Modalités de prise en compte des dépenses sous-traitées dans le CIR : retour sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 juillet 2020.

Par Cécile Primault, Responsable juridique.

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Explorer : # crédit d'impôt recherche # sous-traitance # administration fiscale # conseil d'État

Retour sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 juillet 2020 (n°428127) dans lequel ce dernier a considéré que les dépenses de recherche sous-traitées pouvaient être prises en compte dans la base de calcul du CIR du donneur d’ordre « quand bien même les prestations sous-traitées, prises isolément, ne constitueraient pas des opérations de recherche ».

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A titre liminaire il est rappelé que l’article 244 quater B d et d bis du Code Général des Impôts (CGI) prévoit que les dépenses exposées pour la réalisation d’opérations de recherche, confiées à des organismes de recherche publics ou privés agréés sont retenues pour déterminer la base du crédit d’impôt recherche (CIR).

C’est en application de ces dispositions que la Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences (FNAMS) a inclus dans la base de calcul de son propre CIR les dépenses de tests et d’analyses sous-traitées à différents organismes publics et privés, nécessaires à ses propres travaux de recherches.

A l’issue d’un contrôle de l’administration fiscale cette dernière a remis en cause la prise en compte de ces dépenses sous-traitées pour les motifs exposés ci-après (1.1).

Cette position de l’administration n’a été retenue ni par le rapporteur public (1.2), ni par le Conseil d’Etat. Ce dernier remet ainsi en cause la position de l’administration fiscale affichée dernièrement lors des contrôles fiscaux et le Guide du crédit d’impôt recherche (2.1). Le Conseil d’Etat ne se positionne toutefois pas clairement sur l’obligation ou de sous-traitance de spécialité imposée par ce même Guide (2.2).

1. Contexte de l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 juillet 2020.

1.1 Les arguments de l’administration fiscale en faveur de la non-prise en compte des dépenses de recherche sous-traitées.

L’administration fiscale a rejeté la prise en compte de ces dépenses au motif qu’elles ne constituaient pas de véritables opérations de recherche et développement « nettement individualisées ».

Ce critère provient du Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFIP) qui précise que, pour être prises en compte dans la base du CIR, « les dépenses engagées doivent correspondre à la réalisation de véritables opérations de recherche et de développement, nettement individualisées » [1].

L’administration s’appuyait également sur le rapport d’expertise du ministère de la recherche, sollicité dans le cadre du redressement, qui estimait que les dépenses de sous-traitance, se limitant à des prestations de services analytiques, n’étaient pas éligibles au CIR. On peut au surplus supposer que l’administration se fondait indirectement sur le Guide du Crédit Impôt Recherche 2019 (cf. 2.1) même si ce dernier n’était pas évoqué.

L’administration rappelait par ailleurs que l’article 244 quater B prévoit que sont éligibles «  les dépenses exposées pour la réalisation d’opérations de même nature  » confiées à des organismes publics ou privés agréés. Elle considérait que cette condition d’identité de nature renvoyait aux « opérations de recherches scientifique et technique » et que le sous-traitant devait ainsi réaliser une opération de recherche en tant que telle et non une partie de cette opération de recherche.

Autrement-dit, l’administration fiscale considérait que, pour être prises en compte dans le calcul du CIR, les dépenses sous-traitées devaient constituer en elle mêmes des opérations autonomes de recherche.

1.2 Les arguments du rapporteur public en faveur de la prise en compte des dépenses de recherche sous-traitées.

L’analyse susvisée de l’administration fiscale n’a pas été retenue par le rapporteur public qui a indiqué que cette interprétation de l’administration fiscale ne ressort pas de la lettre de l’article 244 quater B du CGI.

Selon le rapporteur public, la Loi ne fait qu’indiquer que les prestations sous-traitées doivent être « un sous-ensemble d’une opération éligible » et qu’il ne convient pas d’y « lire une exigence implicite d’individualisation et d’autonomie des opérations sous-traitées ».

Ce dernier souligne notamment que la thèse de l’administration aurait pour conséquence de traiter moins favorablement les donneurs d’ordre qui ne sous-traitent qu’une partie de leur recherche et réalisent eux-mêmes une partie du protocole de recherche et donc, à contrario, de traiter plus favorablement, les donneurs d’ordre qui sous-traitent la totalité de l’opération de recherche.

Cette thèse pénaliserait également « les petites et moyennes entreprises ne disposant pas du matériel ou des ressources humaines internes pour mener à bien sans prestataires extérieurs leurs projets de recherche et développement ».

Pour ces motifs, le rapporteur public concluait à l’annulation de l’arrêt attaqué de la Cour d’appel ayant suivi la position de l’administration fiscale.

2. La décision du Conseil d’Etat et son impact.

2.1 Les dépenses de recherche sous-traitées ne doivent pas être nécessairement des dépenses de recherche autonome.

En premier lieu, il peut être relevé que, suivant l’analyse du rapporteur public, le Conseil d’Etat a considéré que les dépenses de recherche sous-traitées pouvaient être prises en compte dans la base de calcul du CIR du donneur d’ordre « quand bien même les prestations sous-traitées, prises isolément, ne constitueraient pas des opérations de recherche ».
Il annule en conséquence l’arrêt du 20 décembre 2018 de la Cour administrative d’appel de Paris ayant refusé la prise en compte des dépenses sous-traitées par la FNAMS dans le calcul de son CIR.

Il s’agit là d’une décision importante car elle va à l’encontre de la position de l’administration fiscale dans ces derniers contrôles fiscaux et des dispositions du Guide du crédit d’impôt recherche publié par le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI).

En effet, depuis 2015, le Guide du crédit d’impôt recherche indique que, pour être prises en compte dans le CIR, les dépenses sous-traitées doivent « correspondre à la réalisation de véritables opérations de R&D, nettement individualisées (une prestation sous-traitée qui n’est pas de la R&D n’est pas éligible au CIR même si elle est indispensable à la réalisation du projet) ».

Les précisions et explications de ce Guide étant dépourvues de valeur réglementaire, l’administration fiscale ne peut toutefois pas s’appuyer sur ce Guide pour justifier ces contrôles fiscaux.

Par contre, le Bofip, dont les dispositions sont opposables à l’administration fiscale, précise toujours à ce jour que, pour être prises en compte dans la base du CIR, « les dépenses engagées doivent correspondre à la réalisation de véritables opérations de recherche et de développement, nettement individualisées ».

Il conviendra donc de porter une attention toute particulière aux prochaines décisions afin de voir si elle confirme cet arrêt et aux éventuelles modifications apportées au Bofip et au Guide du Crédit Impôt recherche sur ce point.

2.2 Les dépenses de recherche sous-traitées doivent-elles être nécessairement des dépenses de sous-traitance de spécialité ?

En second lieu, on peut relever que le Conseil d’Etat relève qu’au cas d’espèce la FNAMS a confié à des organismes externes des études « faute de disposer elle-même des équipements scientifiques nécessaires » lui permettant de réaliser ces études.

Il ne peut donc pas être exclu que la décision serait différente dans le cas où l’entreprise disposerait en interne des équipements scientifiques adéquats.

Cette analyse irait dans le sens des dispositions du Guide du crédit d’impôt recherche 2019 qui indique que seule est éligible au CIR, la sous-traitance qui répond « à un besoin de compétences spécifiques pour réaliser une opération de R&D, dans le cas où le donneur d’ordre n’a pas les compétences adéquates pour réaliser l’opération ».

Ce Guide considère ainsi qu’il convient de différencier deux formes de sous-traitance : la sous-traitance de spécialité (dite aussi de complémentarité), éligible au CIR, et celle de capacité, non éligible au CIR.

Dans le cas d’une sous-traitance de spécialité le sous-traitant assume « la coordination scientifique de la prestation de recherche […] car le donneur d’ordre, qui n’a pas les compétences adéquates pour réaliser l’opération en interne, exige de son sous-traitant, des compétences techniques élevées ».

Dans le cas d’une sous-traitance de capacité, le sous-traitant est un « simple exécutant d’une opération définie par le donneur d’ordre qui assure la coordination scientifique de la prestation de recherche ».

Cette distinction apportée par le MESRI ne semble cependant pas ressortir de la lettre de l’article 244 quater B du CGI.

On peut par ailleurs noter que le Conseil d’Etat, dans l’arrêt susvisé, indique par deux fois, qu’au cas d’espèce, les prestations étaient « nécessaires » à la réalisation des opérations de recherche. Le critère pour retenir ou non les dépenses de sous-traitance semble ainsi être plus celui de la nécessité que de la spécialité.

Il faudra toutefois attendre une nouvelle décision ou de nouveaux commentaires administratifs pour éclaircir ce dernier point.

Cécile PRIMAULT
Responsable juridique
e-care expertise comptable et innovation
www.e-care.fr
Tel : 02 99 64 23 97

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