Ou quand le Conseil d’État freine le zèle de l’administration.
Le Conseil d’État, par une décision en date du 13 janvier 2010, a annulé les dispositions très contestées de l’Instruction Administrative 13 A-I-08. Celles-ci incluaient dans le calcul du plafonnement des impôts directs, les produits des fonds en euros des contrats multi-supports.
Rappel des faits : Dans le cadre des dispositions de la Loi TEPA et sur le fondement du « bouclier fiscal » Monsieur et Madame X ont présenté une demande de restitution des impositions payées au titre de l’année 2006 et excédant 50 % de leurs revenus.
Par une décision en date du 30 avril 2008, l’administration fiscale rejette leur demande.
Pour refuser cette demande, l’administration se fonde sur les dispositions de l’instruction susvisée qui, interprétant le texte de l’article 1649-0 A du Code Général des Impôts, considèrent que les revenus des contrats multi-supports composés exclusivement ou essentiellement en euros doivent être inclus dans les revenus de l’année de leur inscription en compte.
M. et Mme X qui ont par ailleurs contesté le bien fondé de cette décision devant le tribunal administratif de Paris, demandent l’annulation pour excès de pouvoir de l’instruction 13 A-I-08.
Décision du Conseil d’État : En disposant que le revenu tiré du fonds en euros d’un contrat multi support est réputé réalisé à la date de son inscription en compte et, à ce titre, pris en compte pour la détermination du droit à restitution lorsque l’épargne est en réalité exclusivement ou quasi exclusivement investie sur le fonds en euros pendant la majeure partie de l’année, alors que les produits ne sont pas définitivement acquis dans la mesure où ils peuvent être réinvestis par le souscripteur vers des supports en unités de compte et en subir les fluctuations, l’instruction du 26 août 2008 a ajouté une condition qu’il n’appartenait qu’au législateur de prévoir et a ainsi méconnu les dispositions de l’article 1649-0 A du CGI.
Par suite, les alinéas 2 à 8 du § 34 de cette instruction, ainsi que les dispositions du § 38 relatif aux retraits ou rachats de contrats se référant à ces alinéas sont annulés. CE 13 janvier 2010 n° 321416, 8e et 3e s.-s.
Les conséquences de cette décision : La solution du Conseil d’État se fonde sur les débats parlementaires, desquels il extirpe l’intention du législateur et sur l’analyse des contrats multi-supports au regard de la notion de revenu définitivement acquis.
La décision du Conseil d’État est parfaitement claire.
L’administration a ajouté au texte légal une condition qui n’y figurait pas et les dispositions de l’instruction relatives aux contrats multi-supports principalement investis en euros doivent être annulées.
Ce faisant, le Conseil d’État met fin à la fiction fiscale de l’administration qui répute acquis les produits de ces contrats dès leur inscription en compte.
En conséquence, et dès à présent, l’administration ne peut plus se fonder sur les termes de cette instruction pour réduire ou supprimer le droit à restitution des détenteurs de contrats multi-supports et ce, quelle que soit la proportion des sommes investies sur le fonds en euros.
Les intéressés sont donc parfaitement en droit de ne pas inclure dans les revenus de référence servant au calcul de leur « bouclier », les produits des fonds en euros de ces contrats.
La même conséquence devrait s’appliquer à la règle de prise en compte des produits des fonds en euros des contrats multi-supports issus de la transformation dans le cadre du dispositif « Fourgous », après le 30 juin d’une année, de contrats auparavant libellés en euros, énoncée par l’administration dans un rescrit du 15 septembre 2009 (n° 2009/51 RC) sur le fondement des dispositions annulées.
Pour tous ceux qui ont, sur la base de l’Instruction administrative retoquée par le Conseil d’État, renoncé à déposer une demande de plafonnement, refaites vos déclarations à l’aulne de cette décision.
Vous avez jusqu’au 31 Décembre 2010 pour présenter votre demande de plafonnement des impôts directs sur les revenus de 2008.
Pour les années antérieures, l’annulation des dispositions illégales de l’instruction administrative est rétroactive. Toutefois, seul le juge administratif statuant en plein contentieux peut condamner l’État à rembourser les sommes dues au titre du droit à restitution aux contribuables.
Pour ceux qui ont déjà contesté la décision de l’administration, les contentieux en cours doivent être poursuivis pour obtenir la restitution des impositions.
Il convient néanmoins de s’interroger sur l’attitude de l’Administration face à cette décision.
Ne serait-il pas légitime que les Services Fiscaux prononcent spontanément le dégrèvement des impositions en litige et mettent ainsi un terme aux contentieux déjà engagés ?
En effet, l’attitude d’une Administration qui persisterait à invoquer les dispositions d’une instruction fiscale, censurées par le Conseil d’État, ne porterait-elle pas atteinte aux principes de la séparation des pouvoirs et à la garantie des droits reconnus par le Conseil Constitutionnel.
Pour ceux :
qui n’ont pas contesté la réduction ou le rejet de leur demande de restitution,
qui se sont conformés à la doctrine administrative pour établir leur demande,
qui ont renoncé à leur demande à cause de ce texte.
Théoriquement, ils ne peuvent plus réclamer une restitution en raison de l’expiration des délais fixés par l’article 1649-0A du Code Général des Impôts.
La question de l’ouverture d’un nouveau droit à réclamation est-elle envisageable ?
Effectivement, les contribuables ainsi floués d’un droit à restitution ne pourraient-ils pas soutenir que la décision du Conseil d’État révèle la non-conformité de la règle de droit fondant l’imposition à une règle de droit supérieure au sens de l’article L 190 du LPF, et constitue ainsi un événement ouvrant un nouveau délai de réclamation en application de l’article R 196-1, c du LPF ?
Il semble que le Conseil d’ État n’ait jamais pris position sur ce point.
Toutefois, selon la Cour de cassation, un arrêt du Conseil d’État annulant une instruction administrative illégale constitue une décision juridictionnelle révélant la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure.
Conclusion
Nous invitons tous les contribuables qui se trouvent dans cette situation, d’une part, à vérifier leur droit à restitution pour les revenus 2008 et, d’autre part, à engager un recours pour les revenus antérieurs.
Françoise Cavallé
Avocat Associé
Spécialiste en Droit Fiscal
Spécialiste en Droit des Sociétés
ASTRAIA CONSEIL