Superleague : la FIFA et l’UEFA hors-jeu selon la justice européenne.

Par Daniel Pérot, Notaire Assistant.

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Explorer : # super league # abus de position dominante # liberté de prestation de services # concurrence loyale

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La Cour de justice de l'Union européenne a estimé que les règles d'autorisation des compétitions et les sanctions de la FIFA et de l'UEFA peuvent constituer un abus de position dominante et une entrave à la liberté de prestation de services, mais souligne également la nécessité de trouver un équilibre entre les prérogatives des instances du football et les principes du droit de l'Union européenne.
Description rédigée par l'IA du Village

Est-ce qu’une Super Ligue de football serait intéressante et possible ? Cette question fait débat depuis plusieurs années dans le milieu du football européen. La liberté devrait inspirer sa création, mais c’est un milieu très contrôlé et réglementé. Beaucoup d’enjeux sont en jeu. La Cour de justice de l’Union européenne a examiné, à travers un renvoi préjudiciel, la problématique de la création d’une Super Ligue de football et le refus des instances établies quant à sa création.

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La FIFA et l’UEFA sont des associations de droit privé suisse dont la mission principale est la régulation et la promotion du football au niveau mondial pour la FIFA, et au niveau européen pour l’UEFA. Dans ce cadre, elles ont adopté différentes réglementations leur conférant deux pouvoirs clés : d’une part, celui d’autoriser ou non l’organisation de toute nouvelle compétition de clubs interclubs européenne ; d’autre part, celui d’exploiter de manière exclusive les droits commerciaux liés à l’exploitation médiatique des compétitions qu’elles organisent.

Douze prestigieux clubs européens - issus d’Espagne, d’Italie et d’Angleterre - ont souhaité lancer en 2021 un nouveau projet concurrent : la "Super League", une compétition annuelle rassemblant l’élite des clubs du continent. Ce projet a été porté par la société espagnole European Super League Company. Cependant, la FIFA et l’UEFA s’y sont fermement opposées, en brandissant la menace de sanctions sportives sévères telles que des exclusions des compétitions qu’elles organisent à l’encontre des clubs et joueurs qui décideraient tout de même d’y participer.

Estimant que ces mesures et la réglementation sur laquelle elles s’appuient violent le droit de l’UE, European Super League Company a saisi le tribunal de commerce de Madrid d’un recours contre les deux instances, compte tenu notamment de leur position dominante sur le marché en cause. Le tribunal a alors soulevé un renvoi préjudiciel devant la CJUE.

Est-ce qu’une Super Ligue de football serait intéressante et possible ? Cette question fait débat depuis plusieurs années dans le milieu du football européen. La liberté devrait inspirer sa création, mais c’est un milieu très contrôlé et réglementé. Beaucoup d’enjeux sont en jeu. La Cour de justice de l’Union européenne a examiné, à travers un renvoi préjudiciel, la problématique de la création d’une Super Ligue de football et le refus des instances établies quant à sa création.

La FIFA et l’UEFA sont des associations de droit privé suisse dont la mission principale est la régulation et la promotion du football au niveau mondial pour la FIFA, et au niveau européen pour l’UEFA. Dans ce cadre, elles ont adopté différentes réglementations leur conférant deux pouvoirs clés : d’une part, celui d’autoriser ou non l’organisation de toute nouvelle compétition de clubs interclubs européenne ; d’autre part, celui d’exploiter de manière exclusive les droits commerciaux liés à l’exploitation médiatique des compétitions qu’elles organisent.

Douze prestigieux clubs européens - issus d’Espagne, d’Italie et d’Angleterre - ont souhaité lancer en 2021 un nouveau projet concurrent : la "Super League", une compétition annuelle rassemblant l’élite des clubs du continent. Ce projet a été porté par la société espagnole European Super League Company. Cependant, la FIFA et l’UEFA s’y sont fermement opposées, en brandissant la menace de sanctions sportives sévères telles que des exclusions des compétitions qu’elles organisent à l’encontre des clubs et joueurs qui décideraient tout de même d’y participer.

Estimant que ces mesures et la réglementation sur laquelle elles s’appuient violent le droit de l’UE, European Super League Company a saisi le tribunal de commerce de Madrid d’un recours contre les deux instances, compte tenu notamment de leur position dominante sur le marché en cause. Le tribunal a alors soulevé un renvoi préjudiciel devant la CJUE.

La question finalement posée devant la cour de justice de l’Union européenne est de savoir si le refus de la FIFA et de l’UEFA d’autoriser les compétitions interclubs européennes et le droit sur les médias de ces compétitions est contraire aux principes et droits protégés par le droit de l’Union européenne et notamment la liberté de circulation et l’abus de position dominante ?

Dans sa décision du 21 décembre 2023, C-333/21, European Super League Company, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que la règle d’autorisation préalable des compétitions interclubs de football imposée par la FIFA et l’UEFA était susceptible de constituer un abus de position dominante en raison de leur pouvoir discrétionnaire (I). Toutefois, l’atteinte potentielle aux libertés de l’Union européenne est à nuancer, car des restrictions sont possibles à la liberté de prestation de services et il y a une nécessité de concilier les prérogatives des instances du football avec les principes et libertés européennes pour un football plus ouvert et éthique (II).

I- Un refus pouvant être qualifié d’abus de position dominante.

Dans sa décision, la CJUE examine la position dominante de la FIFA et de l’UEFA sur le marché du football (A). Mais c’est surtout l’absence d’encadrement de leur pouvoir concernant l’autorisation préalable des compétitions interclubs qui pose un problème (B).

A. La position dominante de la FIFA et de l’UEFA sur le marché : pas illégale en soi au regard du droit de l’UE.

Nous analyserons dans cette partie, à la lumière de la jurisprudence de la CJUE, la position de la FIFA et de l’UEFA sur l’organisation des compétitions européennes. Les règles établies pour l’autorisation préalable des compétitions interclubs et l’exploitation du droit à l’image ne sont pas illégales en soi au regard du droit de l’UE. La Cour leur reconnaît une certaine légitimité dans un premier temps. Mais elle constate aussi une absence de concurrence effective sur ce marché de la part d’autres acteurs.

1. La position dominante des acteurs du football et leur légitimité.

La FIFA et l’UEFA ont une position très particulière dans le football. Elles assurent, entre autres, l’organisation et la promotion du football au niveau européen et mondial. Elles ont édicté des règles d’autorisation préalable à la création de compétitions interclubs et ont également un droit d’exploitation des images tirées des compétitions. Ces instances ont aussi édicté des règles de sanctions en cas de manquements des clubs ou des joueurs. Ce qui est reproché par les demandeurs, c’est le refus de ces instances d’autoriser la création de la Super Ligue et les sanctions ou menaces de sanctions des différents clubs et des joueurs qui participeraient à cette Super Ligue.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est consciente de cette réalité. Elle reconnaît l’importance du football, à la fois sportive, culturelle et économique. Dans ce cadre, elle admet la possibilité d’édicter des règles pour organiser les compétitions de football. Elle indique dans son arrêt : « il s’ensuit que, dans le contexte spécifique du football professionnel et des activités économiques auxquelles l’exercice de ce sport donne lieu, ni l’adoption de ces règles ni leur mise en œuvre ne peuvent être qualifiées, dans leur principe et de façon générale, d’« exploitation abusive d’une position dominante », au sens de l’article 102 TFUE ». La Cour reconnaît ainsi une position dominante, mais ne considère pas qu’il y ait un abus dans le fait d’instituer des règles d’autorisation préalable ou d’exploitation des images, en raison de l’importance du football dans la société et de la nécessité de le réguler. Sans s’attarder, il faut relever que la Cour admet que ces activités sont des activités économiques.

Cette situation et cette appréciation sont originales. La subtilité est que, par principe, l’édiction de règles par ces instances n’est pas répréhensible. Mais c’est l’absence d’encadrement, comme nous le verrons par la suite, qui constitue le véritable problème.

Toutefois, il faut tout de même souligner que ce marché du football est très particulier. Ces instances, la FIFA et l’UEFA, ont véritablement une position dominante. Elles sont appelées à réguler le football sans qu’un nouvel acteur puisse s’imposer et créer ses propres compétitions, etc.

2. L’absence de concurrence effective sur ce marché.

Selon les demandeurs et leurs conclusions aux paragraphes 20 et suivants, il ressortirait des statuts de la FIFA et de l’UEFA qu’elles détiendraient un véritable monopole de l’organisation et de l’exploitation des compétitions internationales de football. Derrière cette centralisation de la FIFA et de l’UEFA, il y aurait une volonté de contrôler le football et de le rationaliser. Toutefois, dans le cas de la Super Ligue, il se pose la question de l’existence d’une alternative et de sa légalité. Les clubs qui sont membres de la FIFA doivent en respecter les règles sous peine de sanctions. Ce qui constituerait, pour reprendre les mots des demandeurs, une barrière contre toute alternative crédible et respectueuse des différents règlements et de la pratique sportive.

Il est intéressant de relever que la création d’une Super Ligue a fait, selon les conclusions des demandeurs, l’objet d’une condition suspensive : soit la reconnaissance par la FIFA et l’UEFA de cette compétition, soit une protection légale qui protégerait les clubs de cette Super Ligue contre toute représailles. La sanction serait pour les clubs leur impossibilité de participer à des compétitions au niveau national ou mondial organisées par la FIFA et pour les joueurs de représenter leur équipe nationale. L’objectif affiché par cette nouvelle Super Ligue, composée de 12 à 15 membres, serait d’en faire une compétition de haut niveau à côté de l’UEFA. Nous retrouvons de grands clubs comme la Juventus, le Real Madrid, le FC Barcelone, etc.

L’introduction de cette Super Ligue pose vraiment question : faut-il que toute organisation puisse s’imposer dans le domaine du football et organiser ses propres compétitions à un niveau national, européen ou mondial ? Faut-il laisser ce libre accès ? Aussi, se pose la question de savoir s’il faut vraiment parler de concurrence. En règle générale, quand on parle de concurrence, c’est pour faire la distinction entre quelqu’un qui a une position dominante et d’autres qui sont des petits outsiders. Or, on se retrouve quand même en présence de très gros clubs qui ont de très gros moyens. Est-ce que la situation est donc comparable à une situation classique de présence d’un monopole ? Faut-il laisser accéder n’importe quelle organisation ? Et si oui, faut-il que les plus modestes puissent, par leur travail et leurs services innovants, s’imposer dans un marché concurrentiel ?

Pour la Cour de justice de l’Union européenne, la vraie difficulté ne repose toutefois pas sur la position de ces deux acteurs, mais plutôt sur l’absence d’un encadrement sain de leurs propres règles internes.

B. L’absence d’encadrement de leurs pouvoirs discrétionnaires pouvant constituer un abus de position dominante.

Selon cette décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne le 21 décembre 2023, il semblerait que le véritable problème soit lié à l’absence d’encadrement des pouvoirs de la FIFA et de l’UEFA quant à la création d’une compétition au niveau européen. Ces instances devraient mettre en place des critères objectifs pour encadrer leur autorisation. Surtout, elles disposent d’un véritable pouvoir et il y a donc un risque de conflit d’intérêts compte tenu de leur rôle d’organisateur.

1. Absence de critères objectifs encadrant le refus d’autorisation.

Parmi les six questions juridiques posées à la Cour de justice de l’Union européenne, il nous semble que cinq questions portent sur les pratiques anticoncurrentielles. Elle mobilise l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Selon cet article, il est interdit et contraire au marché intérieur, si le commerce entre les pays de l’Union européenne peut en souffrir, qu’une ou plusieurs entreprises profitent de façon abusive d’une position dominante sur tout ou une partie importante du marché intérieur.

Pour comparer la situation de la Super Ligue avec d’autres sports ou d’autres pays, aux États-Unis, il existe des ligues fermées ou semi-fermées dans les sports majeurs, comme la NBA, la NFL ou la MLB, avec des limites au droit de la libre concurrence. À ceci près que la NBA n’a pas le pouvoir d’empêcher la création d’une compétition internationale de basket, car elle n’est pas l’instance régulatrice du basket mondial.

« En revanche, aucune de ces spécificités n’est susceptible de permettre de considérer comme légitimes l’adoption et la mise en œuvre de règles, ainsi que des sanctions instituées accessoirement à celles-ci, qui ne sont pas encadrées par des critères matériels ainsi que par des modalités procédurales propres à en assurer le caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné ».

Surtout, la Cour souligne l’importance de l’établissement de règles objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées pour la création de compétitions de football et aussi en cas de sanctions infligées aux clubs ou aux membres. C’est ce point qui est finalement au cœur du problème. Il ne s’agit pas des règles que la FIFA et l’UEFA ont édictées, mais véritablement de l’absence d’encadrement visant à promouvoir une certaine justice dans le sport. En effet, selon sa jurisprudence, une entreprise dans une telle position doit être assortie de limites, d’obligations et d’un contrôle qui font qu’elle n’abuse pas de sa position dominante (arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, EU:C:2008:376, point 53)2. En l’occurrence, son pouvoir ne doit pas être arbitraire et discriminatoire (par analogie, arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C‑1/12, EU:C:2013:127, point 46).

En outre, selon la Cour, les règles doivent être :

  • Antérieures à la sanction ou au refus
  • Impartiales, sans avantager une compétition propre à l’UEFA ou à la FIFA
  • Proportionnées au cas d’espèce.

Ces règles sont importantes, car il y a un risque de conflits d’intérêts majeur. La FIFA et l’UEFA organisent leurs propres compétitions de football et contrôlent la création de nouvelles compétitions par des outsiders.

2. Le risque de conflit d’intérêts lié à leur rôle d’organisateurs.

Dans la demande de décision préjudicielle, les demandeurs soulignent le conflit d’intérêts qui existe entre la FIFA et l’UEFA.

« La FIFA et l’UEFA, qui ont le monopole de l’organisation des compétitions de football, sont également les organismes privés qui, par leurs statuts, s’arrogent la compétence exclusive d’autoriser l’organisation de telles compétitions ainsi que d’imposer des sanctions aux clubs qui y participent et sont susceptibles de devenir des concurrents sur le marché pertinent de l’organisation de compétitions de football ».

En effet, la Super Ligue est un projet de compétition privée de football qui rassemblerait les clubs les plus riches et les plus puissants d’Europe, en concurrence avec la Ligue des champions organisée par l’UEFA. Dans ce contexte, ces instances établissent des règles qui leur permettent de contrôler les compétitions de football autorisées, l’exploitation des droits et les sanctions des clubs et des joueurs qui veulent rejoindre d’autres formes de compétitions. Elles ont pour mission de réguler le football au plus haut niveau et d’organiser des compétitions lucratives. Or, la création de la Super Ligue entrerait en concurrence directe avec l’UEFA. Cette Super Ligue aurait alors son propre calendrier, ses propres fans et aurait la mainmise sur les droits audiovisuels et autres produits dérivés.

Par ailleurs, cette entente est sanctionnée par la Cour sur le fondement de l’article 101 du TFUE, qui vise à sanctionner les ententes anticoncurrentielles. L’article 101 du TFUE interdit les accords entre entreprises qui faussent la concurrence et les abus de position dominante. Il prévoit toutefois des exceptions pour les accords qui améliorent la production ou la distribution des produits, ou qui favorisent le progrès technique ou économique. La Commission européenne veille au respect de l’article 101 et peut sanctionner les entreprises qui le violent.

Pour les mêmes raisons que pour l’abus de position dominante, il n’y a pas de contrôle ni de limites aux règles imposées par la FIFA et l’UEFA pour autoriser préalablement les compétitions de football. Ces règles entravent une concurrence loyale sur le marché au détriment de l’innovation. La Cour indique clairement que de telles règles ont pour but d’empêcher ou de limiter la concurrence sur les différents marchés au sens de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE.

L’analyse des règles et des sanctions de ces instances a révélé un caractère anticoncurrentiel, notamment un abus de position dominante par la Cour de justice de l’Union européenne. Mais, la portée de cet arrêt ne s’arrête pas là, car la Cour constate également une atteinte potentielle à la liberté de prestation de services sous certaines réserves.

II. Une atteinte potentielle aux libertés de l’UE à nuancer.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) constate une atteinte à la liberté de prestation de services, qui est protégée par le droit de l’Union européenne, mais qui n’est pas absolue (A). Il apparaît donc nécessaire de trouver un équilibre entre les prérogatives de la FIFA et de l’UEFA et les principes et libertés de l’Union européenne, sans rejeter totalement le système mis en place pour un football plus ouvert et plus éthique (B).

A. L’entrave possible à la liberté de prestation de services.

La CJUE reconnaît une atteinte à la liberté de prestation de services, qui est garantie par le droit de l’Union européenne et préservée par le juge européen. Il s’agit d’une liberté fondamentale qui est affectée par la situation actuelle d’autorisation préalable de la FIFA et de l’UEFA. Cette liberté n’est toutefois pas illimitée et comporte certaines limites.

1. La liberté de prestation de services.

« En quatrième et dernier lieu, la Cour constate que les règles d’autorisation préalable, de participation et de sanction constituent une entrave à la liberté de prestation de services consacrée par l’article 56 TFUE. En effet, en permettant à la FIFA et à l’UEFA de contrôler, de façon discrétionnaire, la possibilité pour toute entreprise tierce d’organiser et de commercialiser des compétitions interclubs sur le territoire de l’Union, la possibilité pour tout club de football professionnel de participer à ces compétitions ainsi que, par ricochet, la possibilité pour toute autre entreprise de fournir des services liés à l’organisation ou à la commercialisation desdites compétitions, ces règles sont de nature non pas simplement à gêner ou à rendre moins attrayantes les différentes activités économiques concernées ».

La CJUE a constaté une atteinte à la liberté de prestation de services, qui est garantie par l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). L’article 56 du TFUE stipule que les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. Cette définition comporte plusieurs éléments :

  • Il doit y avoir des restrictions.
  • La Cour a affirmé que « l’article 56 TFUE, qui consacre la liberté de prestation de services au bénéfice tant des prestataires que des destinataires de tels services, s’oppose à toute mesure, même indistinctement applicable, qui est de nature à entraver l’exercice de cette liberté en prohibant, en gênant ou en rendant moins attrayante l’activité de ces prestataires dans les États membres autres que ceux où ils sont établis (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C‑42/07, EU:C:2009:519, point 51, ainsi que du 3 mars 2020, Google Ireland, C‑482/18, EU:C:2020:141, points 25 et 26) ».
  • Il doit s’agir de la libre prestation des services.
  • Qu’est-ce que les prestations de services ? L’article 57 du TFUE définit les services comme les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. Les services englobent notamment des activités de caractère industriel, commercial, artisanal ou libéral.
  • Il doit s’agir de ressortissants des États membres.
  • établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.

Pour être considéré comme une prestation de services selon l’article 49 du traité sur l’Union européenne (TUE), il faut que l’activité ne soit pas exercée de façon permanente et régulière depuis un lieu de travail fixe dans le pays où le service est fourni. Cela signifie que même si un professionnel qui vient d’un pays de l’UE fournit des services dans un autre pays de l’UE pendant longtemps, il n’est pas considéré comme installé dans ce pays. C’est ce qu’a décidé la CJUE le 29 avril 2004, dans l’affaire qui opposait la Commission européenne au Portugal.

2. La contrainte sur la constitution des sociétés pour gérer la Super Ligue.

Nous pouvons analyser les critères de l’article 56 du TFUE à la lumière de l’affaire de la Super Ligue :

  • La prestation doit être rémunérée
    - Dans l’affaire de la Super Ligue, la prestation de services consisterait à participer à un championnat de football. Cette prestation serait rémunérée, car les clubs participants percevraient des revenus de la compétition.
  • La prestation doit être effectuée par un ressortissant d’un État membre
    - Dans l’affaire de la Super Ligue, les clubs participants seraient des entités juridiques d’États membres de l’Union européenne.
  • Le prestataire doit être établi dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation
    - Dans l’affaire de la Super Ligue, les clubs participants seraient établis dans différents États membres de l’Union européenne. La Super Ligue aurait lieu dans plusieurs États membres, notamment en Espagne, en Italie et en Angleterre.
    - Il doit y avoir des restrictions : ce qui est le cas en l’espèce, car les clubs ne sont pas autorisés à créer leur Super Ligue sans l’accord de la FIFA.
    - De plus, la Cour écarte toute justification en ne retenant pas un motif d’intérêt général pouvant excuser cette atteinte à la liberté de prestation de services. Elle le fait en raison de l’absence « de critères matériels et de modalités procédurales propres à en garantir le caractère transparent, objectif, précis et non discriminatoire ».
    En conclusion, les conditions de l’article 56 du TFUE sont remplies dans l’affaire de la Super Ligue.

3. Les limites de cette liberté.

Mais si la Cour constate l’atteinte à la liberté de prestation de services, c’est qu’elle ne trouve pas de règles internes équitables pour permettre la création d’une compétition.

Elle nous indique : « En effet, dans la mesure où ces règles ne sont, selon les énonciations de la juridiction de renvoi, pas encadrées par des critères matériels ainsi que par des modalités procédurales propres à en assurer le caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné, elles permettent à la FIFA et à l’UEFA de contrôler, de façon discrétionnaire, la possibilité pour toute entreprise tierce d’organiser et de commercialiser des compétitions de football interclubs sur le territoire de l’Union, la possibilité pour tout club de football professionnel de participer à ces compétitions ainsi que, par ricochet, la possibilité pour toute autre entreprise de fournir des services liés à l’organisation ou à la commercialisation desdites compétitions… ».

Ce passage montre que la FIFA et l’UEFA ont un pouvoir excessif sur le marché du football, qui leur permet de bloquer toute initiative concurrente, comme la Super Ligue. Cela va à l’encontre du principe de la libre prestation de services, qui suppose que les prestataires puissent offrir leurs services dans un autre État membre sans être soumis à des restrictions injustifiées.

La Cour rappelle que la liberté de prestation de services n’est pas absolue, et qu’elle peut être limitée pour des raisons d’intérêt général, telles que l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la protection des travailleurs ou des consommateurs. Toutefois, ces limites doivent être proportionnées, non discriminatoires et justifiées. Or, la Cour estime que les sanctions envisagées par la FIFA et l’UEFA ne respectent pas ces conditions, et qu’elles visent à protéger leurs propres intérêts au détriment des clubs, des joueurs et des spectateurs. La Cour conclut donc que la FIFA et l’UEFA portent atteinte à la liberté de prestation de services dans l’UE, et qu’ils doivent revoir leurs règles internes pour les rendre plus transparentes, objectives, non discriminatoires et proportionnées.

B. La nécessité de concilier les prérogatives des instances du football avec les principes et libertés du droit de l’Union européenne pour un football plus ouvert et plus éthique.

Après avoir examiné les règles relatives à la liberté de prestation de services, il convient de s’intéresser aux conséquences de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), tant sur le plan juridique que pratique et éthique.

1. Les conséquences de cet arrêt sur le plan du droit.

La portée de cet arrêt est limitée aux questions posées par la juridiction espagnole, qui concernent exclusivement les règles adoptées par la Fédération internationale de football association (FIFA) et par l’Union des associations européennes de football (UEFA) en matière d’autorisation préalable des compétitions internationales de football interclubs et de participation des clubs et des joueurs à celles-ci, ainsi que d’exploitation des droits liés à ces compétitions. La CJUE n’est donc pas appelée à se prononcer sur l’existence ou la légitimité de ces deux fédérations, ni sur le bien-fondé d’autres règles qu’elles ont adoptées, ni, enfin, sur l’existence ou les caractéristiques du projet de Super League, que ce soit au regard des règles de concurrence ou des libertés économiques consacrées par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

La CJUE se borne à interpréter le droit de l’Union européenne, conformément à sa mission prévue à l’article 267 du TFUE. Il appartiendra au juge espagnol d’apprécier les autres aspects juridiques et factuels de l’affaire, notamment les éventuelles exceptions au principe de l’interdiction des ententes anticoncurrentielles, dans le cadre de ses compétences. En résumé, la portée de l’arrêt de la CJUE est circonscrite aux règles de la FIFA et de l’UEFA sur l’autorisation préalable des compétitions de football interclubs.

Les réponses apportées par la CJUE aux questions préjudicielles sont contraignantes pour la juridiction espagnole, qui doit les appliquer à l’affaire dont elle est saisie. Cela résulte du fait que les arrêts de la CJUE sont exécutoires sur le territoire de l’Union, conformément à l’article 280 du TFUE. De plus, la CJUE a affirmé la primauté du droit de l’Union sur le droit national dans son arrêt Costa c/ Enel en 1964.

Enfin, il nous semble que la CJUE invite davantage les instances du football à se réformer pour être plus conformes aux principes et libertés du droit de l’Union, plutôt que de remettre en cause le système actuel comme certains le laisseraient entendre.

2. La liberté de la Super League ? Un problème éthique et sportif.

La Super League, quant à elle, n’est pas nécessairement illégale, mais elle soulève des problèmes d’éthique et de solidarité.

En effet, la Super League créerait une ligue fermée ou semi-fermée, qui réserverait les avantages financiers et sportifs à un nombre limité de clubs, au détriment des autres clubs, des fédérations nationales, des ligues professionnelles et des consommateurs. La Super League romprait ainsi avec le modèle sportif européen, qui repose sur le principe de promotion-relégation, la redistribution des revenus et le mérite sportif. La Super League devrait donc respecter les principes de bonne gouvernance, de solidarité et de mérite sportif, qui sont à la base du football européen.

Or, la création d’une compétition interclubs privée pose aussi des questions éthiques et sportives. Seuls les clubs les plus puissants intégreraient cette compétition, en renforçant leur rôle d’élite au détriment des autres clubs.

De plus, la Super League revendique la libre création d’une compétition fermée. Mais est-ce que d’autres clubs de moindre importance pourraient la rejoindre ? Ou le même problème risquerait-il de se poser pour un club qui souhaiterait intégrer la Super League ?

Pour conclure, nous avons vu que les règles imposées par la FIFA et l’UEFA pour l’autorisation préalable d’une compétition interclubs, les sanctions encourues et le droit aux images des compétitions posent problème.

En l’état, l’absence de règles impartiales crée un abus de position dominante, une entente anticoncurrentielle et une violation de la liberté de prestation de services. Sur les points tranchés, le juge espagnol qui recevra la réponse à sa question préjudicielle devra appliquer le droit de l’Union conformément à l’interprétation du juge européen.

Il nous semble probable que la Super League obtienne gain de cause en raison des violations du droit européen, même si le juge espagnol aura d’autres points à trancher. Mais à l’avenir, il sera important pour les instances du football de mettre en place des règles plus ouvertes et impartiales pour permettre un accès plus libre au marché. Quelles seront les conséquences de cette ouverture ? Comment se fera-t-elle ? En l’état, il est probable que ces instances se réforment, car elles ne peuvent rester ainsi.

Quant aux clubs de la Super League, ils sont déjà des clubs puissants qui peuvent entraîner un bouleversement du football actuel. Seuls les clubs puissants pourront-ils créer une telle compétition ? La question de l’ouverture du marché est également importante du côté du financement. Si une entreprise soutient le financement de la Super League, les autres clubs auront-ils les mêmes possibilités ? Les règles mises en place ne devraient-elles pas permettre aux plus petits clubs de bénéficier d’une certaine redistribution ?

Daniel Pérot
Notaire assistant

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