Introduction.
Le juge assume une fonction indispensable pour la résolution des litiges. Sa mission consiste fondamentalement à départager les parties impliquées dans un différend. Pour cela, « il faut bien que le juge juge, et juger, avant de trancher, c’est constater, apprécier, peser, qualifier, motiver en pleine connaissance de cause » [1]. En effet, pour bien assumer ses attributions, la place du juge doit être située dans un procès. Sur ce, le droit processuel congolais se caractérise par d’énormes évolutions, opérant des mutations sur le statut du juge. Le juge est ainsi, en plus de sa place centrale traditionnelle, un acteur qui a vu son rôle se renforcer tant s’agissant de l’appréhension des faits que de l’élaboration du droit rendant sa place au cœur du procès civil incontestable. Pour s’en convaincre, il sied de remarquer que sous l’empire de l’arrêté du 11 mai 1914, le juge était érigé en un arbitre (I) alors que les dispositions des articles 140 et 142 du CPCCAF l’établissent en véritable investigateur, faisant de lui un acteur incontournable du procès (II).
I - Un juge-arbitre sous l’empire de l’arrêté du 11 mai 1914.
L’arrêté réglant la procédure en matière civile et commerciale devant la cour d’appel, les Tribunaux de première instance, les justices de paix à compétence étendue et à compétence ordinaire de l’Afrique Equatoriale Française établissait le juge en un simple arbitre au cours d’une instance d’autant plus qu’il en ressortait que les limites (A) ainsi que les contours (B) du procès dépendaient de la volonté des parties.
A - La fixation des limites du procès par les parties.
L’arrêté du 11 mai 1914 faisait des parties les seuls acteurs du procès en ce sens qu’elles en déterminaient les limites. Concrètement, il revenait aux parties de fixer l’objet du litige. Par voie de conséquence, le procès appartenait aux parties.
En effet, de l’objet du litige, ce qui est soumis au juge, est souverainement déterminé par les prétentions respectives des parties. Le juge ne peut pas modifier cet objet : il doit rester neutre à son égard. C’est l’affirmation du principe dispositif : les parties ont la maîtrise de leurs droits substantiels et de leur traduction judiciaire ; elles décident si un procès aura lieu, quel en sera le contenu et parfois même quand il s’arrêtera. De la même façon, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé : c’est l’interdiction de l’infra et de l’ultra petita. C’est ce qui ressort notamment du rapport établi par Philippe Bertin, lors de l’élaboration du décret du 9 septembre 1971 instituant de nouvelles règles de procédure destinées à constituer partie d’un nouveau Code de procédure civile : « la matière sur laquelle le juge exerce sa juridiction lui est fournie par les parties et correspond exactement à l’objet de la contestation tel qu’il résulte de leurs prétentions respectives. Le juge ne peut excéder ces limites ».
B - La détermination des contours du procès par les parties.
Le principe dispositif se trouve conforté par la détermination des contours du procès par les parties. De telle sorte, si le tribunal est saisi seulement à la demande des parties, il ne peut se prononcer qu’en se fondant sur les faits allégués et prouvés par les parties conformément aux demandes qui lui sont adressées. Les parties demeurent donc maîtres de leur procédure, au sens de l’arrêté du 11 mai 1914.
Partant de ce postulat, les parties ont la charge d’alléguer les faits qui sont de nature à fonder leurs prétentions. En conséquence, il est défendu au juge de fonder sa décision sur des faits autres que ceux invoqués dans les débats. La construction de l’édifice des faits appartient et incombe aux parties. Le juge déterminera les faits à prouver en se fondant exclusivement sur ceux débattus. Il ne pourra interroger les parties, les tiers, les témoins, les techniciens que sur ces faits. Ainsi, si par exemple deux époux en instance de divorce préfèrent ne pas révéler quelques adultères réciproques et s’en tenir à de vagues injures pour justifier leur demande, il n’appartient pas au juge de s’ériger en censeur de la vie privée des époux en recherchant les faits cachés, même au nom de la vérité. Le juge ne saurait non plus faire état de la connaissance personnelle qu’il pourrait avoir d’éléments non mentionnés durant les débats, ni en tant que preuves, ni pour servir de base à la recherche de preuves, à peine de cassation.
II - Un juge-acteur à l’aune des articles 140 et 142 du CPCCAF.
Les articles 140 et 142 du CPCCAF font du juge un acteur du procès à travers le renforcement de ses pouvoirs dans la conduite de l’instance (A) et leur extension dans l’appréciation des faits (B).
A - Le renforcement des pouvoirs du juge dans la conduite de l’instance.
Aux termes de l’article 140 du CPCCAF : « le juge veille à la bonne marche de l’instance (…) ». Cette disposition fait du juge le maître de l’instance. C’est, en effet, le juge qui veille au bon déroulement de l’instance. Dans cette perspective, il a le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires ou utiles telles qu’énumérées par cette disposition entre autres : la comparution des parties, la mise en cause de tiers ou leur audition en qualité de témoins ; la production de toutes pièces détenues par une partie ou même par des tiers, sauf empêchement légitime.
Cette disposition confère aussi au juge le pouvoir d’inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige. Dans la même perspective, le juge a le pouvoir d’ordonner toutes les mesures d’instruction légalement admissibles. Cette possibilité peut être mise en œuvre même d’office et en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer. Si ces mesures ne doivent pas suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve des faits qu’elles allèguent, il n’en reste pas moins question d’une appréhension forte des faits par le juge qui peut, lorsqu’il ne s’estime pas assez éclairé, ne pas se contenter du droit et rechercher d’abord les faits avant de les qualifier.
Par ailleurs, le renforcement des pouvoirs du juge dans la conduite de l’instance se manifeste à travers la possibilité qui lui est reconnue de relever d’office des moyens de pur droit conformément à l’article 142 du CPCCAF.
B - L’extension des pouvoirs du juge dans l’appréciation des faits.
Le renforcement des pouvoirs du juge dans le procès se manifeste également à travers une extension de l’appréciation des faits par lui. Cette appréciation des faits est d’autant plus étendue que l’article 142 du CPCCAF permet au juge de prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions.
Suivant l’article 142 du CPCCAF, le juge doit restituer aux faits et aux actes leur qualification juridique. Il incombe au juge de surveiller l’étape cruciale de la mise en œuvre d’une règle de droit. Ce que Motulsky appelait « la présupposition de la règle » est soumise au contrôle du juge qui doit, sous peine de cassation, redonner leur exacte qualification aux faits et actes litigieux. L’analyse de ce pouvoir conféré au juge en vertu de l’article 142 appelle deux observations.
D’une part, cet article précise que le juge restitue aux faits et aux actes leur qualification juridique. Or, le juge ne sera amené à donner leur qualification juridique aux faits et actes que dans les hypothèses où le code n’impose pas des conclusions qualificatives. Dans le cas contraire, puisque les parties y ont procédé, le juge ne peut que requalifier. Il s’avère que le droit commun de la procédure n’impose pas aux parties de procéder à des conclusions qualificatives. Partant, le pouvoir du juge reste en principe considérable puisqu’il lui incombe de qualifier lorsque les parties ne le font pas.
D’autre part, cet article vise les faits et actes « litigieux ». Il est, en effet, de jurisprudence constante de reconnaître au juge le devoir de requalifier les actes et faits litigieux et la Cour de cassation a même considéré que lorsqu’il le fait, le juge n’est pas tenu de soumettre son initiative à la discussion des parties [2]. Cette règle n’a pas été modifiée par l’arrêt d’assemblée plénière de 2007 [3] selon lequel : « parmi les principes directeurs du procès, le juge est obligé à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ».
En outre, l’article 142 du CPCCAF consacre l’autonomie d’appréciation du juge qui se traduit par son intime conviction, d’autant plus qu’il doit juger quels faits sont établis et en tirer les conséquences juridiques.