Nuisances sonores : quand les travaux correctifs sont trop coûteux ou irréalisables, l’activité gênante doit cesser !

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # troubles de voisinage # cessation d'activité # règle de l'antériorité

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Après avoir identifié des nuisances sonores et olfactives provenant d'une usine de charcuterie, des plaignants ont obtenu en première instance la reconnaissance du trouble anormal de voisinage, la condamnation des défendeurs à réaliser des travaux et à indemniser les préjudices subis.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans cet arrêt du 10 avril 2024, La Cour d’appel de Bastia affirme le droit incontestable des victimes à voir cesser des nuisances sonores, pouvant aller jusqu’à l’arrêt de l’activité litigieuse, si les travaux correctifs ne sont pas réalisables, que ce soit pour des raisons financières ou techniques.
Arrêt de la Cour d’appel de Bastia du 10 avril 2024, Ch. Civile, Sect. 1, n° 22/00223.

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Elle rappelle également l’inapplicabilité de la règle de l’antériorité pour exonérer le responsable des nuisances sonores dès lors que la réglementation acoustique n’est pas respectée.

Enfin, à l’instar du jugement de première instance commenté sur ce site, l’arrêt confirme qu’un trouble anormal de voisinage peut être caractérisé malgré un rapport d’expertise incomplet [1].

I. Présentation de l’affaire.

1) Les faits.

Monsieur et Madame X., propriétaires de deux maisons en Corse, dont une mise en location, se plaignaient de nuisances sonores et olfactives en provenance d’une usine de charcuterie située à proximité de chez eux [2].

Les demandeurs faisaient état d’importantes nuisances sonores provenant des évaporateurs de l’usine et du fonctionnement des moteurs de ses réfrigérateurs.

Ces nuisances se caractérisaient, notamment, par un bourdonnement permanent semblable à un essaim d’abeilles.

S’ajoutait à ces troubles l’existence de fumées et émanations odorantes qui s’échappaient de la salle de séchage de la charcuterie ainsi que la présence d’amiante sur la toiture de l’établissement litigieux.

La réalité et l’intensité de ces nuisances avaient été constatées par plusieurs attestations de témoins, plusieurs procès-verbaux de constat d’huissier, par un rapport de l’agence régionale de santé et par un rapport d’expertise judiciaire malgré les manœuvres déloyales des défendeurs tout au long de l’expertise dans le but d’empêcher la réalisation d’un rapport exhaustif.

Ainsi, l’intensité de ces nuisances était telle qu’elle empêchait les plaignants, riverains de cette usine, de jouir sereinement de leur domicile et dégradait leur santé, notamment par des troubles du sommeil.

2) La procédure.

Afin de faire établir la réalité des nuisances dont ils se disaient victimes, Monsieur et Madame X. avaient sollicité une expertise en référé au visa de l’article 145 du Code de procédure civile devant le Président du Tribunal judiciaire de Bastia.

Par ordonnance de référé du 20 décembre 2017, le Tribunal judiciaire de Bastia avait fait droit à leur demande.

A l’issue des opérations d’expertise, l’expert judiciaire avait rendu, le 30 avril 2019, son rapport définitif.

Sur le fondement de ce rapport d’expertise, Monsieur et Madame X. avaient alors assigné l’exploitant ainsi que les propriétaires des locaux devant le Tribunal judiciaire de Bastia dans le but de voir les nuisances sonores cesser et leur préjudice indemnisé.

Le 2 mars 2022, le Président du Tribunal judiciaire de Bastia avait rendu son jugement par lequel il avait :

  • confirmé l’existence de nuisances sonores et olfactives en provenance de l’exploitation de l’usine de charcuterie ;
  • condamné les défendeurs à :
    • réaliser les travaux préconisés par l’expert ainsi qu’à l’installation d’un système de filtrage des graisses dans les six mois à compter de la signification du jugement sous astreinte, à l’expiration de ce délai, de 100 euros par jour de retard par catégorie de travaux et ce pendant quatre mois ;
    • à payer, in solidum, la somme de 25 440 euros au titre du préjudice de jouissance et du préjudice financier subis par les demandeurs ;
    • à payer, in solidum, la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral et de santé subi par les demandeurs ;
    • à payer, in solidum, la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice subi par les demandeurs en raison de la résistance abusive subie ;
    • à payer, in solidum, la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Les demandeurs avaient donc vu leurs demandes largement satisfaites dans le jugement de première instance qui avait reconnu les nuisances sonores et avait prévu la réparation du préjudice subi.

A cette occasion, le tribunal judiciaire avait souligné le caractère inadmissible des manœuvres des défendeurs lors de l’expertise consistant à diminuer le fonctionnement de l’usine afin de ne pas permettre la mesure des nuisances sonores.

Le juge de première instance s’était fondé sur plusieurs preuves venant corroborer le rapport d’expertise tels que des témoignages et des constats d’huissier.

Par ailleurs, le juge avait sanctionné l’attitude déloyale des défendeurs en les condamnant à indemniser les demandeurs au titre de leur résistance abusive durant les opérations d’expertise.

Cela n’a pas empêché les défendeurs de faire appel de cette décision le 1ᵉʳ avril 2022.

3) Décision du juge.

Par un arrêt du 10 avril 2024 la Cour d’appel de Bastia a :

« Confirmé la décision déférée sauf en ce qu’elle concerne : le rejet de la demande des époux X tendant à obtenir la condamnation de leurs adversaires à procéder, à leurs frais, un mesurage acoustique de réception des travaux de mise en conformité ordonnés ; le montant de l’indemnisation du préjudice moral et de santé subie par les époux X ; le montant de l’indemnisation accordée au titre de la résistance abusive subi par les époux X. ; les modalités de l’astreinte, statuant à nouveau sur les chefs réformés, et y ajoutant,
Condamné Monsieur Y à faire également procéder à ses frais, à un mesurage acoustique de réception des travaux ordonnés dans le cadre de la présente instance afin de permettre l’appréciation de leur efficacité, et ce, dans le délai d’un mois suivant leur réalisation complète, sous astreinte à l’expiration de ce délai, de 100 euros par jour de retard et ce, pendant quatre mois,
Précisé que la réalisation desdits travaux devra être effectuée dans un délai de six mois suivant la signification du présent arrêt sous astreinte, à l’expiration de ce délai, de 500 euros par jour de retard par catégorie de travaux et ce pendant le délai de quatre mois,
Condamné in solidum Monsieur Y et la S.A.S.U. Z, à payer à Monsieur X et à Madame X, à chacun, la somme de 4 000 euros au titre de la réparation de leur préjudice moral et de santé,
Condamné in solidum Monsieur Y, la S.C.I. Y et la S.A.S.U. Z, à payer à Monsieur André X et à Madame X, à chacun, la somme de 3 000 euros au titre de la résistance abusive,
Dit que l’ensemble des sommes allouées au titre de l’indemnisation des préjudices portera intérêts à compte de la date de l’assignation soit le 25 mai 2020,
Condamné in solidum Monsieur Y, la S.C.I. Y et la S.A.S.U. Z, à payer à Monsieur X et à Madame X ensemble, la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamné in solidum Monsieur Y, la S.C.I. Yet la S.A.S.U. Z aux entiers dépens d’appel
 ».

II. Observations.

L’intérêt de cet arrêt comparativement au jugement de première instance est tout d’abord l’insistance de la Cour à reconnaître aux demandeurs, dans le contexte jurisprudentiel du trouble anormal de voisinage, un droit incontestable à voir cesser les nuisances sonores (1). Il est ensuite utile de rappeler l’inapplicabilité de la règle de l’antériorité en cas de non-respect de la réglementation (2).

1) Un droit incontestable à la cessation des nuisances sonores.

Une fois que la juridiction a reconnu l’existence d’un trouble anormal de voisinage, elle doit prévoir la réparation du préjudice des victimes mais elle doit avant toute chose ordonner la mise en place de mesures permettant la cessation du trouble anormal.

Pour ce faire, les juges suivent le plus souvent les préconisations de l’expert. Les mesures ordonnées peuvent consister en des travaux d’isolation acoustique qui peuvent être plus ou moins coûteux. Elles peuvent également consister en des mesures alternatives telles qu’une restriction horaire de l’exploitation.

Dans le cas présent, la toiture de l’usine était composée d’une couverture en amiante-ciment en très mauvais état et non étanche aux bruits et odeurs générés par l’usine.

L’expert avait préconisé la dépose et le remplacement de cette toiture et le juge de première instance ainsi que la Cour d’appel ont suivi ces préconisations.

Le propriétaire de l’usine a prétendu que les travaux étaient bien trop coûteux au regard de la taille financière de l’entreprise et qu’ils n’étaient pas réalisables car ils supposeraient la reconstruction du bâtiment entier. La Cour d’appel a cependant rappelé que ces arguments n’étaient pas recevables au regard du droit incontestable des demandeurs à la cessation immédiate des nuisances sonores.

Puisque la seule solution proposée par les défendeurs ne garantissait en rien l’arrêt des nuisances sonores, la Cour a confirmé la décision de première instance et a ordonné la réalisation des travaux préconisés par l’expert malgré leurs coûts et leurs envergures.

Pour affirmer ce droit des victimes à voir cesser les nuisances sonores, la Cour est allée jusqu’à rappeler que

« si une solution raisonnablement satisfaisante ne peut être proposée pour des raisons techniques et/ou économique, c’est l’interruption sur site de l’activité artisanale qui pourrait même être envisagée ».

La Cour a également affirmé sa volonté de voir cesser les nuisances sonores en confirmant l’astreinte qui avait été prévue en première instance « compte tenu de l’attitude réticente des appelants ».

Enfin, la Cour a ordonné la réalisation d’une mesure acoustique de réception aux frais de l’appelant de manière à s’assurer que les travaux soient réalisés et qu’ils satisfassent à l’objectif de cessation des nuisances sonores.

2) L’inapplicabilité de la règle de l’antériorité en cas de non-respect de la réglementation.

L’ancien article L113-8 du Code de la construction et de l’habitation applicable à l’époque des faits disposait que les nuisances sonores dues à une activité professionnelle n’entraînent pas droit à réparation dès lors que l’activité en cause était installée antérieurement au bâtiment exposé aux nuisances.

Toutefois, trois conditions devaient être réunies pour faire application de cette règle :

  • l’activité devait être antérieure à l’installation des plaignants ;
  • elle devait respecter les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ;
  • elle devait s’être poursuivie dans les mêmes conditions par rapport à la date retenue pour apprécier son antériorité.

Dans le cas présent, les défendeurs soutenaient que leur activité s’était installée antérieurement au choix de Monsieur et Madame X. de créer, au sein de l’une de leurs propriétés, plusieurs appartements destinés à la location.

Cependant, la Cour d’appel a écarté l’application de la règle de l’antériorité en considérant que l’exploitation de l’usine de charcuterie dépassait les émergences tolérées (différence entre le bruit ambiant et le bruit résiduel) fixées au sein du Code de la santé publique et que cette exploitation ne respectait pas les dispositions réglementaires qui lui étaient applicables.

Les défendeurs avaient d’ailleurs fait une confusion entre l’émergence globale constatée et les dépassements qui avaient été relevés. Ils affirmaient ainsi, à tort, qu’une émergence de 5,5 dB(A) n’était pas supérieure aux limites légales alors même que le dépassement de la limite était de 5,5 dB(A).

Depuis cette décision, l’article L113-8 du Code de la construction et de l’habitation a été abrogé et remplacé par l’article 1253 du Code civil. Toutefois, ce changement n’a apporté aucune innovation et la règle de l’antériorité répond toujours aux mêmes conditions [3].

Conclusions.

Cet arrêt de la Cour d’appel de Bastia confirme la condamnation de l’exploitant et du propriétaire de l’usine sur le fondement de la théorie jurisprudentielle du trouble anormal de voisinage, codifié depuis à l’article 1253 du Code civil [4].

Il affirme le droit incontestable des victimes à la cessation des nuisances sonores et confirme la condamnation de première instance concernant la réalisation des travaux nécessaires en écartant les arguments financiers ou de faisabilité des défendeurs.

La Cour a également écarté l’applicabilité de la règle de l’antériorité en raison du manquement de l’exploitant à la réglementation acoustique en vigueur, notamment au regard des dispositions du Code de la santé publique qui régissent les limites d’émergences autorisées.

Cet arrêt démontre qu’une usine génératrice de nuisances sonores peut être amenée à cesser l’exploitation de son activité si aucune solution technique n’est envisageable, que ce soit pour des raisons financières ou de faisabilité et ce malgré son installation antérieure aux victimes.

Christophe Sanson,
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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Notes de l'article:

[1« Un rapport d’expertise judiciaire acoustique peut être conforté par tout type de preuves » - Les commentaires de décisions de justice du CIDB. Fiche n° 50 - Publiée le 6 juin 2022.

[2Ibid.

[3Voir en ce sens : « La réforme de l’antériorité : beaucoup de bruit pour rien ? » Publié par Maître Christophe Sanson sur www.bruit.fr

[4Ibid.

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