L’utilisation des technologies modernes par les salariés a rendu en effet plus délicate pour l’employeur la preuve de certains agissements de concurrence déloyale. Sans toujours accorder la suprématie à la recherche de la vérité, la jurisprudence dominante demeure toutefois celle qui déroge, même de manière implicite, à la protection de la vie privée du salarié lorsque sont en jeux les intérêts économiques de l’entreprise.
C’était précisément le cas d’un récent arrêt de la Chambre sociale du 19 juin 2013. Un salarié d’une agence de publicité (YOUNG & RUBICAM France) avait été licencié pour faute grave : il avait entretenu une correspondance avec les employés d’une société concurrente.
Le salarié contesta ce licenciement auprès de la juridiction prud’homale, faisant valoir l’illicéité du mode de preuve utilisé par son employeur, la société Y & R, comme portant atteinte au respect de sa vie privée. La société avait en effet mandaté un expert en informatique afin d’accéder au disque dur de l’ordinateur du salarié et hors sa présence, lui permettant ainsi de prendre connaissance de messages électroniques personnels du salarié. L’expert avait toutefois pris soin d’écarter du rapport remis à la société Y & R certains fichiers clairement estampillés « personnels ».
La Cour d’appel de Versailles donna raison au salarié, lui accordant pour 8 années d’ancienneté plus de 63.000 euros d’indemnités. Elle motiva sa décision en considération de ce que l’expert mandaté par la seule société Y & R, a accédé aux dossiers et aux fichiers personnels du salarié, ainsi qu’aux courriels échangés entre ce dernier et l’un de ses collègues à partir de leurs adresses électroniques personnelles.
Dans son pourvoi, l’employeur expose que les fichiers et dossiers du salarié figurant sur le disque dur et expressément nommés « personnels », ont fait l’objet d’une mise à l’écart par le rapport d’expert et que par conséquent il n’en avait pas pris connaissance. L’employeur insista en revanche sur le caractère professionnel des messages électroniques du salarié, alors même qu’ils ont été transférés par le salarié lui-même de sa messagerie personnelle vers le disque dur de l’ordinateur professionnel.
Ainsi, deux questions sont posées à la Cour de cassation. Premièrement, l’accès à des fichiers informatiques du salarié, labellisés « personnels », par un expert mandaté par l’employeur, lequel n’en a pas eu accès lui-même, constitue-t-il une atteinte à la vie privée du salarié ? Deuxièmement, le transfert de courriels de la messagerie personnelle du salarié vers le disque dur de l’outil professionnel suffit-il à conférer à ces messages électroniques un caractère personnel ?
La Chambre sociale approuve l’argumentation de l’employeur. Elle censure la décision d’appel en rappelant dans un chapeau la formule désormais classique : « Attendu que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence ».
Ce principe est mis ensuite en application : « Qu’en statuant ainsi, alors d’une part qu’elle avait constaté que l’expert avait exclu de son rapport les fichiers et dossiers identifiés comme étant personnels au salarié, ce dont il résultait que l’employeur n’y avait pas eu accès, d’autre part que des courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l’ordinateur mis à disposition du salarié par l’employeur ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».
La Cour statue dans un premier temps selon une jurisprudence maintenant bien établie, à savoir, que l’employeur ne peut pas avoir accès, hors la présence du salarié, aux fichiers et dossiers expressément identifiés comme personnels par le salarié, même créés avec l’outil professionnel, sauf risque ou événement particulier. Plus novateur est le deuxième point consacrant une indifférence de la provenance du fichier non expressément nommé « personnel ».
1. Inaccessibilité du fichier estampillé personnel
La jurisprudence en la matière est fixée par plusieurs arrêts dont celui de la Chambre sociale du 17 mai 2005 qui pose clairement l’interdiction pour l’employeur, sauf risque ou événement particulier, de prendre connaissance, hors la présence du salarié, des fichiers que celui-ci a identifiés comme personnels et enregistrés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel mis à sa disposition.
A contrario, un employeur peut toujours prendre connaissance des fichiers figurant sur le disque dur de l’outil professionnel lorsque la mention « personnel » ou « perso » n’accompagne pas ces fichiers. En l’absence de l’une de ces deux mentions, l’employeur bénéficie de la présomption du caractère professionnel des fichiers et la dénomination « mes documents » donnée à un fichier est insuffisante à lui conférer un caractère personnel (Chambre sociale, 10 mai 2012 n° 11-13.884).
Dans l’espèce du 19 juin 2013, les fichiers étaient clairement identifiés comme personnels et c’est la raison pour laquelle l’expert informatique les avait exclus du rapport remis à la société Y&R. Etant dénommés « personnels » les fichiers figurant sur le disque dur de l’ordinateur mis à la disposition du salarié échappent donc à tout contrôle de l’employeur.
Or, la Cour d’appel avait considéré que l’accès à ces fichiers personnels par l’expert mandaté par l’employeur s’apparentait comme une prise de connaissance par l’employeur lui-même. C’était en toute hypothèse l’argumentation du salarié : « l’expert mandaté par la seule société Y & R, a accédé aux dossiers et aux fichiers personnels du salarié ».
Cependant la Cour de cassation, sans plus de développement rejeta ce raisonnement en rappelant simplement que la cour d’appel avait constaté que l’expert avait exclu de son rapport les fichiers et dossiers identifiés comme étant personnels au salarié, ce dont il résultait que l’employeur n’y avait pas eu accès.
Il est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas précisé davantage ce point.
En effet, il apparaît que le salarié puis la Cour d’appel se sont interrogés sur la neutralité de l’expert qui est certes un tiers dans la relation employeur-salarié, mais un tiers mandaté par l’employeur et à qui seul le rapport a été remis.
2. Indifférence de l’origine des fichiers non identifiés comme personnels
Après les fichiers et dossiers estampillés personnels et auxquels selon la Cour de cassation, l’employeur n’a pas eu accès, il s’agissait pour l’employeur de revendiquer dans son pourvoi le caractère professionnel des courriels retrouvés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel.
L’argumentation était simple : les courriels qui ont un caractère personnel durant le temps de stockage dans la messagerie personnelle du salarié, perdent ce caractère privé dès qu’ils sont transférés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel.
Ce raisonnement est validé par la Cour de cassation qui précise que ces fichiers et courriels ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié.
On peut supposer que c’est pour faciliter l’établissement par l’employeur de la preuve du caractère professionnel d’un fichier que la Cour de cassation va considérer que tout ce qui entre dans le disque dur de l’ordinateur, concerne l’activité professionnelle et autorise donc l’employeur à en prendre connaissance puis à s’en servir comme mode de preuve licite.
Toutefois, l’employeur ne peut utiliser des fichiers non identifiés comme personnels, contre un salarié dans le cadre d’une procédure de licenciement, lorsqu’après avoir pris connaissance des fichiers, il s’avère relever de la vie privée ou intime du salarié (Chambre sociale, 5 juillet 2011 n°10-17.284).
Mais en l’espèce, les courriels du salarié sont venus mettre à jour des agissements de concurrence déloyale, donc à propos de l’activité professionnelle, ce qui autorise l’employeur à en user dans le cadre de la sanction disciplinaire.
D’une manière générale, l’employeur peut prendre connaissance de tous les courriels adressés ou reçus qui ne sont pas identifiés comme personnels. Il y a lieu toutefois d’apporter la précision suivante concernant les courriels : selon un arrêt du 18 octobre 2011, le salarié pourrait interdire à son employeur l’ouverture de ses courriels en les identifiant par un signe distinctif. Cependant, l’arrêt de la Chambre sociale n’est pas suffisamment explicite : « que les courriels litigieux n’étaient pas identifiés comme étant personnels et qu’ils étaient, sans signe distinctif, dans sa messagerie professionnelle ». Une interprétation possible serait de considérer qu’un courrier sans la mention expresse personnel pourrait toutefois avoir un caractère personnel s’il est accompagné d’un signe distinctif (Chambre sociale, 18 octobre 2011 n°10-26.782).