Un sérieux coup de frein aux recherches sur les cellules souches embryonnaires. Par Thomas Roche et Cécile Boivin, Avocats

Un sérieux coup de frein aux recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Par Thomas Roche et Cécile Boivin, Avocats

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Explorer : # cellules souches embryonnaires # brevetabilité # Éthique # recherche scientifique

Entre éthique et progrès scientifique, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a tranché : par un arrêt rendu le 18 octobre 2011, la grande chambre de la Cour vient en effet d’exclure du champ de la brevetabilité, les inventions de procédé permettant d’extraire des cellules souches embryonnaires lorsque ces procédés impliquent la destruction préalable ou l’utilisation comme matériau de départ des embryons.

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En vertu de l’article 5.1 de la directive 98/44/CE, transposée en droit français à l’article L. 611-18 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), le corps humain et ses éléments sont exclus de la brevetabilité. Cependant la directive admet la brevetabilité des éléments du corps humain, y compris les séquences génétiques, dès lors qu’ils ont été isolés par un procédé technique, même si leur structure est identique à ce qui existe dans la nature. Cette dernière disposition se heurte à des problèmes éthiques particuliers s’agissant des éléments embryonnaires et nécessitait certaines précisions qui viennent d’être apportées par les hautes instances européennes.

Dans les faits, Monsieur Oliver Brüstle, citoyen allemand, était propriétaire d’un brevet allemand déposé en 1997, portant sur des cellules souches « précurseurs neurales » isolées et purifiées, ainsi que leur procédé de production à partir de cellules souches embryonnaires et leur utilisation pour la thérapie d’anomalies neurales. Le brevet de Monsieur Brüstle visait notamment à produire, en quantité quasi-illimitée, des cellules précurseurs isolées et purifiées possédant des propriétés neuronales ou gliales.

À la demande de Greenpeace eV, le Bundespatentgericht (tribunal fédéral des brevets) a constaté, en se fondant sur la loi allemande relative aux brevets (article 22, paragraphe 1, du PatG), la nullité du brevet en cause se fondant sur l’article 2 de la loi relative aux brevets qui dispose : «  Il n’est notamment pas délivré de brevet pour : 3) les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ». Cette disposition constitue la transposition fidèle de l’article 6 paragraphe 2 c) de la directive 98/44/CE dont l’interprétation fait l’objet de l’arrêt du 18 octobre 2011 de la CJUE, suite à l’appel interjeté par le défendeur devant le Bundesgerichtshof.

Pour la juridiction de renvoi, le sort de la demande d’annulation dépendait en effet de l’interprétation de l’article 6 paragraphe 2 c) de la directive 98/44/CE, et justifiait que soient posées à la CJUE les trois questions préjudicielles suivantes :

1) Quelle est la définition d’un embryon au sens de la directive européenne ?

- Cette notion recouvre-t-elle tous les stades de développement de la vie depuis la fécondation de l’ovule ?

- Cette notion recouvre-t-elle des ovules humains non fécondés, dans lesquels a été implanté le noyau d’une cellule humaine mature ; ou des ovules humains non fécondés qui, par voie de parthénogenèse, ont été induits à se diviser et à se développer ?

- Est-ce que des cellules souches obtenues à partir d’embryons humains au stade de blastocyste relèvent également de cette notion ?

2) Que convient-il d’entendre par « utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales » ? Cette notion couvre-t-elle également une utilisation à des fins de recherche scientifique ?

3) Un enseignement technique est-il exclu de la brevetabilité en vertu de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44/CE également dans le cas où l’utilisation d’embryons humains ne fait pas partie de l’enseignement technique revendiqué par le brevet, mais est la condition nécessaire de sa mise en œuvre :

- parce que le brevet porte sur un produit dont la production requiert la destruction préalable d’embryons humains, ou

- parce que le brevet porte sur un procédé pour lequel un tel produit est nécessaire comme matériau de départ ?

I) Quelle est la définition d’un embryon au sens de la directive européenne ?

Par cet arrêt, la CJUE précise la portée de l’article de l’article 6 paragraphe 2 c) de la directive 98/44/CE (transposé à l’article L. 611- 18 sous c) du CPI en droit français) et donne une définition très extensive de ce qu’est un embryon humain sans toutefois répondre à toutes les interrogations de la juridiction allemande.

En effet, la Cour du Luxembourg énonce que «  tout ovule humain doit, dès le stade de sa fécondation, être considéré comme un « embryon humain » au sens et pour l’application de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive, dès lors que cette fécondation est de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain. Doivent également se voir reconnaître cette qualification l’ovule humain non fécondé, dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté, et l’ovule humain non fécondé induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogenèse. »

Cependant, elle ne se prononce pas sur la qualité d’embryon des cellules « blastomères » qui faisaient l’objet de la troisième sous-question. Cette hypothèse se pose dans la mesure où les premières cellules d’un embryon ont la capacité de générer elles-mêmes un nouvel organisme si elles sont isolées. Les blastomères, elles-mêmes extraites à partir d’un embryon au stade « blastocyste » (lequel correspond environ au 6ème jour de la fécondation) pourraient donc éventuellement être qualifiées d’embryon mais la Cour laisse au juge national « le soin de déterminer, à la lumière des développements de la science, si elles sont de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain et relèvent, par conséquent, de la notion d’’embryon humain’ au sens et pour l’application de l’article 6 paragraphe 2 c) de la directive. »

Autrement dit, est considéré comme embryon humain, tout élément biologique susceptible de produire un être humain, cette qualité étant susceptible d’évoluer en fonction des avancées de la science.

Précisons qu’une cellule blastomère est une cellule non encore différenciée. A ce jour, ces cellules sont qualifiées de « pluripotentes », c’est-à-dire qu’elles peuvent se différencier en plusieurs types de cellules mais leur développement est anarchique et elles ne peuvent produire un organisme entier.

En l’état actuel des connaissances, ces cellules ne peuvent donc vraisemblablement pas être qualifiées d’embryon par les juges nationaux, ce qui laisse une porte ouverte à la brevetabilité des procédés permettant d’isoler ce type de cellule.

Cependant, les réponses aux deuxième et troisième questions rendent très difficiles les conditions d’obtention d’un brevet portant sur ce type de cellule.

II) Que convient-il d’entendre par « utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales » ? Cette notion couvre-t-elle également une utilisation à des fins de recherche scientifique ?

Pour la Cour luxembourgeoise, l’exclusion de la brevetabilité « pour les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales » s’étend à l’utilisation à des fins de recherche scientifique, puisque « l’octroi d’un brevet à une invention implique, en principe, son exploitation industrielle et commerciale. »

Il n’y a donc pas lieu de distinguer si le brevet est déposé à des fins de recherche ou d’exploitation industrielle et commerciale, ce qui semble effectivement pertinent au regard des droits conférés par le brevet. Quelle que soit l’intention première du déposant, le brevet lui confère effectivement le droit de l’exploiter dans la vie des affaires, tout comme il a le droit d’interdire cette exploitation à des tiers. Il importe donc peu de savoir quelle a été le but recherché lors du dépôt.

Il est alors permis de se demander ce que la mention « à des fins industrielles ou commerciales  » apporte à l’article 6 paragraphe 2 c) de la directive 98/44/CE puisque de fait, tout brevet implique des fins industrielles ou commerciales…

Cependant, la Cour apporte une précision un peu inattendue et énonce que « l’utilisation à des fins thérapeutiques ou de diagnostic applicable à l’embryon humain et utile à celui-ci peut faire l’objet d’un brevet  ». Cette disposition purement prétorienne restreint quelque peu la prohibition posée par la directive.

À s’en tenir à cette interprétation, il appartiendrait donc au déposant d’un brevet sur ce type de procédé isolant des cellules souches de revendiquer des applications thérapeutiques applicables aux embryons pour échapper à l’interdiction de breveter des procédés utilisant ces mêmes embryons…

Encore faut-il que cette invention réponde à une autre condition développée par la Cour suite à la troisième question préjudicielle.

III) Faut-il exclure de la brevetabilité, l’invention impliquant l’utilisation d’embryons humains et dont le produit ou le procédé revendiqué requiert la destruction préalable d’embryons humains, ou leur utilisation comme matériau de départ ?

À cet égard, la Cour rappelle son attachement au respect des droits fondamentaux et déclare : «  Une invention doit être considérée comme exclue de la brevetabilité, même si les revendications du brevet ne portent pas sur l’utilisation d’embryons humains, dès lors que la mise en œuvre de l’invention requiert la destruction d’embryons humains. [...] Le fait que cette destruction intervienne, le cas échéant, à un stade largement antérieur à la mise en œuvre de l’invention, comme dans le cas de la production de cellules souches embryonnaires à partir d’une lignée de cellules souches dont la constitution, seule, a impliqué la destruction d’embryons humains, est, à cet égard, indifférent. »

Pour les juges luxembourgeois, le respect de la dignité humaine doit primer sur le développement de la recherche biotechnologique. Elle entend encadrer l’utilisation d’embryons à des fins de recherche et rappelle à cet effet que s’ « il ressort de l’exposé des motifs de la directive que si celle-ci vise à encourager les investissements dans le domaine de la biotechnologie, l’exploitation de la matière biologique d’origine humaine doit s’inscrire dans le respect des droits fondamentaux et, en « particulier », de la dignité humaine. » Elle ajoute que « le contexte et le but de la directive révèlent ainsi que le législateur de l’Union a entendu exclure toute possibilité de brevetabilité, dès lors que le respect dû à la dignité humaine pourrait en être affecté.  »

L’invention dont la mise en œuvre implique la destruction préalable d’embryons humains ou leur utilisation comme matériau de départ est donc formellement exclue de la brevetabilité par la CJUE.

On l’aura compris, les conditions pour prétendre à la brevetabilité d’une invention portant sur des cellules souches embryonnaires sont draconiennes, puisque la Cour fait une interprétation très extensive de la notion d’embryon et soumet la brevetabilité de cette invention à deux conditions : celle-ci doit non seulement comporter une visée thérapeutique ou de diagnostic pour l’embryon, mais sa mise en œuvre doit également ne pas reposer sur l’usage d’embryons humains comme matériau de départ ni impliquer leur destruction…

Dès lors, il y a fort à parier que cette décision encouragera la recherche scientifique Européenne à se tourner vers d’autres types de cellules souches dont l’obtention soulève moins voire aucun problème éthique, notamment lorsqu’il s’agit de résidus biologiques ou de résidus opératoires dont la brevetabilité ne risque pas d’être remise en cause, puisque l’utilisation de ces sources de cellules respecte le droit à la dignité humaine.

Cet arrêt constitue un magnifique challenge pour la recherche cellulaire française qui, à moins de se tourner vers d’autres marchés plus ouverts, va devoir changer radicalement de direction et délaisser la recherche sur les cellules embryonnaires dont les perspectives économiques se sont soudainement assombries en Europe et ce, malgré les importantes sommes d’ores et déjà investies !

Thomas ROCHE, Avocat associé
Cécile BOIVIN, Avocat

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