Dans un arrêt du 5 novembre 2020 (n°19-17164), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que
« ces dispositions, qui revêtent un caractère d’ordre public en application de l’article L911-14 du Code de la sécurité sociale, n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et ne prévoient aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance » [1].
Faits et procédure.
La société Déménagements Transports Pupier (la société DTP) a souscrit, le 1er décembre 2012, un contrat collectif d’assurance complémentaire santé au bénéfice de ses salariés auprès de la société Groupama Gan Vie (l’assureur).
Par jugement du 17 mai 2016, la société DTP a été placée en liquidation judiciaire, avec désignation de M. X en qualité de liquidateur.
M. X, ès qualités, a sollicité de l’assureur la mise en œuvre, au bénéfice des salariés licenciés de la société DTP, du dispositif de maintien des garanties prévu par l’article L911-8 du Code de la sécurité sociale.
L’assureur ayant soutenu que le régime de portabilité des droits ne pouvait s’appliquer en cas de liquidation judiciaire de l’adhérent,
M. X, ès qualités, l’a assigné devant un tribunal de commerce.
Le Tribunal de commerce de Lyon puis la Cour d’appel de Lyon déboute l’assureur, il forme alors un pourvoi en cassation.
1) Le maintien de la portabilité des droits en cas de liquidation judiciaire.
1.1) Le moyen de l’assureur.
L’assureur fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 28 mars 2019 (n°18/06026) de lui avoir ordonné de maintenir le contrat complémentaire santé souscrit par la société DTP postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire et d’assurer la portabilité des droits correspondants au profit des anciens salariés de la société DTP consécutivement à la liquidation judiciaire.
Il considère que
« le maintien des garanties est subordonné à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance lorsque l’entreprise souscriptrice est placée en liquidation judiciaire ».
L’organisme assureur demandait ainsi à ce que la Cour d’appel recherche
« s’il existait un dispositif assurant le financement du maintien de la couverture santé et prévoyance souscrite par la société DTP, ce que contestait la société Groupama Gan Vie qui faisait valoir que le financement du dispositif de portabilité reposait sur un système de mutualisation pesant sur l’employeur et les salariés demeurant dans l’entreprise, et non sur l’assureur, qui ne pouvait s’appliquer en cas de liquidation judiciaire de l’employeur ».
1.2) L’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 : le maintien des droits aux salariés licenciés si le contrat d’assurance n’est pas résilié.
Dans son arrêt du 5 novembre 2020 (n°19-17164), la Cour de cassation affirme que
« l’article L911-8 du Code de la sécurité sociale, créé par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, permet aux salariés garantis collectivement dans les conditions prévues à l’article L911-1 du même Code contre les risques décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, de bénéficier du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par l’assurance chômage, selon des conditions qu’il détermine ».
La deuxième chambre civile relève ainsi que
« ces dispositions, qui revêtent un caractère d’ordre public en application de l’article L911-14 du Code de la sécurité sociale, n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et ne prévoient aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance ».
Elle en conclut qu’ayant, « par motifs propres et adoptés, relevé qu’il n’était pas justifié de la résiliation du contrat collectif d’assurance en cause, puis retenu que les dispositions de l’article L911-8 du Code de la sécurité sociale ne prévoyant aucune exclusion de la portabilité pour les salariés licenciés par suite d’une liquidation judiciaire de leur ancien employeur, il n’y avait pas lieu de distinguait là où la loi ne distingue pas et énoncé, enfin, que les observations de l’assureur sur le financement de la couverture mutuelle des salariés licenciés ne se rapportaient pas à un critère ou à une condition d’application de l’article L911-8 du Code de la sécurité sociale, le Cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche inopérante visée par le moyen, a légalement justifié sa décision ».
2) Analyse de l’arrêt.
2.1) Une solution tranchant un débat préexistant.
Le 6 novembre 2017, la Cour de cassation avait déjà rendu plusieurs avis (avis n°17013 à n° 17017), affirmant que « les dispositions de l’article L911-8 du Code de la sécurité sociale sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par ce texte.
Toutefois, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié » [2].
La note explicative de ces avis révèle que, sur cette question, « la difficulté tient au fait que ce texte ne dit rien des conditions de mise en œuvre du maintien des garanties dans une telle situation, le législateur ayant seulement prévu à l’article 4 de la loi du 14 juin 2013 la remise d’un rapport par le Gouvernement sur ce sujet, lequel n’a jamais été déposé au Parlement » [3].
Parallèlement, un arrêt de la deuxième chambre civile du 18 janvier 2018 (n°16-37.332) avait considéré qu’ayant
« d’une part, constaté l’absence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire, et, d’autre part, relevé que cette absence était de nature à constituer un obstacle au maintien à titre gratuit de ces garanties au profit d’un salarié licencié en raison de la liquidation judiciaire de son employeur, faisant ainsi ressortir que la contestation de l’assureur revêtait un caractère sérieux s’opposant à l’exercice de ses pouvoirs, la Cour d’appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a, par ces seuls motifs, dit à bon droit n’y avoir lieu à référé » [4].
De ce fait, en 2018, selon la Cour de cassation, la portabilité des droits devait être assurée sous réserve que le contrat n’était pas résilié ou que soit prévu
« un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire ».
A l’inverse, la Cour de cassation, dans son arrêt du 5 novembre 2020, tranche la question en considérant que le maintien des droits doit être assuré et ce, en ce qu’il « n’était pas justifié de la résiliation du contrat d’assurance en cause », sans s’arrêter sur l’existence d’un tel dispositif de nature à assurer le financement des couvertures santé et prévoyance.
2.2) Une nouvelle obligation à la charge des organismes assureurs.
L’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 a pour effet de mettre à la charge de l’assureur l’obligation de maintien des droits dès lors que l’entreprise est en liquidation judiciaire et que le contrat n’est pas résilié.
Alors même que la portabilité des droits est une obligation patronale, dont il revient la charge à l’employeur, la solution dégagée amène l’assureur à en supporter les coûts.
La portabilité des droits étant « gratuite » pour les salariés, en ce sens qu’ils n’ont pas à verser de cotisations financières, la « charge » revient en temps normal aux cotisations des salariés en poste.
Or, dans le cas de la liquidation judiciaire, tous les salariés sont licenciés au fur et à mesure et donc ne peuvent plus cotiser pour les anciens.
En retenant cette solution, la Cour de cassation fait peser la charge de la portabilité des droits dans cette hypothèse aux organismes assureurs.
Sources :
Cass. 2e civ., 5 nov. 2020, n° 19-17.164.