Les dispositions textuelles sont pour le moins modestes. De ce fait, sont rapidement apparues, des situations conflictuelles, au sein desquelles nombre de salariés faisaient valoir qu’ils avaient largement été « encouragés » à accepter la rupture qu’on leur « proposait ».
C’est donc à la chambre sociale de la Cour de cassation qu’est revenue la tâche de préciser le régime juridique de ce mode de rupture du contrat, lequel on l’a dit, poursuit un double objectif, dont les intérêts respectifs sont parfaitement antagonistes.
Au travers de nombreux arrêts rendus en la matière, on peut aujourd’hui clairement identifier le choix de la chambre sociale d’avoir privilégié nettement l’objectif de flexibilité au détriment de celui de sécurité, pourtant tout aussi impérieux.
Le choix de cette politique, aussi louable et utile soit-elle, n’est pas sans poser de sérieux problèmes, lorsque l’on doit apprécier l’autonomie de la volonté à l’aune du lien de subordination et du pouvoir disciplinaire.
De ce fait, en marge de la notion de fraude qui corrompt évidemment tout, le seul moyen de remise en cause de la rupture conventionnelle reste la nullité, laquelle ne repose en la matière, que sur la théorie des vices du consentement.
L’arrêt rendu par la Haute Juridiction, le 16 septembre dernier (Cass. Soc. 16 sept. 2015, n° 14-13.830) est l’occasion de revenir sur ce mode de rupture du contrat de travail, finalement beaucoup moins sécurisé qu’il n’y paraît.
EN L’ESPECE,
Un salarié, directeur industriel à temps partiel, s’était vu proposer une rupture conventionnelle par son employeur.
La procédure avait débuté par la convocation du salarié à un entretien fixé au 10 juillet 2010.
Cette réunion n’aboutissait pas à la signature d’une convention.
Suite à cet échec, le salarié a reçu des lettres d’avertissement et une lettre recommandée, en date du 12 août 2010, le convoquait à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour faute grave.
Finalement, ce même 12 août 2010, une convention de rupture, mentionnant la fin de la relation contractuelle au 21 septembre 2010, était signée entre les parties.
Puis, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale, aux fins d’obtenir la requalification de la convention de rupture, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de la situation de contrainte dans laquelle il s’était trouvé.
La cour d’appel de Chambéry, le 16 janvier 2014, a reconnu la situation de contrainte et a fait droit aux demandes du salarié.
L’employeur a formé un pourvoi en cassation.
La chambre sociale a jugé :
Sur le premier moyen de l’employeur :
• « Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt d’invalider l’accord de rupture conventionnelle du 12 août 2010, de constater que la rupture doit être requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié diverses sommes à ce titre alors, selon le moyen, que le seul exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire, créant un climat conflictuel, avant la signature d’une rupture amiable, n’affecte pas en lui-même la validité de la convention de rupture conventionnelle conclue par les parties ;
Que le consentement du salarié d’opter pour une rupture conventionnelle ne se trouve vicié que s’il est établi que l’employeur a usé de son pouvoir disciplinaire pour inciter le salarié à faire le choix d’une rupture amiable ;
Que dès lors, en se bornant à relever, pour dire nulle la rupture conventionnelle conclue entre le salarié et l’employeur, qu’avant la signature de celle-ci, l’employeur lui avait adressé plusieurs courriers le mettant en demeure de reprendre son poste et lui refusant de lui accorder ses congés en l’absence de demande précise et préalable, puis l’avait mis à pied à titre conservatoire avec convocation à un entretien préalable à son licenciement, et avait ainsi exercé son pouvoir disciplinaire avant la signature de la convention de rupture, laquelle comportait une indemnité de départ inférieure de moitié à celle envisagée dans le cadre des pourparlers initiaux, la cour d’appel, qui n’a à aucun moment constaté l’exercice abusif par l’employeur de son pouvoir disciplinaire ou l’existence de manœuvres ou menaces pour inciter le salarié à choisir une rupture amiable, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1237-11 et L. 1237-14 du Code du travail, ensemble les articles 1109, 1111 et 1112 du Code civil
• Mais attendu que sous le couvert d’un grief non fondé de manque de base légale, le moyen ne tend qu’à contester l’appréciation souveraine par la cour d’appel de l’existence d’un vice du consentement. »
I - Un outil contractuel de flexibilité
1/ Les autres modes de rupture du contrat de travail sont essentiellement marqués par la volonté unilatérale de l’employeur, plus rarement par celle du salarié.
De ce fait, de nombreux régimes de protection renforcée sont instaurés par la loi afin de protéger certains salariés particulièrement exposés à des risques d’arbitraire et d’abus :
Femme enceinte ou en congé maternité (Cass. Soc. 25 mars 2015, n° 14-10.149), salarié victime d’un accident de travail (Cass. Soc. 30 sept. 2014, n° 13-16.297), salarié titulaire d’un mandat électif ou de représentation…
Ces régimes de protection ne s’appliquent pas à la rupture conventionnelle, quelle que soit la situation dans laquelle se trouve le salarié cocontractant.
Cette politique présente des dangers et notamment celui de voir des pressions et contraintes exercées sur celui ou celle dont on veut se séparer à bon compte.
On peut déplorer que la Cour de cassation ait largement contribué à dessiner un régime juridique, au sein duquel tous les verrous de sécurité ont fini par céder les uns après les autres.
Il en est ainsi de la possibilité désormais, de conclure une rupture conventionnelle, dans une situation conflictuelle et même en présence d’un litige préexistant. (Cass. Soc. 23 mai 2013, n° 12-13.865 ; Cass. Soc. 26 juin 2013, n° 12-15.208 ; Cass. Soc. 3 juillet 2013, n° 12-19.268).
Auparavant, la rupture conventionnelle ne pouvait pas être conclue dans un climat conflictuel.
La démonstration d’un litige préexistant permettait au salarié de bénéficier d’une possibilité de remettre en question une rupture au sein de laquelle des pressions avaient pu être exercées à son encontre.
Cela constituait aussi un verrou à la tentation de détournement des règles du licenciement.
Actuellement, lorsqu’un salarié souhaite remettre en question une rupture conventionnelle, ce dernier ne peut se fonder que sur la théorie des vices du consentement, dans son régime civiliste le plus strict.
2/ Si conventionnel ne veut pas dire forcément amiable, on ne voit pas en quoi il est pertinent d’appliquer stricto sensu ce principe au droit du travail.
Pour la jurisprudence, plus rien ne s’oppose à ce que l’accord des parties intervienne, alors que des sanctions disciplinaires ont été prononcées par l’employeur (Cass. Soc, 15 janv. 2014, n° 12-23.942).
Cela signifie qu’un employeur peut parfaitement user de la rupture conventionnelle, alors qu’en réalité il devrait appliquer les règles du licenciement. En autorisant cela, le risque de détournement est plus qu’évident.
Et l’avantage est certain sur le plan de la réduction des risques de contestation judiciaire de la rupture.
Si le licenciement peut se contester et notamment sur sa légitimité, la rupture conventionnelle quant à elle, ne peut être remise en cause que de manière très restrictive et uniquement sur sa validité.
Pour le salarié, ne subsistent donc que les trois vices du consentement issus de la rédaction des articles 1109 et s du code civil : l’erreur, le dol et la violence.
L’erreur a été jugée en tant que cause de nullité dans une espèce où l’employeur avait transmis au salarié des « renseignements manifestement erronés » sur le calcul des allocations chômage (Cass. Soc. 5 nov. 2014, n° 13-16.372) ou sur l’application des dispositions financières d’une clause de non-concurrence, dont il avait délié le salarié postérieurement à l’homologation de la rupture (Cass. Soc. 9 juin 2015, n° 14-10.192).
Le dol a été reconnu en présence d’un employeur ayant tenté de se soustraire à son obligation de reclassement (CA Poitiers, 28 mars 2012, n° 10/02441 : rupture conclue avant l’avis d’inaptitude).
Il en va de même de la violence, constituée par des menaces, des pressions (Cass. Soc. 23 mai 2013, n° 12-13.865, préc.) ou même une « situation de violence morale » résultant d’un harcèlement exercé par l’employeur sur le salarié (Cass. Soc. 30 janv. 2013, n° 11-22.332).
C’est ce dernier vice qui est le plus fréquent évidemment. Mais c’est aussi celui vis-à-vis duquel le salarié se retrouve le plus fragilisé.
C’est surtout en présence de celui-ci, que l’effectivité de remise en cause de la rupture est la plus faible puisque le salarié doit en supporter pleinement le fardeau.
Fardeau consistant à démontrer que des pressions ont été exercées sur lui, qu’il se trouvait dans une situation de contrainte, mais qu’il a quand même signé.
Pour la plupart des juridictions du fond : la Messe est dite.
II - Des mécanismes de sécurité inefficaces
1/ L’objectif de sécuriser le dispositif est louable, il faut le reconnaitre.
A cet égard, il fait apparaître une double préoccupation : s’assurer de la liberté du consentement, mais aussi de la sécurité juridique de la convention.
Il est indéniable qu’il faille sécuriser les sources de contentieux a posteriori et c’est pourquoi un contrôle original a été confié à l’administration, par le biais de l’homologation par la DIRECCTE.
La garantie de la liberté du consentement serait donc assurée par une procédure spécifique qui ouvre à chaque partie la possibilité d’être assistée lors d’un ou plusieurs entretiens.
Mais aussi, d’user d’un droit de rétractation.
On peut toutefois être sceptique sur l’effectivité réelle de ce contrôle.
Celui-ci est opéré en 15 jours et conduit naturellement à un faible taux de refus (de l’ordre de 6 %).
En réalité, cette phase d’homologation n’est qu’une simple phase d’enregistrement administratif, disons-le clairement.
Ainsi, seuls les cas flagrants de fraude donnent lieu à un refus d’homologation.
L’objectif est de présenter la rupture conventionnelle en tant que mode de rupture « apaisée et sécurisée » afin d’essayer d’endiguer le contentieux prud’homal, issu de la rupture du contrat de travail. Cela n’est évidemment qu’une apparence.
Si les chiffres démontrent un recours massif (1,8 million signées depuis 2008), la réalité est beaucoup plus sombre qu’il n’y paraît.
La rupture conventionnelle est presque toujours utilisée pour des raisons de « nature conflictuelle » liées « aux conditions et à la qualité de la relation d’emploi » (rapp. CEE, mai 2015).
En d’autres termes, il s’agit toujours de se débarrasser d’un collaborateur avec lequel on se trouve en situation de litige. Il s’agit de sécuriser le risque judiciaire d’une rupture inéluctable du contrat de travail.
La sécurité n’est donc pas là où l’on devrait s’attendre à la trouver.
2/ Partant, cela signifie que la rupture conventionnelle a été détournée de son objectif initial qui visait aussi à protéger l’intégrité du consentement du salarié affaibli, du fait du lien de subordination, mais aussi du pouvoir disciplinaire.
Cette situation se trouve forcément aggravée par la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle refuse toute extension de son contrôle au sujet de l’appréciation des vices du consentement.
Cette question relève du pouvoir souverain des juges du fond car il leur appartient de contrôler la réunion des éléments de fait constitutifs du vice du consentement, de les qualifier et d’en apprécier la portée.
Dans la décision commentée, l’employeur reprochait à la Cour d’appel de ne pas avoir caractérisé la menace ou les manœuvres portant atteinte à la liberté du consentement, ni d’avoir caractérisé un exercice abusif du pouvoir disciplinaire.
Même si elle rejette le pourvoi de l’employeur, la décision est décevante, car la chambre sociale de la Cour de cassation continue de refuser, au travers de cette espèce, d’étendre son contrôle des vices du consentement, au très probable motif d’un soi-disant risque de multiplication des cas d’annulation.
Et ce, alors que l’articulation de la rupture conventionnelle, avec une procédure disciplinaire et un climat conflictuel en général, présente de manière claire de très nombreux dangers, dérives et abus potentiels.
Tant pis pour le salarié ? Probablement.
L’analyse de la jurisprudence nous permet d’affirmer que le salarié n’obtient presque jamais l’annulation de la rupture conventionnelle, faute de preuve.
Pourtant les abus sont légion.