La transmission de l’entreprise au sein de la famille, par Vincent Pilarczyk et Hubert Mroz, notaires stagiaires.

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Explorer : # transmission d'entreprise # donation-partage # fiscalité # succession familiale

Vincent PILARCZYK (vincentpilarczyk chez notaires.fr) et Hubert MROZ (h.mroz chez notaires-roubaix.fr), Notaires stagiaires, membres de l’INES Nord Pas de Calais (Institut Notarial de l’Entreprise et des Sociétés).

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C’est presque une banalité que de rappeler l’importance des PME dans le tissu économique national. Et plus encore, ce sont les PME « familiales » qui constituent l’essentiel de ce maillage. Quelque soit son importance, chaque entreprise est intimement liée à l’histoire et à la vie d’une famille. Et malheureusement, cette entité économique souffre très fréquemment du passage de relais d’une génération à une autre.

Il n’est pas simple de passer la main quand on s’est attaché, sa vie durant - ou une bonne partie au moins - à faire naître et/ou à développer une activité. Il est tout aussi difficile de bien choisir son successeur et de lui permettre de continuer, dans les meilleures conditions, le chemin tracé.

On entend depuis un certain temps que la fiscalité de la transmission est une des principales causes du déclin de certaines entreprises. Cette cause est réelle, mais elle n’est pas la seule. Il faut également prendre en compte les difficultés liées à la mauvaise préparation, ou l’absence pure et simple de préparation de la transmission.

Dans tous les cas, la matière a fait l’objet d’un certain nombre d’améliorations, tant sur le plan civil que sur le plan fiscal, et a vu naître de nouveaux outils. Ce bref panorama a vocation à dessiner, de manière succincte, l’environnement juridique et fiscal actuel de la transmission d’entreprise au sein de la famille.

Sous quelle forme transmettre l’entreprise ?

La problématique du choix du successeur n’est pas la seule pour le chef d’entreprise. Il est impératif d’intégrer un certain nombre d’éléments décisionnels qui prennent en compte notamment la composition de l’entourage familial, le désir de gratification qui anime l’auteur de la transmission, ainsi que l’importance de l’entreprise dans le patrimoine personnel global. Même si l’on souhaite être généreux, il faut aussi penser à soi et prendre en compte la perte de revenus qu’engendrera le départ de l’entreprise. A partir de là plusieurs questions sont à envisager et notamment celle de savoir si la transmission doit être immédiate et totale, ou à l’inverse progressive et échelonnée.

Donation ou « vente » ?

De la même façon, la question se pose de savoir si l’entreprise doit être vendue purement et simplement aux proches, afin de recueillir des liquidités pour faire face aux besoins futurs, ou à l’inverse si elle doit être donnée sans réserve.

Cette problématique est généralement plus nuancée. Elle s’articule entre désir d’aider la génération suivante et nécessité de recevoir un capital. Elle dépend aussi fondamentalement de la capacité qu’aura l’entreprise à permettre le remboursement du financement de sa reprise puisque c’est en tout état de cause l’entreprise qui supportera, indirectement, le coût de la transmission.
Dans ce cas, la contrepartie que verse celui qui reçoit en donation toute ou partie de l’entreprise s’analyse en une charge de donation et peut être affectée de modalités particulières. Cette charge peut-être financée de manière « intrafamiliale », lorsque par exemple le donateur fait crédit au donataire, à l’image d’un crédit-vendeur, le donataire s’engageant à verser (ou non) des intérêts dans l’attente du remboursement du capital, ou s’engageant à verser une rente viagère. Elle peut également être financée par un crédit extérieur, voire les deux concurremment.

La donation-partage : instrument de paix familiale

La question se complique également en fonction de l’environnement familial puisqu’au sein d’une même fratrie, ou parmi les proches, certains peuvent avoir vocation à reprendre l’entreprise et d’autres non. Pour autant, on ne souhaite pas léser ou désavantager celui qui ne poursuivra pas les affaires.

C’est le premier intérêt de réaliser un partage. Dans ce cas, la donation prend la forme d’une donation-partage où chaque personne ayant vocation à succéder au chef d’entreprise (en principe chaque enfant) participe et reçoit des biens, sous la médiation du donateur, qui procède lui-même, de son vivant, au partage de son patrimoine. Ce sera généralement l’hypothèse d’un parent donateur réalisant la donation et le partage de partie de ses biens entre ses enfants.

La donation-partage permet même d’y intégrer une personne totalement étrangère aux successibles, futurs héritiers prévisibles, lorsque celui qui prendra la tête de l’entreprise n’appartient pas au premier cercle des proches, ou n’appartient pas tout simplement à la famille. Cette hypothèse était encore totalement exclue il y a quelques années du fait du coût fiscal de la donation à un tiers (jusqu’à 60 % de droits à payer à l’Etat), mais est aujourd’hui tout à fait envisageable grâce à la conclusion d’un engagement de conservation (cf. infra).

Ce partage anticipé évite notamment les « guerres de succession » où les héritiers se déchirent dans l’attribution de la succession une fois le décès survenu.

Il existe un autre intérêt de recourir à la donation-partage qui est souvent méconnu. En effet, il est important de rappeler que le droit français considère que toute donation constitue une « avance sur succession ». En conséquence, au moment du règlement du décès du donateur, le partage de sa succession se fera en tenant compte de tous les biens donnés antérieurement au décès, de leur affectation et surtout, d’après leur valeur au jour du décès. On imagine les disparités qui pourront se révéler plusieurs années après la donation si l’un a reçu des parts ou actions de société, dont la valeur aura fortement fluctué, et l’autre un bien dont la valeur sera restée relativement stable. Seule une donation-partage faisant intervenir tous les successibles permet d’éviter cet écueil.

Il faut également rappeler que les règles de droit en vigueur imposent en principe de transmettre au profit de certains proches (enfants notamment) une portion minimale de biens à son décès, appelée réserve héréditaire. Il n’apparaît pas possible, au premier abord, de transmettre plus de biens à l’un des membres de la famille, de telle sorte que cela vienne empiéter sur cette réserve héréditaire.

Depuis la loi du 23 juin 2006 (1), il est désormais possible, dans le cadre d’un pacte de famille de convenir qu’un ou plusieurs membres de la famille recevront une portion excédant la réserve héréditaire, si les héritiers dits « réservataires », bénéficiaires de cette réserve (souvent les enfants) y consentent. Cette solution est particulièrement appréciable dans l’hypothèse où l’entreprise donnée en totalité représente la plus grande partie du patrimoine et qu’il n’existe pas suffisamment de biens ni de fonds pour désintéresser les autres donataires.

De la même manière, dans le cadre d’une reprise, on peut aussi estimer que celui qui reprend l’entreprise s’expose à un risque que ne connaitra pas celui qui reçoit un bien immobilier ou une somme d’argent, d’où l’envie de lui donner une portion supplémentaire par rapport aux autres.

Enfin, la donation-partage admet une certaine souplesse sur le plan du partage du patrimoine et permet de convenir, relativement simplement, de modalités particulières lorsque l’un des donataires recueille l’entreprise à charge de dédommager les autres donataires en s’obligeant à leur verser une soulte dans l’optique du maintien d’une égalité ou d’une équité au sein de la famille. Il sera possible de convenir de dispositions particulières et spécifiques à chaque situation (interdiction de vendre avant un certain délai, obligations concernant la gestion de l’entreprise, etc.) et même de faire intervenir des donataires de générations différentes (enfants ET petits-enfants par exemple).

Les questions fiscales à aborder

La fiscalité de la transmission est souvent pointée du doigt en cas d’échec de reprise de l’entreprise au sein de la famille. Elle présente deux aspects. L’un concerne le « retrayant », et n’affecte donc pas directement le repreneur. L’autre aspect concerne les droits de donation que le successeur aura la charge de payer, en plus des autres charges qu’il aurait à supporter. On néglige volontairement l’application éventuelle de l’ISF au chef d’entreprise retrayant qui conservera des titres de la société, sans plus désormais y exercer une activité professionnelle, ou l’imposition du capital qu’il percevrait en cas de « charge de donation » à son profit.

L’impact de l’impôt de plus-value

En principe, la donation de l’entreprise ne génère aucune plus-value lorsque celle-ci est exploitée sous la forme d’une société assujettie à l’impôt sur les sociétés (IS), puisque l’opération de transmission n’a pas de contrepartie. C’est sans compter sur les diverses particularités liées à la constitution initiale de l’entreprise transmise (apport, fusion, sursis et report d’imposition, etc) - et le chef d’entreprise sera bien avisé de valider ce point avec son conseil.
Dans les autres hypothèses, la transmission gratuite de l’entreprise peut générer un impôt de plus-value. Toutefois, de nombreux et nouveaux dispositifs fiscaux permettent d’éluder cet impôt - économiquement incohérent - à condition de se conformer aux obligations édictées.

Le coût de l’impôt de donation

Une donation a un coût fiscal qui s’exprime, principalement, au travers des droits d’enregistrement perçus, par l’intermédiaire du notaire, au profit de l’administration fiscale. Ces droits d’enregistrement dépendent de la valeur des biens transmis mais aussi du lien de parenté existant entre donateur et donataire.

Ce coût peut s’avérer très important. A titre d’exemple, dans le cadre d’une donation par un parent au profit d’un enfant, où la fiscalité est par principe la moins élevée, les droits de donation sont progressifs et s’échelonnent de 5 % à 40 %.

Ces dernières années, un certain nombre de mécanismes ont été développés pour limiter la fiscalité liée à la transmission, à savoir :
- Les mécanismes favorables à la transmission à titre gratuit (donation ou succession) tels que l’augmentation des abattements (depuis les dernières lois fiscales, chaque parent peut transmettre à chaque enfant, tous les 6 ans, jusqu’à 151.950 € sans payer de droits de donation),
- Les mécanismes favorables aux donations, tels que les réductions d’impôt pour donations (exclues en cas de succession). Ainsi, une réduction d’impôt de 50% est appliquée sur les donations en pleine propriété lorsque le donateur est âgé de moins de 70 ans, et de 30% lorsqu’il est âgé de plus de 70 ans, mais moins de 80 ans. Des réductions de 35% et de 10% sont également appliquées en cas de donation en nue-propriété,
- Les dispositifs favorables aux transmissions anticipées, tels que les Pactes Dutreil (2) qui permettent de pratiquer un abattement de 75% sur la valeur de l’entreprise transmise si la transmission est appuyée d’un engagement de conservation.

Dans quelle mesure anticiper la transmission ?

Il serait sans doute excessif de déclarer que toute transmission doit impérativement avoir été planifiée et organisée des années à l’avance. Cependant, même si l’absence d’anticipation n’empêchera que très rarement de transmettre l’activité au moment voulu, cette imprévision pourra la rendre beaucoup plus difficile ou privera certainement les protagonistes de certaines opportunités juridiques ou fiscales qui pourraient faciliter les choses.

La réorganisation structurelle préalable

A titre d’étude préalable, rien n’interdit de prendre le temps de relire les statuts et les pactes d’actionnaires, bien au contraire. Même à titre d’anticipation, il est évidemment toujours intéressant de connaître la teneur de leurs dispositions pour les cas de donation ou de décès (agrément, retrait, etc), ne serait-ce que dans l’hypothèse d’un décès accidentel avant de pouvoir réaliser la donation.

On peut également envisager l’intérêt de constituer une société holding, de restructurer la société et les activités, de modifier les statuts ou de revoir la composition de l’actionnariat.

La reprise à l’essai : la location de l’entreprise

Il est bien entendu difficile de faire le choix d’un successeur et de lui passer le relais sans être sûr de ses capacités à reprendre la maîtrise des affaires. A l’image de la gérance libre de fonds de commerce ou de fonds d’artisanat, le législateur permet désormais aux associés et actionnaires de louer leurs parts et actions à un tiers ou un proche, déjà associé ou non.

Cette faculté est ouverte dans les sociétés par actions et sociétés à responsabilité limitée soumises de plein droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés (IS) (3).

Cette nouvelle faculté offre de nombreuses perspectives aux projets de transmission de l’entreprise familiale qu’on aurait tort de négliger. On peut également envisager la constitution d’une nouvelle société réunissant le chef d’entreprise et son successeur et à laquelle serait donnée la gérance libre du fonds de commerce ou de l’activité exploitée.

L’anticipation des conséquences fiscales : le Pacte Dutreil

On a dit plus haut que ce dispositif permettait de réduire voire d’éluder l’impôt de donation et/ou de succession grâce à un abattement de 75% de la valeur de l’entreprise transmise. Ce pacte prend la forme d’un contrat par lequel le chef d’entreprise va s’engager, avec d’autres associés ou actionnaires, proches ou non, à conserver ses titres sociaux pendant une certaine durée.

Il faut noter que ce type d’engagement peut permettre également de réduire l’ISF lorsqu’un associé ou actionnaire ne bénéficie pas de l’exonération profitant aux biens professionnels.

Deux ou plusieurs associés ou actionnaires (dont le chef d’entreprise) doivent signer un engagement collectif de conservation aux termes duquel ils s’engagent à conserver leurs parts ou actions pendant une durée de deux ans au moins. Ces parts ou actions visées par l’engagement doivent représenter au moins 34% du capital et des droits de vote de la société pour une société non cotée (ce pourcentage étant abaissé à 20% dans le cas d’une société cotée). Ensuite, au moment de la transmission, les donataires auxquels les parts ou actions sont attribuées doivent chacun prendre l’engagement de conserver les parts ou actions transmises pendant une durée de quatre ans. Enfin, l’un des signataires ou successeurs doit exercer un mandat social, pendant l’engagement collectif et pendant trois ans après transmission.
L’engagement de conservation résultant du Pacte n’a d’effets fiscaux qu’en cas de donation ou de succession. Il ne demeure qu’une faculté que se réservent les protagonistes en cas de donation ou succession, sans être tenus à quoi que ce soit en cas de rupture des engagements s’il n’y a pas eu transmission.

Pour conclure, on ne perd rien à aborder, même à titre de simple information, les différentes possibilités offertes en cas de transmission. Elles permettront sans doute de prendre le moment venu et sans hâte, la bonne décision.

CE QU’IL FAUT RETENIR :


- La transmission de l’entreprise au sein de la famille est une étape essentielle pour la pérennité de l’activité, or cette transmission est généralement au cœur de problématiques familiales, économiques, juridiques et fiscales qui la rendent difficile.
- Ces dernières années, le cadre législatif et fiscal de la donation-partage a été réformé afin de rendre plus consensuel et plus souple le schéma de transmission et permettre l’optimisation fiscale de l’opération.
- Des outils juridiques et fiscaux ont été créés pour satisfaire aux besoins de la pratique, mais ils nécessitent, pour être mis en place, une discussion et une étude préalable. Gérer, c’est anticiper et prévoir.

Article paru dans LA GAZETTE DU NORD PAS DE CALAIS (www.gazettenpdc.fr) le 27 mars 2008.

(1) Loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités
(2) Articles 787 B et 787 C du Code général des impôts
(3) Article 26 de la Loi n°2005-882 du 2 août 2005

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