Une décision administrative refusant à un postulant de participer à un concours de la fonction publique est-il un préjudice indemnisable ?

Par Marc Lecacheux, Avocat.

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Explorer : # responsabilité administrative # concours de la fonction publique # préjudice indemnisable # droit à l'emploi public

Cette question peut paraître comme secondaire dans cet univers du contentieux de la responsabilité administrative où le juriste et le juge administratif serait tenté d’opposer cet adage De minimis non curat preator.
Pour autant cette problématique ne nous semble pas aussi anodine.

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En effet, dans une société où il n’est plus rare de se reconvertir professionnellement et où la mobilité professionnelle des agents publiques à l’intérieure des différentes fonctions publiques est fortement encouragée, le contentieux des concours de la fonction publique ne doit pas plus être considéré comme un litige de second ordre.

En outre, n’oublions pas que la voie du concours est le passage obligé pour entrer dans la fonction publique (article 16 de la Loi du 13 juillet 1983) et un levier fondamental pour accéder à la méritocratie républicaine puisque les candidats sont soumis à une stricte égalité dans les conditions de passage des concours administratifs.
Néanmoins, au nombre des dérogations à la règle du concours figure les recrutements « au tour extérieur » et par » le troisième concours » et surtout un recours accru aux contractuels.

Pour autant, la règle d’intégration de la fonction publique par concours subsiste et compte tenu de la difficulté des épreuves de certain concours (catégories A et B), chaque candidat doit consacrer du temps et de l’argent pour la préparation des épreuves.
Il n’est donc pas inutile de considéré comme fondé le préjudice résultant d’un refus administratif opposé à un candidat.

Dans l’immédiat, il conviendra de revenir aux sources de notre droit positif permettant de légitimer les prétentions du ou des requérants (I) pour ensuite déterminer dans le cas d’espèce les conditions d’engagement de la responsabilité administrative (II)

I) Les règles fondamentales régissant les concours administratifs

En premier lieu, Gérard Cornu définit, dans son dictionnaire des termes juridique, le concours comme :
« Un procédé de recrutement de la fonction publique tendant à la désignation, par un jury, à la suite d’épreuves appropriées du ou des candidats aptes à être nommés par l’autorité compétente ».

Le droit à un emploi public résulte de L’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 4 aout 1789 qui énonce :

« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, place et emploi publics, selon leur capacité, et sans distinction que celles de leurs vertus et leurs talents ».

En outre, la Constitution de 1946, intégrée dans le bloc de constitutionnalité, reconnait le droit de pouvoir obtenir un emploi.

De surcroît, le Conseil Constitutionnel a posé la règle selon laquelle, il appartient au législateur « de poser les règles propres à assurer aux mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi en vue de permettre l’exercice de ce droit au plus grand nombre d’intéressés » (DC 1983).

De plus, ce même Conseil a ainsi pu affirmer « qu’aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle n’interdit au législateur de prévoir que les statuts particuliers de certains corps de fonctionnaires pourront autoriser le recrutement d’agents sans concours et qu’aucune disposition de la loi ne saurait être interprétée comme permettant de procéder à des mesures de recrutement en méconnaissance de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (Cons. const., 30 août 1984, déc. n° 84-178 DC : Journal Officiel 4 Septembre 1984).

Pour ce qui concerne les fonctionnaires, c’est-à-dire les agents publics titulaires, le recrutement par concours est de principe. Aux termes de l’article 16 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : « Les fonctionnaires sont recrutés par concours sauf dérogation prévue par la loi ».
Ainsi, l’exercice de ce droit est ouvert aux candidats remplissant certaines conditions générales (article 5 de la loi du 13 juillet 1983).

Enfin, concernant la justiciabilité de ce droit par les usagers, la haute juridiction administrative a estimé dans un arrêt célèbre (CE Abbé Bouteyre du 10 mai 1912) que la décision de l’administration qui accorde ou refuse l’autorisation de concourir peut-être déférer devant le juge administratif (CE 18 mars 1983 Mr Mulsant P 125 ; CE 10 juin 1983 Mr Raoult P 251).

La jurisprudence a par ailleurs précisé que les conditions pour être admis à concourir doivent être appréciées à la date de début des épreuves (CAA de Nantes 29 avril 1999 n°97NT01100).
Par voie de conséquence, le fait de refuser à un candidat la possibilité de concourir peut engager la responsabilité de l’administration et être à l’origine, pour le candidat malheureux, d’un préjudice moral et financier certain.

II-Les conditions d’engagement de la responsabilité administrative

II-1) Une faute de l’administration :
Lorsque le requérant excipe un préjudice économique, il doit tout d’abord démontrer que ce préjudice découle d’une faute de l’administration (CE Delle G 22 janvier 1986 AJDA 1986 p947).

Dès lors, si le demandeur arrive à démontrer l’illégalité du refus de concourir, la faute de l’administration sera démontrée en vertu d’un principe traditionnelle qui veut que toute illégalité commise par l’administration est fautive.( voir un ex : CE 30 janvier 2013 N°339918 Mr L)

II-2) La règle de l’imputabilité :

En effet, le dommage n’est réparable qu’autant que l’on peut imputer cette faute à une personne publique.

Cette règle est en réalité une évidence puisque le fait générateur de la responsabilité est imputable à une personne publique puisque c’est elle qui décide de l’admission ou non à concourir.

II-3)La détermination du préjudice économique et moral certain : la théorie de la perte de chance

Il convient tout d’abord de rappeler que le juge administratif fixe le montant de l’indemnité à laquelle peut prétendre le requérant dans son action indemnitaire en tenant compte de l’importance de l’irrégularité fautive de l’administration (CE ASS 7 avril 1933 DEBERLES).

En outre, depuis la jurisprudence Letisserand de 1961 (CE 24 novembre 1961 P 661) le juge administratif indemnise la douleur morale composante essentielle du préjudice moral.
Il peut s’agir, par exemple, d’une atteinte à la réputation (CE, 12 nov. 1965, n° 62342, Poncin : Rec. CE 1965, p. 612). Ou (CAA Nancy, 25 sept. 2008, n° 07NC00575 : AJFP 2009, p. 16).

A partir de 1983, la haute juridiction a estimé qu’elle devait examiner le refus de concourir opposer par l’administration par le procédé du contrôle normal (à l’inverse de l’erreur manifeste d’appréciation) (CE sect 10 juin 1983 Raoult AJDA 1983 P 527, CE 20 décembre 1995 Min de l’intérieur).

Dans une autre décision, le Conseil d’État a expressément utilisé la théorie de la perte de chance en reconnaissant que la perte d’une chance sérieuse de réussite à un examen pouvait donner lieu à indemnisation au titre d’un préjudice économique, (CE 22 janvier 1986 Delle G, AJDA 1986 Page 947, voir aussi dans un sens défavorable à la requérante CE 25 novembre 1998 Mme P).

Ainsi, il a été admis la réparation de la perte de chance sérieuse d’une requérante de réussir le concours externe de l’agrégation d’éducation physique et sportive du fait des refus illégaux qui lui ont été opposés par l’administration (CAA de Nancy 25 septembre 2008 n°07NC00575).
On le voit, lorsque l’empêchement est jugé illégal d’une personne à se présenter à un concours, il peut être à l’origine d’un préjudice morale en même temps qu’il est attentatoire de ses droits constitutionnels.

La certitude du préjudice pouvant justifier l’octroi sous astreinte (lois des 16 juillet 1980 du 8 février 1995), par le juge administratif, et de dommages et intérêts.

Maitre Marc Lecacheux
Avocat à la cour

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  • Bonjour j’ai déposer mon.dossier candidature, pour le concour d’auxiliaire puériculture on ne ma.pas fait de retour jai du faire la demande oú en était ma demande on m’a dit que mon.dossier est irecevable. Qu’est ce que cela veut dire concrètement.. on ma pas dit qu’il est imcomplet mais irrecevable

    • par marc lecacheux , Le 22 juin 2023 à 16:05

      Madame,

      L’irrecevabilité a un concours signifie généralement qu’une ou plusieurs conditions de fonds pour postule, ne sont pas remplies.

      EX : absence de nationalité française, du diplôme requis ....

      Cordialement.

  • Bonjour,

    Article très intéressant.
    Question : dans un tel cas, le juge peut-il envisager d’attribuer au candidat évincé le bénéfice du concours ?
    Je suis dans une situation un peu similaire, à la différence que l’on me refuse le droit de participer à l’épreuve orale de mon concours après avoir été admissible suite à l’écrit, à mon sens pour motifs illégaux.

    Merci.
    M. PIEDPLAT

    • par FRANCK OURA , Le 8 octobre 2022 à 09:10

      Bonjour,
      J’espère que vous allez bien et qu’une suite heureuse a été trouvée à votre situation.

      Je souhaiterais savoir comment la question a été résolue et si vous aviez connaissance d’une jurisprudence relative, non pas au refus de participer à un concours, mais l’inverse, c’est à dire, à une autorisation ou une dérogation pour permettre à un candidat de pouvoir présenter un concours de la fonction publique.
      Je vous laisse mon adresse mail au cas où.
      Je vous remercie.

      PS : oura.franck86 chez gmail.com

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