2014 : vers une nouvelle matrice fiscale ? Par Renaud Berthou, Docteur en droit.

2014 : vers une nouvelle matrice fiscale ?

Par Renaud Berthou, Docteur en droit.

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2013 n’aura pas été une simple année de plus charriant son lot de nouveautés fiscales. Ce qui s’est joué ici sur le terrain de la fiscalité fut d’un poids bien plus conséquent pour notre système juridique.

Lois de finances 2014 : le jour d’après ?

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« Il y a peut être encore pire que de ne pas vouloir payer son impôt, que l’on soit un particulier ou une entreprise : c’est le fait de conseiller l’un ou l’autre pour qu’il ne paie pas l’impôt » (Débat parlementaire sur le projet de loi de finance 2014, septembre 2013 )

L’année écoulée n’aura pas simplement charrié son lot de nouveautés fiscales. Elle fût tout à la fois l’occasion de percevoir la teneur du terreau fiscal qui est désormais le nôtre mais aussi de constater l’émergence progressive de profondes sources d’évolutions au sein de notre système fiscal.

I/ 2013 : cap sur la fiscalité

L’année 2013 aura tout d’abord constitué une césure remarquable dans la relation qui unie le citoyen à l’impôt. Tant le climat fiscal que le comportement de l’administration fiscale y auront flirté avec les limites structurelles de notre système juridique.

A / Le climat fiscal 2013

L’impôt est, si ce n’est toujours juste, au moins fondamentalement logique et légitime comme principe. La citoyenneté, telle que définie par notre ensemble juridique est en effet liée à la notion d’impôt. C’est parce que nous sommes citoyens que nous contribuons à la charge publique. L’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme rappelle ainsi ce lien consubstantiel entre le citoyen et l’impôt, lien qui institue d’ailleurs la figure du contribuable comme participant honnête et coopérant à l’établissement de l’impôt .

Mais, l’année 2013 est peut être une de celles il fut le moins parlé d’impôt. Le début d’année aura sans aucun doute été l’occasion d’évoquer de nouveaux sujets d’impôt. On parla alors de la taxe à 75 % sur les joueurs de football, d’une évolution de la réforme de la taxation sur les biens immobiliers ou encore d’une réforme de l’assurance vie avec le rapport Lefebvre-Berger.

Reste que, ensuite, les pigeons s’envolèrent avec fracas, les tondus se mirent à bêler et les bonnets rouges fleurirent sur les têtes de nos concitoyens bretons . Ce fut alors de fiscalité dont tout le monde discourrait nous rappelant en cela l’origine de ce mot lié au fiscus, sorte de panier en osier avec lequel les empereurs romains pratiquaient la confiscation des biens des condamnés.

Dans l’esprit des français un cap fût donc sans aucun doute franchit en 2013. La pression fiscale accoucha de quelques irruptions significatives d’un mal être du contribuable alors que, dans le même temps, comme pour en justifier l’existence, s’opéra également de profondes entorses au fonctionnement de notre système juridique et fiscal.

B / Les velléités législatives de l’administration fiscale

L’année 2013 fut ainsi caractérisée par un positionnement particulièrement tranché de l’administration fiscale qui décida de franchir le « Rubicon de la création du droit » à trois reprises au moins. Elle décida ainsi tout à la fois :

-  de créer de la norme fiscale
-  de proclamer une autonomisation du système fiscal
-  puis de contester la parole du juge constitutionnel

Rappelons pourtant que le rôle de l’administration fiscale, quoique sui generis, est par principe quasi-inexistant au sein de notre système juridique. En théorie, le droit français se forge en effet dans les volontés du législateur étatique notamment quant il a trait à l’impôt, symbole de la puissance publique. Une certaine concurrence dans la production du droit de l’Etat français est certes admise, par exemple à travers l’institution des « sources du droit ». Certains autres faiseurs estampillés du sceau étatique ont le droit à l’expression : ainsi en va t-il de la doctrine, de la coutume puis de la jurisprudence dont l’existence est acceptée et la parole plus ou moins écoutée mais seulement à partir du moment où l’Etat garde la possibilité de retravailler la norme enrichie.

En ce sens, la création du droit de l’Etat est par principe retenue et la pyramide de la hiérarchie des normes s’arrête en théorie au degré des règlements. En dessous, point de droit, étatique du moins.

Toutefois, on constatera aisément que l’administration fiscale publie tout un ensemble d’instructions, circulaires, notes de services, réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires, ou autres commentaires administratifs de jurisprudence qui, élaboré dans un but plus ou moins pédagogique, porte le nom de doctrine administrative. Cette masse d’ « infra-droit » est réputée dépourvue de caractère juridique contraignant pour les administrés et les contribuables. En théorie, elle ne s’imposerait qu’aux agents de l’administration dont les agents du fisc. Mais elle a en réalité une très forte autorité pratique.

D’autre part, l’administration fiscale a désormais également accès au cœur du processus législatif. En ce sens, on rappellera avec intérêt le rôle de la direction de la législation fiscale dans la préparation des lois fiscales, des décrets d’application et des réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires. Loin d’une intervention mécanique, son implication dans la totalité du processus d’élaboration et d’application des règles de droit fiscal la conduit très probablement à élaborer une stratégie normative .

C’est pourquoi, il est désormais possible de considérer plus surement que le droit fiscal se construit en réalité à plusieurs, sur un principe de coproduction par délégation de l’application du droit à un acteur - l’administration fiscale - qui prendra de ce fait une légitimité technique par proximité avec les problèmes issus des rapports normatifs et se verra offert une influence dans l’élaboration de la règle. L’administration fiscale possède en effet désormais une influence et un pouvoir qui suggère, prépare les lois avant qu’elle n’ait à appliquer le droit ayant reçu le sceau législatif . Dans son rôle de direction, le ministre tenterait pour sa part à ce jour d’en comprendre les demandes avant de faire parfois prévaloir sa position contraire .

Reste que l’année 2013 a engendré une singulière extension de ce positionnement de l’administration fiscale qui prendra des décisions engagées lors de certains évènements fiscaux.

La réforme immobilière ou la création administrative de la loi fiscale

Tout d’abord, on remarquera qu’avant même le début des débats sur la loi de finance 2014 l’administration fiscale avait décidé de « commenter » la réforme - alors inexistante - de la fiscalité immobilière en produisant une norme d’application à la place du légitime détenteur du pouvoir législatif.

En publiant tout simplement un texte rédigé par quelques uns de ses agents sur son nouveau site Internet BOFiP, elle institua de facto une réforme de la fiscalité immobilière avec cet étrange état de fait de positionner les notaires dans un grand inconfort puisque disposant entre leurs mains d’une réforme que le législateur n’avait pas encore voté mais qu’a priori l’administration ne contesterait pas pour l’avoir créée .

Ce n’est qu’ensuite, que cette réforme « sans vote ni loi », fut « légalisée » dans le débat propre à la loi de finance pour 2014. Certaines des dispositions de cette loi furent certes annulées par le Conseil constitutionnel mais le débat normatif porta alors essentiellement sur les amendements relatifs aux terrains à bâtir sans que ne puisse être questionné, de par l’interposition du projet de loi de finance, cet objet juridique hybride et a priori inconstitutionnel que constitue une telle proposition de loi d’origine administrative .
Mais au-delà de cette immixtion dans la fabrique de la loi, en 2013 l’administration contesta également de très solides bases de notre système juridique.

La réponse Moyne Bressand ou l’autonomisation du système fiscal

Le 13 août 2013, la réponse ministérielle Moyne-Bressand remit ainsi en cause les effets d’un acte civil et les piliers du fonctionnement de notre système juridique. L’administration fiscale y usa d’une logique juridique pour le moins surprenante au terme de laquelle le droit fiscal pourrait s’abstraire des effets s’attachant à un acte de nature civile.

Reconnaissant l’existence d’une loi des parties exprimée à travers un engagement collectif de conservation de titres dit pacte Dutreil, elle dénia toutefois reconnaitre à ce contrat les conséquences que la loi fiscale lui attribuait à travers l’article 885 I bis du CGI. Elle surajouta au texte une exigence d’absence de circulation des titres entre associés contractants puis posa de nouvelles conditions à la reconnaissance au sein du système fiscal des lois des parties déjà exprimées hors cette condition. Ce 13 août, le fiscal a donc pour ainsi dire « tenu le civil en l’état » .

Cet encadrement de l’acte contractuel civil, donnée de base de notre système juridique ancré sur le droit de propriété et subissant une contractualisation galopante a été remarqué à juste titre par certains experts avertis comme ayant une conséquence « contra legem ». Mais, le fondement de cette réponse ministérielle, sa logique d’émission, semblent quant à eux porter atteinte à des données structurelles bien plus profondes que celle du dispositif légal de l’article 885 I bis du CGI .

L’acte civil que constitue le pacte Dutreil y est en réalité anéanti dans ses effets au niveau du système juridique fiscal avant que d’être soumis à des conditions d’entrée au sein de ce qui s’apparente dès lors à une nouvelle structure normative en voie d’autonomisation.

Du plafonnement ISF à la supra constitutionnalité de la doctrine fiscale

Enfin, on constatera avec quelle impétuosité l’administration fiscale a agi au cours de cette année 2013 en matière de plafonnement ISF où elle ira jusqu’à réaffirmer ses exigences après la censure du juge constitutionnel.

Pour mémoire, un des grands débats dans l’application du bouclier fiscal puis du plafonnement ISF résidait dans le fait de savoir ce qui devait être considéré comme un revenu à prendre compte pour le calcul lié au plafonnement. L’administration fiscale souhaitait de longue date que tous les intérêts réalisés sur les fonds en euros de tous les contrats d’assurance vie multisupports soient notamment concernés, ce qui dans la pratique revenait à limiter l’intérêt du mécanisme du plafonnement et à augmenter la charge de l’ISF. Le 29 décembre 2012, le conseil constitutionnel lui refusa toutefois ce droit au motif que les revenus réputés non acquis ne devaient être pris en compte dans ce calcul, précisément en raison de leur nature de revenus non définitivement acquis .

Pour autant, contre l’avis du juge constitutionnel et par conséquent à l’encontre de l’interprétation de la norme suprême, l’administration mis à jour sa base BOFiP-Impôts en date du 14 juin 2013 en précisant qu’il y avait « lieu de prendre en compte les intérêts acquis sur les fonds en euro des contrats d’assurance-vie ou de capitalisation mono-support comme multi-supports. ». D’autre part, cette position doctrinale en forme de poussée expansionniste, alors contestée par voie de recours pour excès de pouvoir et à travers une QPC , fut très rapidement légalisée dans l’article 8 ter du projet de loi de finance pour 2014 montrant ainsi l’étendue de l’influence normative acquise par l’administration fiscale. Il faudra que, in fine, le conseil constitutionnel soit saisi une nouvelle fois le 19 décembre 2013 pour que le schéma directeur et constitutionnel de la production de la loi soit rétabli. On remarquera d’ailleurs sur ce point, l’étrangeté de cette décision où le Conseil en sera réduit à devoir expliquer aux pouvoirs publics, aux autorités administratives et juridictionnelle ainsi qu’au législateur l’effet de « l’autorité de la chose jugée par le Conseil » qui s’attache à ses décisions . Pour les experts de la production législative, on aura sans doute ici frôlé le « casus belli ».

Ainsi au cours de l’année 2013, on aura autant assisté à une vague de « révoltes » sociales révélatrices d’une évolution vers un paradigme de la fiscalité qu’à une série de transgressions dans les règles d’émergence de la normativité fiscale de telle sorte que, même si le rôle créateur de l’administration avait déjà été repéré de longue date dans l’émergence du droit, l’année 2013 marque très probablement une rupture dans le fonctionnement de notre système fiscal. D’autres éléments laissent par ailleurs suggérer qu’il ne pourrait s’agir là que des prémices d’une redistribution bien plus large des pouvoirs au sein du système normatif fiscal.

II/ 2014 et suiv : vers une nouvelle matrice fiscale ?

Le traditionnel débat législatif de fin d’année sur la loi de finance rectificative, la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finance proprement dite a généré sur la fin de l’année 2013 plusieurs alertes au sein des familles professionnelles du conseil juridique et fiscal.
Ces alertes ont notamment été causées par l’adoption de deux amendements qui constituent chacun à leur façon de profondes sources d’évolution de notre matrice fiscale. En effet, même si, suite à l’annulation du Conseil constitutionnel, ces derniers font désormais figure d’erreur systémique, il serait inopportun de considérer ces dispositifs juridiques comme neutralisés. La dynamique qui a conduit à l’émergence de ces amendements doit tout au contraire être observée avec la plus grande attention compte tenu non seulement de la puissance de ses fondements idéologiques mais surtout des effets que de telles dispositions pourraient engendrer sur la défense du contribuable. Nous sommes loin, très loin, de l’inoffensif « beug matriciel » facilement éliminé à l’aide d’un simple rebootage constitutionnel. Le futur chantier fiscal annoncé pour le printemps 2014 concernant l’ouverture d’un grand débat sur la fiscalité pourrait d’ailleurs rapidement ramener ces amendements avortés sur le devant de la scène.

A/ La chasse à la fraude fiscale VS la condamnation de l’optimisation fiscale

La première de ces alertes a été générée par un glissement sémantique et idéologique que le législateur a laissé s’opérer entre les notions de fraude et d’optimisation fiscale.

Les affaires de l’année 2013, dont notamment celle du ministre du budget monsieur Cahuzac qui avait semble t-il omis de déclarer l’existence d’un compte en suisse ont en effet amené une réaction politique puis juridique sur le thème de la fraude fiscale. L’évolution fut d’ailleurs conséquente avec l’adoption d’un certain nombre de mesures destinées à renforcer l’arsenal législatif sur ce sujet.

Mais, après ce débat à l’Assemblée, un autre fut introduit sur le thème de l’optimisation fiscale. Ce dernier était certes déjà en germe dans le projet gouvernemental , mais il a alors semble t-il dépassé l’intention ou le planning gouvernemental puis atteint un degré de concrétisation particulièrement préoccupant.

Il a ainsi été décidé d’imposer, à horizon du 1er janvier 2015, une déclaration préalable des schémas d’optimisation fiscale , étant entendu que l’absence de déclaration serait susceptible de générer la perception d’une amende égale à 5% du montant des revenus perçus au titre de la commercialisation du schéma pour les conseils du client (avocats, notaires, établissements financiers…), ou de 5% de l’ avantage fiscal si le contribuable n’a pas eu recours à des conseils, cet avantage correspondant alors à la différence entre le montant de l’impôt effectivement dû par la personne et le montant de l’impôt que cette personne aurait supporté si elle n’avait pas mis en œuvre ledit schéma. Cette initiative issue d’un amendement déposé par madame Karine Berger et annoncé comme basé sur la proposition n°10 du rapport Muet-Woerth visait initialement à obliger les cabinets conseil à présenter tout schéma d’optimisation fiscale à l’administration des impôts préalablement à leur commercialisation. Le domaine d’application de ce dispositif n’était d’autre part pas restreint aux seul grands groupes côtés ou aux particuliers dits « riches ».

On s’explique d’ailleurs assez mal comment une telle disposition qui semble a priori totalement incompatible avec les déontologies des différentes professions réglementées œuvrant dans le domaine juridique et fiscal ait réussi à voir le jour. Comment par exemple un avocat tenu à un principe de respect du secret professionnel et dont le sens du travail est d’assurer la défense des intérêts y compris fiscaux de son client pourrait être tenu au respect de ces dispositions ? C’est probablement pourquoi de manière solennelle le Conseil National des Barreaux a demandé l’annulation de cette disposition particulièrement incompatible avec le fonctionnement de notre système juridique et le rôle de ses acteurs.

Appliquer une telle mesure reviendrait en effet sans aucun doute à rompre l’équilibre déjà précaire de notre système fiscal. Rappelons ainsi que ce dernier repose sur l’existence d’acteurs - l’avocat, le notaire, l’expert comptable ou le conseiller juridique et patrimonial - positionnés chacun a un endroit de l’échiquier juridique et fiscal mais dont la matrice de fonctionnement a normalisé une prépondérance pratique du Code Général des Impôts et du BOFiP, à savoir de la doctrine de l’administration fiscale.

Le rôle de ces acteurs du conseil juridique et fiscal est ainsi d’ors et déjà largement occulté par la mise en place du système du BOFiP. Ce site internet qui condense désormais les « normes » d’application du droit fiscal repose, précisons-le, sur un principe de réécriture permanente et online du droit fiscal particulièrement impactant. Or, ce droit bofipé perturbe inévitablement les acteurs du conseil dont le métier consiste notamment à questionner la norme via le prisme de l’ingénierie juridique et fiscale pour offrir à leur client la possibilité de jouir de leur droit à se positionner au mieux au sein de notre système juridique. Ce droit secrété sur mesure et à volonté par l’administration fiscale est en effet amené à investir tous les espaces juridiques non traités par le législateur et à contrer les constructions réflexives des conseils en faisant évoluer la doctrine fiscale en un temps accélérée. La propension expansionniste de ce droit n’est d’ailleurs plus à démontrer : comme nous l’avons constaté, même la parole du conseil constitutionnel ne l’empêche plus d’émettre de la norme. Dès lors, les acteurs du droit fiscal sont inévitablement impactés dans leur travail et leur inventivité réflexive pourrait à terme se limiter à une exploitation des seuls espaces interstitiels séparant les champs des normes bofipées de l’administration fiscale.

Dans ce contexte aggravé de perte de qualité de travail, on voit donc là que le système de la déclaration préalable des schémas d’optimisation fiscale ne peut être considéré comme une simple taxe fiscale mais s’apparente d’avantage à une remise en cause du rôle de défense consubstantiel au métier de fiscaliste et un moyen tout à fait opérationnel pour aller neutraliser et capturer l’inventivité des conseils afin d’améliorer l’efficacité pratique du droit de l’administration fiscale. Les tenants de ce dispositif précisaient d’ailleurs lors des débats sur le projet d’amendement qu’aux Etats-Unis et au Royaume Uni, les dispositifs DOTAS et la section 611 ont ainsi permis de « réintégrer plusieurs milliards de livres dans la base taxable et donné lieu à l’adoption de 49 mesures anti évasion fiscale ». Avec cette mesure, les avocats sont donc devenus de précieux assistants pour les collecteurs d’impôt.

Mais, ce n’est encore là pas le plus inquiétant dans ce dispositif. On remarquera avec beaucoup plus de gravité les débats parlementaires qui ont eu lieu concernant ce mécanisme de déclaration préalable des schémas d’optimisation fiscale. Rarement les attaques contre les professions du conseil et les contribuables auront été formulées avec autant de vigueur, l’optimisateur étant tantôt assimilé à une « hydre » qu’on doit affronter ou au fraudeur intolérable qui se sert de procédés légaux pour atteindre un but « moralement inacceptable ». On y apprit notamment « que l’impôt du est un acte citoyen » et « qu’il y a peut être encore pire que de ne pas vouloir payer son impôt, que l’on soit un particulier ou une entreprise : c’est le fait de conseiller l’un ou l’autre pour qu’il ne paie pas l’impôt ». Les avocats fiscalistes apprécieront. De même, on nous précisa que l’objet de cet amendement était de « responsabiliser les auteurs du conseil juridique » sachant qu’en la matière « nous avons en effet affaire à des personnes qui, précisément, utilisent les outils juridiques pour détourner le droit » et dont on souhaiterait clairement supprimer la rémunération qu’importe l’incidence sur leur existence sociétale.

Il existe alors à l’évidence derrière ce dispositif et au sein de certains débats parlementaires une profonde incompréhension du fonctionnement de notre système juridique au sein duquel la place de l’optimisation, fiscale ou de toute autre nature, et de ces acteurs, est non seulement structurellement indispensable mais également une condition de sa légitimité sociale.

Tout système juridique, qu’importe son degré de démocratie, repose en effet sur un ensemble de principes et de normes destinées à orienter les comportements plus qu’à les figer. Le jeu, et partant la liberté de positionnement juridique, sont consubstantiels au fonctionnement du droit qui ne peut s’appliquer à l’homme sans un minimum de flou, de mou et de doux . En ce sens, non seulement les techniques à ce jour les plus efficaces de la direction des conduites humaines semblent être celles liées à l’idée de régulation mais un examen attentif de la création du droit révèle aussi que la « passion de l’un » ne peut prendre racine sans un minimum de jeu social et à tout le moins de jeu d’interprétation et d’application dans le système normatif . Tout le droit n’est pas dans la loi disait Carbonnier et le droit ne peut être non plus considéré comme un objet pur d’application d’une règle cousue de rigueur. Il est par exemple objet de codétermination, victime de polycentralité ou encore le résultat d’un roman écrit à la chaine . Cette nécessité de la coproduction du droit est même à ce jour reconnue par la Cour de cassation comme objectif de régulation .

En tant que sujet de droit nous devons ainsi avoir tout autant la possibilité de choisir le cadre du concubinage, du pacs ou du mariage (optimisation juridique à ce jour non contestée) que celui d’investir dans tel ou tel procédé permettant de minorer la charge fiscale. De même, l’apport avec soulte, la donation avant cession ou l’apport cession, précédemment visés en 2012, n’en restent pas moins des opérations d’organisation qui ne peuvent être considérées comme par nature illégales ou immorales sous prétexte que dans certains cas et pour une certaine durée ils permettraient de suspendre ou de réduire l’impôt. Les économies ou reports d’impôt qu’ils autorisent sont d’ailleurs souvent fondés sur le fait qu’ils permettent la réalisation d’opérations économiques générant une valeur ajoutée pour la communauté. Si tous ces dispositifs d’optimisation venaient à être surtaxés au titre de la non déclaration ou pourquoi pas condamnés au nom d’une optimisation définie comme une « fraude légale mais immorale », le jeu fiscal n’existerait alors plus et la figure du contribuable n’aurait de choix que de laisser place à celle d’un citoyen dépossédé de son droit fondamental à se positionner selon ses motivations dans un système juridique qui lui appartient et où la liberté de jeu dans un cadre prédéfini par un ensemble de droits fondamentaux est un préalable. C’est un risque systémique non négligeable pour le droit.

A titre d’exemple, si une telle conception venait à s’imposer, il conviendrait alors également de condamner le choix du mariage car il s’agit probablement d’un des outils d’optimisation fiscale parmi les plus performants, ce dernier permettant par exemple par le biais de l’avantage matrimonial que constitue la communauté universelle de donner à son conjoint la moitié des titres de sa société ou la totalité de sa société à son décès sans aucun coût fiscal alors que la loi n’autorise qu’une exonération à hauteur de 80 000 € en cas de donation entre époux ! Cette vision fiscale du monde juridique apparait étonnante. Irait-on ainsi jusqu’à condamner des époux pour des faits d’optimisation ou encore à faire payer aux prêtres et aux notaires une amende pour avoir conseillé à leurs « clients » le choix du mariage alors constitutif d’un schéma d’optimisation ?

Sur ce point on regrettera également la position du ministre du budget présent lors des débats et pourtant d’avis opposé à l’amendement énoncé en ce que son opposition reposait non sur un constat de ce besoin de flexibilité du droit mais à l’inverse sur la conscience qu’il avait de ne pas avoir encore entre les mains un dispositif suffisamment « irréprochable » d’un point de vue juridique et technique pour enlever tout « aléa juridique » contraire à la réussite et ne conserver que la rigueur de l’application stricte d’un droit dont pourtant il avait entendu dire qu’on le sait flexible par nature . C’est pour ne pas laisser la moindre possibilité aux fraudeurs et aux optimisateurs « de se faufiler » dans le droit que le ministre ne souhaitait pas voir ce dispositif émerger si vite .
Dans ce cadre, on se réjouira par contre tout à la fois de la légitime présence de ce dispositif dans la saisine réalisée le 19 décembre 2013 du Conseil constitutionnel et de l’annulation de cet article 96 du projet de loi finance pour 2014 prononcée par le Conseil le 29 décembre 2013. Un regret toutefois restera sur le fondement de la décision au terme de laquelle « le conseil a relevé que ces dispositions retenaient une définition trop générale et imprécise, alors qu’elles apportaient des restrictions à la liberté d’entreprendre et étaient lourdement sanctionnées ». On se rappellera en effet à la lecture des débats parlementaires qu’il ne s’agissait ici, en 2013, que de poser les premières bases d’un tel dispositif afin de pouvoir disposer à horizon 2015 d’un outil efficace. De même, on relèvera la volonté farouche de certains députés et du gouvernement « d’allier une détermination sans faille et une rigueur juridique pour obtenir une efficacité maximale » sur ce sujet.

Le débat sur l’optimisation fiscale n’est donc très probablement pas clos et il aurait alors été intéressant de voir mobilisé dans le corps de la décision du Conseil certains arguments au nom des principes généraux de liberté et de sécurité juridique. On regrettera également que ne soit qu’évoqué « les restrictions apportées par les dispositions contestées à la liberté d’entreprendre et, en particulier aux conditions d’exercice de l’activité de conseil juridique et fiscal » sans plus de considération du rôle de ces conseils au sein du système juridique et de la déontologie qui caractérise notamment l’exercice des professions réglementées.

Mais il est une autre source d’évolution remarquablement puissante que la loi de finance pour 2014 a également permis de repositionner au cœur de notre système juridique : celle de l’abus de droit

B/ L’activation de l’arme de l’abus de droit

Jusqu’à présent, l’abus de droit dont la vocation était de ramener à l’impôt celui qui avait, lors d’une opération, eu pour but exclusif de l’éviter n’était pas d’un impact systémique conséquent. Dispositif de bordure, il rattrapait les sujets de droit qui, fiscalement, naviguaient sur une frontière qu’ils savaient dangereuse.

L’abus de droit constituait même une borne de repère délimitant le champ d’une optimisation fiscale considérée alors comme essentielle au jeu fiscal. La conception du jeu fiscal hébergée dans l’article L 64 du LPF était en effet de considérer que s’il existe un lien consubstantiel entre l’impôt et la citoyenneté, le contribuable, synthèse de cette alchimie, se trouve alors pour autant légitimement placé au centre d’un jeu dans lequel il pourra choisir telle ou telle position optimisante au gré de sa volonté. Dans une telle conception, l’optimisation fiscale fait partie de l’essence même du système juridique chacun choisissant de subir les contraintes et leurs évolutions ou décidant d’agir pour se positionner au mieux. Le contour de l’espace de jeu lui est défini par la volonté acharnée du sujet de droit d’éviter l’impôt, et donc de renier les obligations qu’il doit assumer comme citoyen. C’est alors l’arme de l’abus de droit qui permet de réintégrer l’impétrant ayant franchi la frontière dans le jeu fiscal à travers l’obligation au paiement de l’impôt faisant figure de rappel à la loi et la majoration de 80% considérée comme une condamnation.

En proposant de passer d’une borne matricielle basée sur le but exclusivement fiscal au but principalement fiscal au 1er janvier 2016, le législateur de 2013 a proposé une vision bien différente du système fiscal. Désormais, le jeu lui-même ne supporterait plus le principe du droit à optimiser principalement sa position. Le contribuable deviendrait alors un citoyen dont une des qualités exigée serait qu’il souhaite principalement et civiquement payer l’impôt .

Ainsi, on attend implicitement de lui que, entre deux choix, il choisisse systématiquement celui qui lui fera économiser le moins d’impôt ou qui lui coutera le plus cher en fiscalité. Il y a là une atteinte profonde certes aux principes de sécurité juridique, c’est à dire de permanence du cadre légal, et de liberté, puisque son choix disparait de facto, mais il perd également tout droit à l’optimisation fiscale que la CJCE et le jeu fiscal lui reconnaissaient pourtant de façon intrinsèque dans le cadre des décisions sur l’abus de droit . C’est donc plus profondément encore la matrice juridique du système fiscal qui est modifiée, ses bornes étant singulièrement resserrées.

Cette réforme de l’article L 64 du LPF était en cela plus politique que juridique et renvoyait à une croyance en un citoyen idéal qui, largement dépossédé de la gestion des éléments budgétaires et économiques devenus trop complexes, accepterait avec soumission la hausse d’une pression fiscale à laquelle il n’adhère plus. Il y avait là une dose non négligeable d’idéologie juridique et en perspective un recours très probable à la rationalité du juge qui aurait eu à statuer sur la qualification du « principalement fiscal ». C’est d’ailleurs pourquoi même le ministre délégué au budget a émis de sérieux doutes sur l’intérêt de cette réforme pour son administration. Ses interrogations n’ont certes pas porté sur le déséquilibre du système fiscal induit par cette mesure mais il a nettement perçu l’étrangeté de cette mesure quant au cadre traditionnel de la création du droit en constatant qu’in fine, l’administration risquait par cette modification de remettre entre les mains des juges l’aboutissement de ses tentatives de redressement, puisque l’essence du redressement portera sur une appréciation de fait qui est la chose du juge au sein de notre système juridique .
On saluera donc ici aussi la réaction du Conseil constitutionnel le 29 décembre 2013 qui a relevé que, compte tenu des conséquences ainsi attachées à la procédure d’abus de droit fiscal, le législateur ne pouvait retenir une nouvelle définition aussi large de cette notion. L’article 100 portait aussi selon lui atteinte au principe de légalité des peines. On relèvera surtout que pour le Conseil « les dispositions de l’article 100 méconnaissent la liberté du contribuable de choisir, pour une opération donnée, la voie fiscale la moins onéreuse et que serait ainsi méconnue la liberté proclamée à l’article 2 de la Déclaration de 1789 » . Compte tenu du fait que ce thème de l’abus de droit, tout comme le précédent sur les schémas d’optimisation fiscale, a été conçu comme une première tentative pour une application effective à horizon 2016, il y a là des arguments nous semble t-il davantage en cohérence avec l’ampleur des évolutions envisagées et donc davantage protecteur contre un changement de matrice fiscale.

C/ L’ouverture d’une refonte quinquennale du système fiscal

Si, pour l’instant, le Conseil constitutionnel aura donc ralenti deux sources potentiellement très actives dans l’évolution de notre système fiscal, une troisième brèche pourrait toutefois rouvrir le débat et nourrir de nouvelles inquiétudes d’ici quelques mois.

Une troisième source d’évolution de notre système fiscal pourrait en effet provenir du grand débat sur la remise à plat de la fiscalité annoncée par le premier ministre lors de l’élaboration des lois de finance. Certains piliers de notre ossature fiscale ont déjà été visés tels que la refonte de l’assurance vie ou la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG. A cet effet, le conseil des prélèvements obligatoires serait déjà en charge d’étudier les possibilités de fusion entre les deux impôts. Quant à l’assurance vie qui abrite l’essentiel de l’épargne des ménages en raison notamment de ses particularités fiscales, une première tentative consisterait actuellement à positionner ce dispositif d’épargne dans le débat fiscal comme une « dépense fiscale » .

Mais, le plus important à ce jour semble davantage être la volonté du gouvernement d’inscrire dans le temps du quinquenat cette refonte qui, si elle poursuit le sens précédemment décrit, pourrait déboucher sur une série de réformes conséquentes des règles du jeu mettant à mal l’engagement dans l’effort de crise d’un contribuable dont on ne peut plus douter de la hauteur du sens civique lorsqu’il en vient, à la seule force de son travail, à supporter plus de 46,1% de PIB de pression fiscale.

Conclusion

Le terreau fiscal et économique de ces années de crise aura donc tout à la fois conduit à l’émergence d’un climat fiscal 2013 sui generis marquant une césure dans la relation à l’impôt et autorisé plusieurs transgressions du jeu fiscal par l’administration.

Mais il aura également contribué à l’éclosion de puissants germes d’évolutions de notre système fiscal autorisant même une chasse aux sorcières d’un nouveau type sur le thème de l’optimisation fiscale. Le débat législatif sur les lois de finance 2014 fut ainsi riche en apports et sources d’évolution des règles du jeu fiscal qui, bien qu’in fine retraitées puis ralenties par le gardien constitutionnel, n’en restent pas moins présentes dans l’hémicycle et prêtes à être bientôt réactivées par le grand débat sur « la remise à plat de la fiscalité ».

Toute la question est alors désormais de savoir combien de temps le rempart constitutionnel de notre système fiscal sera-t-il efficace face aux assauts répétés de l’administration fiscale et à la détermination de ces chasseurs d’avocats fiscalistes dont, il est vrai, la noirceur de la robe laisse sans doute à penser que s’y cache cette hydre fiscale dont la tête doit tomber.

2013 avait en tout cas assurément un parfum de révolte fiscale et, plus profondément encore, de « reload » de notre matrice fiscale.

Renaud Berthou
Docteur en droit
Cabinet Droits&Lois
Chargé d’enseignement Rennes I

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