Il était traditionnellement admis que la juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision dans les deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision attaquée (art. R. 421-1 du code de justice administrative).
A l’inverse, le corollaire de ce principe amenait à considérer que le délai de recours à l’égard d’un acte ne courait pas à défaut d’indication des voies et délais de recours dans la décision en cause.
Depuis la célèbre jurisprudence Czabaj, (CE, 13 juillet 2016, n°387763, Publié au Recueil), le Conseil d’Etat a mis fin à cet ancien monde en considérant qu’une décision administrative ne peut être contestée indéfiniment. Pour ce faire, la Haute juridiction administrative s’est fondée sur le principe de sécurité juridique qui a pour vertu de protéger les situations consolidées par l’effet du temps.
C’est ainsi qu’une décision ne peut plus être susceptible de recours au delà d’un délai raisonnable qui ne saurait excéder en principe un an, et ce, à compter de la notification de la décision litigieuse ou de la date à laquelle le requérant est réputé en avoir eu connaissance.
S’étant considérablement étendue, la jurisprudence Czabaj est rapidement devenue applicable aux recours administratifs préalables obligatoires qui doivent être formés au plus tard dans le délai raisonnable d’un an (CE, 31 mars 2017, n°389842, Ministre des finances c. Amar).
Très récemment, le juge suprême a décidé que le délai raisonnable fixé à un an valait même à l’encontre des recours dirigés contre une décision implicite de rejet (CE, 18 mars 2019, M. Jounda Nguegoh c. Préfet du Val-de-Marne, n°417270, Publié au Recueil).
Toutefois, le Conseil d’Etat est récemment venu restreindre la portée de la jurisprudence Czabaj en écartant tout délai raisonnable en matière de recours indemnitaires tendant d’une part à engager la responsabilité de la personne publique et à obtenir réparation d’autre part (CE, 17 juin 2019, Centre hospitalier de Vichy, n°413097, Publié au Recueil).
Pragmatique, le juge a en effet considéré que la garantie de sécurité juridique était assurée, dans de tels cas, par les règles de prescriptions quadriennale (loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics) ou décennale (article L. 1142-28 du code de la santé publique s’agissant de la réparation des dommages corporels).
En d’autres termes, en cas d’actions indemnitaires et en l’absence de notification des voies et délais de recours, l’intéressé dispose d’un délai de quatre ou dix ans pour saisir le juge administratif.
Mais il serait alors erroné de penser que toute action à objet pécuniaire entre dans le champ de la jurisprudence Czabaj.
Tout d’abord, la juridiction suprême avait d’ores et déjà considéré que les recours pécuniaires, autrement dit les recours tendant à l’annulation de décisions ayant un objet exclusivement pécuniaires, devaient également être soumis au principe issu de l’arrêt Czabaj ; c’est tout particulièrement le cas des recours contre les titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, n°401386, Société Sanicorse).
Outre le cas des titres exécutoires, il convient encore de faire application du délai raisonnable de Czabaj pour toutes les décisions à objet purement pécuniaire, comme l’avaient retenu les juges du fond dès 2017 (TA Lille, 28 avril 2017, n°1405760, C+ ; CAA Bordeaux, 3 décembre 2018, n°16BX04140 ; CAA Marseille, 11 décembre 2018, n°17MA00941 ; CAA Marseille, 21 mai 2019, n°17MA03827).
On citera par exemple les décisions d’attribution ou de refus d’attribution de primes aux agents publics qui, étant des décisions à objet purement pécuniaire, impliquent l’application du délai raisonnable d’un an (CAA Lyon, 17 mai 2018, n°16LY03078).
Et pour cause, puisque la distinction intellectuelle et juridique s’avère flagrante entre :
d’une part, un recours indemnitaire faisant suite au rejet d’une demande indemnitaire, auquel cas le requérant a provoqué la liaison du contentieux, seule la prescription quadriennale devant s’appliquer ;
d’autre part, un recours contre une décision à objet purement pécuniaire, auquel cas la décision existe déjà et lie le contentieux.
Pour s’en convaincre, il serait intéressant d’intégrer au raisonnement l’arrêt du Conseil d’État Communauté de communes du pays roussillonnais (CE, 9 mars 2018, n°405355, Mentionné aux tables) où il a été jugé qu’un recours pécuniaire faisait obstacle à ce des conclusions indemnitaires ayant la même portée soient présentées au juge administratif. Preuve que la distinction proposée plus haut a bien un sens…
A ce jour, le Conseil d’État n’a pas encore tranché à notre connaissance. Il s’agira à coup sûr d’une nouvelle étape essentielle dans la genèse du système entourant le principe de délai raisonnable mis en œuvre par l’arrêt Czabaj.