Mon employeur peut-il me licencier pour un fait relevant de ma vie privée ?

Par Guilain Lobut, Avocat.

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Explorer : # licenciement # vie privée # obligations contractuelles # trouble objectif

Ce que vous allez lire ici :

Le licenciement pour motif disciplinaire ne peut être justifié par un trouble objectif lié à la vie privée, sauf si des manquements au contrat de travail sont prouvés. Les décisions judiciaires varient selon le rattachement entre vie personnelle et professionnelle, ainsi que les obligations contractuelles respectées.
Description rédigée par l'IA du Village

En vertu de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de l’article 9 du Code civil et de l’article L1121-1 du Code du travail, chacun a droit au respect de sa vie privée ou personnelle, même au temps et au lieu de travail.

Par principe, votre employeur ne peut procéder à un licenciement pour un motif relevant de votre vie privée ou personnelle que dans l’hypothèse où le fait invoqué crée un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise. Ce licenciement pour trouble objectif n’est pas de nature disciplinaire [1].
Par exception, un motif de la vie personnelle peut néanmoins justifier un licenciement de nature disciplinaire dans deux situations : en cas de rattachement des faits reprochés à la vie professionnelle ou en cas de manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail.

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Le trouble objectif ne constitue pas un motif disciplinaire.

Si votre employeur vous licencie pour un motif disciplinaire en invoquant uniquement l’existence d’un trouble objectif au sein de l’entreprise causé par un fait de votre vie personnelle, sans caractériser un manquement à une obligation du contrat de travail ou un rattachement des faits répréhensibles à la vie professionnelle, le licenciement devra alors être jugé injustifié [2].

Le trouble objectif se définit généralement par le désordre, le retentissement ou les conséquences néfastes que le fait de la vie privée génère au sein de l’entreprise. Le trouble peut notamment résulter des fonctions particulières du salarié ou de la finalité de l’activité de l’entreprise.

Voici plusieurs exemples de licenciements fondés sur le trouble objectif causé par un fait de la vie privée, et dont les juges ont admis la validité :

  • Un salarié ayant fait l’objet d’une condamnation pénale en raison de faits d’agressions sexuelles sur mineurs à l’occasion de ses activités d’entraîneur de football dans une ville où est également localisée l’entreprise qui l’emploie. Le trouble objectif était caractérisé par le refus d’une quarantaine de salariés de la même entreprise de continuer à travailler avec ce salarié, en recourant notamment à la grève [3].
  • Un salarié ayant fait l’objet d’une condamnation pénale pour viol sur mineure, à la suite de laquelle l’employeur avait été contraint d’intervenir à de multiples reprises auprès des autres salariés pour prévenir la propagation de rumeurs sur le sujet. Certains salariés, amenés à côtoyer la mère de la victime, elle-même salariée de l’entreprise, avaient exprimé une forte émotion et une cellule psychologique avait été mise en place pour assurer un soutien des salariés [4].
  • Un salarié occupant les fonctions de directeur de deux foyers de travailleurs migrants, chargé de l’encaissement des redevances locatives pour l’association, avait cessé depuis près de 14 mois de régler ses propres loyers malgré des rappels et des procédures contentieuses, étant lui-même logé dans un foyer géré par cette association [5].
  • L’altercation violente d’un salarié avec sa concubine, également salariée de l’entreprise, ayant entraîné son arrestation sur le lieu du travail. L’employeur pouvait craindre la survenance de nouveaux incidents du même type [6].

En revanche, le placement d’un salarié en détention provisoire, alors qu’il est présumé innocent, pour des faits sans rapport avec l’activité professionnelle, entraîne la suspension du contrat de travail et ne peut justifier un licenciement, en l’absence de trouble démontré dans l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise [7].

Exception 1 : possible licenciement disciplinaire si le fait issu de la vie privée se rattache à la vie professionnelle.

Dans ce cas de figure, le fait litigieux relève toujours de la vie privée du salarié, mais ce dernier a utilisé les moyens ou le cadre de l’entreprise pour commettre les faits répréhensibles.

Le fait relevant de la vie privée se rattache alors à la vie professionnelle et peut justifier un licenciement disciplinaire.

Le critère du rattachement à la vie professionnelle n’est cependant pas clairement défini à ce jour par les juges. Il n’est donc pas toujours évident de dissocier les situations dans lesquelles le fait de la vie personnelle se rattache à la vie professionnelle ou non.

Voici des exemples de faits de la vie privée se rattachant à la vie professionnelle, ayant conduit à un licenciement disciplinaire validé par les juges :

  • Un salarié condamné pour escroquerie qui a utilisé les services de la banque qui l’emploie pour commettre cette escroquerie [8].
  • Un steward qui vole un portefeuille dans un hôtel partenaire de la compagnie aérienne qui l’embauche [9].
  • Des menaces, insultes et comportements agressifs commis à l’égard des collègues ou supérieurs hiérarchiques du salarié, lors d’un séjour organisé par l’employeur dans le but de récompenser les salariés lauréats d’un challenge national interne à l’entreprise [10].
  • Un salarié ayant profité de ses fonctions de gardien et de la confiance que lui faisait l’employeur, pour stocker et fabriquer de façon illicite de l’alcool dans les dépendances du domaine de son employeur dans des conditions démontrant l’existence d’un véritable trafic [11].
  • Le vol commis par le salarié à l’aide du véhicule de l’entreprise laissé à sa disposition pour le week-end [12].
  • Le salarié, exerçant les fonctions de responsable d’exploitation d’une entreprise comptant plus de cent personnes, ayant, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités [13].
  • Un salarié, ayant au cours d’une réunion du personnel organisée dans les locaux de l’entreprise par le comité d’entreprise, donné un violent coup au visage d’un autre salarié [14].
  • Un chef d’équipe qui, au retour d’un salon professionnel où il s’était rendu sur instruction de son employeur, provoque un accident avec son véhicule de fonction alors qu’il conduisait sous l’empire d’un état alcoolique [15].

A l’inverse, dans les situations suivantes, le juge a considéré que les faits de la vie personnelle ne se rattachaient pas à la vie professionnelle et ne pouvaient donc justifier un licenciement disciplinaire :

  • Un salarié ayant commis plusieurs infractions avec un véhicule de fonction pendant son temps de trajet pour se rendre au travail [16].
  • Le fait de se masturber en dehors de son temps de travail dans le véhicule professionnel mis à la disposition du salarié [17].

Exception 2 : possible licenciement disciplinaire si le fait relevant de la vie privée constitue une violation d’une obligation prévue par le contrat de travail.

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (obligation de loyauté, de sécurité, de confidentialité…).

Voici des exemples de licenciements disciplinaires, validés par les juges, fondés sur la violation d’une obligation du contrat de travail :

  • Un DRH entretenant, à l’insu de son employeur, une relation amoureuse avec une salariée, titulaire de mandats d’élue et de représentante syndicale. La Cour de cassation a estimé « qu’en dissimulant cette relation intime, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté à laquelle il était tenu envers son employeur et que ce manquement rendait impossible son maintien dans l’entreprise, peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit ou non établi ». En l’espèce, le DRH était titulaire de diverses délégations en matière d’hygiène, de sécurité et d’organisation du travail ainsi que pour présider, de manière permanente, les différentes institutions représentatives du personnel. De son côté, la salariée avait participé à des mouvements de grève et d’occupation d’un des établissements de l’entreprise et lors de la mise en œuvre d’un projet de réduction d’effectifs et avait participé à diverses réunions où le DRH avait lui-même représenté la société et au cours desquelles avaient été abordés des sujets sensibles relatifs à des plans sociaux. Pour la Cour de cassation, la relation amoureuse du DRH à l’insu de son employeur constituait donc une violation de son obligation de loyauté [18].
  • Une salariée ayant diffusé une photographie du défilé confidentiel de la nouvelle collection, sur un groupe privé Facebook contenant près de 200 relations professionnelles du secteur de la mode, dont certaines d’entre elles travaillaient pour des entreprises concurrentes. Cette diffusion constituait une violation de son obligation de confidentialité [19].
  • Une salariée, cadre commerciale dans une banque, tenue à une obligation particulière de probité, à laquelle elle avait manqué en étant poursuivie pour des délits reconnus d’atteinte à la propriété d’autrui, en raison de sa participation à une affaire de vol et de trafic de véhicules [20].
  • Un salarié ayant effectué un stage chez une entreprise concurrente pendant une période de suspension de son contrat de travail (congé individuel de formation), viole son obligation de loyauté [21].
  • Un salarié appartenant au personnel navigant d’une compagnie aérienne, tenu à une obligation particulière de sécurité qui a consommé des drogues dures pendant une escale entre deux vols et se trouvant sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions [22].
  • Un salarié ayant laissé son chien pendant trois heures à l’intérieur de son véhicule stationné sur le parking de l’entreprise et n’ayant pas été en mesure de l’empêcher d’attaquer une salariée sur ce parking, manque à son obligation de ne pas mettre en danger, dans l’enceinte de l’entreprise, d’autres membres du personnel [23].
  • Un salarié, dont les fonctions le mettaient en contact permanent avec des mineurs, ayant imprimé avec le matériel mis à sa disposition par l’employeur de très nombreuses photographies à caractère pédopornographique découvertes dans le logement de fonction qu’il occupait dans l’enceinte de l’établissement [24].

A l’inverse, dans les cas suivants, le licenciement disciplinaire, fondé sur la violation d’une obligation du contrat de travail, a été invalidé par les juges :

  • Un salarié ayant commis, dans sa vie privée, une infraction ayant entrainé la suspension de son permis de conduire. Aucune clause du contrat de travail ne prévoyait en effet l’obligation de détenir un permis de conduire valide [25].
  • Une salariée exerçant les fonctions de secrétaire médicale dans un centre de médecine du travail et ayant accès à des dossiers confidentiels, qui avait parallèlement une activité de voyante. Cette activité relevant de sa vie personnelle ne constituait pas en soi un manquement à son obligation de confidentialité [26].
  • Un directeur d’un établissement accueillant dans un régime d’internat des adultes présentant des déficiences mentales, pour avoir largement diffusé sur Facebook une photographie le montrant dénudé et agenouillé dans une église. Cette photographie qui relève de sa vie privée et de sa liberté artistique ne constituait pas un manquement à une obligation de son contrat de travail [27].
  • Une salariée d’une banque pour avoir commis des faits de vol de chèques et d’usage de chèques falsifiés au préjudice de son ancien compagnon, dès lors que ces faits avaient été commis en dehors du temps et du lieu de travail et sans utiliser les moyens mis à sa disposition par son employeur [28].
  • Un salarié licencié en raison de propos homophobes échangés dans le cadre d’une conversation privée avec une collègue au moyen de sa messagerie personnelle Facebook, installée sur son ordinateur professionnel. Malgré la gravité des propos, cette conversation privée non destinée à être rendue publique ne pouvait pas, selon les juges, constituer un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail [29].
  • Un salarié ayant envoyé des messages privés, à caractère raciste et xénophobe, échangés via la messagerie professionnelle dans un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics, connus par l’employeur en raison d’une erreur d’envoi de l’un des destinataires. Le caractère privé de ces messages, pourtant racistes et xénophobes, ne caractérisait pas une atteinte au principe de neutralité applicable aux agents participant à une mission de service public [30].
  • La remise d’un tract politique d’un salarié à un collègue de travail, en dehors du temps et du lieu de travail. Le salarié, libre d’exercer ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques, n’avait commis aucun manquement à une obligation découlant de son contrat de travail [31].
  • Un salarié ayant adressé des blagues et commentaires humoristiques vulgaires et graveleux lors d’une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l’activité professionnelle. Malgré la nature des propos, les juges ont estimé que cette conversation de nature privée n’était pas destinée à être rendue publique et ne constituait pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail [32].
  • Le licenciement pour manquement aux règles de sécurité d’un salarié ayant consommé du cannabis en dehors du temps et du lieu de travail. Le licenciement est invalidé : l’employeur ne reprochait pas au salarié d’avoir consommé des stupéfiants pendant son temps de travail et n’évoquait pas d’éventuelles répercussions de sa consommation de cannabis sur son comportement professionnel, étant précisé que les avis d’aptitude établis par le médecin du travail ne faisaient état d’aucun symptôme lié à une telle consommation [33].

La frontière entre le rattachement à la vie professionnelle et le manquement à une obligation découlant du contrat de travail n’est pas toujours claire, les juges se référant parfois à ces deux notions en même temps dans leurs décisions.

Ces différents exemples montrent que les juges valident ou non le licenciement après l’analyse des circonstances spécifiques à chaque situation : obligations prévues par le contrat de travail du salarié, particularités des fonctions, pouvoir de représentation ou d’encadrement du salarié, déroulement des faits au temps et au lieu de travail ou dans la sphère privée, utilisation des moyens professionnels… Tous ces paramètres sont déterminants et peuvent conduire les juges à prendre des décisions contraires dans des situations qui semblent souvent similaires.

Guilain Lobut
Avocat au barreau de Paris
Email : gl chez lobut-avocat.com
Site : guilainlobutavocat.fr

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Notes de l'article:

[1Cass. Chambre mixte 18 mai 2007 n°05-40.803.

[2Cass. Soc. 16 septembre 2009 n°08-41.837.

[3Cass. Soc. 13 avril 2023, n°22-10.476.

[4Cass. Soc. 26 septembre 2012 n°11-11.247.

[5Cass. Soc. 11 avril 2012, n°10-25.764.

[6Cass. Soc. 9 juillet 2002, n°00-45.068.

[7Cass. Soc. 26 février 2003, n°01-40.255 ; Cass. Soc. 16 septembre 2009, n°08-42.816.

[8Cass. Soc. 24 juin 1998, n°96-40.150.

[9Cass. Soc. 8 juillet 2020, n°18-18.317.

[10Cass. Soc. 8 octobre 2014, n°13-16.793.

[11Cass. Soc. 17 novembre 2011, n°10-17.950.

[12Cass. Soc. 18 mai 2011, n°10-11.907.

[13Cass. Soc. 25 septembre 2019, n°17-31.171.

[14Cass. Soc. 12 janvier 1999, n°96-43.705.

[15Cass. Soc. 10 janvier 2022, n°20-19.742.

[16Cass. Soc. 4 octobre 2023, n°21-25.421.

[17Cass. Soc. 20 mars 2024, n°22-19.170.

[18Cass. Soc. 29 mai 2024, n°22-16.218.

[19Cass. Soc. 30 septembre 2020, n°19-12.058.

[20Cass. Soc. 25 janvier 2006, n°04-44.918.

[21Cass. Soc. 10 mai 2001, n°99-40.584.

[22Cass. Soc. 27 mars 2012, n°10-19.915.

[23(Cass. Soc. 4 octobre 2011, n°10-18.862.

[24Cass. Soc. 8 novembre 2011, n°10-23.593.

[25Cass. Soc. 3 mai 2011, n°09-67.464.

[26Cass. Soc. 21 octobre 2003, n°00-45.291.

[27Cass. Soc. 23 juin 2021, n°19-21.651.

[28Cass. Soc. 9 novembre 2022, n°20-23.172.

[29Cass. Ass. Plén., n°22 décembre 2023, n°21-11.330.

[30Cass. Soc. 6 mars 2024, n°22-11.016.

[31Cass. Soc. 29 mai 2024, n°22-14.779.

[32Cass. Soc. 25 septembre 2024, n°23-11.860.

[33CA Paris 11 septembre 2012, n°10/09919.

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