Quelles subventions déduire de l’assiette du CIR ? (retour sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 12 juillet 2023).

Par Cécile Primault, Responsable Juridique.

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Explorer : # crédit d'impôt recherche # subventions publiques # déduction fiscale # conseil d'État

Dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 12 Juillet 2023 (n°463363), ce dernier a considéré que seules devaient être considérées comme des subventions déductibles du Crédit Impôt Recherche (CIR), les aides versées par une personne morale de droit public. Si cet arrêt apporte un éclaircissement sur la notion de subvention à retenir, il ne permet pas de clore tout débat sur la déductibilité ou non de certaines subventions de l’assiette du CIR.

Article mis à jour par son auteure en octobre 2023.

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A titre liminaire, il est rappelé que l’article 244 quater B, III du Code général des impôts (CGI) prévoit que : « les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d’impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit, qu’elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables » mais aucune définition précise de la notion de subvention publique n’est donnée par la loi ou l’administration fiscale.

Or, c’est justement cette définition de la subvention publique qui a donné lieu à un conflit d’interprétation dans les faits de l’espèce de l’arrêt du 12 juillet 2023, l’administration fiscale ayant, dans cette affaire, retenue une interprétation plutôt large de la notion de subvention contrairement au contribuable (1).

Cette position de l’administration n’a pas été retenue par le Conseil d’Etat qui a quant à lui retenu une définition à priori plus restreinte (2).

Nous verrons toutefois que, si cet arrêt permet d’apporter quelques éclairages à la notion de subvention publique en matière de CIR, cette nouvelle définition ne permet toujours pas de déterminer précisément toutes les subventions devant être déduites de l’assiette du CIR (3).

1. La position défendue par l’administration : une définition large des subventions publiques.

Dans les faits de l’espèce, l’institut technologique Forêt Cellulose Bois - construction Ameublement (FCBA) percevait notamment des aides de la part de l’interprofession nationale France bois forêt (FBF).

La FBF étant une association Loi 1901 mais ayant été créée par le ministère de l’Agriculture en charge des Forêts et assurant une mission de service public, la question se posait de savoir si ces aides perçues par la FCBA de la part de la FBF pouvaient constituer ou non des « subventions publiques » devant être déduites des bases du calcul du CIR.

En amont du contentieux, le FCBA avait sollicité une prise de position de l’administration fiscale et l’administration fiscale lui avait indiqué que les fonds perçus par l’interprofession nationale France bois forêt (FBF) devaient être déduits de l’assiette du crédit d’impôt en faveur de la recherche, les aides reçues de ces organismes, créés par les pouvoirs publics et assurant une mission de service public, constituant selon l’administration des subventions publiques. Cette position a été confirmée lors s’un second examen, par une décision du 2 février 2017 du Tribunal administratif de Melun puis par la Cour administrative de Paris du 18 février 2022 qui a considéré que constituait une « subvention publique » au sens de ces dispositions, « toute aide versée en vue ou en contrepartie d’un projet de recherche, provenant de l’utilisation de ressources perçues à titre obligatoire et sans contrepartie, que ces aides soient versées par une autorité administrative ou un organisme privé investi d’une mission de service public ».

2. La position retenue par le Conseil d’Etat : une définition plus restreinte des subventions publiques.

Dans l’arrêt du 12 Juillet 2023, le Conseil d’Etat a considéré que la cour d’appel avait commis une erreur de droit en donnant la définition des subventions publiques précitée et a considéré pour sa part que, pour l’application du III de l’article 244 quater B du Code général des impôts, on entend par « subvention » toute aide versée à raison d’opérations ouvrant droit au crédit d’impôt par une personne morale de droit public.

Ce dernier a, en conséquence, considéré que l’institut FCBA n’avait pas à déduire les sommes versées par la FBF de l’assiette de son CIR.

Certains auteurs considèrent que cette décision permet d’apporter une réponse claire aux entreprises pour déterminer quelles subventions sont déductibles ou non.

Je considère, pour ma part, notamment après les échanges que le cabinet e-care expertise comptable et innovation a pu avoir avec les services de Bercy, qu’il reste à déterminer précisément désormais ce qu’il convient d’entendre par « personne morale de droit public » pour les motifs exposés ci-après.

3. Une nouvelle question à trancher suite à cet arrêt : qu’est-ce qu’une personne morale de droit public ?

Si pour certains organismes, la qualification de personne morale de droit public peut être évidente (l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, …), pour d’autres cela peut donner lieu à interprétation dès lors qu’aucune définition de cette notion n’est donnée par le Conseil d’Etat, la Loi ou l’administration fiscale en matière de CIR.

Tel est notamment le cas de BpiFrance, qui octroi de nombreux financements aux sociétés et qui est constituée sous forme de société anonyme (SA). BpiFrance constitue donc, tout comme la FBF visée ci-dessus, un organisme privé investi d’une mission de service public

Il pourrait ainsi être tentant, du fait notamment de sa forme juridique de droit privé (SA), de considérer de facto, à la lecture de l’arrêt du conseil d’Etat du 12 juillet 2023, que BpiFrance n’est pas une « personne morale de droit public » et donc que les aides versées par cette dernière ne sont pas déductibles du CIR.

Toutefois, il peut également être relevé que BpiFrance, qui a pour mission le financement et le développement des entreprises, a un capital détenu par des personnes morales de droit public, à savoir BPI Groupe (qui est un établissement public industriel et commercial) et la Caisse des Dépôts et Consignations, contrairement à la FBF qui est dirigé par un conseil d’administration composé pour partie d’acteurs privés (fédération des Forestiers privés de France,..) et pour partie d’acteurs publics (Office national des Forêts,…).

Au regard de ces éléments, BpiFrance constituerait, selon les services de Bercy avec qui nous avons pu échanger, une personne morale de droit public. Ces derniers ont par ailleurs relevé que la jurisprudence, dans plusieurs décisions antérieures, décidé que les subventions versées par BpiFrance étaient déductibles de l’assiette du CIR [1]. Nous relevons toutefois que ces décisions ne portaient pas sur la qualification ou non des sommes versées de « subventions publiques » et donc que cette qualification n’est pas tranchée expressément.

Au regard de cet exemple, nous pouvons donc voir que l’arrêt du Conseil d’Etat ne permet toujours pas aux entreprises de disposer d’une consigne claire et précise sur toutes les subventions devant être potentiellement déduites du CIR.

Nous relevons pour notre part qu’en matière de TVA [2], l’administration fiscale a considéré savoir que constituent essentiellement une personne morale de droit public :

  • les administrations de l’État au niveau central ;
  • les collectivités territoriales (départements, communes, régions) et leurs groupements ;
  • les établissements publics de l’État, y compris ceux ayant un caractère industriel ou commercial ;
  • les établissements publics locaux ;
  • et les groupements constitués exclusivement entre des personnes morales de droit public dès lors qu’ils assurent des missions de service public et fonctionnent avec la participation et sous le contrôle d’autorité et dont le financement est assuré en quasi-totalité par des fonds publics (subventions).

Cette définition, si elle était reprise par l’administration fiscale en matière de CIR, pourrait notamment expliquer la différence de traitement entre les sommes versées par BpiFrance et la FBF mais supposerait un contrôle attentionné par les entreprises des structures leur versant des aides et notamment de leur gouvernance.

Le rapporteur public dans ses conclusions envisage de retenir une définition voisine de celle susvisée mais soulève la problématique d’appréciation de cette définition par les contribuables. Il propose à ce titre une définition purement organique en invitant le législateur à préciser expressément que les subventions telles que celles versées par BPIFrance doivent être déduites [3].

En outre, d’autres aides actuellement versées par BpiFrance font l’objet de débats quant à leur déductibilité, il s’agit des prêts Innovation Recherche et Développement accordés par BpiFrance qui étaient précédemment à taux zéro et devaient être déduites en application de la documentation administrative du fait de leur assimilation aux avances remboursables et qui dont désormais l’objet d’un taux d’intérêt.

Pour toutes ces aides, une précision de l’administration serait la bienvenue. En l’absence de dispositions expresses à ce jour, nous ne pouvons pour notre part que vous conseiller d’être prudent sur l’interprétation des aides devant être déduites du CIR et éventuellement de procéder à une demande de rescrit auprès de l’administration fiscale pour demander une position claire sur ces aides si vous en êtes bénéficiaires.

Cécile Primault
Responsable juridique et coach professionnel
e-care expertise comptable et innovation
www.e-care.fr

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[1Ex : CAA Bordeaux 4e ch. - 10/01/2023 - 21BX00401 - Sté Ledoux Finances.

[2BOI-TFP-CAP-10 n° 110, 20-3-2019.

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