Quel avenir pour l’interdiction de la gestation pour autrui en France ?

Par Véronique Mikalef-Toudic, Maître de conférence.

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Explorer : # gestation pour autrui # filiation # droit de l'enfant # adoption

Malgré l’interdiction de principe des conventions de gestation pour autrui, la Cour de cassation est régulièrement amenée à statuer sur la question de la transcription d’actes d’état civil étrangers pour des enfants dont les parents ont conlu des conventions de mère porteuse licites dans les pays concernés.

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Après avoir opposé un refus de principe à toute demande de transcription, la Cour de cassation admet une transcription encadrée des actes de l’état civil lorsqu’ils sont conformes à la réalité biologique.
La Haute juridiction refuse cependant de reconnaître la seule parenté d’intention. Elle admet seulement que le parent d’intention puisse établir sa filiation en France, notamment par le biais de l’adoption de l’enfant du conjoint.
Afin de pouvoir réellement priver d’effet en France les conventions de gestation pour autrui conclues à l’étranger, le législateur doit intervenir afin d’introduire en droit positif une nouvelle action en reconnaissance ou contestation de l’état d’une personne lorsque cet état a été établi à l’étranger.

La gestation pour autrui est le contrat par lequel une femme s’engage à porter l’enfant d’un couple infertile et à lui remettre l’enfant dès sa naissance. La mère porteuse est alors soit celle qui reçoit le sperme d’un homme dont la femme ou la concubine est stérile et s’engage à lui livrer l’enfant à l’accouchement, soit celle qui reçoit l’embryon du couple, mène la gestation à terme et livre ensuite l’enfant. La paternité peut être établie sans contestation : le père est celui qui a donné son sperme. La maternité pose plus de difficulté : juridiquement, la femme qui accouche est la mère de l’enfant. Elle peut toujours revenir sur sa décision de remettre l’enfant.

L’article 16-7 du Code civil dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » [1]. En France, les conventions de mères porteuses sont nulles car elles ont pour objet la personne humaine, qui ne peut pas être l’objet d’un contrat. La Cour de cassation a condamné le contrat de mère porteuse dans un arrêt de l’assemblée plénière du 31 mai 1991 [2]. Elle considère que cette convention porte atteinte au principe de l’indisponibilité du corps humain et constitue un détournement de l’institution de l’adoption.
Plusieurs pays autorisent d’ores et déjà ces conventions, ce qui fragilise l’interdiction française et pose un certain nombre de difficultés lorsqu’un couple de français, ayant eu recours à une convention de mère porteuse, revient en France et entend obtenir la transcription de l’acte de naissance de l’enfant ou de l’acte de notoriété constatant la possession d’état. En effet, l’article 47 du Code civil dispose que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Il appartient alors au ministère public de déterminer si cette transcription est, ou non possible.

La demande des parents se heurtait à un refus de principe de la Cour de cassation [3] fondé sur la fraude à la loi, le ministère public pouvant agir sur le fondement de l’article 336 du Code civil selon lequel « la filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi ». Ce texte a été introduit dans le Code civil par le législateur de 2005 afin de permettre au ministère public de lutter plus efficacement contre le recours illicite à la gestation pour autrui. La Cour de cassation procédait à une appréciation globale de la situation et dès lors qu’il apparaissait que les parents avaient eu recours à une convention de mère porteuse, prohibée en France, la transcription des actes de naissance des enfants était refusée. Dans deux arrêts du 13 septembre 2013 [4], la Cour de cassation énonçait « qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public ». La Haute juridiction tentait même d’échapper à la censure du droit européen en affirmant qu’« en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués ».
Une telle affirmation n’a pas empêché la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en juin 2014 [5] La position de la Cour de cassation a évolué : le refus de principe fondé sur la fraude à la loi ou la contrariété à l’ordre public est abandonné au profit d’une appréciation circonstanciée autrement dit d’une autorisation de transcription encadrée. Telle est la position adoptée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans deux arrêts du 3 juillet 2015 [6]. Ce revirement de la Cour de cassation est particulièrement important. En effet, ces décisions sont les premières en la matière après la condamnation de la France par la CEDH en 2014. La décision de la Cour de cassation était particulièrement attendue. Dans les espèces qui lui étaient soumises, le père biologique était désigné en tant que tel dans l’acte étranger et la mère figurant sur l’acte de naissance était la mère porteuse, celle qui avait accouché. En recourant à l’article 47 du Code civil, la Haute juridiction renonce à une condamnation de principe du recours à la gestation pour autrui pour se livrer à une appréciation circonstanciée de l’acte et autoriser sa transcription dès lors qu’il répond aux exigences de l’article 47 du Code civil. Certes, dans ces affaires, il n’était nullement question de parenté d’intention mais il ne faisait aucun doute que, faute d’intervention législative, la Cour de cassation aurait à se prononcer sur cette question.

Dans cinq arrêts rendus le 5 juillet 2017 [7], la Cour de cassation va plus loin encore et consacre la parenté d’intention dans le cadre de l’adoption de l’enfant de son conjoint. Il demeure cependant une limite, lorsque les déclarations des parents d’intention sont fausses, l’acte de naissance doit être annulé sur le fondement de l’article 48 du Code civil. En l’espèce, les parents avaient produit de faux documents afin de faire croire que la mère d’intention avait accouché de l’enfant.

Les efforts du ministère public pour s’opposer à la transcription sur les registres de l’état civil français d’actes de naissance laissant supposer le recours à une convention de mère porteuse semblent désormais voués à l’échec face la diversité des situations. En effet, certains de ces parents sont non seulement les parents d’intention de l’enfant mais également leur parent biologique. Ils peuvent également invoquer la possession d’état afin de créer le lien de filiation. L’arsenal législatif apparaît insuffisant pour résoudre la question du statut de ces enfants (I). La prohibition de l’article 16-7 du Code civil ne suffit pas à empêcher ces transcriptions. Il revient au législateur d’intervenir et de prendre position sur le statut en France de ces enfants nés à l’étranger d’une convention prohibée sur le territoire national. Peut-on, doit-on, reconnaître le lien de filiation entre ces enfants et leurs parents d’intention ? Comment concilier l’interdiction française et la variété des situations de fait. Faut-il traiter de la même manière les simples parents d’intention et ceux qui peuvent se prévaloir d’un lien biologique ou d’une possession d’état ? Faute de réponse législative, la jurisprudence a dû combler les lacunes de la loi (II).

I. L’insuffisance de l’arsenal législatif

Le droit positif français interdit toute convention de mère porteuse, conventions frappées de nullité absolue en application des articles 16-7 et 16-9 du Code civil. Pourtant, le juge français est régulièrement amené à se prononcer sur la transcription d’acte de naissance voire d’établissement du lien de filiation d’enfants issus de telles conventions à l’étranger. Dans un premier temps, les demandes des parents se sont logiquement heurtées à un refus de principe des juges français. En effet, le ministère public s’opposait à ces prétentions en agissant sur le fondement de la défense de l’ordre public ou de la fraude à la loi (A).
Dans les arrêts du 5 juillet 2015 [8], la Haute juridiction a infléchi sa position et a accepté de transcrire l’acte de naissance sur les registres de l’état civil français lorsque l’acte de naissance est conforme à la vérité biologique. Mais une telle solution revient aussi à fermer les yeux sur le recours à une convention pourtant prohibée par le droit positif. Raisonner au regard de l’article 47 du Code civil, c’est-à-dire au regard de la force probante d’un acte de l’état civil établi à l’étranger ne permet pas de contester l’état de la personne en tant que telle. Ainsi qu’un auteur [9] l’a justement souligné, peut-être qu’il manque dans notre arsenal juridique « une action de droit commun permettant de contrôler en même temps l’acte de l’état civil étranger et l’état de la personne dont il atteste » (B).

A- L’action fondée sur la défense de l’ordre public ou la fraude à la loi

L’interdiction de principe du recours à la gestation pour autrui formulée par l’article 16-7 du Code civil est d’ordre public. Le ministère public est donc fondé à agir en qualité de partie principale afin de défendre l’ordre public ainsi que l’y autorise l’article 423 du Code de procédure civile [10] Vouloir transcrire sur les registres de l’état civil un acte de naissance faisant apparaître le recours à une convention de mère porteuse est de nature à porter atteinte à l’ordre public français, particulièrement au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes.
Dans l’arrêt « Mennesson » du 6 avril 2011 ( [11], l’attendu de principe de la Cour de cassation ne saurait être plus clair : « Mais attendu qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ».
Dans le cas des jumelles Mennesson, leurs parents avaient obtenu en Californie un jugement établissant judiciairement leur filiation suite à une convention de mère porteuse, légale dans cet Etat. Le jugement désignait le père français en qualité de père génétique et son épouse en qualité de mère légale. La Cour de cassation devait alors statuer sur la reconnaissance de ce jugement étranger et de sa possible transcription sur les registres français de l’état civil. Il ne fait aucun doute que le jugement étranger est contraire à l’ordre public français en matière internationale puisque la prohibition de la gestation pour autrui est absolue. En conséquence, il était possible de refuser la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil puisque le lien de filiation résultait d’une décision portant atteinte à l’ordre public. Cependant, même si la Cour de cassation prend la précaution de préciser qu’il n’y a pas d’atteinte au respect de la vie privée et familiale, on peut douter de ce dernier point puisque ces enfants et leur famille ne peuvent produire que des actes de filiation établis à l’étranger ce qui peut susciter une certaine suspicion de la part des administrations. Le respect dû à leur vie privée et familiale est-il respecté s’ils ne peuvent invoquer qu’une filiation étrangère alors qu’ils sont français et vivent sur le territoire national ?

Face à la fermeté de la Cour de cassation, les parents d’enfants issus d’une convention de mère porteuse à l’étranger ont alors agi sur un autre fondement. Ils ont essayé d’établir le lien de filiation selon les modes prévus par la loi française. Parfois, l’un de ces parents est le parent biologique de l’enfant. Il peut donc établir sa filiation par reconnaissance. L’enfant vit avec ses parents et ces derniers peuvent songer à se prévaloir de la possession d’état pour établir le lien de filiation. C’est le raisonnement suivi devant la Cour de cassation dans un autre des arrêts du 6 juillet 2011 [12]. Dans cette espèce, un couple avait eu un enfant d’une mère porteuse américaine. Au lieu de demander en France la transcription de l’acte de naissance de leur enfant, les parents sollicitèrent du juge des tutelles un acte de notoriété constatant la possession d’état. Le juge des tutelles accueillit leur demande en constatant que tous les éléments de la possession d’état étaient réunis. Le ministère public s’opposa à la transcription de l’acte de naissance sur les registres de l’état civil. Les parents contestent ce refus devant la cour d’appel et demandent également que la filiation paternelle soit établie par possession d’état. La cour d’appel rejettent ces deux demandes ce qu’approuve la Cour de cassation en considérant « qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; que ce principe fait obstacle aux effets en France d’une possession d’état invoquée pour l’établissement de la filiation en conséquence d’une telle convention, fût-elle licitement conclue à l’étranger, en raison de sa contrariété à l’ordre public international français ». Le raisonnement de la Haute juridiction est ici contestable puisqu’elle prive de tous ses effets une possession d’état valablement constituée au seul regard de la loi française. Il n’y a pas dans ce cas d’atteinte à l’ordre public en matière internationale puisqu’il ne s’agissait pas de transcrire un acte étranger contraire à la loi.

La Cour de cassation a finalement modifié le fondement de son raisonnement et dans l’un des arrêts du 13 septembre 2013 [13] a recouru à la notion de fraude pour confirmer l’annulation d’une reconnaissance de paternité. Dans cette espèce, un homme ayant eu recours à une convention de mère porteuse en Inde avait reconnu l’enfant en souscrivant une reconnaissance prénatale de paternité en France. Lorsqu’il sollicita la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance le désignant comme père et la mère porteuse comme mère ; sa demande fut non seulement rejetée mais sa reconnaissance annulée. La Cour de cassation tout en réaffirmant la nullité de la convention de mère porteuse, considère que « la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui ». La Haute juridiction fait application de l’adage « fraus omnia corrumpit » et réduit à néant toutes les conséquences de la fraude ce qui empêche tout établissement de la filiation. Là encore, le raisonnement de la Cour de cassation nous semble contestable. S’il est exact que la convention de mère porteuse qui a permis à l’enfant de naître est contraire à la loi française, il n’en demeure pas moins que l’homme qui l’a reconnu est son père biologique. La reconnaissance de paternité ne tend qu’à établir le lien de filiation paternelle sans référence à la filiation maternelle. Il semble difficile de lui refuser le droit de faire constater en France et selon les modalités de la loi française l’existence de ce lien de filiation. La fraude n’est pas caractérisée en ce qui concerne l’établissement de la filiation paternelle. Il en irait différemment s’il s’agissait d’une reconnaissance de complaisance, voire mensongère [14]. En outre, la fraude risque de rejaillir sur les droits minimums qui étaient jusque-là reconnus aux enfants issus d’une gestation pour autrui tels, par exemple, le certificat de nationalité française ou la délivrance d’un titre de voyage pour séjourner en France. Mais si la fraude corrompt tout, il faudrait alors considérer que la filiation établie à l’étranger ne peut produire aucun effet en France. Cela équivaut à priver l’enfant de tout droit ce qui devient contraire aux droits fondamentaux de l’enfant garantis par des textes internationaux. Il apparaît extrêmement difficile de nier toute existence légale à ces enfants. Ils ne sont en rien responsables du comportement illégal voire frauduleux de leurs parents d’intention. Ils ont le droit de vivre et d’être élevés par ceux qui sont considérés comme leurs parents en application de la loi étrangère.

Si la défense de l’ordre public français est importante, le respect dû aux droits fondamentaux des enfants l’est tout autant. Les fondements permettant de refuser la transcription des actes de naissance des enfants issus de gestation pour autrui ne permettent pas de parvenir à une solution satisfaisante. L’arsenal législatif français n’est pas adapté pour pouvoir se saisir de l’ensemble des situations de fait. Le fondement de la défense de l’ordre public empêchant toute transcription n’est réellement satisfaisant au regard de la prohibition de principe des conventions de mère porteuse que lorsque les parents sont des parents d’intention sans aucun lien biologique avec l’enfant ; à condition cependant de tenir compte des droits de l’enfant et de lui accorder un cadre de vie sécurisé. Mais empêcher l’établissement de la filiation par la possession d’état ou recourir à la notion de fraude pour annuler une reconnaissance lorsque ces actes correspondent à la vérité biologique et sont établies conformément à la loi française est tout aussi contestable. Il manque sans doute au droit positif une véritable action en contestation de l’état des personnes lorsque cet état est établi à l’étranger.

B- Une nouvelle action en reconnaissance ou en contestation de l’état des personnes

En 2015, la Cour de cassation a pris le parti d’autoriser la transcription des actes de naissance dès lors qu’ils sont conformes aux exigences de l’article 47 du Code civil [15]. Toutefois, ce texte ne vise que la force probante de l’acte de l’état civil et non pas l’état de la personne elle-même. Il n’existe aucun moyen de procéder au contrôle de l’état de la personne. Ainsi qu’un auteur l’a fait remarquer [16], il est impossible « de saisir un juge à titre principal, même de manière gracieuse, pour lui demander de vérifier l’efficacité d’un état de la personne constitué à l’étranger et dont la seule preuve est un acte de l’état civil ». En effet, les actes de l’état civil n’étant pas des jugements, la voie de l’exequatur et celle de l’inopposabilité sont fermées.
Une fois l’acte de l’état civil transcrit, le recours à une convention de gestation pour autrui s’efface derrière l’acte français. Ce même auteur [17] fait justement remarquer qu’une fois l’acte transcrit, il suffit de produire cet acte de naissance français pour justifier de sa filiation et il est à craindre que personne ne conteste ensuite la filiation.
Il conviendrait alors d’introduire dans notre droit positif une nouvelle action en reconnaissance ou en contestation de l’état des personnes lorsque cet état a été établi à l’étranger. Plus exactement, il s’agirait de deux actions dont l’objet diffère : soit faire reconnaître l’efficacité de l’état établi à l’étranger soit, au contraire, de faire contester cet état.

Ainsi, l’action en reconnaissance et l’action en contestation de l’état consisteraient toutes les deux à demander au juge de statuer sur l’efficacité en France de l’état invoqué par la personne et sur le caractère probant de l’acte qui lui est soumis ; l’objectif poursuivi dans l’un et l’autre cas étant opposé (faire reconnaître l’état ou à l’inverse le rendre inefficace). Il est possible d’établir ici un parallèle avec l’action en exequatur aux fins de reconnaissance et son pendant qu’est l’action en inopposabilité. La première permet de faire reconnaître l’efficacité du jugement étranger en France alors que la seconde tend à mettre en échec l’autorité du jugement en raison de son irrégularité. Transposé aux actes de l’état civil, il s’agirait soit de faire reconnaître en France l’état revendiqué par la personne soit, au contraire de priver l’acte invoqué de toute efficacité en raison de son irrégularité au regard du droit français.

L’intérêt à agir consisterait soit à faire reconnaître l’état de la personne concernée et subsidiairement obtenir la transcription des actes sur les registres de l’état civil soit faire reconnaître l’inefficacité en France de l’acte étranger en raison de son irrégularité au regard du droit français.
La qualité à agir découle en principe de l’intérêt à agir. Mais afin de respecter l’intimité de la vie privée et familiale, il s’agirait d’une action attirée. L’action en reconnaissance de l’état serait réservée à la personne concernée dans l’acte de l’état civil, l’enfant issu d’une convention de mère porteuse par exemple ou, pendant sa minorité, à ceux reconnus comme ses parents l’étranger. L’action serait un préalable à la demande de transcription des actes sur les registres de l’état civil français et pourrait être exercée de manière simultanée. Cette action relèverait du contentieux obligatoire [18] comme la plupart des actions relatives à l’état des personnes. Une affaire relève du contentieux obligatoire quand les intéressés ne peuvent pas tirer eux-mêmes les conséquences de leurs agissements. En raison de l’importance de la matière ou de la nature de la demande du requérant, le législateur a créé un contentieux. Non seulement le requérant est tenu de s’adresser au juge afin d’obtenir satisfaction mais il doit également assigner un adversaire. L’action en reconnaissance d’état relèverait de cette hypothèse et serait formée contre le ministère public.

L’action en contestation de l’état serait réservée au ministère public. Il pourrait agir en qualité de partie principale en demande lorsqu’il aurait connaissance de faits susceptibles de laisser penser que l’acte est irrégulier. Par exemple, lorsque les services de l’état civil sursoient à l’établissement de l’acte de naissance en raison d’une suspicion de fraude ou de fausse déclaration. Il pourrait alors agir contre les parents afin de faire déclarer inefficace l’état constaté par l’acte étranger et empêcher toute transcription sur les registres de l’état civil. Le ministère public agirait également en défense pour s’opposer à la demande formée contre lui par les parents en vue de la transcription des actes sur les registres de l’état civil.
Ces deux actions relèveraient de la compétence du tribunal de grande instance puisqu’il a une compétence exclusive en matière d’état des personnes en application de l’article R 211-4 du Code de l’organisation judiciaire. Quant à la compétence territoriale, il pourrait être admis que les parents soient autorisés de saisir le tribunal du lieu de leur domicile. Si le ministère public est demandeur, en règle générale, c’est le parquet de Nantes qui surseoit à la transcription des actes de l’état civil puisque le service central de l’état civil est établi dans cette ville ; mais l’enquête complémentaire est confiée au Procureur de la République du lieu de domicile des époux. Si le ministère public prend l’initiative de l’action, compétence devrait être donnée au tribunal du lieu de domicile des défendeurs en application de la règle de droit commun de l’article 42 du Code de procédure civile.

La prescription serait celle du droit commun soit dix ans à compter de l’établissement de l’acte. Ce délai étant suspendu pendant la minorité de l’enfant. Ainsi, soit les parents agissent pendant la minorité de leur enfant, soit celui-ci peut agir dans les dix ans qui suivent sa majorité.
Les voies de recours seraient celles de droit commun : appel et pourvoi en cassation.
Si l’action en reconnaissance des parents est accueillie, il faut en tirer toutes les conséquences. En particulier, les actes pourront être transcrits sur les registres de l’état civil. La situation de l’enfant serait consolidée puisqu’il disposerait d’actes de l’état civil français et que son lien de filiation serait établi de manière certaine. Son état ne pourrait plus être contesté, le jugement ayant autorité de la chose jugée.
Au contraire, si l’action en contestation de l’état du ministère public est accueillie, l’acte établi à l’étranger serait dépourvu de toute efficacité et permettrait d’empêcher la transcription des actes sur les registres de l’état civil français.

Une telle action permettrait cependant d’éviter les écueils du raisonnement fondé sur la fraude à la loi. En effet, l’acte serait inefficace en France mais ne priverait pas l’enfant du lien de filiation établi en conformité avec la loi étrangère et il pourrait vivre avec ceux que la loi étrangère désigne comme étant ses parents. Il pourrait notamment obtenir certains droits comme un certificat de nationalité française.
Une telle action permettrait de respecter l’interdiction française du recours à la gestation pour autrui et de ne pas établir ou retranscrire d’actes de l’état civil portant atteinte à cette prohibition. La parenté d’intention (sans aucun lien biologique avec l’enfant) resterait interdite. Toutefois, une telle action ne devrait pas priver le parent biologique d’établir légalement en France son lien de filiation. Ainsi, le père biologique pourrait reconnaître sa paternité ou invoquer le bénéfice de la possession d’état. La seule parenté d’intention qui pourrait être reconnue serait celle réalisée par le biais de l’adoption de l’enfant de son conjoint. En effet, si les conditions légales sont réunies, il apparaît impossible de refuser le droit au conjoint d’adopter l’enfant de son époux(se).
A l’heure actuelle, le législateur n’est pas intervenu pour statuer sur cette délicate question. La jurisprudence saisie de nombreuses demandes de transcription d’actes de naissance a dû prendre position et est ainsi venue combler les lacunes de la loi.

II. La jurisprudence venant combler les lacunes de la loi

Plusieurs décisions tant administratives que judiciaires préfigurent le revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation de juillet 2015.
En premier lieu, une circulaire du 25 janvier 2013 dite circulaire « Taubira » invite les tribunaux à accueillir favorablement les demandes de certificat de nationalité française « dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’art. 47 c. civ. ». Il était précisé que le seul soupçon du recours à une convention de mère porteuse à l’étranger ne pouvait suffire à justifier un refus. Autrement-dit, à défaut de voir le lien de filiation officiellement reconnu, les parents peuvent au moins obtenir un certificat de nationalité française dès lors que l’acte de l’état civil présenté est conforme aux prescriptions de l’article 47 du Code civil. Pour autant, cette circulaire n’a pas mis un terme aux ardeurs judiciaires des parents d’enfants nés de convention de mère porteuse à l’étranger afin d’obtenir la reconnaissance et la transcription pure et simple des actes de l’état civil de leurs enfants.

En deuxième lieu, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en juin 2014 [19] pour atteinte au respect de la vie privée des enfants. En effet, la Cour européenne considère qu’à l’égard des parents, l’Etat français a respecté un « juste équilibre » entre les intérêts de l’Etat et ceux des parents. Mais, la Cour considère également qu’en refusant de reconnaître le lien de filiation paternelle (le père désigné dans l’acte étant également le père biologique), la France serait allée « au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation ». Selon la Cour, les enfants n’ont pas à subir les conséquences des choix faits par leurs parents quant à leur mode de conception et le refus de reconnaître leur filiation et de transcrire leurs actes de naissance est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant « dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté » [20]

En troisième lieu, dans une décision du 12 décembre 2014 [21], le Conseil d’État a rejeté les requêtes en annulation pour excès de pouvoir dont il était saisi et a validé la circulaire. Autrement-dit, l’application de cette circulaire conduit à traiter différemment la question de la filiation et celle de la nationalité. Pourtant, la nationalité n’est que l’un des effets de la filiation. Une telle dissociation semble néfaste et risque d’aboutir à des situations incohérentes. Selon certains commentateurs [22], la reconnaissance de la validité de la circulaire par le Conseil d’Etat « invite, voire suppose, une évolution de la jurisprudence judiciaire ».
Un premier pas a été franchi en 2015 en retenant le principe d’une appréciation circonstanciée (A). Ainsi que l’avait annoncé certains auteurs [23], la Cour de cassation vient de se prononcer sur la parenté d’intention (B).

A- Une appréciation circonstanciée

Le premier pas est franchi par la Cour de cassation dans deux arrêts de l’Assemblée Plénière du 3 juillet 2015 [24]. Dans ces deux affaires, il s’agissait d’enfants nés en Russie. L’acte de naissance mentionnait comme père, le père biologique des enfants et comme mère, la mère porteuse, c’est-à-dire la mère biologique. Dans les deux cas, le ministère public s’opposait à la transcription des actes de naissance des enfants.
Dans la première espèce, la cour d’appel refuse la transcription des actes de naissance en considérant qu’« il existe un faisceau de preuves de nature à caractériser l’existence d’un processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre M. X. et Mme Z. ». Les juges du fond se référaient ici au caractère frauduleux du recours à la gestation pour autrui. La Cour de cassation casse la décision d’appel aux motifs que la cour d’appel « n’avait pas constaté que l’acte était irrégulier, falsifié ou que les faits qui y étaient déclarés ne correspondaient pas à la réalité » et avait donc violé les articles 47 du Code civil et l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En l’espèce, la Cour de cassation considère que les juges du fond auraient dû vérifier la régularité et l’absence de falsification de l’acte de naissance avant de refuser la transcription. La suspicion de recours à une convention de gestation pour autrui, et son caractère frauduleux, ne saurait plus suffire pour refuser la transcription d l’acte de l’état civil. La Haute juridiction abandonne ainsi son analyse globale refusant par principe toute transcription liée au recours à une convention de mère porteuse à l’étranger au profit d’une appréciation circonstanciée.

A l’inverse, dans la seconde espèce, la transcription de l’acte de naissance de l’enfant a été ordonnée par les juges du fonds qui considèrent qu’« il convient, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, de faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) sur la fraude ». Le ministère public a formé un pourvoi en cassation en soutenant que la transcription sollicitée était contraire à l’ordre public français et que le refus de transcription ainsi justifié « ne prive pas l’enfant de sa filiation paternelle, ni de la filiation maternelle que le droit de l’État étranger lui reconnaît, ni ne l’empêche de vivre au foyer de M. Patrice X..., ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de cet enfant au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non plus qu’à son intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant ». La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif « qu’ayant constaté que l’acte de naissance n’était ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la convention de gestation pour autrui conclue entre M. X...et Mme Z... ne faisait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance ; que le moyen n’est pas fondé ». Là encore, la Cour de cassation se réfère à l’article 47 du Code civil pour justifier la transcription de l’acte de naissance dès lors qu’il ne contient aucune irrégularité et correspond à la réalité. Autrement-dit, la contrariété à l’ordre public ne saurait plus justifier le refus de la transcription des actes de l’état civil des enfants nés à l’étranger, même s’ils sont issus d’une convention de gestation pour autrui prohibée sur le territoire national.
Dans ces deux espèces, la Cour de cassation procède à une appréciation in concreto de l’acte dont la transcription est sollicitée. Si celui-ci est conforme à l’article 47 du Code civil, il faut autoriser la transcription quand bien même l’acte ferait apparaître le recours à une convention de mère porteuse. Dans l’arrêt Mennesson, la Cour européenne des droits de l’homme reprochait à la France de ne pas avoir pris en compte la réalité biologique quant à la filiation paternelle des jumelles. La Cour de cassation applique strictement ce critère dans ses décisions de 2015 : les actes de naissance décrivent la réalité biologique puisque le père désigné est le père biologique et la mère désignée est la mère porteuse, c’est-à-dire la femme qui accouché. Il n’existe donc aucune raison de refuser la transcription des actes litigieux. Ils sont conformes à la réalité et désignent les père et mère biologiques des enfants. La Cour de cassation renonce à toute appréciation globale fondée sur la fraude ou la contrariété à l’ordre public et se fonde désormais sur l’article 47 du Code civil pour déterminer au cas par cas si la transcription sollicitée peut, ou non, être autorisée.
Vérifier de manière circonstanciée la régularité de l’acte de l’état civil eu égard aux prescriptions de l’article 47 du Code civil permet d’autoriser la transcription de ces actes lorsqu’ils sont conformes à la réalité c’est-à-dire lorsque les parents désignés sont les parents biologiques de l’enfant. Cependant, une telle solution est loin de permettre de régler toutes les situations, en particulier quand ce sont les parents d’intention qui ne seraient pas les parents biologiques qui seront mentionnés dans l’acte.

B- Une reconnaissance de la parenté d’intention

Le raisonnement circonstancié de la Cour de cassation ne permet pas de régler toutes les situations. Il ne peut s’appliquer qu’aux seuls cas où l’acte désigne le père biologique de nationalité française en tant que père et la mère porteuse de nationalité étrangère en qualité de mère, c’est-à-dire la femme qui a accouché de l’enfant. Dans toute autre hypothèse, il faut considérer que les mentions de l’acte ne correspondent pas à la réalité et que la transcription est impossible car l’acte n’est pas conforme à l’article 47 du Code civil.

C’est ce raisonnement qui a été tenu par le ministère public dans une affaire qui a donné lieu à un arrêt de la cour d’appel de Rennes le 7 mars 2016 [25]. Dans cette affaire, la mère désignée dans l’acte de naissance n’était pas la mère porteuse mais la mère d’intention, c’est-à-dire l’épouse du père biologique. Il s’agissait ici d’un couple qui avait eu recours à une convention de mère porteuse en Ukraine et deux petites filles sont nées. Leurs actes de naissance établis en Ukraine désignent le père biologique de nationalité française et son épouse en qualité de mère. Au moment de la demande de transcription, les époux ne font pas parvenir le certificat d’accouchement au service consulaire qui transmet le dossier au parquet de Nantes pour suspicion de recours à une convention de mère porteuse. Le ministère public refuse la transcription et le tribunal de grande instance de Nantes est saisi par le couple. Le tribunal de grande instance de Nantes rend son jugement le 13 mai 2015 par lequel il ordonne la transcription des actes de naissances des deux fillettes. Le parquet interjette appel et fait valoir « que les deux arrêts rendus en assemblée plénière le 3 juillet 2015 concernent des affaires où l’état civil étranger mentionne les noms du père français et de la mère porteuse étrangère, de sorte que la jurisprudence reste incertaine pour toute affaire dont les faits ne seraient pas strictement identiques, que les actes de naissance litigieux ne sont pas conformes à la réalité au sens de l’article 47 du code civil, en ce qu’ils indiquent le nom de Mme Le R. comme mère, alors que celle-ci n’a pas accouché ». La cour d’appel de Rennes fait droit à sa demande et infirme le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné la transcription des actes de naissance désignant la mère d’intention comme mère légale et ordonne, en lieu et place, la transcription des actes de naissance avec la seule mention de leur filiation paternelle, mention conforme à la réalité des faits. La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi du ministère public contestant la transcription de l’acte quant à la filiation paternelle et d’un pourvoi des époux quant au refus de transcription de la filiation maternelle. Dans l’un des arrêts du 5 juillet 2017 [26], la Cour de cassation rejette leur pourvoi. Pour la Haute juridiction, la mère désignée dans l’acte de naissance s’entend de la femme qui a accouché de l’enfant. En l’espèce, c’est la mère d’intention qui était désignée, les mentions de l’acte de naissance ne correspondent donc pas à la réalité au sens de l’article 47 du Code civil. A l’inverse, le père désigné étant bien le père biologique des fillettes, la cour d’appel a, à bon droit, ordonné la transcription des actes de naissance avec la mention de leur filiation paternelle.
Ainsi, la Cour de cassation refuse toujours de reconnaître la parenté d’intention par la simple transcription d’un acte de l’état civil étranger. Elle considère que la désignation du parent d’intention dans l’acte de naissance ne correspond pas à la réalité et s’avère donc non conforme à l’article 47 du Code civil.

Cependant, la Haute juridiction franchit un pas supplémentaire en reconnaissant le droit au parent d’intention d’établir sa filiation par le biais d’une adoption dans l’un des arrêts du 5 juillet 2017 [27]. Autrement-dit, elle reconnaît indirectement la parenté d’intention par la création en France de ce nouveau lien de filiation. Dans cette espèce, un couple d’hommes recourt à une convention de mère porteuse en Californie pour avoir un enfant. Quelques années plus tard, le couple se marie et le conjoint demande à adopter l’enfant de son époux. Les juges du fond rejettent sa demande en considération de la convention de mère porteuse à laquelle ils refusent de faire produire des effets mêmes indirects. La décision de la cour d’appel de Dijon est cassée aux motifs « qu’en statuant ainsi, alors que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». La Cour de cassation se prononce uniquement au regard des règles relatives à l’adoption et en se plaçant du côté de l’enfant. Cette adoption est-elle, notamment, conforme à son intérêt supérieur ? Si l’on répond par l’affirmative et que toutes les conditions de l’adoption sont réunies, rien ne doit empêcher son prononcé. Dans cet arrêt, la Cour de cassation reconnaît indirectement la parenté d’intention en accueillant la demande d’adoption formulée par le conjoint du parent biologique. Il s’agit là d’un équilibre, sans doute précaire, entre l’interdiction de la gestation pour autrui et l’intérêt de l’enfant.

La Cour de cassation va devoir bientôt, à nouveau, se prononcer sur la simple parenté d’intention. La Haute juridiction est, en effet, saisie d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 6 mars 2017 [28] qui a admis la transcription des actes de naissance d’enfants nés au Ghana d’une convention de mère porteuse et désignant comme parents légaux les seuls parents d’intention. La cour d’appel de Rennes considère que la réalité au sens de l’article 47 du Code civil doit s’entendre « comme celle qui existe juridiquement au jour où l’acte de naissance étranger a été dressé » et non pas nécessairement comme celle correspondant à la réalité biologique. Les juges du fond invoquent également à l’appui de leur raisonnement l’intérêt supérieur de l’enfant qui implique la reconnaissance de la situation constituée à l’étranger ainsi que le principe d’égalité des enfants quelle que soit leur naissance prévu à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. En l’espèce, les époux n’étaient ni l’un ni l’autre les parents biologiques des enfants mais la cour d’appel a considéré que « les actes de naissance litigieux faisant apparaître la filiation paternelle et maternelle d’intention de Camille, Brice et Lucile, sont bien conformes à la réalité au sens de l’article 47 du code civil ». Au regard de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation devrait accueillir le pourvoi du ministère public puisque jusqu’à présent, la Haute juridiction a toujours refusé de transcrire les actes étrangers faisant état de la seule parenté d’intention. Mais rien n’est moins sûr et la Cour de cassation verra peut-être là l’occasion de franchir le dernier pas vers une reconnaissance totale de la parenté d’intention, et ce au mépris de l’article 16-7 du Code civil [29]

Au regard de ces considérations, il semble que l’intervention du législateur soit plus que jamais nécessaire. Si le droit français entend maintenir la prohibition des conventions de mère porteuse, l’introduction dans l’arsenal législatif d’une nouvelle action permettant de faire reconnaître ou de rendre inefficace la filiation établie à l’étranger apparaît souhaitable. Cette action permettrait de concilier l’interdiction française et les droits de l’enfant. Elle permettrait également de continuer de refuser de reconnaître la seule parenté d’intention et d’empêcher toute transcription d’actes de l’état civil ne mentionnant que les seuls parents d’intention. Mais elle ne priverait pas le parent biologique de voir établir sa filiation et permettrait également au parent d’intention de construire sa filiation conformément au droit français par le biais, notamment de l’adoption de l’enfant de son conjoint.

Véronique MIKALEF-TOUDIC
Maître de conférences HDR en droit privé
Faculté de Droit et d\’AES
Université de Caen-Normandie

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Notes de l'article:

[1(Sur cette prohibition de principe, voy. notament, B. Waltz-Teracol « Vue rétrospective, actuelle et prospective sur la gestation pour autrui en France », LPA, 21 novembre 2014, p. 4 ; M.-A. Frison-Roche « L’impossibilité de réguler l’illicite : la convention de maternité de substitution », D. 2014. 2184)

[2(Cass. ass. plén., 31 mai 1991, Bull. civ., no 4 ; D., 1991, 417, rapp. Chartier, note Thouvenin ; JCP, 1991, II, 21752, comm. J. Bernard, concl. Dontenwille, note F. Terré ; Defrénois, 1991, 948, obs. J. Massip ; RTD civ., 1991, 517, obs. D. Huet-Weiller ; RRJ 1991/3, 843, note Barthouil)

[3(Cass. 1re civ., 6 avril 2011, Bull. civ. I, no 72 ; D., 2011, 1064, obs. X. Labbée ; D., 2011, 1522, note Berthiau et Brunet ; D., 2011, Pan. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; D., 2011, Pan. 1995, obs. A. Gouttenoire ; JCP, 2011, no 441, obs. Vialla et Reynier ; AJ fam, 2011, 262, obs. F. Chénédé ; RTD civ., 2011, 340, obs. J. Hauser ; Gaz. Pal.,., 2011, 1489, avis Domingo ; Gaz. Pal. 2011, 1512, note Weiss-Gout ; RLDC, 2011/82, no 4244, obs. Gallois ; Rev. crit. DIP, 2011, 722, note Hammje, rejetant le pourvoi contre Paris, 18 mars 2010, D., 2010, Actu. 1210, obs. Égea ; D., 2010, 1683, note Geouffre De La Pradelle ; D., 2010, Pan. 1904, obs. A. Gouttenoire ; D., 2011, Pan. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam, 2010, 233, note F. Chénédé ; JCP, 2010, no 798, note A. Mirkovic ; Dr. fam., 2010, Étude 23, note Farge ; RJPF, 2010-5/12, obs. Le Boursicot ; RTD civ., 2010, 317, obs. J. Hauser. Cass. 1re civ., 6 avril 2011, Bull. civ. I, no 71 ; D., 2011, 1064, obs. X. Labbée ; D., 2011, 1522, note Berthiau et Brunet ; D., 2011, Pan. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; D., 2011,. Pan. 1995, obs. A. Gouttenoire ; RTD civ., 2011, 340, obs. J. Hauser ; JCP, 2011, no 441, obs. Vialla et Reynier ; AJ fam 2011. 262 ; RLDC, 2011/82, no 4244, obs. Gallois ; Rev. crit. DIP, 2011, 722, note Hammje, rejetant le pourvoi contre Paris, 26 février 2009, JCP, 2009, no 26, p. 17, note A. Mirkovic ; Dr. fam., 2009, no 75, note P. Murat ; RLDC, 2009/63, no 3540, obs. Pouliquen ; RTD civ., 2009, 519, obs. J. Hauser. Cass. 1re civ., 6 avril 2011, Bull. civ. I, no 70 ; D., 2011, 1064, obs. X. Labbée ; D., 2011, 1522, note Berthiau et Brunet ; RTD civ., 2011, 340, obs ; J. Hauser ; JCP, 2011, no 441, obs. Vialla et Reynier ; AJ fam, 2011. 262 ; RLDC, 2011/83, no 4275, obs. A. MIRKOVIC, rejetant le pourvoi contre Douai, 14 septembre 2009, D., 2009, 2845, note A. Mirkovic ; D., 2010. Pan. 604, obs. Galloux ; RTD civ., 2010, 97, obs. J. Hauser. Paris, 18 mars 2010, D., 2010, 1210, obs. Egea ; AJ fam, 2010, 233, note F. Chénédé ; D., 2010, 1683, note de Geouffre De La Pradelle)

[4(Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-18.315 et n° 12-30.138, D. 2013. 2382, obs. I. Gallmeister, 2383, 2377, avis C. Petit, 2384, note M. Fabre-Magnan, 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot, 954, obs. A. Dionisi-Peyrusse, 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon, 1171, obs. F. Granet-Lambrechts, 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano, et 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579, obs. F. Chénedé, 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse, et 600, obs. C. Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser ; JDI 2014. Comm. 1, note J. Guillaumé ; adde H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon, Dans les limbes du droit, À propos de la situation des enfants nés à l’étranger avec l’assistance d’une mère porteuse, D. 2013. 2349)

[5(CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, n° 65941/11, Labassée, et n° 65192/11, Mennesson, D. 2014. 1797, note F. Chénedé, 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon, 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire, 1806, note L. d’Avout, 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts, 755, obs. J.-C. Galloux, 1007, obs. A. Dionisi-Peyrusse, et 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon ; AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel, et 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser, et 835, obs. J.-P. Marguénaud ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan Esper ; JDI 2014. Comm. 16. - Adde H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon, Reconnaissance ou reconstruction ?, À propos de la filiation des enfants nés par GPA, au lendemain des arrêts Labassée, Mennesson et Campanelli-Paradiso de la Cour européenne des droits de l’homme, Rev. crit. DIP 2015. 1 ainsi que la circulaire du 25 janvier 2013 dite circulaire « Taubira » :CIV/02/13 - NOR JUSC 1301528 C. Voy. N. MATHEY, Circulaire Taubira « Entre illusions et contradictions », JCP 2013. 162.).

[6(Cass. , ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-21.323 P et n° 15-50.002 P : D. 2015. 1819, note Fulchiron et Bidaud-Garon ; ibid. 1773, obs. Sindres ; ibid. 1919, obs. Bonfils et Gouttenoire ; AJ fam. 2015. 496, obs. Chénédé ; ibid. 364, obs. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2015. 581, obs. Hauser ; Gaz. Pal. 2015. 2949, obs. Le Maigat ; Dr. fam. 2015, no 166, obs. J. R. Binet)

[7(Cass 1ère civ, 5 juillet 2017, n° 15-28.597, n°16-16.901, n° 16-16.455, n° 16-16.495 et n° 16-20.052 : H. Fulchiron, « La Cour de cassation consacre la parenté d’intention par adoption », D. 2017 p. 1737 ; F. Chénédé, « De l’abrogation par refus d’application de l’article 16-7 du Code civil », AJ Famille 2017, p. 375 ; D. 2017, p. 1727, obs. P. Bonfils ; P. Salvage-Gerest, « Gestation pour autrui et simulation d’accouchement, ne pas confondre », AJ Famille 2017 p. 431)

[8(Arrêts précités)

[9(H. Fulchiron, « Gestation pour autrui internationale : changement de cap à la Cour de cassation », D. 2015, p. 1819)

[10(Sur le droit d’action du ministère public, v. not. V. Mikalef-Toudic, Le ministère public, partie principale dans le procès civil, PUAM 2006).

[11Civ. 1re, 6 avr. 2011 : R., p. 400 ; Bull. civ. I, no 72 ; D. 2011. 1064, obs. X. Labbée ; ibid. 1522, note Berthiau et Brunet ; ibid. Pan. 1585, obs. Granet-Lambrechts ; ibid. Pan. 1995, obs. Gouttenoire ; JCP 2011, no 441, obs. Vialla et Reynier ; AJ fam. 2011. 262, obs. Chénedé ; RTD civ. 2011. 340, obs. Hauser ; Gaz. Pal. 2011. 1489, avis Domingo ; ibid. 1512, note Weiss-Gout ; RLDC 2011/82, no 4244, obs. Gallois ; RTD civ. 2011. 340, obs. Hauser ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note Hammje)

[12(Civ. 1re, 6 avr. 2011 : R., p. 400 ; Bull. civ. I, no 70 ; D. 2011. 1064, obs. X. Labbée ; ibid. 1522, note Berthiau et Brunet ; RTD civ. 2011. 340, obs. Hauser ; JCP 2011, no 441, obs. Vialla et Reynier ; AJ fam. 2011. 262 ; RLDC 2011/83, no 4275, obs. Mirkovic)

[13(Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-18.315, précité)

[14(En ce sens, v. H. Fulchiron, art précité)

[15(Arrêts précités et V. infra)

[16(H. Fulchiron, art. précité )

[17(H. Fulchiron, art. précité )

[18(Sur cette notion, v. notamment V. Mikalef-Toudic, Le ministère public, partie principale dans le procès civil, PUAM 2006, n° 368 et 380 et s. ; P. Hébraud, « L’acte juridictionnel et la classification des contentieux », recueil de l’Académie de législation de Toulouse, 1949, p. 131, n° 21 et s.)

[19(Arrêt précité)

[20(Arrêt précité, § 99).

[21(CE 12 décembre 2014, n° 365779, publié au Recueil Lebon ; A. Dionisi-Peyrusse « GPA : la « circulaire Taubira » est validée », Conseil d’Etat 12 décembre 2014, AJ fam. 2015. 53)

[22(A. Dionisi-Peyrusse, art. précité)

[23(H. Fulchiron, art précité)

[24(Arrêts précités)

[25(CA Rennes, 7 mars 2016, n° 15/03855)

[26(Cass 1ère civ, 5 juillet 2017, n°16-16.901, précité)

[27(Cass 1ère civ, 5 juillet 2017, n°16-16.455, précité)

[28(CA Rennes, 6 mars 2017, arrêt n° 16/00393)

[29(V. notamment F. Chénédé, art précité ).

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  • par Francine Summa , Le 24 octobre 2017 à 09:21

    Long article historique mais qui est contraireà la jurisprudence européenne.La France reconnaît la bigamie.
    Et d autres situations familiales le mariage pour tous contestées a l étranger.

    Respecter les règles du droit international privé assure la sécurité juridique de ses propres lois nationales.
    Un enfant est né.Il n est pas un contrat mais à le droit à la reconnaissance juridique et parentale.

    Notre pays est mondialiste.

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