocat.

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Explorer : # lenteur de la justice # droit du travail # modes alternatifs de règlement des différends # responsabilité de l'État

La justice est de plus en plus lente. En droit du travail, il faut attendre plusieurs années avant d’avoir une décision définitive. La responsabilité de l’État peut être engagée pour être indemnisé.
Mais, il est aussi possible de trouver des issues non contentieuses grâce aux modes amiables qui ont toute leur place en droit social. Le temps ajoute aux souffrances, au manque de considération. Il nuit au salarié comme à l’employeur.

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I) Cadre général : la responsabilité de l’État sur le fondement du dépassement du délai raisonnablement de jugement.

Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (COJ), l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

- La jurisprudence définit la faute lourde comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

- Un déni de justice correspond, quant à lui, à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires  ; il comprend le devoir de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire s’effectue de manière concrète en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties à ce que le litige soit tranché rapidement.

II) Le cas des contentieux en droit du travail.

2.1 les litiges du travail.

Avec le droit de la famille, le droit du travail est la « terre d’élection » du contentieux en responsabilité de l’État. En effet, « par leur nature, les litiges du travail appellent une décision rapide puisqu’ils ont habituellement des conséquences directes sur les conditions essentielles d’existence des personnes concernées » (TI de Paris, 18 avril 2019, RG n° 11-18-12-0069).

La justice condamne donc régulièrement… la justice pour ses propres dysfonctionnements.

Dès lors que la procédure est orale et pour des dossiers dépourvus d’une particulière complexité, les juges estiment qu’un délai de 6 mois entre chaque étape de la procédure constitue un délai raisonnable. La cour d’appel de Paris indique qu’il « est généralement admis qu’un délai de six mois entre deux étapes d’une procédure devant un conseil de prud’hommes est raisonnable au regard notamment des délais nécessaires aux parties pour réunir et échanger leurs pièces et argumentations » (CA Paris, pôle 4 - ch. 9 - a, 4 févr. 2021, n° 18/01386). Ce délai de 6 mois vient d’être confirmé (CA Paris, pôle 4 - ch. 9 - a, 23 sept. 2021, n° 18/19001). En outre, les juges estiment qu’un « délai d’un an est raisonnable en appel » (jugement précité du TI de Paris en date du 18 avril 2019).

Lorsque la justice est saisie, il semble qu’elle accorde entre 1 200 et 1 700 € de dommages et intérêts par année de dépassement du délai raisonnable. Le préjudice peut être celui du salarié ou de l’entreprise. Il est également possible, concernant les personnes, de demander la réparation des personnes de l’entourage qui ont pu être affectées par une situation (par exemple : un enfant étudiant dont les parents ne peuvent plus financer les études en raison de l’impact financier du dossier judiciaire).

2.2 Le rapport annuel du ministère de la Justice sur les condamnations de l’État.

En application de l’article 22 de la loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, le Parlement est annuellement destinataire d’un rapport fournissant des statistiques sur les condamnations de l’État en matière de dysfonctionnement du service public de la justice :

Ce rapport établi par le ministère de la Justice pour le Gouvernement expose, au titre de l’année civile écoulée, les actions en responsabilité engagées contre l’État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice. Il présente, notamment, des statistiques relatives aux condamnations de l’État à ce titre, devant les juridictions judiciaires internes et la Cour européenne des droits de l’Homme, ainsi que les suites réservées à ces décisions.

La lecture de ces rapports est édifiante : chaque année, les conseils de prud’hommes représentent environ 80 % des condamnations au civil (en nombre de dossiers) et plus de 90 % des dommages et intérêts auxquels l’État a été condamné.

III) Les modes alternatifs aux règlements des différends (MARD) préférables à un « mauvais procès » ?

3.1 Une justice lente est une mauvaise justice.

Si la justice « expéditive » est synonyme de mauvaise justice, nos juridictions reconnaissent sans difficulté qu’une justice lente est également condamnable.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris juge qu’il « n’est pas discuté ni discutable qu’un retard important dans le traitement d’une demande en justice crée pour le justiciable un préjudice moral né de l’incertitude qu’il fait naître sur l’effectivité de la protection attendue de l’autorité judiciaire » (CA Paris, pôle 2 - ch. 1, 30 sept. 2020, n° 18/17589).

Il est donc urgent de remédier aux lenteurs de la justice. Au litige, s’ajoutent les conditions difficiles d’une procédure, son coût…et son temps qui pèsent de plus en plus lourdement sur les justiciables, particuliers, comme entreprise, et souvent leur entourage.

3.2 Le rôle de l’avocat dans les MARD : un accélérateur de solution.

La lenteur de la justice prudhommale est l’une des raisons qui doit conduire les justiciables à privilégier un règlement non-contentieux. La voie amiable permet en effet, bien souvent, de trouver une issue rapide, efficace, moins couteuse, optimisée pour tous et apaisée à un différend en droit du travail.

L’avocat en droit du travail n’est pas qu’un plaideur. Il peut être un pacificateur. Dans sa rédaction en vigueur depuis le 1ᵉʳ janvier 2021, son code de déontologie ( article 6-1 du RIN) lui recommande, dans toutes les matières du droit, d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes alternatifs de règlement des différends préalablement à toute introduction d’une action en justice ou au cours de celle-ci.

La vocation d’un avocat n’est pas de nourrir le désaccord, comme on peut le croire à tort, mais de travailler à l’éteindre. L’utilisation des modes amiables est possible à tout moment, qu’une procédure soit ou non en cours.

C’est un changement de culture qui est en marche et auquel chacun peut participer. Il est bénéfique pour tous, salariés qui ne subissent plus ainsi des délais abyssaux, et employeurs dont l’image n’est pas durablement abîmée.

Barbara Régent,
Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice des associations Les Avocats de la Paix et Humanethic
https://www.regentavocat.fr/

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